Michel Pébereau (61), président de BNP-Paribas

Pour une nouvelle étape de la construction européenne

Dossier : L'EuropeMagazine N°586 Juin/Juillet 2003
Par Michel PÉBEREAU (61)

La créa­tion de la mon­naie unique est un objec­tif de longue date de l’U­nion européenne. Elle a été reportée à plusieurs repris­es en rai­son des boule­verse­ments de l’é­conomie mon­di­ale provo­qués par les chocs pétroliers des années soix­ante-dix. Elle con­stitue une étape essen­tielle de la con­struc­tion européenne. L’eu­ro, déjà très présent pour les marchés, existe désor­mais aus­si pour l’homme de la rue. Il con­stitue une alter­na­tive poten­tielle au dol­lar comme mon­naie des échanges internationaux.

Mon­naie à part entière, il a créé en Europe une véri­ta­ble zone de sta­bil­ité : les dis­ci­plines néces­saires à la créa­tion de la mon­naie unique ont per­mis à l’Eu­rope de maîtris­er l’in­fla­tion, mal­adie endémique de la plu­part des pays mem­bres pen­dant les qua­tre décen­nies de l’après-guerre ; elles ont con­duit les États mem­bres à mieux gér­er leurs finances publiques, même si, en rai­son notam­ment de la con­jonc­ture actuelle, les déficits de cer­tains d’en­tre eux sont encore élevés ; il n’y a plus de crises moné­taires intra-européennes. Enfin, la zone euro s’est sub­sti­tuée aux dif­férents pays comme marché intérieur pour les entre­pris­es des dif­férents États mem­bres, en par­ti­c­uli­er dans le secteur indus­triel pour lequel l’in­té­gra­tion est plus anci­enne ; et cette dimen­sion nou­velle con­duit les groupes français et européens à dévelop­per des straté­gies ambitieuses à l’échelle du monde.

Mais la créa­tion de l’eu­ro n’est qu’une étape dans la con­struc­tion européenne. Pour relever les défis de la mon­di­al­i­sa­tion et de l’avenir, celle-ci doit aller plus loin. L’Eu­rope a la capac­ité de devenir un moteur de la crois­sance économique mon­di­ale : cela sup­pose qu’elle crée les con­di­tions de l’au­tonomie de sa régu­la­tion macroé­conomique et qu’elle assure l’in­té­gra­tion des marchés des cap­i­taux et du tra­vail à son échelle. Elle pour­rait dévelop­per un mod­èle d’é­conomie de marché indépen­dant et effi­cace. Cela sup­pose qu’elle se dote d’un véri­ta­ble pro­jet poli­tique. Dans cette per­spec­tive, notre pays doit plus que jamais assur­er la com­péti­tiv­ité de son espace national.

Assurer l’autonomie de la régulation macroéconomique en Europe

Si l’Eu­rope échappe désor­mais aux crises moné­taires internes provo­quées par les ralen­tisse­ments de la crois­sance économique mon­di­ale, elle n’est pas encore capa­ble de sup­pléer les États-Unis quand ceux-ci entrent en réces­sion et elle est forte­ment affec­tée par les fluc­tu­a­tions con­jonc­turelles out­re-Atlan­tique. Elle n’a pas vrai­ment la capac­ité de gér­er de façon rel­a­tive­ment autonome son cycle d’ac­tiv­ité. Cela lim­ite son influ­ence dans la vie économique internationale.

La péri­ode actuelle mon­tre la néces­sité de dis­pos­er en Europe de marges de manœu­vre en ter­mes de poli­tique macroé­conomique, de pol­i­cy-mix, afin d’at­ténuer les fluc­tu­a­tions con­jonc­turelles et de per­me­t­tre une capac­ité autonome de reprise.

Côté poli­tique moné­taire, la Banque cen­trale européenne est hand­i­capée, par rap­port à son homo­logue améri­caine, par son proces­sus de déci­sion et par son man­dat. La crédi­bil­ité qu’elle a acquise dans sa maîtrise de l’in­fla­tion devrait ren­dre pos­si­ble des réformes. Son proces­sus de déci­sion pour­rait ain­si être mod­i­fié pour lui per­me­t­tre une plus grande com­mu­ni­ca­tion et amélior­er les rela­tions avec les marchés.

