Jérôme GIACOMONI (88), avec Matthieu GOBBI (88), maintenant leur aérostat

Lettre à un camarade qui, comme 44 % des Français, veut créer une entreprise.

Dossier : Créer des entreprisesMagazine N°584 Avril 2003
Par Jérôme GIACOMONI (88)

Cher Cama­rade,

Comme toi, il y a dix ans, nous avions eu envie de créer notre entre­prise. X 88, nous avions prof­ité de notre stage de fin d’é­tudes aux Ponts pour réalis­er une idée : emmen­er des pas­sagers en bal­lon au-dessus de sites remarquables. 

Tout cela venait de l’X car nous y avions créé le binet X‑Aérostat et nous nous étions dit pourquoi ne pas démoc­ra­tis­er cette mag­nifique sen­sa­tion que donne le vol en bal­lon et per­me­t­tre à tous de vol­er pour quelques euros. Et nous voilà par­tis hors des sen­tiers, pour gravir notre pro­pre petite mon­tagne. L’ex­péri­ence fut et reste fabuleuse. 

Dix ans plus tard, nous avons implan­té vingt bal­lons de trente places dans le monde dont ceux de Paris (www.aeroparis.com) et Berlin qui con­nais­sent un véri­ta­ble suc­cès pop­u­laire. S’y ajoute un dernier au-dessus des tem­ples d’Angkor au Cam­bodge. Nous avons aus­si dévelop­pé dif­férents pro­duits aéro­sta­tiques dont l’Aéro2, le bal­lon mobile deux places (www.aerophile.com).

Nous sommes une petite PME d’une ving­taine de per­son­nes et nous expor­tons près de 80 % de notre pro­duc­tion avec cinq mil­lions d’eu­ros de chiffre d’af­faires. Nous avons tou­jours de nou­veaux pro­jets de développe­ments en essayant de dis­penser à tous la bonne parole de l’aérostation. 

Alors, cher cama­rade, quel est l’ob­jet de cet article ? 

Comme toi, quand nous avons créé notre boîte, nous n’avions stricte­ment aucune idée de ce qui allait nous atten­dre en bien ou en mal. Comme toi, nous étions un peu comme ces poilus en pan­talon rouge imag­i­nant être à Berlin le lende­main. En clair, nous étions extrême­ment naïfs : nous croyions en l’É­tat de droit. Alors, si ces quelques lignes peu­vent t’être utiles à quelque chose et te per­me­t­tre sans renon­cer à ton pro­jet de sor­tir de la tranchée en bleu hori­zon, nous en seri­ons ravis. 

Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire

La créa­tion d’en­tre­pris­es est un sujet tou­jours d’ac­tu­al­ité. Quelle que soit l’ori­en­ta­tion poli­tique du gou­verne­ment, cha­cun y va de ses mesures. Les trompettes et tam­bours sont là, mais que vas-tu réelle­ment vivre ? 

Premier temps : la mécanique quantique

Tu viens de quit­ter ton nid douil­let, tu viens de sauter dans le vide : te voici chef d’en­tre­prise. D’abord, ras­sure-toi : le sys­tème t’adore, enfin un mag­nifique pigeon docile. Tu ne coûtes rien, tu rap­portes même beau­coup, tu as une mau­vaise image donc on peut te taper dessus, per­son­ne ne dira rien, tu représentes un tout petit pour­cent­age de l’élec­torat et surtout tu es légal­iste, tu vas appli­quer fidèle­ment tout ce qu’on t’impose. 

Tout d’abord, chaque député depuis cent ans y va de sa petite loi pour pro­téger le bon peu­ple exploité par les igno­bles prof­i­teurs. Récem­ment, la loi de la mod­erni­sa­tion sociale, la loi dite NRE et les 35 heures sont les plus beaux exem­ples de l’in­tel­li­gence admin­is­tra­tive. Les lois s’empilent, se con­tre­dis­ent, se mul­ti­plient, elles ren­dent impos­si­bles l’adap­ta­tion néces­saire au marché. Tant pis, per­son­ne n’est respon­s­able sauf toi. Je ne par­lerai pas des lois sociales et du droit du tra­vail qui mérit­eraient à eux seuls un mag­nifique arti­cle et peu­vent te per­me­t­tre à peu de frais d’être à coup sûr pas­si­ble du pénal. 

