Le modèle de Celerant Consulting

L’efficacité des organisations, une question de survie

Dossier : Entreprise et ManagementMagazine N°588 Octobre 2003
Par Philippe CHERVI (83)

L’organisation, quelle organisation ?

L’organisation, quelle organisation ?

S’il existe une notion dans l’en­tre­prise qui soit au cœur de nom­bre de dis­cus­sions et dont chaque acteur par­le sans jamais en embrass­er toute la com­plex­ité, qui soit au cen­tre des préoc­cu­pa­tions de tout man­ag­er, c’est… l’or­gan­i­sa­tion. Mais de quelle organ­i­sa­tion par­le-t-on ? Celle représen­tée par l’or­gan­i­gramme ? Celle des réseaux informels de l’en­tre­prise par­al­lèle qui rac­cour­cis­sent les cir­cuits de déci­sion ? Celle de ses proces­sus, revig­orée par l’évo­lu­tion de la norme ISO 9 000 dans sa ver­sion 2000 ? Celle sous-ten­due par les critères de rémunéra­tion des cadres, sou­vent en décalage par rap­port aux objec­tifs de l’en­tre­prise ? Celle des hommes et de leurs rela­tions, dont le frag­ile équili­bre repose sur les jeux de pou­voir et la disponi­bil­ité de l’in­for­ma­tion ? Celle, enfin, des sys­tèmes de pilotage avec le report­ing et la cas­cade de réu­nions décli­nant la stratégie de l’en­tre­prise jusque dans les ateliers ?

Les mod­èles d’or­gan­i­sa­tion abon­dent, qu’ils relèvent du champ de la soci­olo­gie, de la théorie des organ­i­sa­tions quand il ne s’ag­it pas du dernier mod­èle pop­u­lar­isé par tel ou tel cab­i­net de conseil.

Tel n’est pas le pro­pos de cet arti­cle de faire une exégèse de ces dif­férentes théories ou mod­èles, si ce n’est tout au plus d’en con­fron­ter un à l’ex­péri­ence du prati­cien en matière d’or­gan­i­sa­tion et par­tant, de réorganisation.

Ain­si, l’or­gan­i­sa­tion1 dans le mod­èle de Cel­er­ant Con­sult­ing se conçoit comme une col­lec­tion de qua­tre élé­ments étroite­ment imbriqués pour délivr­er des résul­tats pérennes (cf. fig­ure 1). Si l’or­gan­i­gramme et les réseaux formels fig­urent la par­tie émergée de l’or­gan­i­sa­tion, les par­ties immergées en sont les proces­sus, les sys­tèmes de pilotage de la per­for­mance et les hommes.

Out­re leur aspect social, les réseaux informels con­tribuent aus­si de manière déter­mi­nante au fonc­tion­nement de l’organisation.

L’organisation, un sujet tabou

Mal­gré l’en­jeu économique, il est éton­nant de con­stater que la créa­tion ou l’a­juste­ment d’une organ­i­sa­tion n’obéit absol­u­ment pas à des règles objec­tives. La part du sub­jec­tif et de l’in­di­vidu est déter­mi­nante, quand il ne s’ag­it pas de répon­dre à des con­sid­éra­tions poli­tiques, indus­trielles, économiques ou autres. La plu­part du temps, les entre­pris­es abor­dent leurs prob­lèmes organ­i­sa­tion­nels par­tielle­ment et dans le court terme. Intu­ition et lead­er­ship ne sauraient cepen­dant se sub­stituer à une approche systémique.

De fait, il n’est pas rare qu’un prési­dent ou un directeur général grif­fonne à la hâte sur un coin de table le mod­èle cible de son organ­i­sa­tion à l’is­sue d’un déje­uner ou d’un dîn­er. La con­séquence prévis­i­ble sur l’ef­fi­cac­ité et la via­bil­ité de celle-ci ne se fera générale­ment pas atten­dre. Un autre écueil tient à l’ex­is­tence de vach­es sacrées, une con­trainte majeure ayant une inci­dence rad­i­cale sur la con­cep­tion de l’organisation.

EADS illus­tre bien ce con­cept : l’émer­gence du groupe a répon­du à une volon­té des gou­verne­ments et des indus­triels (Aérospa­tiale, Matra, DASA, CASA et BAé) d’opér­er un regroupe­ment dans l’in­dus­trie aéro­nau­tique européenne tout en préser­vant les intérêts nationaux. La com­po­si­tion des comités exé­cu­tifs et des direc­toires reflète la par­tic­i­pa­tion des entre­pris­es nationales con­sti­tu­antes… au détri­ment de l’ef­fi­cac­ité organ­i­sa­tion­nelle de l’ensemble.