Le mode de fonc­tion­nement actuel du Con­seil, qui est sans doute en grande par­tie fondé sur le con­sen­sus, explique peut-être la pru­dence mar­quée de la BCE qui con­traste avec la réac­tiv­ité de la Fed­er­al Reserve américaine.

Il con­viendrait aus­si de repenser le man­dat de la BCE. L’ob­jec­tif unique de sta­bil­ité des prix est étroit par rap­port à celui de la Banque cen­trale améri­caine. Il prive la zone euro d’un instru­ment macroé­conomique effi­cace pour faire face à des chocs symétriques, comme le ralen­tisse­ment économique mon­di­al. La Banque devrait avoir un objec­tif, sec­ondaire, de régu­la­tion de la crois­sance économique dans la zone, sans renon­cer pour autant à la pri­or­ité de son objec­tif de sta­bil­ité des prix.

Côté poli­tique budgé­taire, l’U­nion a prévu une procé­dure pour coor­don­ner les poli­tiques des États mem­bres face à des chocs symétriques ou asymétriques. Mais l’in­stru­ment budgé­taire du pol­i­cy-mix européen n’est pas aujour­d’hui vrai­ment opéra­tionnel. D’abord, le niveau des dépens­es publiques est trop élevé dans plusieurs pays impor­tants pour que les gou­verne­ments dis­posent de réelles marges de manœu­vre à cet égard. Le pla­fond de 3 % de PIB de déficit des admin­is­tra­tions publiques devrait ain­si être com­plété et ren­for­cé pour créer une vraie capac­ité de sou­tien de l’é­conomie en basse conjoncture.

Il con­viendrait en out­re d’as­sur­er une coor­di­na­tion effec­tive des poli­tiques budgé­taires des États mem­bres. La poli­tique budgé­taire d’un pays doit naturelle­ment avant tout être con­duite en fonc­tion et de la sit­u­a­tion économique et des pri­or­ités poli­tiques nationales. Mais, en cas de choc extérieur, seule une coor­di­na­tion effec­tive des poli­tiques budgé­taires peut per­me­t­tre une régu­la­tion effi­cace au niveau de l’U­nion. Cela sup­pose que l’ex­er­ci­ce des grandes ori­en­ta­tions de poli­tique économique du Con­seil Ecofin débouche sur des direc­tives pré­cis­es d’ap­pli­ca­tion rapide.

Il reste que l’U­nion ne pour­ra pas être effi­cace dans l’u­til­i­sa­tion de l’in­stru­ment budgé­taire tant que n’ex­is­tera pas, à son niveau, une capac­ité d’in­ter­ven­tion budgé­taire com­mu­nau­taire à des fins conjoncturelles.

Enfin, la ques­tion de la coor­di­na­tion des instru­ments budgé­taire et moné­taire reste posée. Elle devrait pou­voir se régler prag­ma­tique­ment, comme c’est le cas aux États-Unis et au Roy­aume-Uni, par des con­tacts directs et informels entre respon­s­ables. Mais cela sup­pose l’ex­is­tence d’un inter­locu­teur de la Banque cen­trale capa­ble d’in­flu­encer les poli­tiques budgé­taires au niveau de l’Union.

La créa­tion au niveau européen d’in­stru­ments effi­caces d’in­ter­ven­tion moné­taire et budgé­taire est néces­saire. L’ex­péri­ence des derniers ralen­tisse­ments de l’é­conomie et la sit­u­a­tion actuelle mon­trent à quel point une telle poli­tique est indis­pens­able non seule­ment pour per­me­t­tre à l’U­nion européenne de ne pas être dépen­dante du cycle économique améri­cain, mais aus­si pour dot­er l’é­conomie mon­di­ale d’un deux­ième moteur, aux côtés du moteur américain.