Mal­gré tes arro­gantes études, tu ne te doutais absol­u­ment pas de la com­plex­ité des régle­men­ta­tions admin­is­tra­tives. Tu as la plus grande dif­fi­culté à réalis­er une feuille de paye cor­recte et à cal­culer les charges sociales chaque trimestre. Pris dans le maquis des régle­men­ta­tions et des lois, tu peines à iden­ti­fi­er celles qui s’ap­pliquent effec­tive­ment à ton cas et à en suiv­re les change­ments inces­sants. Et bien que ton unique objec­tif soit de tou­jours pay­er le juste mon­tant dans le délai impar­ti pour éviter toutes con­tes­ta­tions et embête­ments, tu te rends compte soudaine­ment que cette gageure est par­faite­ment irréalisable. 

Aucun spé­cial­iste n’est en mesure de te dire exacte­ment ce qu’il faut pay­er mais plutôt que, selon la doc­trine et la jurispru­dence, tel mon­tant est préférable à tel autre ; mais, de toute façon, cela ne te pro­tège en aucun cas d’un redresse­ment. Ain­si, récem­ment, le respon­s­able de recou­vre­ment des Urssaf a avoué que 95 % des redresse­ments étaient dus à des erreurs de bonne foi et seuls 5 % à une réelle volon­té de fraude. 

Cas concret de mécanique quantique

Prends deux indi­vidus, chefs d’en­tre­pris­es, légal­istes, employés par la même société, nés le même jour de la même année, mar­iés, deux enfants, habi­tant le même quarti­er, rece­vant au franc le franc exacte­ment le même jour les mêmes revenus, ayant les mêmes compt­able, expert-compt­able, com­mis­saire aux comptes, qui font exacte­ment à la vir­gule près les mêmes déc­la­ra­tions au même moment. Imag­ine, comble de raf­fine­ment, que leur nom de famille com­mence par la même let­tre et qu’ils sont telle­ment proches alphabé­tique­ment qu’ils se sont retrou­vés binôme à l’X. Imag­ine qu’on applique à leur revenu un taux con­stant pour cal­culer leurs coti­sa­tions sociales. Alors en mécanique new­toni­enne avec ces hypothès­es tu en déduis qu’ils payent le même montant. 

Eh bien, aujour­d’hui, j’ai l’hon­neur de t’an­non­cer que l’ad­min­is­tra­tion française, en avance sur son temps, a décidé d’ap­pli­quer la mécanique quan­tique ! Non seule­ment on ne va pas leur deman­der de pay­er la même chose car les chiffres sont quan­tiques mais en plus les inter­locu­teurs sont plus fur­tifs que les positrons. Le télé­phone (je ne par­le pas d’In­ter­net, il n’y a pas de con­nex­ions entre le monde quan­tique et le monde réel) peut son­ner des heures, la prob­a­bil­ité de chop­er quelque chose est digne d’une cham­bre à bulles. 

Les cour­ri­ers, tels des bouteilles jetées à la mer, même en recom­mandés, ont peu de chance de touch­er le rivage. Et pen­dant ce temps-là, la machine infer­nale s’est mise en route et plus rien ne va l’ar­rêter : injonc­tion d’huissier sur let­tre recom­mandée, pénal­ités de retard de pénal­ités de retard, suite de suite de suite… 

Si, sur un sim­ple cal­cul pro­por­tion­nel, la machine à cal­culer ne trou­ve pas la même chose que l’or­di­na­teur de l’ad­min­is­tra­tion, imag­ine une sec­onde le cal­cul d’une taxe pro­fes­sion­nelle ou d’un pré­compte et mul­ti­plie cela par une quin­zaine de tax­es et d’im­pôts payés annuelle­ment qui ont le génie, bien que basés sur les mêmes chiffres, ceux de la société, d’ar­riv­er à trou­ver les com­bi­naisons les plus orig­i­nales ; ça y est, tu com­mences à réalis­er la réal­ité et la faib­lesse de ta position… 

Or, il se trou­ve que tu n’as pas que cela à faire, tu dois aus­si t’oc­cu­per de tes clients, four­nisseurs, ban­quiers, etc. 

