Se nourrir durablement

Dossier : Agriculture et environnementMagazine N°657 Septembre 2010
Par Jean-Marc JANCOVICI (81)


Jean-Marc JANCOVICI ©AFP
prési­dent d’X-Environnement

Depuis la séden­tari­sa­tion de notre espèce, la crainte majeure des hommes a tou­jours été de ne pas avoir assez à manger pour (sur)vivre, et des famines sur­ve­naient régulière­ment partout dans le monde. Éton­nant con­traste avec la sit­u­a­tion actuelle en Occi­dent, où la crainte de l’obésité a sup­plan­té celle de la famine comme prob­lème ali­men­taire premier.

Ce change­ment de par­a­digme, nous le devons pour beau­coup… aux hydro­car­bu­res : un tracteur de 70 kW four­nit le tra­vail mécanique de 100 chevaux ou 1 000 hommes et les engrais azotés sont issus… du gaz naturel. Pro­duire 1 kg de bœuf néces­site 1 kg d’hy­dro­car­bu­res : que de biftecks ont été per­dus dans le golfe du Mexique !

L’én­ergie ne valant rien com­parée au tra­vail humain (1 kWh de tra­vail mus­cu­laire, pour un ouvri­er payé au SMIC, vaut 1 000 à 10 000 fois plus cher qu’1 kWh issu d’un moteur à gazole détaxé), rem­plac­er des ouvri­ers agri­coles par des tracteurs a aug­men­té la pro­duc­tiv­ité de l’a­gri­cul­ture occi­den­tale par un fac­teur 100 à 200 et divisé le prix ” réel” des ali­ments par 10 à 50. Le coût de pro­duc­tion ” sor­tie d’ex­ploita­tion ” de ce que nous man­geons (sans inclure la trans­for­ma­tion, le trans­port, les embal­lages, la dis­tri­b­u­tion, la pro­mo­tion, etc., aus­si inclus dans la ” dépense ali­men­taire” des ménages au sens de la compt­abil­ité nationale) ne dépasse prob­a­ble­ment pas 2% à 3% de ce que nous gagnons — c’é­tait 25% en 1930, et c’est 60% à 90% dans nom­bre de pays d’Afrique — et notre régime con­tient pour­tant trois fois plus de pro­duits d’o­rig­ine ani­male qu’au début du XXe siè­cle. Et pour com­pléter ce tableau la pop­u­la­tion active agri­cole a été divisée par plus de dix en France depuis la sor­tie de la dernière guerre.

Notre civil­i­sa­tion d’ur­bains occi­den­taux, pour qui la nour­ri­t­ure sort du super­marché en quan­tités crois­santes et à un prix réel sans cesse décrois­sant, n’a donc aucune rai­son de se souci­er de lim­ites futures à la production.

Et pour­tant… que de ques­tions se posent quand on prend un peu de hau­teur de vue ! Que devien­dront la pro­duc­tiv­ité agri­cole occi­den­tale et la “mon­di­al­i­sa­tion des échanges agri­coles” avec une énergie moins acces­si­ble ? Com­ment éviter la déforesta­tion pour aug­menter les sur­faces cul­tivées si la pro­duc­tiv­ité dimin­ue ? Les pays à forte crois­sance démo­graphique peu­vent-ils inten­si­fi­er leur agri­cul­ture sans exploiter leurs sols de manière minière et sans hydro­car­bu­res à profusion ?

Sachant qu’il faut dix à vingt fois plus de sur­face pour manger du bœuf et des laitages que des céréales, pou­vons-nous lut­ter con­tre notre pat­ri­moine géné­tique de chas­seurs pour nous lim­iter en viande si la rai­son écologique le demande ?

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