Des dépôts de bilan records

Télécommunications :

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°579 Novembre 2002
Par Georges VIALLE (71)
Par Paul de LEUSSE (92)

Dépôts de bilan de World­com, Kirch Media, Glo­bal Cros­sing, dif­fi­cul­tés de AT&T, BT, France Télé­com : le sec­teur des télé­com­mu­ni­ca­tions tra­verse une crise de grande ampleur, qui ne sus­cite pas de réponse una­nime. Le mana­ge­ment n’y voit qu’un retour­ne­ment de conjonc­ture, dont il faut attendre la fin en accen­tuant la pres­sion sur les coûts, tan­dis que les inves­tis­seurs et les ana­lystes dés­in­ves­tissent mas­si­ve­ment, ne croyant plus à l’el­do­ra­do de la déréglementation.

Ces réponses à court terme ne doivent pas mas­quer la ten­dance de fond et la véri­table panne de crois­sance qui se font jour. Si l’on fait un retour en arrière, on constate que les valeurs encen­sées en 2000 par les ana­lystes sont en chute libre, mais que les taux de péné­tra­tion d’In­ter­net et du mobile sont en phase, voire meilleurs que les pré­vi­sions ! Mal­gré cela, les licen­cie­ments s’é­tendent des équi­pe­men­tiers, 310 000 licen­cie­ments en 2001, aux opé­ra­teurs ; les inves­tis­se­ments tech­no­lo­giques per­dus s’ac­cu­mulent : WAP, Iridium…

Que faut-il en conclure ? Cette crise pro­fonde révèle l’é­chec des stra­té­gies » me too » : dans un contexte de déré­gle­men­ta­tion et de concur­rence exa­cer­bée, les opé­ra­teurs et leurs four­nis­seurs se sont lan­cés dans une course effré­née pour figu­rer par­mi les acteurs de demain. Ce fai­sant, ils ont répli­qué des Busi­ness Desi­gns à l’i­den­tique, qu’ils soient acteurs his­to­riques ou nou­veaux entrants, pous­sés en cela par les banques d’af­faires, les consul­tants et les équipementiers.

Le résul­tat, ce sont des orga­ni­sa­tions très proches d’un acteur à l’autre, en termes de tech­no­lo­gies, de sys­tèmes d’in­for­ma­tions, de modes de mana­ge­ment et de stra­té­gies mar­ke­ting. Ce sont aus­si des surin­ves­tis­se­ments col­lec­tifs et mas­sifs dans les back­bones, dans des tech­no­lo­gies non éprou­vées, UMTS, voix sur IP et dans des besoins clients non avé­rés, WAP, BLR… se tra­dui­sant in fine par une offre bien supé­rieure à la demande !

C’est ain­si que les inves­tis­se­ments cumu­lés des 23 acteurs prin­ci­paux du sec­teur sont pas­sés de 68 mil­liards d’eu­ros en 1997 à 185 mil­liards d’eu­ros en 2000. Cette sur­ca­pa­ci­té n’a ser­vi qu’à don­ner lieu à une véri­table chute des tarifs : le prix des liai­sons louées et des appels inter­na­tio­naux a été divi­sé par 4 en dix ans ! L’ef­fet volume n’a que fort peu com­pen­sé l’ef­fet prix, en effet, les dépenses Télé­com, télé­pho­nies fixes et mobiles, qui repré­sen­taient 2,1 % du PNB en 1993, n’at­teignent aujourd’­hui que 3 %. Contrai­re­ment à ce qu’on pour­rait croire, les faillites ne vien­dront pas réduire cette sur­ca­pa­ci­té, car leurs réseaux sont main­te­nus et ven­dus » par appartement « .

Et pour­tant, il existe encore des réser­voirs de crois­sance pour sor­tir de l’im­passe : les ser­vices IP qui ne repré­sentent que 10 % du bud­get télé­com des entre­prises devraient atteindre 30 % en 2004 et les fonc­tion­na­li­tés de voix sur DSL devraient per­mettre de dou­bler le reve­nu sur le mar­ché rési­den­tiel grâce aux ser­vices asso­ciés, mes­sa­ge­rie texte, visioconférence…

Pour sor­tir de la crise, trois leviers ins­pi­rés des sec­teurs mûrs peuvent être mis en œuvre : réin­ven­ter son Busi­ness Desi­gn, s’af­fran­chir des cadres de pen­sée habi­tuels et atteindre l’ex­cel­lence opé­ra­tion­nelle. Pour preuve que ces leviers peuvent être appli­qués à des sec­teurs répu­tés dif­fi­ciles, nous les illus­tre­rons par des exemples d’en­tre­prises ayant réus­si à inno­ver, là où leurs concur­rents pei­naient à sor­tir du marasme, puis nous étu­die­rons com­ment ces exemples peuvent être trans­po­sés aux Télécom.