Deuxième temps : la bonne foi de l’administration

Devant cette immense com­plex­ité des textes, des règle­ments et l’im­pos­si­bil­ité d’obtenir des organ­ismes qui les appliquent une déci­sion claire, dans des délais raisonnables, tu t’en­toures d’une foul­ti­tude de con­seillers qui te coûte une for­tune et tu essayes de les inter­préter tant bien que mal, et surtout tu payes. 

Un aérostat sur PARISDans un monde où tout est écrit et son con­traire, et peut par­fois, comble du raf­fine­ment, s’ap­pli­quer rétroac­tive­ment, des inspecteurs (pas tous, tout de même), dont l’ob­jec­tif est de faire du chiffre, inter­prè­tent oblig­a­toire­ment néga­tive­ment tes choix, par­fois même en pure mau­vaise foi mais de toute façon en toute impunité. Cette insécu­rité juridique per­ma­nente est intolérable car avant tout arbitraire. 

Lorsque tu vas subir ton pre­mier con­trôle quelques mois après ta créa­tion, dis-toi que tu es pré­sumé coupable et lorsqu’en face de toi, tu as un con­trôleur un peu trop zélé, tu es totale­ment dému­ni car il a un pou­voir total sur toi. Notre société, Aérophile, a quand même eu l’hon­neur et l’a­van­tage en moins de dix ans de recevoir la vis­ite de trois con­trôleurs fis­caux et un con­trôleur des Urssaf, une vis­ite tou­jours agréable qui sig­ni­fie trois à six mois de présence de nos amis, ayant comme seul objec­tif d’être l’Her­cule Poirot qui percera l’é­va­sion fis­cale mirac­uleuse. Pour­tant, chez nous aucun redresse­ment ne fut sig­nalé sauf à Chev­erny (voir ci-dessous). 

Un crime de sang béné­fi­cie d’une pre­scrip­tion de dix ans mais un bon repas au restau­rant dont tu as per­du la note est redev­able à per­pé­tu­ité. Un pris­on­nier cela coûte, un abus de bien social cela rapporte… 

“Si j’en avais tenu compte, je n’aurais pas pu vous redresser”

Lorsque nous avons créé notre entre­prise, j’ai écrit au Ser­vice de lég­is­la­tion fis­cale (SLF) à Bercy pour deman­der à quel régime de TVA je devais soumet­tre ma nou­velle activ­ité de grand bal­lon cap­tif. Fort logique­ment, après quelques mois, il m’a répon­du que le taux applic­a­ble était de 5,5 puisque notre bal­lon répond par­faite­ment à la déf­i­ni­tion du manège forain. 

Ain­si, je suis le con­cur­rent direct des grandes roues. Hélas ! cette recom­man­da­tion ne m’a pas mis à l’abri de l’ar­bi­traire. Je crée une fil­iale, Aérochev­erny, au château de Chev­erny (Loir-et-Cher) et y subis un con­trôle fis­cal. À mon grand éton­nement, le fis­ca­la­tor réfute ce taux de 5,5 et me redresse à 20,6 % pré­tex­tant que cette let­tre certes val­able pour Chan­til­ly ne l’est pas pour Chev­erny et me donne cinq mag­nifiques argu­ments pour nier la qual­ité de manège forain au ballon : 

1) le bal­lon n’est pas déplaçable (sûre­ment plus qu’un grand huit),
2) je ne suis pas un pro­fes­sion­nel de la fête foraine (Walt Dis­ney non plus),
3) le bal­lon n’u­tilise pas d’én­ergie extérieure en mon­tée (je lui souhaite de ne jamais pren­dre l’as­censeur en descente sans énergie extérieure),
4) le château de Chev­erny n’est pas un parc d’at­trac­tion (la place de la Con­corde non plus),
5) enfin, les pas­sagers ne sont pas pas­sifs (étrange­ment mal­gré mes recherch­es, je n’ai trou­vé aucune déf­i­ni­tion de la pas­siv­ité des pas­sagers dans aucun texte de loi). 

