La Convention pour l’avenir de l’Europe mise en perspective

Dossier : L'EuropeMagazine N°586 Juin/Juillet 2003Par Dickran INDJOUDJIAN (41)

À Laeken, le 15 décem­bre 2001, le Con­seil européen a décidé de con­vo­quer une Con­ven­tion chargée de pré­par­er les réformes de l’U­nion élargie. Celle-ci a com­mencé ses travaux à Brux­elles le 28 févri­er 2002 sous la prési­dence de M. Valéry Gis­card d’Estaing.

Il serait dif­fi­cile de par­ler utile­ment de cette Con­ven­tion sans bross­er à grands traits l’évo­lu­tion his­torique qui a abouti à la sit­u­a­tion actuelle. Ni les objec­tifs de la Con­ven­tion, ni la dif­fi­culté de sa tâche, ni les incer­ti­tudes de ses résul­tats ne seraient intel­li­gi­bles. Même si ce rap­pel his­torique laisse moins de place à l’ex­a­m­en des travaux de la Con­ven­tion jusqu’à ce jour, il sem­ble indispensable.

La préhis­toire : la Déc­la­ra­tion Schu­man (9 mai 1950) et le traité de Paris (18 avril 1951) ont don­né nais­sance à la pre­mière Com­mu­nauté européenne, celle du char­bon et de l’aci­er ; puis on a longue­ment pâti de l’échec de la Com­mu­nauté européenne de défense (CED), rejetée par l’Assem­blée nationale française le 30 août 1954.

L’his­toire de ce qui devien­dra l’U­nion européenne com­mence par les traités de Rome (25 mars 1957) dont le prin­ci­pal crée la Com­mu­nauté économique européenne. Entre les six mem­bres d’o­rig­ine (Alle­magne, Bel­gique, France, Ital­ie, Lux­em­bourg, Pays-Bas) s’étab­lis­sent en out­re une cer­taine coopéra­tion poli­tique et une mise en place pro­gres­sive d’in­sti­tu­tions européennes. Trois mem­bres nou­veaux entrent le 1er jan­vi­er 1973 : le Roy­aume-Uni, le Dane­mark et l’Ir­lande. Deux événe­ments majeurs survi­en­nent en 1974 : la déci­sion d’élire (à par­tir de 1978) le Par­lement européen au suf­frage uni­versel et la créa­tion du Con­seil européen des chefs d’É­tat et de gouvernement.

À Stuttgart (19 juin 1983) le rôle de ce Con­seil européen est précisé :

  • don­ner à la con­struc­tion européenne une impul­sion poli­tique générale ;
  • définir les ori­en­ta­tions favorisant la con­struc­tion européenne et les lignes direc­tri­ces d’or­dre politique ;
  • délibér­er des ques­tions rel­a­tives à l’U­nion européenne en veil­lant à leur cohérence ;
  • sus­citer la coopéra­tion dans de nou­veaux secteurs d’activité ;
  • exprimer de manière solen­nelle la posi­tion com­mune dans les ques­tions de rela­tions extérieures.

Après l’en­trée de la Grèce au début de 1981, de l’Es­pagne et du Por­tu­gal au début de 1986, un énorme effort de syn­thèse et d’ef­fi­cac­ité a été accom­pli pour réalis­er un marché unique sans fron­tières intérieures et dans lequel la libre cir­cu­la­tion des marchan­dis­es, mais aus­si des per­son­nes, des ser­vices et des cap­i­taux doit devenir effec­tive. C’est l’Acte unique (févri­er 1986) qui doit beau­coup au tal­ent et à la per­sévérance du prési­dent de la Com­mis­sion qu’é­tait Jacques Delors. Cet Acte dépasse le champ com­mu­nau­taire et élar­git le domaine des déci­sions pris­es à la majorité. Il a été une étape impor­tante vers le traité de Maas­tricht (7 févri­er 1992) qui a con­sacré un “cadre insti­tu­tion­nel” unique dans lequel, selon les domaines, les pou­voirs et les procé­dures sont dif­férents. La struc­ture définie par ce traité est extrême­ment com­plexe, avec ses “trois piliers” :