Une question de synchronisation ou d’alignement

Une organ­i­sa­tion peut être appréhendée comme un organ­isme biologique qui s’adapte en fonc­tion des con­traintes (stim­uli) amenées par son envi­ron­nement (milieu), tout en étant lui-même con­traint par sa struc­ture interne (com­po­si­tion). L’analo­gie peut être menée avec une organ­i­sa­tion subis­sant la pres­sion de son marché et de son envi­ron­nement et régu­lant sa struc­ture interne (son fonc­tion­nement) dans les lim­ites imposées par celle-ci (cf. fig­ure 2).

La gageure de toute organ­i­sa­tion devient alors d’adapter son fonc­tion­nement en interne, et par­fois même sa struc­ture, au rythme du marché et de l’en­vi­ron­nement. Le rythme de celle-ci est sou­vent plus lent que le rythme du marché. L’ex­em­ple de l’en­tité Sécu­rité Auto­mo­bile de la SNPE(2) a mon­tré récem­ment que les diver­si­fi­ca­tions réussies dans des métiers con­nex­es présen­tent un rythme plus rapi­de que le rythme nom­i­nal de l’en­tre­prise. Elles répon­dent en effet à une demande émer­gente du marché et elles appel­lent en con­séquence une organ­i­sa­tion différente.

Une pre­mière dif­fi­culté naît de cette dif­férence de rythme, tant il peut être dif­fi­cile ou impos­si­ble à une entre­prise indus­trielle de s’adapter suff­isam­ment rapi­de­ment. À sup­pos­er qu’elle ne fasse pas preuve d’une myopie dans la lec­ture de l’évo­lu­tion de son marché (par exem­ple Kodak avec les appareils numériques). Il suf­fit pour s’en con­va­in­cre de pren­dre le cas typ­ique d’une société con­fron­tée à une con­cur­rence accrue sur le délai de livrai­son de ses pro­duits et à une aug­men­ta­tion des mod­èles demandés par le marché : il y a fort à pari­er que les opéra­tions indus­trielles (pro­duc­tion, achats, livrai­son) n’ar­riveront pas à s’in­scrire dans ce nou­veau temps du marché. En par­ti­c­uli­er, l’ef­fort d’in­vestisse­ment à court terme en ressources humaines et finan­cières risque fort d’être rédhibitoire.

Une sec­onde dif­fi­culté tient à la recon­nais­sance de ce décalage de rythme et au néces­saire ajuste­ment qu’il requiert. Il est symp­to­ma­tique de con­stater à quel point le man­age­ment de nom­bre d’en­tre­pris­es peut se mépren­dre en pro­posant des solu­tions con­jonc­turelles aux prob­lèmes stratégiques que sont les évo­lu­tions fon­da­men­tales du fonc­tion­nement ou de la struc­ture de l’organisation.

Schéma des contraintes de l’entreprise

Quand faut-il remettre en cause une organisation ?

Il existe plusieurs sit­u­a­tions qui devraient déclencher sys­té­ma­tique­ment une inter­ro­ga­tion sur un éventuel décalage de rythme. La déci­sion de faire évoluer l’or­gan­i­sa­tion se prend générale­ment lors d’un redé­ploiement stratégique, d’un effort glob­al de réduc­tion des coûts, d’une recon­cep­tion de proces­sus, d’une inté­gra­tion de la Sup­ply Chain ou encore d’une réor­gan­i­sa­tion faisant suite à une acqui­si­tion ou une fusion. Un autre cas, plus rare car plus dif­fi­cile à dis­cern­er, tient à la prise de con­science d’une dérive his­torique du fonc­tion­nement de l’or­gan­i­sa­tion sous l’ef­fort des forces cen­trifuges du marché et de l’in­er­tie de la struc­ture organisationnelle.

