Si loin, si proche… le client, éternel eldorado de l’entreprise

Dossier : Entreprise et stratégieMagazine N°658 Octobre 2010
Par Carine COMPAIN (97)
Par Denis LEBREC

REPÈRES

REPÈRES
” Il n’y a qu’un patron : le client. Et il peut licenci­er tout le per­son­nel, depuis le directeur jusqu’à l’employé, tout sim­ple­ment en allant dépenser son argent ailleurs. ” Qui mieux que Sam Wal­ton, fon­da­teur de Wal­mart, pou­vait résumer aus­si sim­ple­ment l’im­por­tance du client pour l’en­tre­prise ? Pour réus­sir, il faut l’ob­serv­er, l’é­tudi­er, le com­pren­dre pour mieux le séduire, le con­quérir, le servir, le sat­is­faire et enfin le conserver.

Quelle est aujour­d’hui la véri­ta­ble place du client par rap­port à l’en­tre­prise ? Com­ment dévelop­per l’ori­en­ta­tion client ? Com­ment associ­er toutes les forces vives à la con­quête de cet ” eldorado”?

Un banquier exigeant

Le client présente de nom­breux avan­tages. Tout d’abord, le client paie et con­stitue le pre­mier “ban­quier” de l’en­tre­prise. Par son acte d’achat, il juge et recon­naît la notoriété de la mar­que, la qual­ité des pro­duits et ser­vices, la qual­ité de la rela­tion client.

Un client sat­is­fait devient le pre­mier vendeur de l’entreprise

Et surtout, il finance au jour le jour les opéra­tions. Com­pren­dre et répon­dre aux besoins des clients pour mieux con­quérir et fidélis­er une base de clients récur­rente et fiable est donc essen­tiel. Cette évi­dence économique est par­fois oubliée par cer­taines entre­pris­es qui se focalisent alors sur la con­cur­rence, sur la tech­nolo­gie au mépris des attentes des clients, et rog­nent sur les coûts au détri­ment de leur satisfaction.

Un commercial d’exception

Le client, sou­vent rationnel dans son approche, peut être tout à fait sur­prenant, source d’in­no­va­tion sans cesse renou­velée, parce qu’il crée l’usage. Un mar­ke­teur conçoit le pro­duit avec une promesse en tête, le client en fait sou­vent tout autre chose. L’u­til­i­sa­tion de la Wii dans les maisons de retraite est un détourne­ment utile, ludique et social de la con­sole de jeu. Celle-ci pro­po­sait certes une nou­velle approche plus famil­iale mais le con­cept n’avait pas été poussé aus­si loin. La men­tion ” de 7 à 77 ans ” a finale­ment été appliquée à la lettre.

Et l’en­goue­ment a provo­qué l’émer­gence d’un véri­ta­ble marché de jeux ” senior ” pour la plus grande joie de ces nou­veaux joueurs. Car un client sat­is­fait devient aus­si le pre­mier vendeur de l’en­tre­prise : c’est un for­mi­da­ble ” évangéliste “, qui harangue ses proches, trans­met son ent­hou­si­asme à ses réseaux soci­aux ou pro­fes­sion­nels et défend la mar­que au quotidien.

Placer le client au centre

L’é­vangéliste d’Apple
Guy Kawasa­ki rejoint Apple au tout début de l’aven­ture Mac­in­tosh et est sub­jugué par le poten­tiel de l’or­di­na­teur. Il se con­cen­tre sur la pro­mo­tion, défen­dant et expli­quant sans relâche aux com­mu­nautés de développeurs les poten­tial­ités de la machine et l’in­térêt de créer des logi­ciels sur cette base. Il crée un réseau d’é­vangélistes avec les util­isa­teurs-clients pour propager le phénomène.

Sat­is­faire le client n’est pas sim­ple. L’en­tre­prise doit d’abord offrir des pro­duits et ser­vices qui répon­dent aux besoins réels des clients, que ces pro­duits soient des den­rées ali­men­taires ou des ser­vices comme les réseaux sociaux.