  • le pre­mier pili­er ou pili­er com­mu­nau­taire (poli­tique et admin­is­tratif), avec des com­pé­tences éten­dues à de nou­veaux domaines, prin­ci­pale­ment en matière économique et moné­taire, et une démoc­ra­ti­sa­tion par­tielle des institutions ;
  • le deux­ième pili­er, instau­rant une coopéra­tion inter­gou­verne­men­tale en matière de Poli­tique extérieure et de sécu­rité com­mune (PESC), avec la pos­si­bil­ité d’une exten­sion à la Poli­tique européenne de défense (PED) en coopéra­tion avec l’U­nion de l’Eu­rope occi­den­tale (UEO)1 ;
  • le troisième pili­er, égale­ment de nature inter­gou­verne­men­tale, celui de la jus­tice et des affaires intérieures.

À peine ce traité élaboré, les par­tis ont pris con­science du car­ac­tère quelque peu impro­visé de tout ce qui ne con­cerne pas l’U­nion économique et moné­taire, ain­si que de la dif­fi­culté de met­tre en œuvre trois sys­tèmes dif­férents (sin­gulière­ment à l’in­ter­sec­tion de la poli­tique extérieure com­mune et de la poli­tique étrangère et de sécu­rité, inter­gou­verne­men­tale) ; ils ont donc inclus dans le traité l’ar­ti­cle N qui prévoy­ait une Con­férence inter­gou­verne­men­tale en 1996.

Celle-ci a abouti au traité d’Am­s­ter­dam (2 octo­bre 1997) qui se situ­ait dans la per­spec­tive d’un élar­gisse­ment à 25 États mem­bres ou davan­tage. Toute­fois, les ques­tions posées par cet élar­gisse­ment, faute d’une volon­té poli­tique, ont été éludées et ren­voyées à une nou­velle CIG devant se tenir un an avant le pas­sage à plus de 20 États mem­bres ; le rôle de cette nou­velle Con­férence étant d’éla­bor­er de nou­velles dis­po­si­tions con­cer­nant le nom­bre des com­mis­saires et une meilleure pondéra­tion des voix au Con­seil2.

Quant aux pro­grès apportés par le traité d’Am­s­ter­dam, ils por­tent sur une référence plus explicite à divers principes (lib­erté, démoc­ra­tie, droits de l’homme, État de droit) ; sur la coor­di­na­tion des poli­tiques favor­ables à l’emploi et sur des dis­po­si­tions sociales ; sur la com­mu­nau­tari­sa­tion à terme d’une par­tie impor­tante des dis­po­si­tions du troisième pili­er ; sur le ren­force­ment de la coopéra­tion judi­ci­aire et poli­cière en matière pénale, main­tenue, celle-là, dans le troisième pili­er (inter­gou­verne­men­tal) ; sur une amélio­ra­tion (de principe) de la poli­tique étrangère et de sécu­rité com­mune (et notam­ment la créa­tion d’un poste de haut représen­tant pour la Poli­tique étrangère et de sécu­rité com­mune3) ; sur le recours par­tiel dans ce dernier domaine à la majorité qual­i­fiée ; enfin sur l’ex­ten­sion du pou­voir de codé­ci­sion du Par­lement européen et le ren­force­ment de l’au­torité du prési­dent de la Commission.

Le car­ac­tère insuff­isant de la réforme des insti­tu­tions intro­duite par le traité d’Am­s­ter­dam a con­duit à éla­bor­er, dans les mêmes con­di­tions d’opac­ité vis-à-vis des citoyens, un nou­veau traité, le traité de Nice (26 févri­er 2001), assor­ti de la sim­ple procla­ma­tion d’une Charte des droits fon­da­men­taux, sans que la portée juridique de celle-ci en soit aucune­ment définie.

Le traité de Nice avait pour­tant un objec­tif ini­tial qui répondait à l’at­tente de l’opin­ion : esquis­sée à Maas­tricht, ébauchée à Ams­ter­dam, la réforme des insti­tu­tions devait par­venir à Nice, comme préal­able à l’élar­gisse­ment de l’U­nion européenne vers l’Est, à ren­dre l’U­nion plus effi­cace. Or, après Nice, il est devenu plus dif­fi­cile de décider qu’au­par­a­vant… même à quinze. Le traité devait rap­procher l’Eu­rope des citoyens ; mais le nou­veau texte est encore plus ésotérique.