Dans tous les cas, il s’ag­it d’align­er l’or­gan­i­sa­tion avec ses con­traintes externes, par la déf­i­ni­tion d’une vision et d’une mis­sion ten­ant compte des car­ac­téris­tiques de son marché, tout en ten­ant compte des con­traintes internes de la struc­ture. L’ef­fi­cac­ité se mesure par l’é­cart d’aligne­ment de l’or­gan­i­sa­tion actuelle avec les con­traintes extérieures. On peut ain­si visu­alis­er une organ­i­sa­tion comme une entité s’adap­tant régulière­ment à son marché et son envi­ron­nement. Dès lors que ceux-ci évolu­ent sig­ni­fica­tive­ment ou que l’on con­state une dérive dans le fonc­tion­nement, l’or­gan­i­sa­tion s’adapte au tra­vers de sa struc­ture, de ses proces­sus, de ses sys­tèmes de pilotage de la per­for­mance ou de son personnel.

Comment rendre une organisation efficace ?

Une dif­fi­culté sup­plé­men­taire appa­raît lors de l’aligne­ment, c’est-à-dire de la syn­chro­ni­sa­tion du rythme interne de l’or­gan­i­sa­tion au rythme externe du marché et de l’en­vi­ron­nement. Une méth­ode issue du con­seil opéra­tionnel3, dévelop­pée et éprou­vée à par­tir de pro­jets d’or­gan­i­sa­tion chez Alstom, SNPE, Aven­tis, Mon­tell et Bay­er, iden­ti­fie cinq étapes majeures au tra­vers desquelles se con­stru­it pro­gres­sive­ment l’ad­hé­sion du man­age­ment et du personnel.

L’analyse de l’or­gan­i­sa­tion actuelle iden­ti­fie avec les décideurs l’or­gan­i­sa­tion cible (struc­ture, proces­sus, sys­tèmes, per­son­nes), le temps et les ressources néces­saires au moyen de ques­tion­naires, d’in­ter­views et de bench­marks.

La créa­tion de la vision et du cap définit la mis­sion (sa rai­son d’être) et la vision (ce qu’elle veut être) de l’en­tre­prise, tout le reste leur étant sub­or­don­né. Le cap ain­si défi­ni guide l’en­tre­prise lors du change­ment et son per­son­nel s’y réfère en permanence.

La con­cep­tion de la nou­velle organ­i­sa­tion donne la struc­ture de haut niveau (organ­i­gramme, proces­sus, sys­tèmes) alignée à la vision, la mis­sion et aux car­ac­téris­tiques du marché comme un hybride de plusieurs alter­na­tives de con­cep­tion. Par exem­ple, deux équipes de con­cep­tion tra­vail­lent en con­cur­rence, l’une selon un critère de per­for­mance indus­trielle et l’autre selon un critère de max­imi­sa­tion des commandes.

Bien que ces critères soient en général antin­o­miques, la con­ver­gence for­cée de ces deux con­cep­tions abouti­ra à une organ­i­sa­tion équili­brée. Les choix de con­cep­tion seront en par­ti­c­uli­er étayés et dis­cutés, avec l’a­van­tage d’amen­er une néces­saire clarté et adhé­sion au sein des équipes et de réduire les zones d’om­bre et le non-dit qui pré­vaut sou­vent à la genèse des organisations.

Le choix du per­son­nel repose sur une méth­ode orig­i­nale focal­isée sur la per­for­mance démon­trée et le com­porte­ment qui atténue l’in­flu­ence des émo­tions, de la poli­tique et du poids hiérar­chique. Elle priv­ilégie la notion d’équipe dans l’af­fec­ta­tion des rôles aux per­son­nes plutôt que l’af­fec­ta­tion de tel ou tel rôle au super-man­ag­er parce qu’il ou elle l’a tou­jours tenu.

La mise en œuvre et l’in­stal­la­tion plan­i­fient le détail des actions de change­ment. Elles per­me­t­tent d’as­sur­er le bon déploiement et la péren­nité de la nou­velle organ­i­sa­tion en accom­pa­g­nant le change­ment à tous les niveaux. Le par­a­digme cartésien des entre­pris­es français­es en la matière a la vie dure et il n’est pas rare de s’ar­rêter à l’idée d’or­gan­i­sa­tion en ayant dess­iné les pre­miers niveaux. Or, comme l’a décou­vert récem­ment une divi­sion d’un grand motoriste européen, le fonc­tion­nement de la nou­velle organ­i­sa­tion ne sera viable que si elle a été présen­tée, dis­cutée et con­fron­tée au ter­rain. En un mot, unique­ment si elle a été accompagnée.

