Trop de pétrole !

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°623 Mars 2007Par : Henri Prévot (64), ingénieur général des MinesRédacteur : Hubert Lévy-Lambert (53), président de X-Sursaut

Il est main­tenant recon­nu que la hausse de tem­péra­ture de la planète de 0,6° au cours du xxe siè­cle est le fruit de l’activité humaine et que cette hausse a toutes chances de se pour­suiv­re et de s’accélérer si on ne fait rien. Les scé­nar­ios présen­tés par les 400 experts du GIEC1 à la con­férence de jan­vi­er 2007 à Paris a mon­tré à ce sujet un con­sen­sus par­mi les sci­en­tifiques qui a bal­ayé les quelques opin­ions diver­gentes qui pou­vaient se faire enten­dre aupar­a­vant : suiv­ant les hypothès­es, la tem­péra­ture pour­rait mon­ter au xxie siè­cle de 2 à 8°, avec des con­séquences pro­pre­ment cat­a­strophiques sur le niveau des mers, le cli­mat, la végé­ta­tion et cor­réla­tive­ment sur les mou­ve­ments de population.

Si la néces­sité de con­trôler les émis­sions de gaz à effet de serre est recon­nue, les moyens d’y arriv­er sont loin de faire l’objet d’un con­sen­sus. Il y a d’un côté ceux qui dis­ent « yaka » réduire la con­som­ma­tion d’énergie ou « faukon » développe les éner­gies renou­ve­lables. De l’autre, ceux qui tien­nent compte des réal­ités. L’intérêt du livre d’Henri Prévot (HP) est de faire une analyse claire et objec­tive de la sit­u­a­tion, en se gar­dant de tout a pri­ori dogmatique.

HP explique sim­ple­ment la sit­u­a­tion actuelle (8 GtC/an2 rejetées dans l’atmosphère sous forme de CO2, dont 3,5 non absorbées par les océans ou les végé­taux, d’où une aug­men­ta­tion de la con­cen­tra­tion de CO2 de 280 à 370 ppm depuis le début de l’ère indus­trielle) et les con­séquences en cas­cade de l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère (aug­men­ta­tion de la teneur en vapeur d’eau, autre gaz à effet de serre, fonte des glac­i­ers, diminu­tion cor­réla­tive de l’albédo3, diminu­tion de la capac­ité d’absorption des forêts et des océans, libéra­tion du CO2 et du CH4 piégés dans les sols glacés…).

Or, selon les scé­nar­ios des experts du GIEC, la con­cen­tra­tion de CO2 se sta­bilis­erait à 650 ppm et la tem­péra­ture moyenne de la terre aug­menterait de 4° si on réus­sis­sait à main­tenir au rythme actuel les émis­sions totales de CO2 au cours des deux siè­cles à venir, soit au total 1 500 GtC. La con­cen­tra­tion de CO2 se sta­bilis­erait à 450 ppm et la hausse de tem­péra­ture serait encore de 2,7° si on réus­sis­sait à réduire ces émis­sions de moitié, à 850 GtC. Ce chiffre est très inférieur aux réserves exploita­bles de gaz, pét­role et char­bon, estimées à 3 000 GtC. HP en con­clut qu’il faut donc s’interdire de con­som­mer toute l’énergie fos­sile disponible, ce qui sup­pose une inter­ven­tion régu­la­trice pour inter­nalis­er l’effet externe du réchauf­fe­ment de la planète.

Abor­dant le cas de la France, HP nous explique ensuite que nous pou­vons divis­er d’ici trente à quar­ante ans nos émis­sions par un fac­teur 2 voire 3, sans remet­tre en cause notre genre de vie.

S’appuyant sur une analyse détail­lée de la demande d’énergie, HP mon­tre qu’il est pos­si­ble de sta­bilis­er la con­som­ma­tion d’énergie à ser­vice ren­du équiv­a­lent en util­isant des tech­niques con­nues comme les véhicules hybrides, l’isolation des bâti­ments ou les pom­pes à chaleur, et cela pour un coût raisonnable, de l’ordre de 1 à 1,5 % du PIB futur. Il mon­tre aus­si qu’une forte aug­men­ta­tion du nucléaire – dont il analyse en détail les avan­tages et les risques – peut seule réduire sen­si­ble­ment les émis­sions de CO2. L’utilisation de la bio­masse agri­cole et forestière peut fournir un appoint plus en tant que source de chauffage que de car­bu­rant4. HP mon­tre enfin que, compte tenu de la vari­abil­ité du vent, les éoli­ennes ne sont pas une solu­tion, tor­dant ain­si le cou à des idées com­muné­ment admis­es5. Les con­tra­dicteurs sont même invités à effectuer leurs pro­pres sim­u­la­tions grâce à un tableur mis gra­cieuse­ment à leur dis­po­si­tion sur Inter­net6 !

Sans remet­tre en cause la néces­sité d’une action au niveau de l’Europe et d’une gou­ver­nance mon­di­ale, HP pour­suit son implaca­ble démon­stra­tion en expli­quant pourquoi, par une sorte de pari de Pas­cal, la France aurait tout intérêt à pren­dre les devants sans atten­dre que l’ONUE (nou­velle organ­i­sa­tion des Nations unies pour l’environnement) pro­posée par la France ait vu le jour7. Il com­pare ensuite les dif­férents moyens d’arriver au résul­tat voulu : fis­cal­ité, régle­men­ta­tion, sub­ven­tions, marché des per­mis d’émettre, dont il pro­pose une com­bi­nai­son qui pour­rait nous men­er sans rup­ture d’aujourd’hui à demain.

On regret­tera que HP se soit lim­ité à l’exemple de la France qui ne représente que 1,5 % des émis­sions mon­di­ales et 3 fois moins par habi­tant que les USA et qu’il n’ait pas abor­dé la ques­tion de la crois­sance démo­graphique et économique des pays d’Afrique ou d’Asie qui risque de ren­dre nos efforts dérisoires. Mais on peut lui savoir gré d’avoir con­tribué à éclair­er de manière rigoureuse mais très péd­a­gogique un débat trop sou­vent obscur­ci en France par des con­sid­éra­tions sub­jec­tives et à sus­citer, là comme ailleurs, un néces­saire sursaut !
 

1. Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat, mis en place par l’OMM et le PNUE. On trou­vera un résumé du rap­port des experts sur : http://www.effet-de-serre.gouv.fr/fr/etudes/SPM2007gr1.doc
2. 1 GtC = un mil­liard de tonnes de car­bone (1 t de car­bone = 3,66 t de CO2).
3. Coef­fi­cient de réflex­ion de la lumière du Soleil par la Terre ou l’atmosphère.
4. Pour dimin­uer les émis­sions avec de l’éthanol autant que le fait une seule tranche EPR, il faudrait 4 mil­lions d’hectares de cul­ture, soit 20 % de la sur­face arable française.
5. Cou­vrir la France d’éoliennes évit­erait la con­struc­tion de deux ou trois tranch­es EPR seule­ment, rendrait néces­saire la con­struc­tion d’une puis­sance équiv­a­lente de moyens ther­miques à flamme et serait généra­teur d’émissions de CO2.
6. http://www.2100.org/PrevotEnergie/vousmeme.html
7. Les ventes d’EPR à la Fin­lande et à la Chine sont des exem­ples con­crets de ces avantages.

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