La loi évidem­ment prévoit un recours mais manque de chance, il s’ag­it du n + 2 du fis­ca­la­tor.

J’ai donc ren­con­tré son supérieur hiérar­chique qui, après m’avoir écouté un très court instant, m’in­forme que l’ad­min­is­tra­tion gagne 95 % des procès au tri­bunal administratif. 

En ren­trant au bureau, j’avais déjà reçu le recom­mandé reje­tant mon recours. Je passe en Com­mis­sion départe­men­tale, n’ayant qu’un avis con­sul­tatif, et je demande devant tout le monde au fis­ca­la­tor pourquoi il n’avait pas tenu compte de la let­tre du SLF. Il m’a répon­du froide­ment : “Si j’en avais tenu compte, je n’au­rais pas pu vous redresser.” 

La boucle est bouclée. Un an après, je reçois une mise en demeure de pay­er l’équiv­a­lent d’un tiers de mon chiffre d’af­faires soit 500 000 francs alors qu’Aérochev­erny ne fai­sait que 30 000 francs de béné­fice par an. Mon pas­sif exi­gi­ble est supérieur à mon act­if disponible. 

Je suis dans l’oblig­a­tion de dépos­er le bilan de la fil­iale et le fis­ca­la­tor a sans doute été pro­mu pour ses excel­lents résultats. 

Juste avant le dépôt de bilan, je réécris au fameux ser­vice de lég­is­la­tion fis­cale qui six mois plus tard me répond que j’avais par­faite­ment rai­son et me retire tous mes redresse­ments. Mais trop tard ! J’ai dû licenci­er six per­son­nes, j’ai aus­si per­du l’ensem­ble des investisse­ments et des efforts réal­isés et évidem­ment arrêté de pay­er charges sociales et autres impôts dans le Loir-et-Cher. Drôle de logique ! 

Troisième temps : touche pas au grisbi

Imag­i­nons main­tenant que ton entre­prise ne marche pas trop mal et que tu décides de te vers­er un salaire. Si ton entre­prise te paie 100, il te restera 31 après avoir déduit les charges sociales et l’im­pôt sur le revenu. 

Si ton entre­prise décide de vers­er des div­i­den­des, le même cal­cul amène 40. 

Cela ne tient pas compte de toutes les tax­es acquit­tées par l’en­tre­prise elle-même. Ain­si, sur notre bal­lon de Chan­til­ly, la taxe pro­fes­sion­nelle représen­tait un mois de chiffre d’af­faires sur les huit que compte la saison. 

En phase de démar­rage, il est extrême­ment dif­fi­cile de créer de la forte valeur ajoutée per­me­t­tant de sup­port­er de tels coûts ; cela te con­duira à percevoir un salaire très faible pour pou­voir démar­rer l’ac­tiv­ité. Néan­moins, l’aspect financier n’est pas le plus exas­pérant dans le sys­tème français, il faut bien que quelqu’un paie nos pantoufles ! 

Quatrième temps : petits meurtres entre amis

Tu te bats déjà depuis cinq ans, tu n’as pas fait for­tune, tu es épuisé, tu as résisté, tu t’es bat­tu, tu as rem­porté quelques batailles, intel­lectuelle­ment, tu es sat­is­fait de ton expéri­ence, tu as vrai­ment vécu et comme un sur deux de tes cama­rades, un jour, un mau­vais payeur, un bon con­trôle fis­cal ou une superbe bulle Inter­net te fauchent en plein effort. Tu arrives au pur­ga­toire : les procé­dures col­lec­tives, les tri­bunaux de com­merce et les admin­is­tra­teurs judi­ci­aires. Tu te sens coupable, tu as échoué, tu as plan­té tes meilleurs four­nisseurs et tu sais ce que cela sig­ni­fie car toi-même tu t’es déjà fait planter, tu es triste mais tu as con­fi­ance dans le sys­tème. Tu as enten­du dire que les juges sont tes pairs, ils vont sûre­ment te comprendre. 

