Traace Gérer son impact carbone et son ESG

Dossier : TrajectoiresMagazine N°789 Novembre 2023
Par Hervé KABLA (84)

En 2020, Patrick Nol­let (X06) a cofondé Traace, pour per­me­t­tre aux entre­pris­es de réduire con­crète­ment leurs émis­sions de car­bone et d’accélérer leur tran­si­tion vers un mod­èle durable.

Quelle est l’activité de Traace ? 

Traace est une start-up pro­posant une plate­forme qui per­met aux entre­pris­es (princi­palement grands groupes et ETI) de gér­er leur impact ESG (envi­ron­nement, social et de bonne gou­ver­nance), avec une atten­tion par­ti­c­ulière sur la réduc­tion des émis­sions car­bone. Nos clients sont des entre­pris­es telles que Sodexo, Siemens ou encore la RATP. L’enjeu pour les entre­pris­es est non seule­ment de répon­dre aux exi­gences crois­santes de la régle­men­ta­tion (CSRD, Cor­po­rate Sus­tain­abil­i­ty Report­ing Direc­tive, ISSB, Inter­na­tion­al Sus­tain­abil­i­ty Stan­dards Board…), mais égale­ment de répon­dre aux attentes de leurs investis­seurs, de leurs clients et de leurs pro­pres employés pour qui l’impact doit devenir un pili­er de la stratégie des entreprises.


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Quel est le parcours des fondateurs ? 

J’ai fondé Traace avec Rodolphe Denieau et Thomas Guy­ot, deux anciens con­sul­tants en stratégie. Thomas a égale­ment tra­vail­lé dans l’équipe pro­duit de plusieurs start-up. Les pre­miers designs de Traace, c’est lui qui les a faits ! Pour ma part, j’ai tra­vail­lé pen­dant dix ans dans le secteur de la tech. Traace est ma sec­onde aven­ture entre­pre­neuri­ale. J’avais aupar­a­vant fondé une start-up de paiement, Neos, reven­due en 2019 à Lyf Pay.

Patrick Nollet (X06) a cofondé Traace
Patrick Nol­let (X06) a cofondé Traace

Comment t’est venue l’idée ?

J’ai eu un déclic à la nais­sance de mon troisième enfant. J’étais devenu directeur numérique de Chantelle, une belle entre­prise française, très attachante. Mais la parental­ité invite à la prise de recul, et quelque chose me dis­ait que je n’étais pas à ma place. J’étais de plus en plus sen­si­ble aux ques­tions envi­ron­nemen­tales et je pen­sais que j’avais un rôle à jouer sur ces sujets. Car j’ai la con­vic­tion que la tech­nolo­gie, bien util­isée, peut être un for­mi­da­ble levi­er pour ceux qui veu­lent chang­er les choses. C’est à cette péri­ode que j’ai ren­con­tré Rodolphe et Thomas, qui cher­chaient juste­ment un pro­fil comme le mien. Ils avaient remar­qué au cours de leurs mis­sions de con­seil que ce qui man­quait le plus aux entre­pris­es n’était pas tant l’ambition que des out­ils puis­sants pour déploy­er leurs straté­gies envi­ron­nemen­tales. Tra­vailler ensem­ble sur Traace a été évident.

Qui sont les concurrents ? 

C’est un marché act­if, avec des propo­si­tions de valeur var­iées. On trou­ve bien sûr les grands édi­teurs (SAP, Sales­force, Microsoft…) qui souhait­ent entr­er sur ce marché promet­teur, mais qui ont aujourd’hui des solu­tions trop peu adap­tées pour être pris­es en main par les métiers des entre­pris­es. On note égale­ment beau­coup de start-up qui se sont lancées sur ce créneau.

Cer­taines pro­posent des « bilans car­bone en un clic ». C’est un marché dif­férent : les résul­tats obtenus sont impré­cis et méthodologique­ment dis­cuta­bles. D’autres ont été pris­es dans l’euphorie que l’on a observée en 2021 sur les val­ori­sa­tions de cer­taines start-up. Ces acteurs sont en dif­fi­culté aujourd’hui, car ils peinent à se refi­nancer en rai­son de leur val­ori­sa­tion qui est totale­ment décon­nec­tée de leur chiffre d’affaires réel. De notre côté, nous avons priv­ilégié une crois­sance saine, prenant le temps de recruter les bons pro­fils (30 employés aujourd’hui). Notre répu­ta­tion est notre meilleur argu­ment de vente : nous sommes là pour le long terme.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

Traace a été créée à la fin de l’année 2020. En sep­tem­bre 2021, nous rem­por­tons l’appel d’offres de Sodexo pour un déploiement dans plus de 60 pays. Puis, en mai 2022, notre activ­ité fran­chit un seuil, c’est 20 Mt de CO2 sous ges­tion, soit l’empreinte car­bone de 2 mil­lions de Français. En juil­let 2023, nou­velle étape avec la sor­tie de notre mod­ule ESG. Nous prenons en compte toutes les dimen­sions du report­ing extra­fi­nancier, et plus seule­ment le climat.