Améliorer les perspectives de croissance de l’espace européen, en réalisant l’intégration des marchés de capitaux et du travail

Ce moteur européen doit devenir au moins aus­si effi­cace que le moteur améri­cain. Or la prin­ci­pale faib­lesse de l’Eu­rope, par rap­port aux États-Unis, se situe au niveau des per­spec­tives de crois­sance : le taux de crois­sance poten­tielle à long terme améri­caine est en effet très supérieur au nôtre.

Pour amélior­er les per­spec­tives de crois­sance à long terme, il faut avant tout achev­er l’in­té­gra­tion de l’e­space européen. La libre cir­cu­la­tion des hommes et des cap­i­taux et leur mobil­i­sa­tion au ser­vice des poli­tiques de crois­sance per­me­t­traient une allo­ca­tion opti­male des fac­teurs de pro­duc­tion et aug­menteraient la capac­ité européenne de faire face aux chocs asymétriques.

Des études récentes réal­isées pour le compte de la Com­mis­sion européenne et de la Table ronde européenne sur les ser­vices financiers (EFR) ont ain­si mis en évi­dence que la pour­suite de l’in­té­gra­tion des marchés financiers de détail pour­rait entraîn­er des gains poten­tiels de 0,7 % du PIB de l’U­nion ou bien qu’un marché unique des valeurs mobil­ières et un meilleur accès au marché pour­raient entraîn­er une hausse de 1,1 % du PIB de l’U­nion au cours de la prochaine décennie.

Depuis l’in­tro­duc­tion de l’eu­ro, on peut con­sid­ér­er qu’il existe un marché européen des cap­i­taux. Mais ce marché est frag­men­té et la cap­i­tal­i­sa­tion bour­sière totale est lim­itée par rap­port au niveau atteint aux États-Unis. L’in­té­gra­tion com­plète du marché des cap­i­taux sup­pose, au-delà des ques­tions fis­cales, une har­mon­i­sa­tion des régle­men­ta­tions et des mécan­ismes nationaux de con­trôle et de régu­la­tion, qui pour­rait débouch­er, à terme, sur la mise en place d’in­sti­tu­tions européennes dans ce domaine, à l’im­age du sys­tème européen de Ban­ques cen­trales. Une telle évo­lu­tion accélér­erait le mou­ve­ment de créa­tion d’un large marché d’ac­tions. La mise en œuvre des recom­man­da­tions du rap­port Lam­falussy con­stitue une pre­mière et impor­tante étape.

L’in­té­gra­tion des marchés de cap­i­taux passe sans doute par l’eu­ropéani­sa­tion des groupes de ser­vices financiers. L’élim­i­na­tion des régle­men­ta­tions nationales archaïques, l’har­mon­i­sa­tion des normes pru­den­tielles qui est déjà bien engagée et celle des dis­posi­tifs très dis­parates de pro­tec­tion des con­som­ma­teurs qui reste entière­ment à réalis­er sont à cet égard indis­pens­ables. Elles devraient per­me­t­tre de lancer le mou­ve­ment de restruc­tura­tions trans­frontal­ières de l’in­dus­trie ban­caire européenne, qui facilit­erait l’u­ni­fi­ca­tion du marché des capitaux.

Les obsta­cles struc­turels à la réal­i­sa­tion d’un marché du tra­vail européen sont con­sid­érables : la diver­sité des langues et des cul­tures n’est pas le moin­dre. Et pour­tant le marché européen ne sera véri­ta­ble­ment inté­gré que lorsque la cir­cu­la­tion des tra­vailleurs dans l’U­nion aura acquis une cer­taine ampleur. Pour y par­venir, il faut com­mencer par lever cer­tains obsta­cles diri­mants, par exem­ple en assur­ant des ” passerelles ” entre les sys­tèmes de retraite des dif­férents pays et une recon­nais­sance effec­tive, dans tous les métiers, non seule­ment des diplômes nationaux, mais aus­si des qualifications.

Enfin, l’un des grands défis aux­quels l’Eu­rope va devoir faire face au cours des années à venir est l’évo­lu­tion défa­vor­able de sa démo­gra­phie : les per­spec­tives de crois­sance européennes peu­vent se trou­ver affec­tées à la fois par l’in­suff­i­sance des forces de tra­vail disponibles et par les charges qui pèseront sur les act­ifs du fait du poids de la pop­u­la­tion âgée.

