Stratégie de discipline des marchés de commodités

Dossier : Entreprise et stratégieMagazine N°658 Octobre 2010
Par Laurent LEMARCHAND (04)

REPÈRES

REPÈRES
Une com­mod­ité est un pro­duit stan­dard­isé, deux con­cur­rents ne pou­vant se dif­férenci­er qu’à tra­vers leur prix de vente. C’est le cas, par exem­ple, des matières pre­mières. Un État dis­posant de ressources naturelles se posera la ques­tion de savoir com­ment attir­er les investisse­ments étrangers qui per­me­t­traient de les exploiter et, par con­séquent, de dévelop­per l’é­conomie locale. Une entre­prise qui s’ac­quitte d’une licence d’ex­ploita­tion de ressources naturelles se deman­dera com­ment max­imiser la valeur de ces ressources.

Évolution cyclique des marchés de commodités

Les marchés de com­mod­ités sont cycliques et con­nais­sent deux phases.

En “bas de cycle”, la demande est inférieure à la capac­ité disponible. Durant cette phase, les acteurs se livrent à une con­cur­rence forte et cherchent pri­or­i­taire­ment à écouler leurs vol­umes de pro­duc­tion. La stag­na­tion des prix n’en­cour­age pas de nou­veaux investisse­ments, générale­ment con­sid­érables même à l’échelle d’un État ou d’une grande entre­prise inter­na­tionale. Mais dans un marché en crois­sance, la demande vient peu à peu sat­ur­er l’of­fre jusqu’à la dépasser.

La sec­onde phase, ou fly-up, débute alors. Elle dure tant qu’au­cune nou­velle capac­ité n’en­tre en pro­duc­tion sur le marché, ce qui peut pren­dre plusieurs années. Les prix s’en­v­o­lent et sont alors gou­vernés par la capac­ité des acheteurs à pay­er. D’où deux con­séquences néfastes : le marché devient ponctuelle­ment attrac­t­if ce qui peut attir­er de nou­veaux entrants ; ensuite, la demande est désor­gan­isée voire en par­tie détruite.

Les marchés de com­mod­ités sont cycliques

En effet, les acteurs ne pou­vant suiv­re le niveau des prix vont adapter leur com­porte­ment en ratio­nal­isant leur con­som­ma­tion ou en cher­chant des pro­duits de sub­sti­tu­tion. Le cycle prend fin lorsque de nou­velles capac­ités pénètrent le marché.

La forte hausse des prix asso­ciée au fly-up ayant ponctuelle­ment attiré de nom­breux investisse­ments, les vol­umes sup­plé­men­taires sur le marché sont con­sid­érables et on entre alors dans une nou­velle phase de bas de cycle pou­vant dur­er plus d’une dizaine d’années.

Volatilité et manque d’attractivité

Les car­ac­téris­tiques d’un tel marché ne le ren­dent pas par­ti­c­ulière­ment attrac­t­if. L’am­pli­tude des prix en péri­ode de fly-up génère de trop nom­breux investisse­ments qui se font tous azimuts, le marché devenant alors sur­ca­pac­i­taire et ultra­con­cur­ren­tiel pour une durée bien trop longue.

Par com­para­i­son, un marché où les phas­es de fly-up seraient d’am­pli­tude plus mod­érée et dont les cycles seraient plus courts lim­it­erait le risque que de nou­veaux entrants pénètrent le marché et réduirait les chocs de demande. Dans de telles con­di­tions, la con­cur­rence serait moins forte et les prix pour­raient croître durable­ment, en bas de cycle notam­ment, garan­tis­sant ain­si une plus grande sta­bil­ité des cash-flows et donc une plus grande attrac­tiv­ité du marché.