Il devait ren­forcer les insti­tu­tions com­mu­nau­taires pour qu’elles per­me­t­tent la direc­tion effi­cace d’une Union élargie à 20, 25 ou davan­tage ; mais les trois insti­tu­tions majeures (“le tri­an­gle insti­tu­tion­nel”) en sont sor­ties affaib­lies : la capac­ité de déci­sion du Con­seil est dimin­uée ; la com­po­si­tion de la Com­mis­sion reflète après Nice pure­ment et sim­ple­ment l’in­térêt des États mem­bres, alors que le rôle absol­u­ment essen­tiel de la Com­mis­sion est d’i­den­ti­fi­er et de défendre l’in­térêt com­mun. Quant au Par­lement européen, son effec­tif approchera le chiffre ridicule de 800 députés et son fonc­tion­nement sera alour­di et ren­du incom­préhen­si­ble à l’opin­ion, tant les procé­dures de son inter­ven­tion sont mul­ti­ples et complexes.

Pourquoi cet échec ? Et pourquoi, nonob­stant cet échec, les gou­verne­ments des États mem­bres se sont-ils déclarés sat­is­faits ? Pour une rai­son fort sim­ple, mais lam­en­ta­ble : cha­cun a demandé et obtenu la pos­si­bil­ité de con­serv­er un droit de veto dans les domaines qui lui tien­nent le plus à cœur, le régime d’im­mi­gra­tion pour l’Alle­magne, les fonds régionaux de sou­tien pour l’Es­pagne, l’ex­cep­tion cul­turelle pour la France, la fis­cal­ité pour le Lux­em­bourg, la poli­tique sociale pour le Royaume-Uni.

Vic­toires indi­vidu­elles ! Défaite pour l’Europe !

Il était devenu clair que la méth­ode util­isée jusque-là (accord entre gou­verne­ments après négo­ci­a­tion entre leurs experts et leurs diplo­mates) avait épuisé ses possibilités.

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L’idée est donc apparue, puis mise en appli­ca­tion au Con­seil européen de Laeken (décem­bre 2001), d’as­soci­er enfin à la recherche d’amélio­ra­tions insti­tu­tion­nelles les citoyens ou leurs représen­tants élus. Le fait que la Charte des droits fon­da­men­taux avait été établie de manière non-inter­gou­verne­men­tale par une “Con­ven­tion” explique peut-être et la méth­ode et le nom de l’assem­blée ad hoc créée à Laeken. En vérité l’élab­o­ra­tion de la Charte des droits fon­da­men­taux était un exer­ci­ce d’une nature incom­pa­ra­ble­ment moins dif­fi­cile que la mis­sion de la “Con­ven­tion pour l’avenir de l’Eu­rope”. L’ap­pel­la­tion est plutôt, sem­ble-t-il, une référence implicite à la Con­ven­tion de Philadel­phie (1787) dont il est intéres­sant de rap­pel­er qu’elle avait pour objet “de ren­dre la con­sti­tu­tion du gou­verne­ment fédéral adéquate aux exi­gences de l’Union”.

Le Con­seil européen de Laeken a désigné M. Valéry Gis­card d’Es­taing comme prési­dent de la Con­ven­tion et MM. Giu­liano Ama­to et Jean-Luc Dehaene comme vice-prési­dents. Ces trois per­son­nal­ités et neuf autres con­stituent le “prae­sid­i­um”. Celui-ci dirige les travaux des 105 mem­bres de la Con­ven­tion : 15 représen­tants des gou­verne­ments4, 50 mem­bres des par­lements nationaux, 2 représen­tants de la Com­mis­sion européenne5, 39 représen­tants des États can­di­dats et 16 députés européens. Siè­gent aus­si un cer­tain nom­bre d’ob­ser­va­teurs. La pub­lic­ité des débats est assurée.

Les travaux de la Con­ven­tion se suc­cè­dent en trois périodes :

  • une péri­ode d’écoute pour faire appa­raître les attentes des citoyens telles que les perçoivent les conventionnels ;
  • une péri­ode d’analyse pour dégager les divers­es propo­si­tions et en com­par­er les avan­tages et les inconvénients ;
  • une péri­ode de syn­thèse entre ces propo­si­tions et d’élab­o­ra­tion du doc­u­ment final qui doit servir de base aux déci­sions de la Con­férence intergouvernementale.

