Sophie GERMAIN, née en 1776

Une rareté qui donne du prix

Dossier : Le quarantième anniversaire des polytechniciennesMagazine N°677 Septembre 2012
Par Christian MARBACH (56)

Il y a quar­ante ans, donc, des jeunes filles ont eu la pos­si­bil­ité de par­ticiper au con­cours d’entrée de l’École poly­tech­nique et prou­vé, avec brio – mais qui en doutait ? –, qu’elles étaient tout à fait en mesure d’y être admis­es, d’y entr­er et d’en sor­tir dans les meilleurs rangs, avant de con­naître ensuite des car­rières bril­lantes et de tenir dans notre pays, ou dans d’autres, des rôles émi­nents : par souci d’équité, je ne cit­erai pas de noms ici, mais j’en ai de nom­breux dans mon encrier. 1972 restera donc une date un peu spé­ciale dans l’histoire de notre collectivité.

REPÈRES
On dénom­bre aujourd’hui plus de 1 800 poly­tech­ni­ci­ennes. La pre­mière pro­mo­tion de 1972 comp­tait 7 filles, sur un effec­tif total de 315 élèves. Dix ans plus tard, elles étaient 28 sur 345. Vingt ans après, on en dénom­brait 32 sur 420. En 2002, on recen­sait 79 filles pour 499 élèves. En 2011, 95 jeunes filles, français­es et inter­na­tionales sur 503 élèves ont été admises.
En sep­tem­bre 2012, 61 jeunes filles français­es sur 400 élèves intè­grent l’École. À l’heure où nous bouclons, nous ne con­nais­sons pas encore le nom­bre de jeunes filles inter­na­tionales qui seront admises.

Sophie, alias Auguste

Apprenant que La Jaune et la Rouge allait écrire quelques lignes sur cet événe­ment, notre cama­rade Gilbert Lam­bo­ley (50) nous a sig­nalé que, peut-être, nos poly­tech­ni­ci­ennes d’aujourd’hui avaient été précédées par une jeune femme de grand tal­ent, dès la fin du XVIIIe siè­cle, et celle-ci, je vais la nom­mer : Sophie Germain.

Nos poly­tech­ni­ci­ennes d’aujourd’hui ont été précédées par Sophie Germain

En effet, née en 1776 et attirée par les math­é­ma­tiques dès son plus jeune âge, elle avait réus­si à se pro­cur­er les cours de l’École poly­tech­nique, en théorie réservée aux hommes, en emprun­tant l’identité d’un ancien élève, Antoine Auguste Le Blanc. À force de recevoir de bonnes copies signées de cet élève dont l’administration igno­rait qu’il avait en fait quit­té Paris, Lagrange décide de « le » con­vo­quer et a la sur­prise de « la » ren­con­tr­er. Il devint l’ami de la jeune fille et l’aida à pro­gress­er. On sait que ses travaux ultérieurs, comme sa place par­mi les math­é­mati­ciens européens et en par­ti­c­uli­er aux côtés de Gauss lui firent hon­neur, et hon­neur à l’X.

Mais quel dom­mage, pour­tant. Notre com­mu­nauté, qui a bien rai­son d’inscrire par­mi ses anciens des élèves de l’X qui n’ont pas tous ter­miné leurs études, par exem­ple ceux nom­breux ren­voyés pour raisons poli­tiques ou ceux tombés pen­dant les guer­res après avoir rejoint le front à par­tir de l’École, a oublié d’inscrire la grande Sophie dans notre annuaire.

La femme cachée des maths
Sophie Ger­main a apporté une con­tri­bu­tion, impor­tante pour l’époque, à la démon­stra­tion du fameux théorème de Fer­mat, énon­cé par celui-ci en 1659, sans démon­stra­tion : « Il n’existe pas de nom­bres entiers non nuls x, y et z, tels que xn + yn = zn dès que n est un entier stricte­ment supérieur à 2. »
Plus de cent ans après, Sophie appor­ta une nou­velle approche du prob­lème qui devait aider à sa réso­lu­tion finale par Andrew Wiles, deux cents plus tard, en 1995. À cette occa­sion, sous le nom d’Antoine Auguste Le Blanc, elle soumit ses cal­culs au plus fameux math­é­mati­cien de l’époque, Carl Gauss, avant de lui avouer ultérieure­ment qu’elle n’était pas celui qu’il croy­ait. « Mais com­ment, répon­dit-il, vous décrire mon admi­ra­tion et mon éton­nement à voir mon estimé cor­re­spon­dant se méta­mor­phoser en cet illus­tre per­son­nage qui donne un si bril­lant exem­ple de ce que j’aurais trou­vé dif­fi­cile à croire. »

Voir l’ar­ti­cle de Gilbert Lam­bo­ley (50) « La femme cachée des maths » N° 615 Mai 2006, ou plutôt sa tra­duc­tion, car ce sont les améri­cains qui ont sor­ti Sophie Ger­main de l’oubli.

Un demi-progrès

L’X n’a pas donc saisi cette oppor­tu­nité, qui se présen­tait pour­tant de manière pré­coce, et c’est dom­mage. Elle n’a pas non plus util­isé les vel­léités fémin­istes de ses saint-simoniens pour pro­pos­er l’ouverture de l’École aux filles : il est vrai que l’instauration en 1848 du suf­frage uni­versel, par un gou­verne­ment où notre cama­rade Ara­go jouait un rôle émi­nent, a certes pu être con­sid­érée comme un écla­tant pro­grès, mais fut seule­ment un demi-pro­grès puisque réservé aux hommes.