Par exem­ple, les proces­sus de con­cep­tion et développe­ment de pro­duits et ser­vices doivent garan­tir que le client sera inté­gré à toutes les étapes-clés de la con­cep­tion et du développe­ment : les études de marché se trans­for­ment en focus groups, les études d’op­por­tu­nité en pro­to­types, les cahiers des charges en Proofs of Con­cept, les pre­miers développe­ments en pro­duits bêta des­tinés à tester le marché au plus tôt dans le cadre de Friend­ly User Tests.

Une démarche d’échange permanent

Le via­duc de Millau
 
“Un ingénieur seul aurait conçu le pont droit.” Cette remar­que de Sir Nor­man Fos­ter, archi­tecte du Via­duc, illus­tre l’im­por­tance du client final à l’aune de ce pro­jet titanesque : si sa tra­jec­toire est courbe, c’est parce qu’a été pris en compte, dès sa con­cep­tion, le plaisir de l’ex­péri­ence de la tra­ver­sée par les auto­mo­bilistes. Et le client est présent partout, il est la cible et l’ac­teur de nom­breux arti­cles, films, expo­si­tions ou événe­ments organ­isés par, pour le via­duc. Car, au cœur des mil­liers de mètres cubes de béton et d’aci­er, il n’y a tou­jours qu’un seul impératif : le client.


Ensuite, il faut en per­ma­nence adapter ces pro­duits et ser­vices aux attentes des clients. Les lance­ments de nou­veaux pro­duits doivent alors s’ap­puy­er sur des démarch­es pro­gres­sives, itéra­tives et apprenantes, qui per­me­t­tent d’amélior­er les pro­duits au con­tact des clients. Ces démarch­es sont par­ti­c­ulière­ment néces­saires sur des marchés hétérogènes comme celui des petits pro­fes­sion­nels, ou bien sur des marchés en devenir comme celui du Cloud Com­put­ing aujour­d’hui dans les Télécoms.

Elles per­me­t­tent en effet d’as­soci­er des clients-tests qui appren­nent avec l’en­tre­prise, don­nent un feed-back temps réel et sug­gèrent les pistes d’évo­lu­tions. L’of­fre gagne alors en fonc­tion­nal­ités, s’é­tend pro­gres­sive­ment sur une base clients plus large et rode ses proces­sus au quotidien.

Cette démarche de cocon­struc­tion requiert un dia­logue per­ma­nent, con­struc­tif et dynamique, très appré­cié tant des con­cep­teurs d’of­fres que des clients. Elle néces­site en revanche des chefs de pro­jets et des équipes aguer­ris, car les échanges clients sont moins encadrés, les respon­s­abil­ités sont plus partagées pour per­me­t­tre sou­p­lesse et réac­tiv­ité face au feed-back client.

Une nécessaire différenciation

Il faut créer une expéri­ence dis­tinc­tive pour “son ” client

Enfin, il faut créer une expéri­ence dis­tinc­tive pour “son” client, en gérant active­ment ses attentes et en l’ac­com­pa­g­nant sans faille, de la prise d’in­for­ma­tions à la déci­sion, de l’acte d’achat jusqu’à l’u­til­i­sa­tion ou la con­som­ma­tion du pro­duit ou du ser­vice. C’est la désor­mais célèbre Cus­tomer Expe­ri­ence, cet ensem­ble d’é­mo­tions ressen­ties tout au long du par­cours client, qu’il s’ag­it de définir, maîtris­er et améliorer.

La qual­ité de cette expéri­ence client con­stitue en effet un fac­teur majeur de dif­féren­ci­a­tion, notam­ment dans les marchés où l’in­no­va­tion pro­duit ne per­met plus de se dif­férenci­er durablement.

Une organisation repensée

Le man­age­ment de l’ex­péri­ence client sup­pose tou­jours une trans­for­ma­tion pro­fonde de l’en­tre­prise, car­ac­térisée par un design pro­duit inté­grant des exi­gences clients tan­gi­bles et intan­gi­bles, des proces­sus clients trans­vers­es de bout en bout, et une approche clients faite d’é­coute, d’empathie et de qual­ité de ser­vice. Pour ce faire, au-delà des fonc­tions naturelle­ment au con­tact direct, le client doit être rap­proché, au plus pro­fond de l’or­gan­i­sa­tion, des fonc­tions qui ne sont pas à son con­tact : pro­duc­tion, SI, back-office, logis­tique…

Ces fonc­tions doivent pou­voir se nour­rir de la prox­im­ité clients et mesur­er leur valeur ajoutée à l’aune de leurs besoins. C’est par exem­ple ce qui guide cer­taines entre­pris­es à inté­gr­er leur back-office de ges­tion admin­is­tra­tive clients dans des direc­tions de la rela­tion clients. 

