Timbre à l'effigie de Sophie Germain

Sophie GERMAIN : une polytechnicienne avant l’heure

Dossier : ExpressionsMagazine N°735 Mai 2018
Par Antigoni ALEXANDROU
Par Claudine HERMANN

L’his­toire de Sophie Ger­main pas­sion­née de math­é­ma­tiques, qui s’est sub­sti­tuée à un élève démis­sion­naire pour suiv­re les cours de l’É­cole et qui a été finale­ment admise à l’A­cadémie des Sci­ences est bien con­nue. Les auteures deman­dent une recon­nais­sance offi­cielle pour elle et plus générale­ment pour la con­tri­bu­tion des femmes aux sciences. 

Nous sommes en 1789. Pen­dant les tur­bu­lences de la Révo­lu­tion, Sophie Ger­main a treize ans. Elle trou­ve refuge dans la riche bib­lio­thèque de son père, où elle se décou­vre une pas­sion pour les mathématiques. 

Elle se met à étudi­er tout ce qui lui tombe sous la main avec une telle ardeur que sa famille essaie de l’en dis­suad­er en lui reti­rant le feu et la lumière : à quoi bon des études si appro­fondies, sci­en­tifiques qui plus est, pour une per­son­ne de son sexe ? 

“À quoi bon des études scientifiques si approfondies pour une personne de son sexe ?”

Cepen­dant, ces obsta­cles ne font qu’accroître son obsti­na­tion. Elle se lève ain­si sou­vent la nuit pour étudi­er dans le froid en s’enveloppant de cou­ver­tures. Fort heureuse­ment, sa famille se laisse pli­er par sa volon­té et donne libre cours à sa pas­sion solitaire. 

Après avoir réus­si à com­pren­dre le cal­cul dif­féren­tiel, se dresse devant elle un nou­v­el obsta­cle : les livres d’Euler et New­ton sont écrits en latin. Qu’à cela ne tienne ! Elle apprend le latin seule, tou­jours sans aide. 

La « première » polytechnicienne

Nous sommes en 1794. Sophie Ger­main a dix-huit ans et veut prof­iter de l’enseignement des pro­fesseurs de l’École poly­tech­nique nou­velle­ment créée, enseigne­ment réservé aux hommes jusqu’en 1972. 

Elle réus­sit à con­tourn­er là encore cette dif­fi­culté de taille en prenant l’identité d’un élève de l’École, Antoine Auguste Le Blanc, qui avait aban­don­né l’École tant elle était froide et mal éclairée en cet hiv­er 1794, et se pro­cure les leçons de dif­férents pro­fesseurs, puis envoie à Lagrange ses com­men­taires sur ses cours par écrit, comme cela était de cou­tume à l’époque.

Lagrange s’étonne de la qual­ité de ses obser­va­tions, demande à ren­con­tr­er ce Le Blanc et décou­vre qu’il s’agit… d’une femme. Dès lors, il devient son sou­tien. Quelques années après, Sophie Ger­main con­naît, échange de vive voix ou cor­re­spond avec la majorité des math­é­mati­ciens de son époque (Legendre, Gauss, Fouri­er, Cauchy…). 

Elle étudie ain­si, dès leur pub­li­ca­tion, la Théorie des nom­bres de Legendre en 1798 et les Dis­qui­si­tiones arith­meti­cae de Gauss pub­liées en latin en 1801. 

Les travaux de Sophie Germain

Sophie Ger­main se pas­sionne d’abord pour le grand théorème de Fer­mat (« il n’existe pas de nom­bres entiers non nuls x, y et z tels que xn + yn = zn, pour n > 2 »), qui ne sera démon­tré qu’en 1995 par Andrew Wiles. 

Elle con­tribue au sujet grâce au théorème « de Sophie Ger­main » et aux nom­bres pre­miers de Sophie Ger­main (« un nom­bre pre­mier est dit de Sophie Ger­main si son dou­ble plus un est aus­si pre­mier »), qui véri­fient un cas par­ti­c­uli­er du grand théorème de Fermat. 

Puis, Napoléon ayant choisi l’analyse des fig­ures de Chlad­ni comme sujet du con­cours de l’Académie des sci­ences, Sophie Ger­main s’intéressera à ces fig­ures, obtenues par ce physi­cien alle­mand en obser­vant les fig­ures de ven­tres et de nœuds dess­inées par de la poudre sur une plaque métallique mise en vibra­tion par un archet. 

Avec trois mémoires soumis à l’Académie des sci­ences, elle pro­posera une théorie math­é­ma­tique sur la descrip­tion des sur­faces défor­mées et l’élasticité des corps, descrip­tion pour laque­lle de nom­breux élé­ments math­é­ma­tiques n’arriveront qu’à la fin du XIXe siècle. 

Grâce au troisième mémoire, elle sera en 1816 la pre­mière femme à rem­porter un prix de l’Académie des sci­ences et à obtenir le droit d’assister à ses séances sur son seul mérite. 