Le bénévolat a de beaux jours devant lui

Prends un groupe de bénév­oles, pas oblig­a­toire­ment spé­cial­istes en droit, dans une belle ville de province, bien étab­lis, nota­bles par essence, pos­sé­dant beau­coup de rela­tions dans toutes sortes de réseaux, par­fois plus ou moins occultes — sinon ils ne seraient pas là — sans aucun con­trôle si ce n’est leur équiv­a­lent mon­té en grade. Demande-leur de choisir dans une pro­fes­sion libérale très cloi­son­née et par­faite­ment monop­o­lis­tique dont le rôle dans le règne ani­mal ressem­ble peu ou prou à celui du charog­nard et applique la règle suiv­ante : par déf­i­ni­tion, sinon il n’y a pas de dépôt de bilan, le pas­sif est supérieur à l’ac­t­if, et tout ce qui sera récupéré, ira : 

1) à pay­er les hon­o­raires des man­dataires liquidateurs,
2) à rem­bours­er un organ­isme qui a avancé les salaires impayés,
3) au fisc,
4) aux charges sociales,
5) aux ban­ques et aux fournisseurs. 

Pre­mière ques­tion : pens­es-tu que ce type de sys­tème favorise la vente des act­ifs le plus cher pos­si­ble pour rem­bours­er les ban­ques et les fournisseurs ? 

Deux­ième ques­tion : quelle est la prob­a­bil­ité pour que les bénév­oles qui sont les con­trôleurs de ces opéra­tions aient intérêt à faire du bruit et à déjuger ceux qu’ils ont nom­més en cas de com­porte­ments “éton­nants” des liquidateurs ? 

Troisième ques­tion : qui est le din­don de la farce ?

Dans ces con­di­tions, il est extrême­ment hasardeux de créer une entre­prise surtout dans une région qui n’est pas la tienne et de don­ner la moin­dre cau­tion personnelle. 

Pour résoudre les prob­lèmes de créa­tion d’en­tre­pris­es, il faut trou­ver para­doxale­ment une véri­ta­ble solu­tion équitable lors de leur mort ! 

La qua­si-total­ité des juges de tri­bunaux de com­merce et des liq­ui­da­teurs sont très cer­taine­ment hon­nêtes et de bonne foi, dévoués à servir l’in­térêt de l’é­conomie locale, mais un tel sys­tème ne peut amen­er que des com­porte­ments déviants. 

Les sommes en jeu, comme les intérêts poli­tiques locaux, sont colos­saux et cela, hélas, se fait par­fois au détri­ment de la stricte appli­ca­tion du droit. 

Au-delà de l’aspect pure­ment moral, les con­séquences de tels agisse­ments sont dra­ma­tiques car : 

1) les ban­ques ne te prêteront jamais sans cau­tion per­son­nelle eu égard aux risques et aux très faibles chances de récupér­er quelque chose en cas de dépôt de bilan,
2) tu te retrou­ves obligé de don­ner ta cau­tion per­son­nelle, tu vas donc aller le plus loin pos­si­ble dans la survie de ta société au détri­ment de la sagesse avec tou­jours l’e­spoir de rebondir,
3) un jour, tu échoues et alors tu es ruiné. Tu es inscrit à la Banque de France, tu risques même de te retrou­ver pour­suivi par les liq­ui­da­teurs s’il te reste quelque argent. Tes voisins, tes cousins, tes amis décou­vrent par l’ex­em­ple la joie de la créa­tion d’entreprises. 

Mais ras­sure-toi, notre sys­tème a heureuse­ment les avan­tages de ses inconvénients. 

