Améliorer les partenariats public-privé : un enjeu majeur de l’innovation

Dossier : Entreprise et stratégieMagazine N°658 Octobre 2010
Par Franck HERBAUX (87)
Par Morsi BERGUIGA (95)

REPÈRES

REPÈRES
Un peu partout dans le monde, les insti­tuts de recherche font le lien entre les indus­triels et la recherche académique. Ils sont le plus sou­vent financés par les États pour faire pro­gress­er les con­nais­sances fon­da­men­tales et con­tribuer au développe­ment des tech­nolo­gies. Plusieurs mil­liers d’in­sti­tuts de recherche exis­tent de par le monde dont les plus con­nus sont : le Mass­a­chu­setts Insti­tute of Tech­nol­o­gy (MIT) aux États-Unis, les Fraun­hofer alle­mands, le Nation­al Phys­i­cal Lab­o­ra­to­ry au Roy­aume-Uni et le CNRS en France.

Mal­gré la réces­sion, les investisse­ments en R&D ont con­tin­ué à croître à l’échelle mon­di­ale au cours des dernières années, les dépens­es en R&D ont ain­si aug­men­té d’en­v­i­ron 15% sur la péri­ode 2007–2009 pour les 15 pre­miers pays dans ce domaine (cf. fig­ure 1).

De plus en plus, les insti­tuts de recherche doivent démon­tr­er leur valeur ajoutée

La sit­u­a­tion des insti­tuts de recherche n’est néan­moins pas aus­si rose que cet indi­ca­teur peut laiss­er croire. De plus en plus, ces insti­tuts doivent démon­tr­er leur valeur ajoutée à des gou­verne­ments atten­tifs à leurs investisse­ments, et sont tenus par ailleurs d’ac­croître la part des finance­ments privés pour équili­br­er leur bud­get. La part de finance­ment pub­lic dans les bud­gets de ces insti­tuts varie con­sid­érable­ment suiv­ant les pays. Même si cette part est aujour­d’hui en dessous de 50% pour une grande par­tie de ces insti­tuts, elle demeure néan­moins vitale. Elle est, par ailleurs, à l’o­rig­ine des quelques dif­fi­cultés que ren­con­trent les insti­tuts dans la déf­i­ni­tion de leur rôle, devant répon­dre à des objec­tifs d’in­térêt pub­lic, fixés en con­trepar­tie des finance­ments reçus, tout en demeu­rant attrac­t­ifs au regard des clients du secteur privé.

Pression concurrentielle

De même, les indus­triels du secteur privé met­tent en com­péti­tion ces insti­tuts sur un marché des sci­ences de plus en plus mon­di­al­isé, créant une pres­sion con­cur­ren­tielle entre les cen­tres de recherche. Cer­tains clients poten­tiels leur reprochent une cul­ture trop peu ori­en­tée client et un tro­pisme en faveur des sci­ences, au détri­ment d’une approche marché.

Peu à peu, les critères d’ex­cel­lence de ces insti­tuts ont évolué pour don­ner plus d’im­por­tance aux trans­ferts de tech­nolo­gie et aux pro­jets menés en parte­nar­i­at avec les indus­triels. Ain­si, les plus en pointe intè­grent dans leurs critères de per­for­mance les impacts en matière de créa­tions d’en­tre­pris­es ou les dépôts de brevets qui découlent de leurs travaux de recherche. L’évo­lu­tion des critères d’ex­cel­lence de ces insti­tuts traduit une volon­té de ren­forcer les col­lab­o­ra­tions avec l’in­dus­trie. Mais, cette ten­dance se heurte encore à deux obsta­cles : des objec­tifs dif­férents (recon­nais­sance sci­en­tifique ver­sus rentabil­ité) et des diver­gences de points de vue sur les modal­ités de partage de la valeur (pro­priété intel­lectuelle). Sur la base de sa col­lab­o­ra­tion avec plus de 60 insti­tuts de recherche et lab­o­ra­toires privés, Arthur D. Lit­tle a iden­ti­fié trois leviers prin­ci­paux pour amélior­er la col­lab­o­ra­tion entre ces insti­tuts et l’industrie.

Planification stratégique

Le pre­mier axe d’amélio­ra­tion passe par la mise en place d’une plan­i­fi­ca­tion stratégique met­tant en cohérence les travaux des insti­tuts et les objec­tifs de leurs clients.

Il est par­fois dif­fi­cile de val­oris­er le brevet dévelop­pé par un insti­tut de recherche

En effet, les insti­tuts de recherche ren­con­trent sou­vent des dif­fi­cultés dans la déf­i­ni­tion de leur rôle ou le cadrage de leur stratégie. La mis­sion ou les ori­en­ta­tions définies ini­tiale­ment par ces insti­tuts changent sou­vent au cours du temps à tra­vers des change­ments mineurs de direc­tions qui ne s’adaptent pas aux évo­lu­tions des besoins.

L’ex­is­tence d’une stratégie de recherche claire cou­plée à un sys­tème de mesure de per­for­mance et de rémunéra­tion se révèle pri­mor­diale pour ces insti­tuts qui, à défaut, dérivent vers un fonc­tion­nement proche de celui des uni­ver­sités : les intérêts indi­vidu­els des chercheurs pren­nent alors le dessus sur la vision de l’in­sti­tut qui ressem­ble peu à peu à un regroupe­ment d’u­nités de recherche indépen­dantes en lieu et place d’une organ­i­sa­tion unique à objec­tifs communs.