Le prae­sid­i­um fait tous ses efforts pour que ce rap­port final fasse l’ob­jet d’un large con­sen­sus et ne com­porte pas de vari­antes (ou qu’il en com­porte peu), car c’est dans ces con­di­tions que la CIG prévue pour 2003 (cf. infra) pour­rait dif­fi­cile­ment déna­tur­er le pro­jet. La Con­ven­tion avait pour objec­tif d’achev­er ses travaux à la mi-juin 2003, afin que son prési­dent puisse remet­tre fin juin le doc­u­ment final au Con­seil européen qui mar­quera la fin de la prési­dence semes­trielle grecque. Nous ver­rons plus loin que ce cal­en­dri­er ne sera prob­a­ble­ment pas tenu, du fait des graves événe­ments inter­na­tionaux actuels.

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Quelle a été la mis­sion ini­tiale­ment con­fiée à la Con­ven­tion par le Con­seil européen de Laeken ? Éla­bor­er des propo­si­tions concernant :

  • le partage des com­pé­tences entre l’U­nion et les États ;
  • le statut de la Charte des droits fondamentaux ;
  • la sim­pli­fi­ca­tion des traités et le rôle des par­lements nationaux.

Une telle mis­sion ne peut être accom­plie de façon sat­is­faisante qu’en impli­quant une vision d’ensem­ble des final­ités poli­tiques de l’U­nion européenne. Elle inci­tait donc la Con­ven­tion à éten­dre d’elle-même sa mis­sion en se don­nant pour objec­tif l’élab­o­ra­tion d’une Con­sti­tu­tion ou d’un Traité con­sti­tu­tion­nel, en y inclu­ant, tant le besoin en est devenu man­i­feste, des propo­si­tions insti­tu­tion­nelles con­cer­nant la “Poli­tique étrangère et de sécu­rité com­mune” (PESC) et la “Poli­tique européenne de défense” (PED).

La Con­ven­tion, avant même la fin de la phase d’é­coute, a créé 11 groupes de tra­vail dont les travaux sont achevés depuis la fin février :
1. Subsidiarité
2. Charte des droits fondamentaux
3. Per­son­nal­ité juridique
4. Par­lements nationaux
5. Com­pé­tences complémentaires
6. “Gou­ver­nance” économique6
7. Action extérieure
8. Défense
9. Sim­pli­fi­ca­tion des procédures
10. Lib­erté, sécu­rité et justice
11. Ques­tions sociales.

Ces groupes de tra­vail, présidés cha­cun par un mem­bre du prae­sid­i­um, ont abouti à un rap­port qui, bien sûr, est plus ou moins con­struc­tif et reflète des degrés divers de con­sen­sus. Voici quelques-unes des con­clu­sions qui se sont dégagées :

  • dot­er l’U­nion européenne d’une per­son­nal­ité juridique unique ;
  • créer un con­trôle pub­lic de la sub­sidiar­ité (avec, en principe, l’in­ter­ven­tion des par­lements nationaux) ;
  • sim­pli­fi­er les traités en sub­sti­tu­ant aux qua­tre exis­tants un seul traité con­sti­tu­tion­nel… et lis­i­ble, com­plété par quelques pro­to­coles annexes ;
  • donner force con­sti­tu­tion­nelle à la Charte des droits fon­da­men­taux ;
  • main­tenir aux États mem­bres leurs com­pé­tences économiques, mais avec des dis­po­si­tions de nature à assur­er une meilleure cohérence.

Quant au Traité con­sti­tu­tion­nel lui-même, son archi­tec­ture, puis un pro­jet par­tiel d’ar­ti­cles ont été présen­tés à la Con­ven­tion qui en a débattu.

Un cer­tain nom­bre de ques­tions impor­tantes n’ont pas jusqu’à présent fait l’ob­jet d’un large con­sen­sus et notam­ment les suivantes :

  • degré du mode fédéral en matière de fis­cal­ité et de police ;
  • désig­na­tion et degré de sta­bil­ité du prési­dent de l’Union ;
  • désig­na­tion du prési­dent de la Commission ;
  • com­po­si­tion de la Commission ;
  • domaines des déci­sions pris­es à la majorité qual­i­fiée et pondéra­tion des voix ;
  • poli­tique étrangère et de sécu­rité com­mune, même si des pro­grès à cet égard sont souhaités par une large majorité ;
  • meilleure effi­cac­ité des coopéra­tions renforcées.

