Éditorial (numéro 582, la confiance électronique)

Dossier : La confiance électroniqueMagazine N°582 Février 2003
Par Antoine HERMITE (93)

Par les temps de con­jonc­ture dif­fi­cile, le manque de con­fi­ance est invo­qué comme l’ex­pli­ca­tion majeure des dif­fi­cultés économiques, poli­tiques ou sociales. Les investis­seurs n’ont plus con­fi­ance dans les marchés. Les épargnants n’ont plus con­fi­ance dans les chefs d’en­tre­pris­es. La con­fi­ance des ménages est en chute donc ceux-ci ne con­som­ment plus. Les entre­pris­es n’ont plus con­fi­ance donc n’in­vestis­sent plus.

Dans une per­spec­tive plus philosophique et his­torique, Alain Peyr­e­fitte dans La société de con­fi­ance explique l’avène­ment de l’é­conomie cap­i­tal­iste mod­erne et le décol­lage asso­cié par l’étab­lisse­ment de la con­fi­ance. À côté des fac­teurs tra­vail et cap­i­tal il iden­ti­fie un “tiers fac­teur immatériel […] qui affecte d’un signe plus ou d’un signe moins les deux fac­teurs clas­siques tra­di­tion­nels”. Dans cette œuvre éthologique, il mon­tre la simul­tanéité de l’émer­gence de la con­fi­ance dans l’ini­tia­tive indi­vidu­elle tout d’abord puis dans l’en­vi­ron­nement économique au sens large, dans la “société ouverte” enfin, et le décol­lage économique. À l’in­verse il observe le défaut de con­fi­ance dans les pays qui ne se dévelop­pent pas. La cor­réla­tion entre taux de cor­rup­tion et indice de développe­ment est à cet égard très parlante.

De manière ana­logue, il est désor­mais clair que la rapid­ité et la péren­nité du décol­lage de l’é­conomie immatérielle sont con­di­tion­nées par l’émer­gence d’une con­fi­ance forte de ses acteurs. Cette con­fi­ance recou­vre des attentes très var­iées et par­fois con­tra­dic­toires : capac­ité à iden­ti­fi­er ses inter­locu­teurs mais aus­si capac­ité à être anonyme, capac­ité à con­serv­er des preuves des trans­ac­tions, mais aus­si garantie de ne pas être “tracé”.

La con­fi­ance n’est ni une foi aveu­gle bâtie seule­ment sur un mar­ket­ing effi­cace, ni une approche pure­ment tech­nique reposant sur des tech­niques cryp­tographiques com­plex­es. La con­fi­ance est un véri­ta­ble écosys­tème com­posé d’ac­teurs dis­posant de mar­ques inspi­rant une con­fi­ance plus ou moins forte, de cadres juridiques, de solu­tions tech­niques per­ti­nentes et pro­por­tion­nées, d’or­gan­i­sa­tions humaines (d’en­tre­pris­es ou d’ad­min­is­tra­tions) met­tant en œuvre ces sys­tèmes. Cet écosys­tème est en per­pétuelle adap­ta­tion pour répon­dre à son pro­pre cycle de vie et ou à des chocs extérieurs (le 11 sep­tem­bre est l’ex­em­ple le plus symp­to­ma­tique qui a créé une demande crois­sante dans la sécu­rité des sys­tèmes d’in­for­ma­tion et une vig­i­lance accrue dans le blanchi­ment par voie électronique).

Ce numéro de La Jaune et la Rouge a pour dou­ble objectif :

  • de met­tre en évi­dence les apports de la con­fi­ance élec­tron­ique dans une palette très large de secteurs de la vie économique et les enjeux qui leur sont propres ;
  • d’analyser l’alchimie spé­ci­fique qui dans cha­cun de ces cas per­met de bâtir cette confiance.


Le monde ban­caire a sans aucun doute eu un rôle précurseur. La général­i­sa­tion de la carte ban­caire sécurisée a per­mis de bat­tre en brèche le mono­pole de la con­fi­ance de la mon­naie papi­er (dite fidu­ci­aire — en latin fidu­cia sig­ni­fie con­fi­ance) : nous avons tous une con­fi­ance très forte dans cet out­il que nous util­isons désor­mais quotidiennement.

Notons au pas­sage que la con­fi­ance élec­tron­ique ne passe pas néces­saire­ment par Inter­net mais peut faciliter une trans­ac­tion dans une sit­u­a­tion de “con­tact physique” tel qu’un paiement dans un com­merce avec sa carte ban­caire, ou une con­sul­ta­tion avec les cartes Vitale et de pro­fes­sion­nel de san­té. L’étab­lisse­ment de la con­fi­ance reste un enjeu stratégique pour les ban­ques et est au cœur de leur méti­er. Les acteurs publics ont très large­ment saisi les enjeux : enjeux régaliens de sécu­rité, enjeux de pro­duc­tiv­ité interne, ou enjeux de développe­ment économique. Ils ont pris des ini­tia­tives fortes : que ce soit au niveau européen pour l’étab­lisse­ment de cadres adéquats ou au niveau nation­al avec de nom­breuses ini­tia­tives opéra­tionnelles qui répon­dent à des besoins des min­istères (tels que le min­istère des Finances) ou des organ­ismes soci­aux. Ces ini­tia­tives ont un effet d’en­traîne­ment impor­tant. Les four­nisseurs de ser­vices (tels que les opéra­teurs de télé­com­mu­ni­ca­tion), enfin, intè­grent ces élé­ments dans leur stratégie pour péren­nis­er puis élargir leurs sources de revenus.

Rares sont les secteurs qui ne sont pas intéressés par ces prob­lé­ma­tiques. La com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne, elle aus­si, est très large­ment con­cernée par ce sujet : soit en tant qu’u­til­isatrice, soit en tant que par­tie prenante à la mise en place de solu­tions (depuis la R & D en cryp­togra­phie jusqu’à la vente de ser­vices opéra­tionnels). Ce numéro don­nera un aperçu le plus riche pos­si­ble du sujet ou com­plétera les échanges qui ont déjà lieu au sein de la com­mu­nauté comme, par exem­ple, au sein du groupe X‑e-con­fi­ance.

Je remer­cie chaleureuse­ment les émi­nentes per­son­nal­ités qui ont bien voulu prêter leur con­cours à ce numéro et en par­ti­c­uli­er M. Fran­cis Mer, min­istre de l’É­conomie, des Finances et de l’In­dus­trie, M. Michel Pébereau, prési­dent-directeur général de BNP Paribas, et M. Jean-Paul Bail­ly, prési­dent de La Poste.

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