Ouverture de procédures pour cessation de paiement

Un cadre juridique inadapté

Dossier : L'entreprise en difficultéMagazine N°713 Mars 2016
Par Nicolas De GERMAY
Par Charles-Henri ROSSIGNOL (91)

Les patrons n’an­ticipent pas tou­jours quand les dif­fi­cultés arrivent pour utilis­er les solu­tions de préven­tion, ami­ables et con­fi­den­tielles. Alors, après c’est la solu­tion du redresse­ment judi­ci­aire, soit avec un plan de con­tin­u­a­tion, soit avec un plan de ces­sion. Mais la con­cep­tion de la loi est archaïque car, à force de pro­téger l’emploi et les salariés, on finit par tuer les entreprises.

Les procé­dures de préven­tion, ami­ables et con­fi­den­tielles, sont utiles et bien rodées main­tenant, mais mal­heureuse­ment peu con­nues des dirigeants qui sou­vent n’anticipent pas assez et se retrou­vent en sit­u­a­tion de ces­sa­tion de paiement sans les avoir envis­agées. Mis à part les solu­tions ami­ables et la liq­ui­da­tion, il reste pour une société défail­lante la solu­tion du redresse­ment judiciaire.

On dis­tingue le plan de con­tin­u­a­tion, dans lequel l’actionnaire reste en place et les dettes sont étalées dans le temps, et le plan de ces­sion, dans lequel un repre­neur reprend via une nou­velle struc­ture tout ou par­tie de l’entreprise défaillante.

REPÈRES

On dénombre environ 63 000 déclarations de cessation de paiement par an. Plus de 80 % concernent des sociétés sans véritable activité économique, des coquilles vides, ou des sociétés unipersonnelles dont le dirigeant actionnaire veut arrêter l’activité, souvent par absence de succession. Il s’agit en quelque sorte de « dépôt de bilan poubelle », et dans plus de 70 % des cas la liquidation judiciaire immédiate est prononcée.
Pour les 20 % restants, en revanche, constitués d’un tissu de PME, l’enjeu est colossal, direct et indirect et concerne plus de 250 000 salariés par an. Environ 250 de ces dernières sociétés font plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires et forment le marché visible du retournement en France.
Ce chiffre peut être multiplié par quatre si l’on rajoute les sociétés qui font l’objet, en amont, de procédures de prévention – généralement efficaces, avec plus de 70 % de réussite.


Le plan de con­tin­u­a­tion est com­plexe, fait porter à l’entreprise les stig­mates du passé et con­naît in fine un taux de réus­site très faible. C’est trop sou­vent un sparadrap sur une jambe de bois qui ne fait que gag­n­er un peu de temps au béné­fice des action­naires exis­tants mais est préju­di­cia­ble à la péren­nité de l’entreprise.

“ Le retournement est un métier de manageur et non d’investisseur financier ”

Le plan de ces­sion est en général plus adap­té, mais il souf­fre d’un manque de repre­neurs pour les sociétés de plus faible taille, et néces­site de réin­jecter des fonds de roule­ment, aspect qui est trop sou­vent négligé.

Réussir un retournement

Les caus­es de défail­lance sont mul­ti­ples, mais on trou­ve fréquem­ment des acci­dents indus­triels, beau­coup d’erreurs de ges­tion (avec une cul­ture française peu ori­en­tée vers la prévi­sion et le suivi budgé­taire), des retourne­ments con­jonc­turels ou des rup­tures tech­nologiques. La solu­tion à ces prob­lèmes est tou­jours managériale.


Ouver­ture de procé­dures (2010–2014)
Source : Rap­port Deloitte/Altarès 
L’Entreprise en dif­fi­culté en France – Mars 2015

De plus la con­cep­tion même de la loi, qui fixe comme pri­or­ités d’abord l’emploi, ensuite l’entreprise et enfin les créanciers, ren­force cette préémi­nence opéra­tionnelle. Le retourne­ment est donc avant tout un méti­er de man­ageur et non pas d’investisseur financier.