Il faut donc relever les taux d’emploi en Europe : l’ob­jec­tif de dépass­er le seuil de 65 % de la pop­u­la­tion en âge de tra­vailler en 2005 et de s’ap­procher de 70 % en 2010 a été retenu à ce titre au som­met de Lis­bonne pour l’ensem­ble de l’U­nion. Il faut, pour ce faire, provo­quer une cer­taine con­ver­gence des régle­men­ta­tions du tra­vail et des poli­tiques de l’emploi.

Il est en out­re prob­a­ble qu’il fau­dra tôt ou tard envis­ager une poli­tique européenne de l’im­mi­gra­tion ciblée dans les secteurs où la main-d’œu­vre européenne fait défaut. Il serait enfin urgent d’en­cour­ager une natal­ité faib­lis­sante, en s’es­sayant de s’at­ta­quer à ses caus­es, afin de lim­iter l’ag­gra­va­tion, aujour­d’hui plau­si­ble, de la sit­u­a­tion dans la trentaine d’an­nées à venir.

Quant à la charge finan­cière induite par l’ag­gra­va­tion du déséquili­bre entre act­ifs et retraités, il est indis­pens­able de s’employer à la réduire en réfor­mant les régimes de retraite par répartition.

Il faut, par­al­lèle­ment, encour­ager la mise en place de sys­tèmes com­plé­men­taires de capitalisation.

Un modèle européen d’économie de marché original et efficace

Le défi pour l’Eu­rope est de savoir créer un mod­èle spé­ci­fique d’é­conomie de marché, fondé sur les valeurs d’hu­man­isme et de sol­i­dar­ité pro­pres à notre con­ti­nent, capa­ble de con­cur­rencer le mod­èle améri­cain et de péren­nis­er ces valeurs. Une régu­la­tion macroé­conomique plus autonome par rap­port aux États-Unis, une inté­gra­tion ren­for­cée des marchés des biens, des ser­vices, des cap­i­taux et du tra­vail con­cour­ront notam­ment à cet objec­tif essen­tiel. Mais l’Eu­rope doit aus­si se préoc­cu­per de pro­pos­er un mod­èle effi­cace, qui per­me­tte d’at­tir­er les tal­ents et les cap­i­taux et ren­force ain­si les per­spec­tives de crois­sance à long terme.

Le mod­èle européen doit com­porter une part impor­tante de sol­i­dar­ité : l’é­d­u­ca­tion, la san­té, les pro­tec­tions con­tre la vieil­lesse, le chô­mage, l’in­va­lid­ité, la dépen­dance doivent relever de sys­tèmes de finance­ment traduisant cette sol­i­dar­ité. En out­re, le lien entre l’en­tre­prise et ses salariés est plus solide en Europe que dans le mod­èle améri­cain : sa rup­ture doit être entourée de cer­taines précautions.

Tout cela a néces­saire­ment un prix, en ter­mes de prélève­ments oblig­a­toires et de redis­tri­b­u­tion. Ce prix n’af­fectera pas la com­péti­tiv­ité du mod­èle européen si les domaines pour lesquels l’Eu­rope décide d’as­sur­er cette sol­i­dar­ité spé­ci­fique sont bien défi­nis et si les mécan­ismes cor­re­spon­dants sont gérés avec économie et effi­cac­ité. Et l’ex­is­tence de ces mécan­ismes peut créer, au sein des entre­pris­es européennes comme de l’e­space européen, des formes de con­sen­sus et d’en­gage­ment, une effi­cac­ité des tra­vailleurs, qui peu­vent être attrayantes pour la local­i­sa­tion des activ­ités productrices.

Mais, pour cela, le mod­èle européen doit être effi­cace, notam­ment dans son sys­tème public.

L’Eu­rope insti­tu­tion­nelle a été créée par super­po­si­tion à la struc­ture des États mem­bres. Ses insti­tu­tions et ses inter­ven­tions, venant s’a­jouter à celles des États, créent une sit­u­a­tion décon­cer­tante pour les entre­pris­es. Il faut sim­pli­fi­er la régle­men­ta­tion européenne, appli­quer le principe de sub­sidiar­ité et débureaucratiser.