Le marché de la potasse
En 1989 lors de son intro­duc­tion en Bourse, Potash Corp. (PCS) dis­po­sait de ~15% des capac­ités mon­di­ales de pro­duc­tion de potasse dont les prix étaient sig­ni­fica­tive­ment volatils et en dessous de la barre des 100$/T (FOB Van­cou­ver). PCS a alors gradu­elle­ment con­solidé le marché jusqu’à détenir ~25% des capac­ités mon­di­ales à par­tir de 1993 et en con­trôler ~35% par l’in­ter­mé­di­aire de la société d’ex­por­ta­tion nord-améri­caine, Can­po­tex. À par­tir de 1995 (et jusqu’au fly-up de 2007), les prix de la potasse sont restés sta­bles autour de 120 $/T (FOB Van­cou­ver), juste en dessous du seuil de rentabil­ité des nou­veaux pro­jets (green­field). En par­ti­c­uli­er, PCS a su garan­tir les prix de la potasse lors des récents chocs de demande. En 2001 et 2006, il a réduit le taux d’u­til­i­sa­tion de ses capac­ités de ~10% et ~15% respec­tive­ment, absorbant à lui tout seul entre les trois quarts et la total­ité de la baisse de la demande sur son marché.

Règles du jeu

Swing pro­duc­er
Il est cru­cial que le leader du marché dis­pose de “gros” vol­umes afin que ses actions lui garan­tis­sent un meilleur retour financier, et de suff­isam­ment de sur­ca­pac­ités afin de détenir un cer­tain pou­voir dis­suasif sur ses con­cur­rents ou autres nou­veaux entrants. En ter­mi­nolo­gie anglo-sax­onne, on dit d’un tel acteur qu’il agit en tant que swing pro­duc­er.

Une telle évo­lu­tion d’un marché n’est pos­si­ble que sous cer­taines con­di­tions, et demande aux dif­férents acteurs d’adopter un com­porte­ment “dis­ci­plinaire “.

Il est tout d’abord néces­saire qu’un acteur dis­pose d’une posi­tion de lead­er­ship : une part de marché sig­ni­fica­tive avec une struc­ture de coûts avan­tageuse. Cette posi­tion peut résul­ter d’un accès priv­ilégié à des ressources naturelles (ex. l’Ara­bie Saou­dite, marché du pét­role) ou se con­stituer par crois­sance externe (ex. Potash Corp., marché de la potasse).

Ensuite, pour con­stru­ire un marché durable­ment attrac­t­if un tel acteur doit jouer un jeu dont les règles pour­raient être les suiv­antes. Il doit avant tout accepter de laiss­er ses con­cur­rents plac­er leurs vol­umes sur le marché en péri­ode de bas de cycle afin d’éviter une guerre des prix.

Il est néces­saire qu’un acteur dis­pose d’une posi­tion de leadership

Ce com­porte­ment ne peut être assumé que par un acteur dis­posant d’une part de marché sig­ni­fica­tive lui garan­tis­sant de pou­voir cou­vrir ses frais fix­es mal­gré un taux d’u­til­i­sa­tion faible­ment élevé. En par­al­lèle, le leader doit régulière­ment (et pas seule­ment en péri­ode de fly-up) inve­stir dans de nou­velles capac­ités. Ces nou­velles capac­ités ont un dou­ble objec­tif : lim­iter l’am­pli­tude des péri­odes de fly-up et dis­suad­er ses con­cur­rents d’in­ve­stir à leur tour. En effet, si un acteur, pos­sé­dant une posi­tion de coûts très avan­tageuse, dis­pose en plus de sur­ca­pac­ités sig­ni­fica­tives, ses con­cur­rents ne pren­dront pas le risque d’in­ve­stir de peur qu’il ne les laisse pas plac­er leurs vol­umes. Il est néces­saire qu’un acteur dis­pose d’une posi­tion de leadership

Toute­fois, afin d’être en mesure d’in­ve­stir dans de nou­velles capac­ités, un tel acteur doit être capa­ble de génér­er suff­isam­ment de cash-flows. Pour ce faire, il doit s’as­sur­er que les prix, et donc sa marge, demeurent élevés. Deux leviers sont alors à sa dis­po­si­tion : éviter la guerre des prix en lais­sant ses con­cur­rents plac­er leurs vol­umes et garan­tir aux acteurs mar­gin­aux, dont les struc­tures de coûts sont sen­si­ble­ment plus élevées que celles des autres acteurs, leurs parts de marché, quitte à réduire son offre.

CVA en bref
Créé en 1987, le cab­i­net CVA con­seille les direc­tions générales de grandes entre­pris­es inter­na­tionales sur des ques­tions de stratégie, mar­ket­ing stratégique et amélio­ra­tion opéra­tionnelle. Il regroupe 350 col­lab­o­ra­teurs dans 16 bureaux, répar­tis sur les cinq continents.

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