Comme on l’a déjà men­tion­né, la guerre d’I­rak a per­tur­bé l’a­vance­ment des travaux, même si — à quelque chose mal­heur est bon ! — elle a mieux mis au jour le grave déficit de poli­tique étrangère com­mune. La Con­ven­tion doit-elle remet­tre au Con­seil européen un texte final achevé ou un pro­jet très impar­fait ? Le plus vraisem­blable est que les travaux de la Con­ven­tion seront pour­suiv­is jusqu’à la fin octo­bre 2003 dans l’e­spoir de par­venir à un doc­u­ment solide. En out­re, il se pour­rait que le début de la CIG soit lui-même reporté à 2004. À pri­ori ces mod­i­fi­ca­tions de cal­en­dri­er ne sont pas de très bon augure.

Reste une ques­tion majeure, celle de la rat­i­fi­ca­tion du traité auquel abouti­ra la CIG. Dans l’é­tat actuel du droit européen, il suf­fi­rait qu’un seul État mem­bre — par exem­ple l’un de ceux, par­mi les dix admis, qui auront décidé d’en­tr­er effec­tive­ment dans l’U­nion européenne — ne le rat­i­fiât pas pour que cet énorme effort soit sans effet !

Il est donc haute­ment souhaitable que con­ven­tion­nels, juristes et gou­ver­nants s’ingénient à trou­ver le moyen, au mieux, de faire en sorte que suff­ise à la rat­i­fi­ca­tion une majorité (à définir) des États mem­bres représen­tant une majorité (à définir) des pop­u­la­tions ; et, au pire, de ren­dre pos­si­ble une bonne par­tie des amélio­ra­tions inclus­es dans le traité.

Il importe aus­si que des dis­po­si­tions soient pris­es pour qu’à l’avenir seules les mod­i­fi­ca­tions majeures du traité requièrent l’unanimité.

Enfin, on peut crain­dre que les gou­ver­nants et autres respon­s­ables poli­tiques n’at­tachent pas une impor­tance suff­isante à l’in­for­ma­tion des citoyens — et ce suff­isam­ment longtemps avant la rat­i­fi­ca­tion, sin­gulière­ment là où elle sera soumise à référen­dum7. Une infor­ma­tion sérieuse ne devrait pas met­tre la char­rue devant les bœufs : elle ne devrait pas porter d’emblée sur les insti­tu­tions. Certes, celles-ci sont d’une très grande impor­tance, mais il faut d’abord beau­coup mieux éclair­er l’opin­ion sur les acquis et les final­ités de l’U­nion européenne et aus­si sur les prob­lèmes majeurs que seule pour­ra résoudre, patiem­ment, une Europe plus inté­grée ou, du moins, plus effi­cace, ces prob­lèmes étant véri­ta­ble­ment insol­ubles indi­vidu­elle­ment par chaque pays.

La tech­nic­ité des débats de la Con­ven­tion ne doit faire oubli­er ni à ses mem­bres ni aux gou­verne­ments (qui pren­dront les déci­sions con­séquentes), ni aux citoyens que, dans une ving­taine d’an­nées :

  • il y aura 16 pays au monde de plus de 100 mil­lions d’habi­tants, mais aucun dans l’U­nion européenne, si toute­fois celle-ci n’ac­quiert pas d’i­ci là les attrib­uts d’un véri­ta­ble acteur sur la scène mondiale ;
  • l’U­nion européenne de 15 mem­bres (ou de 25) comptera alors 370 mil­lions d’habi­tants (ou 440) con­tre 1 440 mil­lions d’habi­tants en Chine, dont le taux d’aug­men­ta­tion du revenu annuel par tête sem­ble instal­lé au niveau de 6 %, con­tre moins de 2 % pour les pays “rich­es” ; de sorte que l’on doit se deman­der quels grands parte­naires auront en 2025 sur la scène inter­na­tionale les États-Unis d’Amérique, aujour­d’hui seule ” hyperpuissance “.

Les gou­ver­nants de l’U­nion européenne sauront-ils cor­riger leur myopie et faire pren­dre aux citoyens la mesure des enjeux ?

