Stationnement alterné et Shoubidoo,

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°612 Février 2006Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

On ren­con­tre des esprits cha­grins partout, même par­mi les lecteurs de La Jaune et la Rouge. J’en entends par­fois déplor­er que les théâtres parisiens ne jouent que des vaude­villes. Or cela n’est pas con­forme à la vérité. Peut-être veu­lent-ils dire seule­ment qu’à leur goût, il s’y joue “ trop ” de vaude­villes. On serait ten­té de leur répon­dre, d’une part que le cha­grin est stérile, d’autre part qu’existent d’excellents vaude­villes : “ comédies légères, diver­tis­santes, fer­tiles en intrigues et rebondisse­ments ” selon le Petit Robert.

Et comme il se trou­ve aus­si des lecteurs de notre revue allant au théâtre juste pour se diver­tir, je leur recom­man­derai, s’ils ne l’ont déjà fait, de courir à la Michodière pour y voir Sta­tion­nement alterné. Ils en sor­tiront égayés pour des mois, ce qui me paraît tou­jours bon à prendre.

L’auteur en est le comé­di­en, met­teur en scène et dra­maturge bri­tan­nique Ray Cooney, le titre anglais Run for your wife, l’adaptation de Stew­art Vaugh­an et Jean-Christophe Barc. Et le sujet, plus qu’inattendu : un chauf­feur de taxi – joué par Éric Métay­er – est bigame, c’est-à-dire qu’il a une épouse et un apparte­ment à Ivry, une autre épouse et un autre apparte­ment à Mon­treuil. À con­di­tion d’établir une organ­i­sa­tion très stricte des horaires irréguliers pro­pres à son méti­er, et de la gér­er avec rigueur, il s’arrange fort bien de cette sit­u­a­tion déli­cate. Jusqu’au jour où un acci­dent, une col­li­sion volon­taire pour bar­rer le pas­sage à l’engin d’un gang braque­ur de bijouter­ies, per­turbe son plan­ning en l’expédiant à l’hôpital.

Affole­ments séparés des deux femmes ne le voy­ant ren­tr­er aux heures dites, ni dans l’un, ni dans l’autre de ses foy­ers. Elles aler­tent l’une le com­mis­sari­at d’Ivry, l’autre celui de Mon­treuil, de sorte que la police se mêle de l’affaire. La presse itou, en rai­son du braquage mis en échec par son intervention.

Vous voyez déjà là bien des ingré­di­ents de nature à mon­ter une mécanique de quipro­qu­os à la Fey­deau, mais ce n’est pas tout. Notre mal­heureux chauf­feur, enfin ren­tré à Ivry la tête bandée, se voit obligé d’expliquer ses dif­fi­cultés à son voisin du dessus, celui d’Ivry – joué par Roland Marchi­sio. Et voilà les deux com­pères amenés, de fil en aigu­ille, à inven­ter cha­cun de son côté des jus­ti­fi­ca­tions de plus en plus saugrenues aux cir­con­stances d’une com­plex­ité crois­sante dans quoi ils se trou­vent placés, mais sans évidem­ment savoir ce que l’autre a bien pu dire.

En résul­tent pour les spec­ta­teurs deux grandes heures de rire aux éclats, mer­veilleuse­ment garanties. J’espère que beau­coup d’entre vous, amis lecteurs, auront déjà vu, sur mon con­seil, Éric Métay­er dans Des Cail­loux plein les poches, pièce jouée en 2003 au Théâtre La Bruyère, puis en tournée. Vous le retrou­verez donc avec joie, plus trép­i­dant que jamais, sur le plateau de la Michodière, dans une mise en scène endi­a­blée de Jean-Luc More­au, où cha­cun des comé­di­ens, tous excel­lents, n’en fait jamais trop, comme l’on dit, mais juste ce qu’il faut pour rester vraisem­blable dans des cir­con­stances pour­tant com­plète­ment tordues.

Je défie quiconque aura assisté à ce spec­ta­cle oser ensuite soutenir que le vaude­ville est un art mineur. Écrire un vaude­ville n’est ni du facile, ni du vite fait. C’est de l’horlogerie, non pas celle des mon­tres à quartz, mais celle du temps des chronomètres de marine, d’où dépendait la sûreté de la nav­i­ga­tion. Mais il s’agit là de celle du rire. Et tant mieux si le résul­tat est une fête.

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Puisque nous sommes dans la gai­eté, per­me­t­tez-moi de vous recom­man­der si, comme je l’espère, elle demeure à l’affiche quand paraîtront ces lignes, une char­mante petite pochade mon­tée par l’épouse, et jouée par la fille, de notre cama­rade Russier (67). Elle s’appelle Shoubidoo et se donne les lundis à 21 heures au Can­oti­er du Pied de la Butte, un cabaret de Mont­martre : une heure et demie de bal­lets, cla­que­ttes et surtout chan­sons des années soix­ante, celles des 45 tours, repris­es par une fille et deux garçons qui n’étaient pas encore nés dans ces temps-là, mais les ressus­ci­tent avec entrain pour le bon­heur des spec­ta­teurs. Une bonne idée !

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