Réinventer son Business Design

La com­pa­gnie aérienne amé­ri­caine Sou­th­west Air­line a su créer signi­fi­ca­ti­ve­ment de la valeur, en déga­geant une marge opé­ra­tion­nelle de près de 25 %, là où la plu­part de ses concur­rents, sui­vant tous le même modèle, se can­ton­naient entre 5 % et 15 %, si bien qu’elle repré­sente aujourd’­hui 50 % de la valeur bour­sière des com­pa­gnies aériennes, pour 20 % il y a huit ans. Pour cela, elle a inven­té un Busi­ness Desi­gn unique avec une pro­po­si­tion de valeur inno­vante : une marque répu­tée et fiable, des vols directs, sans hub, depuis les aéro­ports les plus proches de centres-villes, se rap­pro­chant ain­si des clients, pour en gar­der la maî­trise. Ses prix sont moins chers que ceux de ses concur­rents, grâce à un équi­pe­ment homo­gène, uni­que­ment des Boeing 737, des ser­vices à bord mini­mums et des canaux de dis­tri­bu­tion directs. Une large par­ti­ci­pa­tion de ses employés aux béné­fices a per­mis à Sou­th­west de ne comp­ter qu’une seule grève dans les vingt der­nières années.

Quelles leçons tirer pour les opé­ra­teurs mobiles qui ont des Busi­ness Desi­gns cal­qués sur le même modèle ? Ils doivent, pour se dif­fé­ren­cier, faire évo­luer leur pro­po­si­tion de valeur, aujourd’­hui prin­ci­pa­le­ment axée sur la voix en pro­po­sant des com­bi­nai­sons de ser­vices, don­nées, connec­ti­vi­té, ciblés par seg­ments de clients. De même, ils doivent se rap­pro­cher des clients au-delà de la cou­ver­ture et la qua­li­té de leur réseau pour prendre en compte la marque, l’in­no­va­tion, la dis­tri­bu­tion, les réseaux de partenaires…

Enfin, leurs sources de pro­fit doivent s’af­fran­chir de la crois­sance à tout prix et des pro­mo­tions, pour viser à l’ex­ploi­ta­tion de la base de clien­tèle exis­tante, avec un véri­table Cus­to­mer value mana­ge­ment.

Évolution des dépenses Télécom (en % du PNB) de 1995 à 2002

S’affranchir des cadres de pensée habituels

Nous pren­drons ici l’exemple de Voyages-sncf. com, qui est deve­nu le lea­der du voyage en ligne en exploi­tant ses » actifs cachés » : son image, sa base de clien­tèle, ses réseaux de dis­tri­bu­tion et sa capa­ci­té à mon­ter un par­te­na­riat avec Expe­dia pour répondre à des besoins éten­dus de sa base de clients.

Dans le sec­teur Télé­com, tra­vailler sur les actifs cachés pour mieux ser­vir les besoins sous-jacents est un enjeu majeur. Ain­si, les actifs des entre­prises Télé­com, marque, base de clients, réseaux de dis­tri­bu­tion et de par­te­naires, devraient per­mettre de répondre à des besoins clients, au-delà de ser­vices pure­ment Télé­com : for­ma­tion, sécu­ri­té des tran­sac­tions, moyens de paie­ment, cré­dit à la consommation…

Les acteurs Télé­com doivent savoir dépas­ser leur acti­vi­té et iden­ti­fier des par­te­naires avec les­quels étendre le champ de leur réponse aux besoins des clients.

Atteindre l’excellence opérationnelle

Dans le sec­teur des télé­coms comme dans tous les autres sec­teurs, une exé­cu­tion par­faite est le gage de la per­for­mance en termes de qua­li­té, de coût et de délai. Cette excel­lence opé­ra­tion­nelle est une condi­tion néces­saire au suc­cès de toute stratégie.

En conclu­sion, pour sor­tir de la crise les entre­prises du sec­teur des télé­coms doivent adop­ter des stra­té­gies de ges­tion à court terme visant à attendre des jours meilleurs, et répondre aux trois questions :

1) Quelles sont les nou­velles sources de créa­tion de valeur et les nou­velles oppor­tu­ni­tés à satisfaire ?
2) Com­ment recons­truire mon Busi­ness Desi­gn ? Quelle pro­po­si­tion de valeur ? Pour quels clients ? Quelles sources de pro­fit ? Quels actifs ? Quel contrôle stra­té­gique ? Avec quelle struc­ture organisationnelle ?
3) Sur quels actifs dois-je m’ap­puyer pour me relan­cer sur de nou­veaux besoins clients ? 

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