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Quelles qu’en soient les imper­fec­tions, le pro­jet européen a eu depuis cinquante ans des résul­tats majeurs que l’on a ten­dance à oubli­er — bien qu’ils ne soient pas “naturels”. Ces résul­tats mérit­eraient, dans la pre­mière étape d’une infor­ma­tion sérieuse des citoyens, d’être rap­pelés avec quelque détail :

  • la paix, la sta­bil­ité des rap­ports poli­tiques au sein de l’U­nion européenne ;
  • un marché com­mun, puis unique ;
  • des règles com­munes pour les entre­pris­es et pour les consommateurs ;
  • enfin une mon­naie unique pour 12 des 15 États mem­bres actuels.

Impar­faites, les insti­tu­tions actuelles ont per­mis ces pro­grès incon­testa­bles parce qu’elles procè­dent d’une triple audace :

  • elles assurent un équili­bre entre grands et petits États,
  • elles opèrent un partage raisonnable des pouvoirs ;
  • elles con­fient à la Com­mis­sion européenne, insti­tu­tion indépen­dante, com­posée de mem­bres de nation­al­ités divers­es et prê­tant ser­ment, le rôle d’un “Pre­mier min­istre” chargé exclu­sive­ment d’œu­vr­er dans le sens de l’in­térêt général ; cette méth­ode com­mu­nau­taire, dans son champ d’ap­pli­ca­tion, faisant inter­venir dans le même esprit le Con­seil des min­istres de l’U­nion et le Par­lement européen (dans les cas nom­breux de codécision).


Ces insti­tu­tions sont un out­il pour servir un projet.

Leur mod­i­fi­ca­tion est haute­ment souhaitable, mais elle n’est pas une fin en soi. Il importe avant tout qu’elle serve un pro­jet rénové, clair, réal­iste, mais plus ambitieux.

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Après que le texte ci-dessus a été rédigé, des faits impor­tants se sont produits.

a) Dans un rap­port oral au Con­seil européen d’Athènes (16 avril), le prési­dent Gis­card d’Es­taing, en résumant le bilan des travaux de la Con­ven­tion, a con­fir­mé ce qui a été dit plus haut et a appelé les gou­verne­ments à se man­i­fester sur les deux derniers sujets à traiter par la Con­ven­tion : la Poli­tique extérieure et de sécu­rité com­mune (PESC) et la mise à jour des insti­tu­tions de l’U­nion européenne. Et plus pré­cisé­ment sur :

  • “les moyens per­me­t­tant de garan­tir une plus grande con­ti­nu­ité dans les travaux du Con­seil européen et des autres for­ma­tions de ce Conseil ;
  • la taille et la com­po­si­tion de la Com­mis­sion européenne après l’élar­gisse­ment de l’Union ;
  • la désig­na­tion et les pou­voirs d’un éventuel ‘min­istre des Affaires étrangères’ ;
  • le rôle éventuel d’une enceinte (convention/congrès) com­posée de représen­tants des par­lements nationaux et du Par­lement européen.”

Le prési­dent a con­fir­mé qu’il viendrait présen­ter “le pro­duit final” du tra­vail de la Con­ven­tion au Con­seil européen de Thes­sa­lonique le 20 juin 2003 ; mais il a souligné que “le respect de ce cal­en­dri­er strict aura des con­séquences sur le degré de fini­tion du projet”.

b) C’est peut-être l’in­con­vénient grave que représente ce délai strict qui a con­duit M. Gis­card d’Es­taing à sor­tir de son pur rôle de prési­dent de la Con­ven­tion et à ren­dre publiques le 22 avril des propo­si­tions per­son­nelles sans en avoir référé au préal­able au prae­sid­i­um. Ce dernier a réa­gi vive­ment — à la fois pour des ques­tions de fond et des ques­tions de forme — et a exprimé dès le 24 avril ses pro­pres propo­si­tions. Le tableau com­para­tif ci-dessous, qui les résume, mon­tre que, de manière quelque peu inat­ten­due, M. Gis­card d’Es­taing tend à ren­forcer le Con­seil européen (et donc l’in­ter­gou­verne­men­tal) au détri­ment de la Com­mis­sion (et donc du com­mu­nau­taire). En out­re il renonce à l’élec­tion du prési­dent de la Com­mis­sion par le Par­lement européen. Voici ce tableau.