Les avantages des inconvénients

En réal­ité, comme la créa­tion d’en­tre­pris­es s’avère extrême­ment ardue et sou­vent ingrate, le pre­mier effet d’un tel sys­tème est que tu n’auras pas de con­cur­rent en France. Tel le désert, il n’y a que peu de plantes qui poussent mais lorsqu’elles atteignent la nappe phréa­tique, elles sont rel­a­tive­ment tran­quilles pour les prob­lèmes de con­cur­rence. À l’in­verse, nos voisins anglo-sax­ons subis­sent la jun­gle où chaque nou­v­el arbre peut étouf­fer son voisin. 

Autre effet béné­fique du sys­tème : la très grande mul­ti­plic­ité des aides, sub­ven­tions et organ­ismes. En effet, avec un sys­tème pareil, comme il n’y a pas assez de créa­tion d’en­tre­pris­es et que tout le monde s’en plaint, une mul­ti­tude d’or­gan­i­sa­tions publiques et para­publiques allouent des sub­ven­tions pour encour­ager la créa­tion (Con­seil général, région­al, État, Cham­bre de com­merce, etc.). Bien sûr, on pour­rait cri­ti­quer cette sit­u­a­tion par­faite­ment ubuesque où les entre­pris­es payent beau­coup d’im­pôts pour pou­voir en récupér­er une infime par­tie en sub­ven­tion. Mais finale­ment, ces aides te sont utiles et les efforts des col­lec­tiv­ités sont louables même s’ils sont insuffisants. 

Par ailleurs, il existe deux organ­ismes soutenus par la puis­sance publique qui aident à partager le risque de l’en­tre­prise dans deux secteurs clefs de son activ­ité : l’in­no­va­tion (l’An­var) et l’ex­port (la Coface) par le biais d’a­vances rem­boursables. Ils rem­plis­sent un rôle déter­mi­nant aux côtés des PME. En effet, la créa­tion est très risquée par rap­port au prof­it escomp­té surtout dans ces deux domaines où s’a­joutent aux con­traintes habituelles des dif­fi­cultés majeures. Tout ce qui dimin­uera donc le risque ira en faveur de la créa­tion, le principe de l’a­vance rem­boursable évi­tant tout abus de gaspillage d’ar­gent public. 

Néan­moins, aider sim­ple­ment la phase de créa­tion ne résoudra pas le prob­lème à long terme. Ce sont toutes les phas­es de l’ex­is­tence de l’en­tre­prise qui doivent être soutenues et com­pris­es. Il ne s’ag­it pas sim­ple­ment de don­ner des sub­ven­tions pour se don­ner bonne con­science mais de dimin­uer les risques inutiles subis par les entre­pris­es ; celles-ci en étant large­ment pourvues par ailleurs. Lorsque les inter­locu­teurs des entre­pris­es n’ont aucun compte à ren­dre à per­son­ne, ils devi­en­nent alors exces­sive­ment dan­gereux pour elles et peu­vent agir avec le plus total arbi­traire, en toute impunité, c’est d’ailleurs le cas de mes trois exem­ples. Il faut donc repenser le rôle et le statut du chef d’en­tre­prise en lui per­me­t­tant d’évoluer avec son pro­jet dans un État de droit. 

C’est en étant con­scient de tout cela, cher cama­rade, que tu dois bien réfléchir à ton pro­jet. Dis-toi que tu ne pour­ras, hélas, pas con­cen­tr­er toute ton énergie sur ton pro­jet mais qu’une par­tie par­fois impor­tante de ton temps sera pris par ces com­bats ubuesques où tu n’auras aucune prise sur l’en­ne­mi. Néan­moins, sor­tir du sen­tier tant que l’on ne tombe pas dans le fos­sé est tou­jours une expéri­ence exal­tante et enrichissante. À bon enten­deur, salut. 

Jérôme GIACOMONI (88), ingénieur civ­il des Ponts, diplômé du MIB, a créé avec Matthieu GOBBI (88), ingénieur civ­il des Ponts, AÉROPHILE SA en 1993.

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