Les fac­teurs de réus­site sont surtout liés aux com­pé­tences du man­age­ment : finale­ment, c’est 90 % de bon sens, 5 % de financier et 5 % de restruc­tura­tion pure et dure.

Une fois les caus­es iden­ti­fiées, il est impor­tant pour un repre­neur d’être assisté tant sur le plan juridique que sur le plan des audits et de ne pas sous-estimer les apports néces­saires afin de recon­stituer le fonds de roule­ment. On achète surtout des act­ifs immatériels : un fonds de com­merce et des savoir-faire.

Au cours des quinze dernières années, le marché s’est pro­fes­sion­nal­isé et a gom­mé l’image sul­fureuse qu’il a pu avoir, même si l’on peut regret­ter l’absence des groupes indus­triels qui se tien­nent en retrait pour des raisons d’image et de réputation.

Le poids déterminant du social

La procé­dure col­lec­tive est, de ce point de vue, très utile. Elle donne une prise de con­science, encadre les proces­sus tant du point de vue financier que du cal­en­dri­er, et per­met en effet de détour­er l’activité en fonc­tion du périmètre de reprise et d’ajuster au mieux les effec­tifs à la capac­ité de chiffre d’affaires de l’entreprise.

“ Il est temps de renverser le paradigme des priorités de la loi ”

Dans une opéra­tion de retourne­ment, l’emploi est le prin­ci­pal levi­er, il a donc un poids déter­mi­nant dans le suc­cès ou l’échec de la reprise. Il est toute­fois impor­tant d’être trans­par­ent à l’égard de l’ensemble des par­ties (organes de la procé­dure, salariés, parte­naires soci­aux, pou­voirs publics).

Changer de paradigme

On con­state aujourd’hui que, si le marché du retourne­ment d’entreprise s’est large­ment pro­fes­sion­nal­isé, il reste d’une opac­ité forte et est donc assez inefficient.

Tribunal de Commerce
63 000 déc­la­ra­tions de ces­sa­tion de paiement chaque année. 
© MAURO RODRIGUES / FOTOLIA.COM — TRIBUNAL DE COMMERCE

La con­cep­tion de la loi est archaïque car, à force de pro­téger l’emploi et les salariés, on finit par tuer les entre­pris­es ou par faire sup­port­er à la col­lec­tiv­ité les coûts de restruc­tura­tion salariaux.

Pire encore, on établit une dis­tor­sion de con­cur­rence au détri­ment de la société saine puisque la société qui reprend un défail­lant acquiert un out­il indus­triel pour un coût min­ime qui ne sera donc pas amorti.

Il est temps de ren­vers­er le par­a­digme des pri­or­ités de la loi, et cela dans l’intérêt collectif.

QUI SONT LES PROFESSIONNELS DU RETOURNEMENT ?

On dénombre environ 110 administrateurs judiciaires et plus de 500 mandataires, auxquels il faut ajouter des avocats spécialisés, des banques d’affaires, des conseils (métiers du chiffre), des manageurs intérimaires, ce qui représente au total un peu plus de 2 000 professionnels en France.
S’agissant des investisseurs, on trouve un petit nombre de professionnels récurrents et une multitude de manageurs qui, au cours de leur carrière, feront une voire deux reprises. C’est du reste un des rôles de l’AIR (Association des investisseurs en retournement) que de favoriser l’émergence d’un plus grand nombre de repreneurs professionnels.
Il faut aussi développer la reprise et l’approche des dossiers de retournement par les industriels, mais cela demande des évolutions législatives notamment par rapport aux risques de coemployeur et aux problématiques fiscales liées aux conversions de créances qui rendent notre droit moins compétitif que d’autres juridictions européennes.
Nico­las de Ger­may est l’auteur d’un guide pra­tique du retournement :
Redress­er son entre­prise en 100 ques­tions, L’Harmattan, 2015.

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