Réduire son empreinte carbone tout en développant son activité, cela ne rend-il pas les chefs d’entreprise un peu schizophrènes ? 

Je ne pense pas que cela soit con­tra­dic­toire. Tout dépend de l’activité que l’on développe. Beau­coup d’entreprises espèrent encore pou­voir se décar­bon­er sans rien chang­er à leur offre ou à leurs procédés. Et on les com­prend : allez con­va­in­cre une entre­prise de pâtis­serie de con­som­mer moins de beurre, qui est son prin­ci­pal poste d’émissions car­bone ! Mais cela n’est pas souten­able. Heureuse­ment, les men­tal­ités changent. Pour rester dans le secteur de l’agroalimentaire, nous con­sta­tons que cer­tains acteurs com­men­cent à chang­er pro­fondé­ment leur offre, en pro­posant par exem­ple beau­coup plus de menus végé­tariens. Pour rap­pel, un plat végé­tarien émet 14 fois moins qu’un plat à base de bœuf. Les leviers exis­tent et sont con­nus. Il faut main­tenant du courage et des con­vic­tions pour les met­tre en place.

On approche souvent ces sujets par l’axe financier, y a‑t-il d’autres moyens ? 

L’axe financier a une qual­ité : c’est le lan­gage que par­lent tous les métiers d’une entre­prise. Abor­der les sujets par l’aspect financier per­met de met­tre tout le monde autour de la table et d’aligner les intérêts, d’autant que les bud­gets alloués aux actions de décar­bon­a­tion sont en général portés par d’autres départe­ments que la RSE. Prix interne du car­bone, coût de l’inaction…, les out­ils pour mod­élis­er finan­cière­ment la tran­si­tion envi­ron­nemen­tale exis­tent et per­me­t­tent de con­stru­ire des ROI (retours sur investisse­ment) com­plets, sou­vent à l’avantage d’une forte décar­bon­a­tion. Les entre­pris­es qui se trans­for­ment dès aujourd’hui auront un avan­tage con­cur­ren­tiel évi­dent dans quelques années.

Les disparités d’approche entre États ne vont-elles pas avoir un impact sur la gestion de l’empreinte carbone par les entreprises, au risque de voir les mêmes conséquences que pour l’optimisation fiscale ? 

La moti­va­tion des États est iné­gale, mais on remar­que un réel effort d’harmonisation des stan­dards et des régle­men­ta­tions. Ain­si, deux approches s’affrontent actuelle­ment : celle de la CSRD, poussée par l’Union européenne, et celle de l’ISSB, un organ­isme de nor­mal­i­sa­tion. Quelle que soit l’approche retenue, ces stan­dards sont globaux, donc il est dif­fi­cile de pass­er à tra­vers les mailles du filet.

Quelles certifications existent dans le secteur de la décarbonation et de l’impact ? Ont-elles toutes la même valeur ? 

C’est un domaine où de nou­velles cer­ti­fi­ca­tions et de nou­veaux labels fleuris­sent chaque semaine. On par­le de compt­abil­ité car­bone, mais les méthodolo­gies d’audit et de con­trôle sont bien moins matures que ce que l’on trou­ve dans le domaine financier où il s’agit d’un sujet légal et bien délim­ité. Dans le domaine du car­bone, cer­tains acteurs n’hésitent pas à créer leurs pro­pres cer­ti­fi­ca­tions ou labels, alors qu’ils sont juges et par­ties. Mais cer­taines cer­ti­fi­ca­tions ont une vraie valeur. On pour­ra ain­si citer la cer­ti­fi­ca­tion Bilan Car­bone Con­form délivrée par l’ABC (Asso­ci­a­tion pour la tran­si­tion bas car­bone), ou alors la cer­ti­fi­ca­tion B Corp, qui éval­ue un cer­tain nom­bre de critères soci­aux et environnementaux.

Verra-t-on un jour apparaître le poste de chief decarbonization officer ?

Je n’espère pas ! La décar­bon­a­tion n’a pas voca­tion à être can­ton­née à une équipe. Elle doit irriguer l’ensemble de l’activité d’une entre­prise. La réduc­tion des émis­sions car­bone se fait sur le ter­rain, en mod­i­fi­ant les process, les out­ils, les chaînes d’approvisionnement, la con­cep­tion des pro­duits, etc. Elle doit mobilis­er l’ensemble de l’organisation, tant finan­cièrement qu’humainement. On a sou­vent ten­dance à assim­i­l­er la décar­bon­a­tion à un sujet de report­ing. Mais c’est en fait un enjeu stratégique et financier. À ce titre, ce sont les directeurs de la stratégie ou les directeurs financiers qui doivent pouss­er leurs entre­pris­es à se décar­bon­er, et plus générale­ment à contrô­ler leur impact social et environnemental.


Site Inter­net de Traace

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