La sim­pli­fi­ca­tion de la régle­men­ta­tion européenne exige l’har­mon­i­sa­tion des dis­po­si­tions nationales exis­tantes, et non leur dupli­ca­tion, comme l’a recon­nu le Con­seil européen de Lis­bonne. Il faut réex­am­in­er inter­ac­tions et respon­s­abil­ités respec­tives des États, régions et insti­tu­tions européennes à par­tir du principe de “sub­sidiar­ité”. Les retards dans la trans­po­si­tion des direc­tives européennes et les nom­breux con­tentieux juridiques entre Com­mis­sion et Cour de jus­tice d’une part, entre États d’autre part, témoignent d’un flou exces­sif dans le jeu lég­is­latif et régle­men­taire européen. Il serait en out­re souhaitable de mieux associ­er les acteurs économiques et soci­aux directe­ment con­cernés par ces questions.

Avec l’élar­gisse­ment, l’ex­i­gence d’u­na­nim­ité au Con­seil va con­stituer un obsta­cle de plus en plus impor­tant pour le proces­sus de décision.

Le vote à la majorité qual­i­fiée devra pro­gres­sive­ment s’im­pos­er comme la règle, en com­mençant pri­or­i­taire­ment par les man­dats de poli­tique com­mer­ciale et la ques­tion de l’har­mon­i­sa­tion fis­cale au sein de l’Union.

La nécessité d’un projet politique européen et d’une Europe active

Créer un mod­èle spé­ci­fique d’é­conomie de marché est un défi à la portée de l’Eu­rope au moment où la Chine, pour­tant très décalée en ter­mes de développe­ment, s’emploie à définir son pro­pre mod­èle. Mais c’est un défi qui appelle un appro­fondisse­ment poli­tique de l’U­nion européenne, parce que les per­spec­tives de son élar­gisse­ment créent des risques de dilu­tion de son iden­tité, parce qu’un tel appro­fondisse­ment con­di­tionne la pos­si­bil­ité de réalis­er les pro­grès néces­saires dans la régu­la­tion macroé­conomique, dans l’in­té­gra­tion des marchés et dans la sim­pli­fi­ca­tion des régle­men­ta­tions et des proces­sus de décision.

Bien que la con­struc­tion européenne se soit jusqu’à présent con­cen­trée sur la sphère économique, la nou­velle étape doit donc néces­saire­ment com­porter un impor­tant pro­grès de l’u­nion politique.

La sphère poli­tique n’a pas con­nu la même évo­lu­tion que le monde des entre­pris­es, et la con­struc­tion européenne, en ter­mes de struc­tures poli­tiques et admin­is­tra­tives, appa­raît comme super­posée aux États nationaux.

La créa­tion de l’eu­ro con­duit logique­ment à une plus forte inté­gra­tion poli­tique de l’Eu­rope. Pour définir une poli­tique européenne de régu­la­tion macroé­conomique, il faut trou­ver pour la poli­tique budgé­taire un inter­locu­teur européen au respon­s­able de la Banque cen­trale européenne. Une meilleure coor­di­na­tion et un meilleur con­trôle des poli­tiques budgé­taires nationales sup­poseraient égale­ment qu’une nou­velle dimen­sion poli­tique soit don­née aux insti­tu­tions com­pé­tentes : le bud­get est en effet, en démoc­ra­tie, l’acte poli­tique majeur.

De même, les pro­grès à réalis­er pour créer un véri­ta­ble marché du tra­vail européen sup­posent une respon­s­abil­ité poli­tique au niveau de l’Eu­rope. Quant à la déf­i­ni­tion d’un mod­èle européen d’é­conomie de marché, elle implique une réflex­ion et des choix qui relèvent à l’év­i­dence du politique.

Enfin, l’élar­gisse­ment annon­cé de l’U­nion va com­plète­ment trans­former les insti­tu­tions et néces­site de chang­er les instances et les proces­sus de déci­sion beau­coup plus pro­fondé­ment que ne l’a prévu le traité de Nice.