L’entreprise étendue et les entreprises du savoir

L’en­tre­prise indus­trielle con­sacre un mod­èle indus­triel ver­ti­cal qui s’éloigne de l’actuelle entre­prise éten­due. L’in­dus­trie auto­mo­bile pré­fig­ure ce type de nou­velle entre­prise avec ses sous-trai­tants de rang 1 (parte­naires) et plus. Dans cette entre­prise, l’or­gan­i­sa­tion se car­ac­térise par une grande per­méa­bil­ité avec le marché. La notion de client y est plus présente, le time to mar­ket devenant une vari­able stratégique ori­en­tant l’organisation.

L’en­tre­prise s’or­gan­ise autour de ses proces­sus clés, de sa chaîne de la valeur et de ses rela­tions avec le client. L’or­gan­i­sa­tion s’aplatit et une struc­ture matricielle ou plutôt pluridi­men­sion­nelle appa­raît qui sous-tend toute l’ac­tiv­ité. Les poids hiérar­chiques s’estom­pent au prof­it d’un fonc­tion­nement en réseau.

Cepen­dant l’en­tre­prise éten­due ne con­stitue qu’une étape vers les entre­pris­es du savoir4. Celles-ci recen­trent les entre­pris­es autour de leur cœur de méti­er, leurs activ­ités ou com­pé­tences stratégiques, en organ­isant l’en­tre­prise éten­due autour d’un noy­au cen­tral et d’un réseau de parte­naires et sous-trai­tants sur les dif­férentes étapes du cycle de vie d’un pro­duit ou d’un ser­vice (con­cep­tion, développe­ment, pro­duc­tion, livrai­son). Les ser­vices et l’im­matériel devi­en­nent les nou­veaux élé­ments à gérer.

Dans ces nou­veaux types d’en­tre­prise, l’ef­fi­cac­ité de l’or­gan­i­sa­tion repose sur les mêmes élé­ments du mod­èle de Cel­er­ant Con­sult­ing. Le poids des proces­sus et de la struc­ture évolue notable­ment. Le sys­tème de pilotage de ces entre­pris­es demande de la réac­tiv­ité et la con­nais­sance d’in­for­ma­tions de la part des parte­naires et des sous-trai­tants. La réac­tiv­ité et le rythme intrin­sèque de ces entre­pris­es requièrent un ERP liant toutes les com­posantes de l’or­gan­i­sa­tion et met­tant instan­ta­né­ment à dis­po­si­tion toutes les don­nées néces­saires à une prise de déci­sion rapide.

Conclusion

L’ef­fi­cac­ité d’une organ­i­sa­tion indus­trielle n’a rien d’im­mé­di­at, elle demande une vig­i­lance stratégique et opéra­tionnelle. Plus que l’art ou l’in­tu­ition de son man­ag­er, elle se fonde sur une tech­nique met­tant en adéqua­tion le fonc­tion­nement de l’or­gan­i­sa­tion à ses con­traintes externes tout en bâtis­sant au fur et à mesure les con­di­tions de l’ad­hé­sion de son personnel.

L’ef­fi­cac­ité de l’or­gan­i­sa­tion des entre­pris­es éten­dues, voire des entre­pris­es du savoir, obéit à des règles sim­i­laires si tant est que l’on s’in­téresse à l’en­tre­prise et à son réseau de parte­naires et de sous-traitants.

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1.
Selon la déf­i­ni­tion du dic­tio­n­naire, “la manière dont un ensem­ble quel­conque est con­sti­tué, réglé”.
2. Cf. “La SNPE ou l’his­torique d’une muta­tion du pub­lic au privé”, Philippe Chervi, Aero­nau­tique Busi­ness, 27 juin 2002, n° 83.
3. Cf. “L’ef­fi­cac­ité des organ­i­sa­tions, une tech­nique plus qu’un art”, Philippe Chervi, Aero­nau­tique Busi­ness, 26 sep­tem­bre 2002, n° 86 ;
“Le défi de la réduc­tion des coûts”, Philippe Chervi, Aero­nau­tique Busi­ness, 2 mai 2002, n° 79 ;
“Le con­seil opéra­tionnel, une révo­lu­tion cul­turelle au quo­ti­di­en”, Philippe Chervi, La Jaune et la Rouge, novem­bre 2002, p. 35–37.
4. Le Con­seil, Jean Simon­et, Jean-Pierre Bouchet et al, Édi­tions d’Or­gan­i­sa­tion, 2003.

Le site de Cel­er­ant Con­sult­ing est : http://www.celerant.cc

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