Cérémonie de remise des diplômes à la promotion 2014 X14 des élèves de l’Ecole polytechnique Crédit photographique : © École polytechnique - J.Barande

Après Polytechnique, quelles sont les carrières préférées par les femmes ?

Dossier : 50 ans de féminisation de l'XMagazine N°777 Septembre 2022
Par Marie BRESSON (X95)
Par Sandra PATINO (X96)

À la sor­tie de l’École poly­tech­nique, les femmes sont nom­breuses à aller en entre­prise ou à effectuer une thèse. Elles sont pro­por­tion­nelle­ment plus présentes dans les corps de l’État que les hommes, mais beau­coup moins dans l’entrepreneuriat. Dans leurs car­rières, elles expéri­mentent qu’être diplômée de Poly­tech­nique ouvre beau­coup de portes mais ne pro­tège pas tou­jours con­tre les discriminations.

Il nous incombe la tâche ardue d’introduire le sujet des car­rières au féminin à la sor­tie de l’X. Que dire, alors qu’on peut tout faire, que chaque par­cours est unique ? Com­ment tir­er quelques ten­dances ? Nous livrons ici hum­ble­ment quelques pre­mières idées qui seront com­plétées et illus­trées par les nom­breux témoignages au sein du dossier. Pour com­mencer, quelques chiffres. Par­mi les 71 femmes de la pro­mo­tion X14 (sur 83 inter­rogées, soit un taux de par­tic­i­pa­tion de 83 %) ayant répon­du à l’enquête pre­mier emploi de 2021, les activ­ités se répar­tis­sent suiv­ant les pro­por­tions don­nées dans le tableau ci-contre. 

Ce sont à peu près les mêmes pro­por­tions que pour les hommes, avec toute­fois proportion­nellement plus de femmes que d’hommes dans les corps de l’État : 20 % des femmes ayant répon­du rejoignent les corps, con­tre 13 % des hommes. Pour les autres activ­ités, les pro­por­tions sont ana­logues. Nous avons inter­rogé quelques cama­rades et nous livrons ici quelques obser­va­tions sur divers­es thé­ma­tiques de carrière. 

Répar­ti­tion des femmes X14 par activité
Activ­ité Nom­bre de femmes X14 Pro­por­tion
Salariée dans une entreprise 31 44 %

Doc­tor­ante (ou PhD)

23 32 %

Ingénieure d’un corps de l’État

14 20 %

Dirigeante ou créa­trice d’une entre­prise ou d’une start-up

2

3 %

En recherche d’emploi

1 1 %

Total

71

100 %

Sur la question de la rémunération

Les poly­tech­ni­ci­ennes sont comme les autres femmes pro­fes­sion­nelles. Elles n’en savent pas assez sur le salaire de leurs prédécesseurs ou de leurs pairs et ne se bat­tent pas beau­coup. Par­fois, avec l’expérience, elles com­men­cent à le faire et con­sta­tent que, même dans la fonc­tion publique où les grilles sont déter­mi­nantes, il y a des occa­sions que les hommes savent saisir mieux qu’elles (cf. les primes). De façon générale, en devenant dirigeantes d’équipe, elles con­sta­tent que les femmes deman­dent beau­coup moins d’augmentations de salaire que les hommes, à tous les niveaux de car­rière, et cela aus­si bien en France qu’à l’étranger. Cela en incite cer­taines en tant que dirigeantes à ren­forcer une approche fondée sur objec­tifs, mesures et résul­tats dans l’attribution des aug­men­ta­tions ; sur des faits en somme, au lieu de toute approche qual­i­ta­tive. « Pour essay­er de con­tr­er la ten­dance, j’en reviens aux faits et j’essaie d’être juste de cette façon », nous a dit l’une d’elles, qui témoignait du phénomène dans les équipes qu’elle gère dans plusieurs pays africains. 

Sur l’évolution de carrière et l’accès aux responsabilités professionnelles

Les poly­tech­ni­ci­ennes témoignent d’une grande diver­sité de car­rières bien sûr, mais aus­si d’une forte mobil­ité dans leur car­rière, des occa­sions ou des choix con­duisant vite d’une activ­ité à l’autre. Avoir fait l’X a été un atout déter­mi­nant. Cela leur a apporté un réseau ; l’une d’elles témoigne par exem­ple qu’un grand dirigeant lui a ouvert son car­net d’adresses com­plète­ment alors qu’elle était très jeune et sans expéri­ence pro­fes­sion­nelle dans son pays. 

Être poly­tech­ni­ci­enne ouvre la pos­si­bil­ité d’avoir très rapi­de­ment des respon­s­abil­ités. Ain­si l’une d’elles dirige une équipe de 200 per­son­nes à 25 ans et elle est déjà sol­lic­itée pour pren­dre des respon­s­abil­ités supérieures, parce qu’elle est une femme et poly­technicienne. Mais elle n’a pas for­cé­ment envie d’accélérer autant ! Plusieurs témoignent de même qu’elles ont refusé des postes à haut encadrement parce qu’elles n’en avaient pas envie, que leur critère était de se sen­tir utile et bien là où elles étaient. D’autres témoignent qu’elles avaient mis leur car­rière en pause pour s’occuper de leur famille ou pour d’autres pro­jets qui leur tenaient à cœur, pen­dant quelques années, et que le diplôme de l’X leur a per­mis de redonner un coup d’accélérateur – voire, si elles avaient arrêté de tra­vailler, de redé­mar­rer com­plète­ment avec de fortes respon­s­abil­ités quand elles l’ont à nou­veau souhaité. 

