amphithéatre à l'École polytechnique

Ingénieurs mes frères officiers de la guerre économique

Dossier : Le Grand Magnan 2017Magazine N°727 Septembre 2017
Par Bernard ESAMBERT (54)

Nous vivons actuel­le­ment en état de guerre éco­no­mique mon­diale. Il ne s’agit pas seule­ment là d’une ana­lo­gie militaire. 

Ce conflit est réel, et ses lignes de force orientent l’action des nations et la vie des indi­vi­dus. L’objet de cette guerre est, pour chaque nation, de créer chez elle emplois et reve­nus crois­sants au détri­ment de ceux de ses voisins. 

Car si les éco­no­mies des nations se sont fait la courte échelle lors de la période des « miracles éco­no­miques » des années 60 et du début des années 70, elles se font des croche-pieds depuis que la crise a fait son apparition. 

C’est en expor­tant davan­tage de pro­duits, de ser­vices, d’invisibles, que chaque nation essaie de gagner cette guerre d’un nou­veau genre, dont les entre­prises forment les armées. 

Au-delà du for­mi­dable accrois­se­ment du com­merce mon­dial qui en est la mani­fes­ta­tion la plus écla­tante, la guerre éco­no­mique impose éga­le­ment des débar­que­ments chez l’ennemi par l’implantation à l’étranger, la défense du front arrière par des entre­prises à carac­tère régio­nal et l’établissement de pro­tec­tions au tra­vers des tarifs doua­niers, qui ne repré­sentent plus que des murets de for­tune, de mou­ve­ments moné­taires, qui ont pris le relais des bar­rières doua­nières, enfin d’innombrables entraves aux échanges qui pro­tègent ici ou là un pan de l’économie.

QUELLE FORMATION ?

La créa­ti­vi­té et l’innovation sont des atouts fon­da­men­taux des entre­prises jetées dans le conflit. Car le scien­ti­fique est deve­nu un fac­teur impor­tant de la guerre. C’est par l’union de l’entreprise, de ses cadres et du scien­ti­fique que se déve­loppent les tech­no­lo­gies nou­velles qui irriguent le monde en pro­duits de consom­ma­tion ou ser­vices aux taux de crois­sance bien supé­rieurs à ceux des grandes indus­tries de base traditionnelles. 

Chaque nation doit encou­ra­ger ses entre­prises à por­ter haut ses cou­leurs en les met­tant en état d’innover, d’exporter sans cesse davan­tage, de s’implanter à l’étranger, bref, de vivre dans un contexte deve­nu irré­ver­si­ble­ment mondial. 

Dans ces condi­tions, les mana­gers sont désor­mais les offi­ciers de la guerre éco­no­mique et ils doivent faire en sorte que l’entreprise innove, vende et pro­duise (dans l’ordre), exporte et s’implante à l’étranger, le tout au moindre coût. 

Les qua­li­tés qui leur sont néces­saires sont : l’imagination, le non-confor­misme, la créa­ti­vi­té ; l’ouverture sur le monde, le pro­fes­sion­na­lisme et la com­pé­tence ; le sens des res­pon­sa­bi­li­tés et le sens du devoir ; l’humilité, qui per­met l’apprentissage sur le tas, à l’écoute des autres. 

Com­ment for­mer les mana­gers afin de leur per­mettre de déve­lop­per ces qualités : 

  • l’imagination : par l’encouragement à la démarche induc­tive dans l’apprentissage des sciences et par l’utilisation de l’intuition ; d’où l’intérêt des ensei­gne­ments qui font dia­lo­guer plu­sieurs sciences sur des thèmes communs ; 
  • l’ouverture sur le monde : par « les voyages qui forment la jeu­nesse », le contact avec les élèves étran­gers (en nombre insuf­fi­sant) for­més dans les écoles et uni­ver­si­tés fran­çaises, et sur­tout les com­plé­ments de for­ma­tion dans des sys­tèmes uni­ver­si­taires étran­gers qui devraient ouvrir l’esprit des futurs mana­gers et leur mon­trer la place exacte de la France dans le monde ; ce qui ne veut pas dire que nous ne devons pas être ambi­tieux, bien au contraire, pour notre pays ; 
  • le pro­fes­sion­na­lisme : par l’apprentissage d’une tech­nique (pas for­cé­ment une tech­no­lo­gie : ce peut être la finance, par exemple…) qui per­met­tra aux ingé­nieurs de rendre ser­vice à l’entreprise et de s’affirmer jusqu’au jour où le pro­fes­sion­nel devien­dra, selon l’expression de Louis Armand, un spé­cia­liste des idées géné­rales. Cette tech­ni­ci­té passe par l’apprentissage rigou­reux des dis­ci­plines scientifiques ; 
  • le sens des res­pon­sa­bi­li­tés : les tra­vaux de groupe et de nom­breuses acti­vi­tés extra­s­co­laires devraient per­mettre aux étu­diants qui en ont le goût de com­men­cer à s’affirmer.


École poly­tech­nique, chaire Data Science for Insu­rance Sec­tor, consa­crée à l’enseignement et à la recherche en data science.
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE – J. BARANDE

Sans doute fau­dra-t-il aus­si atti­rer l’attention de nos jeunes ingé­nieurs sur la dis­pa­ri­tion des voies royales qui per­met­taient, jusqu’à une époque récente, des cur­sus de haut niveau sans grands risques. La crise est pas­sée par là et a balayé ces faci­li­tés qui ne sont plus de mise : à sta­tut social éle­vé, res­pon­sa­bi­li­tés et charges de tra­vail écra­santes, et cela en permanence. 

Le diplôme n’est plus qu’une pré­somp­tion de savoir. Le croi­se­ment de deux des qua­li­tés néces­saires au futur mana­ger, ima­gi­na­tion et pro­fes­sion­na­lisme, conduit à mettre l’accent sur la néces­saire inno­va­tion qui doit être la nou­velle culture de l’entreprise.

J’ai pris la res­pon­sa­bi­li­té, en tant que pré­sident du conseil d’administration de l’École poly­tech­nique, de conseiller aux élèves de s’orienter davan­tage vers la recherche que par le pas­sé et d’envisager à leur sor­tie de l’École une for­ma­tion par la recherche. 

Encore fau­drait-il que le sort qui leur sera fait dans les entre­prises où ils se for­me­ront ne les amène pas à regret­ter d’avoir choi­si une voie qu’ils sen­ti­raient trop à l’écart des pré­oc­cu­pa­tions des équipes dirigeantes. 

Je lance donc un solen­nel appel à tous les mana­gers pour qu’ils prennent conscience de la néces­si­té de redon­ner ses titres de noblesse à la recherche en amé­lio­rant la rému­né­ra­tion et le sta­tut social de leurs chercheurs.
 

Article du Monde du 9 octobre 186 par Bernard ESAMBERT

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