En effet, les épous­es des académi­ciens avaient égale­ment le droit d’assister aux séances. Par la suite, elle écrit un traité de philoso­phie pro­posant cer­tains des pre­miers élé­ments de pos­i­tivisme, dévelop­pé par la suite par Auguste Comte. 

Sophie Germain : un modèle pour les jeunes d’aujourd’hui

La postérité, en par­ti­c­uli­er au XIXe siè­cle, a fait d’elle un exem­ple pour les jeunes généra­tions, un exem­ple de per­sévérance dans les études et le tra­vail. Mal­gré cela, la déci­sion de la mairie de Paris en 1882 de nom­mer une toute petite rue en son hon­neur a été précédée de nom­breuses dis­cus­sions houleuses. 

Après une péri­ode d’oubli, la société redé­cou­vre Sophie Ger­main et lui con­sacre, début 2016, un tim­bre qui illus­tre ses con­tri­bu­tions en math­é­ma­tiques et en physique. 

Sophie Germain à l’École poytechnique ?

Bâtiment Sophie Germain à l’université Paris-Diderot
En 2016, l’université Paris-Diderot décide de nom­mer un de ses bâti­ments en l’honneur de Sophie Germain.

Nous sommes en 2015. À l’École poly­tech­nique, trois col­lègues déci­dent de créer un réseau pour l’équilibre femmes-hommes à l’X (réseau « XL »). Remar­quant qu’à l’École aucun équipement sci­en­tifique (amphithéâtres ou bâti­ments de lab­o­ra­toire) ne porte le nom d’une femme sci­en­tifique, elles conçoivent l’idée de deman­der que soit attribué à un nou­veau bâti­ment de lab­o­ra­toire le nom de cette sci­en­tifique française qui a suivi les cours de l’X en cachette. 

Rue Sophie Germain à l'École polytechnque
En sep­tem­bre 2016, le directeur général annonce la déci­sion de don­ner le nom de Sophie Ger­main à un tronçon de rue.

En avril 2016, les trois col­lègues soumet­tent au directeur général de l’École une let­tre des trois directeurs de lab­o­ra­toire de l’X con­cernés par le nou­veau bâti­ment en ques­tion, en appui à la demande de le nom­mer « Sophie Ger­main ». Cela serait un bel hom­mage à la per­sévérance, à la pas­sion des sci­ences et à l’audace de Sophie Ger­main qui lui ont per­mis de faire fi des injus­tices de son époque et de suiv­re les cours de l’X.

Toutes qual­ités que l’X souhaite incul­quer à ses élèves. En sep­tem­bre 2016, le directeur général annonce la déci­sion de don­ner le nom de Sophie Ger­main à un tronçon de rue. À peu près pen­dant la même péri­ode, l’université Paris-Diderot décide, elle, de nom­mer un de ses bâti­ments en l’honneur de Sophie Germain. 

We have a dream…

Nous sommes en 2018. Nous rêvons d’une société où femmes et hommes auraient les mêmes oppor­tu­nités pour s’épanouir dans leur vie pro­fes­sion­nelle et per­son­nelle. Nous rêvons d’une société où femmes et hommes auraient le même salaire pour les mêmes com­pé­tences et le même tra­vail fourni. 

Nous rêvons d’une École poly­tech­nique où les injus­tices faites aux femmes dans le domaine des sci­ences à tra­vers les siè­cles seraient recon­nues en attribuant à Sophie Ger­main le titre de Poly­tech­ni­ci­enne à titre posthume. 

Nous rêvons d’une École poly­tech­nique qui recon­naî­trait la con­tri­bu­tion des femmes aux sci­ences en nom­mant l’un de ses nom­breux bâti­ments du nom d’une femme sci­en­tifique comme Sophie Germain. 

Sur le des­tin excep­tion­nel de Sophie Ger­main, on con­sul­tera avec prof­it l’ouvrage de notre cama­rade Chris­t­ian Mar­bach Por­traits de poly­tech­ni­ciens, SABIX (2015), p. 8 et 10, ain­si que son arti­cle « Une rareté qui donne du prix » dans la J & R n° 677. 

Références

  • H. Stupuy, Œuvres philosophiques de Sophie Germain, Librairie de Firmin- Didot et Cie, Paris, 1896 (nouv. éd.).
  • A. Dahan-Dalmédico, Historia Mathematica 14, 347–365 (1987).
  • R. Laubenbacher, D. Pengelley, « Voici ce que j’ai trouvé®: Sophie Germain’s Grand Plan to Prove Fermat’s Last Theorem », Historia Mathematica 37, 641–692 (2010).
  • J. Boucard, « Pratiques arithmétiques et pratiques mémorielles (autour) de Sophie Germain au XIXe siècle », Communication orale dans le cadre de l’atelier « Femmes et savoirs » de l’EHESS et Centre Alexandre Koyré, 19 mai 2017.
  • https://lejournal.cnrs.fr/articles/sophie-germain-une-pionniere-enfin-reconnue
  • Anne Boyé et Christine Charretton, Je suis… Sophie Germain, éd. Jacques André, 2017®; Anne Boyé, « Sophie Germain, une mathématicienne face aux préjugés de son temps », APMEP 523, 231–243 (2017).

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