Toutes nous dis­ent unanime­ment qu’avoir fait l’X donne une très forte crédi­bil­ité extérieure, que c’est une grande chance, qu’il faut utilis­er cet atout. Cela donne aus­si con­fi­ance en soi et, au moment de pass­er des étapes déci­sives, se rap­pel­er que l’on a réus­si le même con­cours que les hommes est essen­tiel pour lut­ter con­tre l’autocensure.

Sur l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle

À l’image des femmes dirigeantes en France (qui est dans le top 3 mon­di­al du nom­bre de femmes en comité de direc­tion), ces femmes sont sans com­plexe. Elles ont eu ou comptent avoir des enfants, et plus d’un ! Cela n’a pas été une ques­tion pour elles, mais il y a tou­jours des détails à gér­er et à dépass­er, que ce soit le souhait (exé­cuté) de pren­dre un temps par­tiel, que ce soit la ges­tion de grosse crise deman­dant de l’aide (san­té, moral), mais « on s’en sort ». 

Pour la ques­tion du con­joint, il s’agit sans doute d’un sujet à explor­er dans plusieurs direc­tions. Le partage des tâch­es est-il équili­bré ? Il sem­ble que la majorité des poly­tech­ni­ci­ennes (mais nous avons eu au moins un témoignage dans l’autre sens), comme les autres femmes, pren­nent la plus grosse charge domes­tique. Y a‑t-il des cou­ples qui marchent mieux ? L’une d’elles témoigne qu’elle est heureuse d’avoir épousé un homme très dif­férent, ce qui évite les com­péti­tions de car­rière mal­saines. D’autres ont épousé des hommes de même pro­fil (poly­tech­ni­ciens sou­vent…) et n’évoquent pas par­ti­c­ulière­ment de com­péti­tion au sein du couple. 

Sur la question des discriminations, harcèlements et violences sexuelles ou sexistes

Par­mi les quelques-unes que nous avons inter­rogées, plusieurs par­mi les pro­mo­tions un peu anci­ennes ont fait part de réac­tions néga­tives quant à leur mater­nité. Ain­si l’une d’elles nous fait remar­quer qu’elle n’aurait pas dû dire qu’elle avait qua­tre enfants ou qu’il était com­pliqué de deman­der un 4/5 de temps de tra­vail, sujet dont il ne fal­lait pas par­ler. Une fois qu’elle l’a obtenu, elle s’est toute­fois ren­du compte que cela avait libéré d’autres femmes. Une autre nous racon­te qu’un homme a changé rad­i­cale­ment d’attitude en entre­tien d’embauche quand il a su qu’elle était jeune maman. Une autre encore explique que ses chefs n’arrêtaient pas de répéter dans les années 80 qu’il n’était pas facile de gér­er des femmes ingénieures par­tant en con­gés de mater­nité – ce à quoi elle a répon­du que c’était plus facile que de gér­er des hommes ingénieurs qui se cas­saient une jambe au ski, du fait même qu’un con­gé de mater­nité est pro­gram­ma­ble et que ça per­met de prévoir les rem­place­ments ou un change­ment de poste… 

De manière générale, nos cama­rades seniors ont vu les men­tal­ités chang­er et les dis­crim­i­na­tions décroître. Une cama­rade s’inquiète même d’un pos­si­ble retour de bal­anci­er trop fort. Ain­si racon­te-t-elle qu’une très jeune femme de son équipe lui a dit : « Nous avons un grave prob­lème de HDVS (har­cèle­ments, dis­crim­i­na­tions et vio­lences à car­ac­tère sex­uel ou sex­iste), un tel a fait un com­pli­ment sur sa coif­fure à une telle. » Elle insiste sur la néces­sité de bien­veil­lance dans les deux sens. 

Une responsabilité à assumer

Pour ter­min­er, mal­gré tous les suc­cès des poly­tech­ni­ci­ennes, la plu­part d’entre nous ne peut man­quer de remar­quer le manque de femmes dirigeantes, le manque de femmes dans cer­tains secteurs et les biais per­sis­tants ren­con­trés dans les proces­sus de recrute­ment (favorisant con­sciem­ment ou incon­sciem­ment des traits mas­culins). Cela veut dire que nous avons encore un manque de rôles mod­èles, mais aus­si un monde de pos­si­bil­ités devant nous ! Cela veut aus­si dire une respon­s­abil­ité pour nous non seule­ment de mon­tr­er la voie dans l’exercice de nos métiers, mais aus­si d’assurer que les con­di­tions de la vie pro­fes­sion­nelle soient équita­bles à tous points de vue. 

Et, puisque nous man­quons de rôles mod­èles féminins, nous con­clu­ons cet arti­cle avec les remar­ques de notre cama­rade Mali­ka Ahmi­douch (X08), qui méri­tent réflex­ion de la part de tous les pro­fes­sion­nels, homme ou femme : « Le lead­er­ship au féminin demande des exem­ples et il en manque. Ain­si, on peut trou­ver du mau­vais lead­er­ship, du poten­tiel gâché : « soit la femme entre dans les cas­es [mas­cu­lines], elle sur­com­pense, elle passe à un com­porte­ment agres­sif ; soit elle devient l’éternelle assis­tante dans l’ombre d’un homme, l’adjointe. Et cela, les hommes aiment bien… » Les poly­techniciennes que nous avons ren­con­trées mon­trent cer­taine­ment qu’une autre voie est possible. 

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