Nous savons que d’autres insti­tu­tions d’enseignement supérieur ont par­fois insti­tué des étab­lisse­ments par­al­lèles réservés, qui aux garçons, qui aux filles. Ou encore, avec plus ou moins d’entrain, insti­tué la mix­ité et admis des jeunes femmes sur leurs bancs avant l’X dont le statut mil­i­taire et l’objectif, en tout état de cause, ne se prê­taient pas aus­si bien à cette mesure au XIXe siè­cle ou au début du XXe.

Sébastienne GUYOT, admise à Centrale en 1917Cen­trale et Sébastienne
Pour en rester aux grandes écoles, je souhaite pour ma part ren­dre hom­mage à nos amis de l’École cen­trale. Inter­pel­lés en 1917 par l’inscription, au con­cours d’admission, de la jeune Sébasti­enne Guy­ot, ses respon­s­ables n’ont trou­vé aucune rai­son légale ou régle­men­taire de lui refuser le droit de con­courir. Elle inté­gra avec brio. Après ses études, Sébasti­enne sut franchir les obsta­cles qui lui rendaient dif­fi­cile l’accès à « un méti­er d’homme » et sut men­er une car­rière sportive de cham­pi­onne tout en tra­vail­lant pour des entre­pris­es de con­struc­tion aéro­nau­tique. Il y a dans cette car­rière de nom­breuses simil­i­tudes avec le des­tin de notre Car­o­line Aigle. Sébasti­enne Guy­ot utilis­era ses brevets de pilote pour accom­plir en 1940 des faits de Résis­tance dont l’histoire détail­lée pour­rait paraître rocam­bo­lesque si elle n’avait pas fini trag­ique­ment, avec déten­tion et décès suite aux con­di­tions de sa cap­tiv­ité. Les « bours­es Sébasti­enne Guy­ot », qui assurent depuis 2010 la prise en charge de quelques étu­di­antes de Cen­trale, rap­pel­lent cette grande figure.

Plus de 1 800 filles à l’X

Notre École a donc, depuis 1972, vu entr­er dans ses amphis, dans ses listes d’élèves, ses com­pag­nies défi­lant les jours de céré­monie, un grand nom­bre de filles (plus de 1 800).

Pourquoi, sur 500 élèves, n’y aurait-il pas 250 filles ?

Bien enten­du, ce nom­bre peut don­ner lieu à toutes sortes d’analyses, qui dépassent le cadre de notre pro­pos et s’accrochent à cette ques­tion élé­men­taire : pourquoi, sur 500 élèves, n’y a‑t-il pas, n’y aurait-il pas 250 filles ? Beau­coup de prose a déjà été écrite sur le pré­ten­du moin­dre appétit des filles pour les études sci­en­tifiques et cer­taines car­rières qui en résul­tent, comme sur leur moin­dre désir de s’inscrire dans le cir­cuit des class­es pré­para­toires, et je n’en rajouterai pas dans ce bref papier.

Honneur aux polytechniciennes

Nous, les garçons, pour­rions nous con­sol­er en pen­sant que cette rareté donne d’autant plus de prix aux jeunes femmes qui ont revê­tu le Grand U, un Grand U légère­ment redess­iné mais néan­moins très grand.

Avec respect et ten­dresse, nous avions pris l’habitude de les appel­er les Xettes, en hési­tant d’ailleurs sur la meilleure manière d’orthographier cette abrévi­a­tion. Cer­taines cama­rades nous ont fait remar­quer, assez récem­ment, que cette dénom­i­na­tion ne leur sem­blait pas con­ven­able, et qu’elles souhaitaient impos­er l’usage du beau terme de poly­tech­ni­ci­enne. Alors, hon­neur aux polytechniciennes.

3 Commentaires

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Marc Lenot (67)répondre
10 septembre 2012 à 8 h 01 min

Je m’é­tonne que vous ne
Je m’é­tonne que vous ne citiez pas Claude Marie Bunelle, pro­mo 1950, dont la men­tion, dans l’an­nu­aire, com­porte aus­si un point noir indi­quant le sexe féminin. Pourquoi la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne n’au­rait-elle pas des trans­gen­res en son sein ?

François Rav­el (78)répondre
11 septembre 2012 à 17 h 46 min

Généalo­gie poly­tech­ni­ci­enne
En tant qu’époux de Marie-Hélène Adam-Rav­el (78) et père de Sophie Rav­el (2010), je serais très curieux de con­naitre une autre sta­tis­tique : com­bi­en y a‑t-il de poly­tech­ni­ci­ennes mères d’une polytechnicienne ?
Quelqu’un saurait-il répon­dre à cette question ?
Mer­ci d’avance

Anne-Béa­trice Mullerrépondre
19 septembre 2012 à 13 h 55 min

@ François Rav­el : Le
@ François Rav­el : Le ser­vice de l’An­nu­aire de l’AX nous informe qu’il n’a pas les moyens de con­naître cette sta­tis­tique, mais qu’il faudrait aus­si se ren­seign­er auprès de la Bib­lio­thèque de l’É­cole polytechnique.

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