Ces propo­si­tions, quoi qu’on en pense, auront peut-être le mérite de “faire sor­tir les loups du bois”. En effet, les gou­verne­ments sont hési­tants sur bien des points, mais il n’y a rien à gag­n­er à ter­gi­vers­er beau­coup plus longtemps.

En par­ti­c­uli­er — et c’est fort regret­table — il est clair que, si les gou­verne­ments sont si indé­cis et fluc­tu­ants en matière de poli­tique étrangère et de sécu­rité com­mune, c’est qu’ils ne savent pas vrai­ment ce qu’ils atten­dent de l’U­nion européenne.

Le mets rob­o­ratif du prési­dent de la Con­ven­tion les poussera-t-il, notam­ment à la lueur de la crise de l’I­rak, à se pos­er les ques­tions fon­da­men­tales et à y répon­dre enfin dans le cadre d’un véri­ta­ble pro­jet pour l’U­nion européenne ?

___________________________________________
1.
Union de l’Eu­rope occi­den­tale, absorbée depuis par l’U­nion européenne.
2. Il s’ag­it, non du Con­seil européen, mais du Con­seil de l’U­nion européenne, ou Con­seil de min­istres (pas tou­jours les mêmes), dont le rôle est essen­tielle­ment législatif.
3. Famil­ière­ment appelé Mon­sieur PESC !
4. Dont Dominique de VILLEPIN et Josch­ka FISCHER, min­istres des Affaires étrangères de France et d’Allemagne.
5. Dont Michel BARNIER, ancien min­istre français des Affaires européennes.
6. Ce néol­o­gisme a une sig­ni­fi­ca­tion très vague. Il est, à mes yeux, plus nuis­i­ble qu’utile.
7. Un référen­dum est oblig­a­toire ou pos­si­ble dans 22 États mem­bres sur 25. Récapitulation

PROPOSITIONS DE M. GISCARD D’ESTAING PROPOSITIONS DU PRAESIDIUM
CONSEIL EUROPÉEN

prési­dent

bureau

Autorité suprême de l’U­nion européenne.
Coor­di­na­tion générale de l’U­nion européenne.

Deux ans et demi renou­ve­lables (au lieu de six mois).
À temps plein. Et poste de vice-président.

Direc­toire : prési­dent + vice-prési­dent + présidents
des for­ma­tions spé­cial­isées du Con­seil des ministres.

Com­mis­sion exclue de la pré­pa­ra­tion des Conseils.

Sup­primé.
Main­tenu, sauf vice-président
Seule­ment trois chefs de gou­verne­ment, avec rotation.

Com­mis­sion associée.

COMMISSION

prési­dent

com­mis­saires

Déf­i­ni­tion restreinte de ses missions.
Désigné par le Con­seil européen.

Le Par­lement européen s’ex­prime à la majorité des deux tiers.

Dou­ble respon­s­abil­ité, 11 mem­bres au max­i­mum choi­sis par le prési­dent de la Com­mis­sion sur liste (propo­si­tion de trois mem­bres par État mem­bre). Plus des “con­seillers”.

Adjonc­tion d’une fonc­tion exéc­u­tive et d’une fonc­tion de coordination

Pro­posé par le Con­seil européen, compte tenu des élec­tions ; élu par le Par­lement à la majorité de ses membres.

Respon­s­ables devant le seul Par­lement européen ;
15 com­mis­saires et 15 “ com­mis­saires délégués ”.

MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES Désigné par le seul Con­seil européen, dont il dépend. Codésigné par le Con­seil et par le prési­dent de la Com­mis­sion ; investi par le Par­lement européen.
VOTE AU CONSEIL Sup­pres­sion du sys­tème de Nice. Dou­ble majorité des États mem­bres représen­tant les deux tiers de la population. Dou­ble majorité des États et des 3/5 de la population.
CONGRÈS Deux tiers de par­lemen­taires nationaux, un tiers de par­lemen­taires européens.
Entend des rap­ports sur l’é­tat de l’Union.
Inter­vient dans la révi­sion de la Con­sti­tu­tion.( À terme élit le prési­dent du Con­seil européen.)
Chargé seule­ment de rap­ports sur l’é­tat de l’Union.

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