Coopérer dans l’innovation

Exem­ples à suivre
Les insti­tuts les plus en pointe artic­u­lent leur stratégie de recherche autour d’une fine com­préhen­sion des besoins de leurs clients et d’une forte impli­ca­tion de décideurs (publics ou privés) dans les travaux de plan­i­fi­ca­tion stratégique. La mise en place d’un proces­sus de plan­i­fi­ca­tion stratégique per­met ensuite de hiérar­chis­er effi­cace­ment les ini­tia­tives de l’in­sti­tut. Cette approche per­met égale­ment de canalis­er les équipes qui revendiquent générale­ment une forte autonomie. Elle con­duit, par exem­ple, à aban­don­ner cer­tains travaux et à recen­tr­er sur des sujets don­nant les meilleures chances de se démar­quer sur le plan nation­al ou international.
Pro­priété intellectuelle
Indus­triels et insti­tuts n’ont pas la même approche de la pro­priété intel­lectuelle. La ges­tion tra­di­tion­nelle de la pro­priété intel­lectuelle dans ces insti­tuts repose sur des mécan­ismes de dépôt ou de trans­fert de brevets en échange de roy­al­ties. Ces dernières sont sou­vent suré­val­uées au regard du poten­tiel économique réel des brevets. Les indus­triels, de leur côté, imposent des con­di­tions strictes de solid­ité et de pro­priété juridique dans le proces­sus de val­ori­sa­tion. Il faut donc établir des principes com­muns de ges­tion de la pro­priété intel­lectuelle qui favorisent les échanges : nou­veaux modes de finance­ment, règles de ges­tion claires et partagées, val­ori­sa­tion des inno­va­tions suiv­ant le temps qui sera néces­saire pour en tir­er par­ti sur le marché.


Deux­ième levi­er, le développe­ment d’un mod­èle d’in­no­va­tion col­lab­o­ratif cen­tré sur le partage de con­nais­sances et de com­pé­tences au sein d’un réseau de parte­nar­i­at pub­lic-privé. Le mode de col­lab­o­ra­tion le plus courant reste fondé sur des parte­nar­i­ats de recherche suiv­is de trans­ferts de tech­nolo­gie. Cepen­dant, il est par­fois dif­fi­cile de trans­former le brevet dévelop­pé par un insti­tut en une appli­ca­tion exploitable sur le plan com­mer­cial. Pour atténuer cette bar­rière, il s’ag­it d’or­gan­is­er un partage de com­pé­tences dans une dynamique de col­lab­o­ra­tion à long terme.

L’essen­tiel de l’ac­t­if réside dans la valeur des équipes

Cela peut notam­ment con­sis­ter à impli­quer des chercheurs dans l’équipe de man­age­ment de l’in­dus­triel. Et inverse­ment, de financer de jeunes chercheurs chargés d’i­den­ti­fi­er les inno­va­tions ayant un poten­tiel com­mer­cial, comme cela fut expéri­men­té au Roy­aume-Uni par le Lon­don Tech­nol­o­gy Net­work.

Les insti­tuts doivent enfin con­stru­ire des réseaux inter­na­tionaux qui garan­tis­sent aux indus­triels un accès aux meilleures com­pé­tences. Les indus­triels, dont le ter­rain de jeu est inter­na­tion­al, recherchent sou­vent des col­lab­o­ra­tions à l’échelle inter­na­tionale sur les sujets spé­ci­fiques qui les intéressent. Un exem­ple de ce type est le Hewlett-Packard Con­sor­tium for Advanced Sci­en­tif­ic and Tech­ni­cal Com­put­ing rap­prochant des chercheurs et des util­isa­teurs du monde entier.

Nouvelle organisation

Critères d’é­val­u­a­tion
Il est néces­saire de faire évoluer les mod­èles de recon­nais­sance pour pren­dre en compte les objec­tifs des indus­triels en com­plé­ment des critères clas­siques dans le pub­lic. La per­for­mance des chercheurs se trou­ve ain­si sou­vent éval­uée presque exclu­sive­ment sur la créa­tion sci­en­tifique (nom­bre de pub­li­ca­tions) et non sur d’autres critères non moins impor­tants comme la sat­is­fac­tion des grands clients, la qual­ité ou le niveau d’exé­cu­tion des projets.

Le troisième levi­er d’ac­tion vise à faire évoluer l’or­gan­i­sa­tion et les procé­dures des insti­tuts pour ren­forcer l’ori­en­ta­tion client. Une organ­i­sa­tion struc­turée autour de domaines d’ap­pli­ca­tions indus­trielles per­met aux insti­tuts de mieux servir leurs clients, avec des rela­tions plus directes entre les équipes. Il faut aus­si prévoir un fonc­tion­nement trans­verse pour que les sci­en­tifiques réus­sis­sent à pour­suiv­re le développe­ment de leurs com­pé­tences académiques en évi­tant les fonc­tion­nements en silos entre les dif­férentes équipes de recherche. L’évo­lu­tion de l’or­gan­i­sa­tion passe enfin par la mise en place de proces­sus de ges­tion des ressources humaines (comme les proces­sus de recrute­ment ou de ges­tion des car­rières) qui s’avère pri­mor­diale dans ces organ­i­sa­tions — comme dans toutes les organ­i­sa­tions — où l’essen­tiel de l’ac­t­if réside dans la valeur des équipes.

La com­péti­tion en matière d’in­no­va­tion ne peut plus se sat­is­faire des anciens car­cans entre pub­lic et privé, mais devra dépass­er ces oppo­si­tions en s’ap­puyant sur les avan­tages de chaque mod­èle et en les combinant.

Arthur D. Lit­tle regroupe plus de 1000 con­sul­tants opérant dans plus de 20 pays. Créée en 1886, cette société occupe une place priv­ilégiée par­mi les cab­i­nets de con­seil de direc­tion générale. Elle col­la­bore avec plus de 60 insti­tuts de recherche et lab­o­ra­toires privés.

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