Une culture client

Nespres­so
Com­ment trans­former trois grains de café en pro­duit de luxe ? Nespres­so est l’ex­em­ple même de l’im­por­tance de l’ex­péri­ence client, puisqu’elle a fait tout son suc­cès. Avec des bou­tiques, rares mais avec un per­son­nel au petit soin, une carte de mem­bre, une doc­u­men­ta­tion sélec­tive sur papi­er glacé, des appels per­son­nal­isés et proac­t­ifs du ser­vice client, Nespres­so fait de son client, devenu unique à ses yeux, l’élite des dégus­ta­teurs de café.

Cette trans­for­ma­tion, pour être aboutie, néces­site enfin d’adapter la cul­ture d’en­tre­prise. Ce change­ment cul­turel com­mence par un change­ment de vocab­u­laire : on passe de l’u­til­isa­teur, à l’usager, puis au client. Ce change­ment s’est opéré, plus ou moins bien, dans nom­bre de grandes entre­pris­es : GDF-Suez, EDF, La Poste… sont autant d’ex­em­ples qui témoignent de la puis­sance du verbe.

Cette évo­lu­tion vient encore d’être soulignée dans le plan à cinq ans d’O­r­ange “Con­quête 2015”. Du PDG à l’a­gent, nul n’ig­nore aujour­d’hui être au ser­vice du client.

Ce change­ment cul­turel doit irriguer les modes d’échange avec les clients. Les rela­tions clients doivent, en cap­i­tal­isant sur les oppor­tu­nités offertes par les nou­velles tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion, pass­er d’une forme insti­tu­tion­nelle, struc­turée, con­trôlée, et sou­vent insipi­de, à une forme ouverte, plus humaine, qui met en prise directe col­lab­o­ra­teurs et clients. La SNCF comme la RATP ont, pour dynamiser la prox­im­ité clients, lancé des sites met­tant en rela­tion directe les clients (et leurs ques­tions) et les per­son­nels. Ces sites con­stituent l’une des facettes d’une nou­velle com­mu­ni­ca­tion client, au même titre que les blogs d’employés, util­isés de manière inten­sive par Microsoft notam­ment, ou les tweets, les pages Face­book offi­cielles ou moins offi­cielles. L’ou­ver­ture et le partage, comme tou­jours, sont bien les ciments d’une rela­tion pérenne.

Un levier de mobilisation du personnel


 debats.sncf.com sous Feed.back2

L’ori­en­ta­tion clients peut influ­encer durable­ment l’en­tre­prise. Le client peut ain­si se révéler la pierre angu­laire de la mobil­i­sa­tion des employés. En par­ti­c­uli­er, les grandes struc­tures sont trop sou­vent en proie à des con­flits internes qui nais­sent de la com­plex­ité même de l’or­gan­i­sa­tion et d’un mode de fonc­tion­nement en silos.

L’ou­ver­ture et le partage sont les ciments d’une rela­tion pérenne

La meilleure solu­tion pour dépass­er ces con­flits con­siste à align­er l’ensem­ble des fonc­tions sur les besoins du client et à engager les col­lab­o­ra­teurs pour la sat­is­fac­tion clients. Le client con­stitue en effet, pour tous, une référence externe impar­tiale, non sujette aux luttes poli­tiques internes, et un for­mi­da­ble levi­er de mobilisation.

La conquête de l’eldorado

Ces dif­férentes approches du client, ces nou­veaux modes d’échange ne traduisent qu’une seule et même évi­dence : le client est aujour­d’hui le parte­naire indis­pens­able au suc­cès de l’en­tre­prise, loin du juge red­outé ou de l’u­til­isa­teur asservi.

Les plus belles expéri­ences s’in­scrivent désor­mais dans une rela­tion de prox­im­ité, ouverte, partagée et pérenne : c’est là le nou­v­el eldo­ra­do. Car au final, le suc­cès (l’amour ?), n’est-ce pas ne plus faire qu’un ?

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