L’Eu­rope va devoir chang­er, acquérir une véri­ta­ble dimen­sion poli­tique. Au demeu­rant, l’ex­is­tence de l’Eu­rope en tant que telle appa­raît de plus en plus néces­saire dans la vie économique et poli­tique internationale.

L’ex­péri­ence des négo­ci­a­tions inter­na­tionales dans le cadre du GATT, puis de l’OMC, a démon­tré l’ef­fi­cac­ité d’une représen­ta­tion de l’Eu­rope, en lieu et place des États mem­bres, pour la défense des intérêts communs.

Un suc­cès de Valéry Gis­card d’Es­taing et de la Con­ven­tion de réforme des insti­tu­tions européennes per­me­t­trait de créer les fonde­ments du pro­jet d’U­nion poli­tique aujour­d’hui indispensable.

Le défi pour la France : assurer la compétitivité du “site” national

Plus avancera l’in­té­gra­tion du marché européen, plus les entre­pris­es et les par­ti­c­uliers les plus mobiles auront ten­dance à choisir leur local­i­sa­tion au sein de l’e­space européen en fonc­tion de leurs intérêts, met­tant ain­si en com­péti­tion les dif­férents ter­ri­toires nationaux au sein de l’e­space européen.

Le site France dis­pose d’atouts naturels ou struc­turels impor­tants dans cette com­péti­tion. Il est, au cen­tre de l’Eu­rope, riche d’un réseau très dense d’in­fra­struc­tures effi­caces. Les Français béné­fi­cient d’une édu­ca­tion de qual­ité ; ils savent tra­vailler beau­coup et bien. Enfin, la France a une longue tra­di­tion d’im­mi­gra­tion et d’in­té­gra­tion pour tous les peu­ples d’Eu­rope occi­den­tale. Ces atouts se traduisent aujour­d’hui encore par des flux impor­tants d’in­vestisse­ments, directs et de porte­feuille, vers notre pays.

Pour­tant, notre ter­ri­toire nation­al a vu, ces dernières années, sa com­péti­tiv­ité se détéri­or­er, notam­ment du fait de hand­i­caps fis­caux et régle­men­taires. Le niveau élevé des prélève­ments oblig­a­toires, en par­ti­c­uli­er pour les entre­pris­es et pour les per­son­nes physiques dis­posant de pat­ri­moines ou de revenus élevés, c’est-à-dire pour les redev­ables les plus à même de choisir leur local­i­sa­tion dans l’e­space européen, l’emprise des régle­men­ta­tions, en par­ti­c­uli­er de la régle­men­ta­tion du tra­vail, le faible taux d’ac­tiv­ité des tra­vailleurs français et l’im­por­tance du chô­mage struc­turel, le poids des admin­is­tra­tions publiques sont autant de fac­teurs qui affectent la com­péti­tiv­ité du ter­ri­toire français au sein de l’U­nion européenne. Ils appel­lent par con­séquent un réex­a­m­en de la place de la dépense publique dans la richesse nationale et une réforme des admin­is­tra­tions et des inter­ven­tions publiques.

Le suc­cès de l’eu­ro appelle une nou­velle étape de la con­struc­tion européenne. Au demeu­rant, les per­spec­tives d’élar­gisse­ment risquent de con­duire à une dilu­tion de l’U­nion européenne en vaste zone de libre-échange s’il ne s’ac­com­pa­gne pas, comme les élar­gisse­ments précé­dents, d’un appro­fondisse­ment créa­teur de sol­i­dar­ités accrues. Le nou­veau pro­jet européen doit être l’oc­ca­sion de dot­er l’Eu­rope d’une véri­ta­ble autonomie con­jonc­turelle par rap­port aux États-Unis, par le ren­force­ment de ses instru­ments de réglage macroé­conomique, et d’amélior­er la com­péti­tiv­ité de son économie par rap­port à l’é­conomie améri­caine. C’est aus­si l’oc­ca­sion de définir un mod­èle européen d’é­conomie de marché effi­cace et orig­i­nal par son con­tenu human­iste, cul­turel et de sol­i­dar­ité. Mais il s’ag­it là, à l’év­i­dence, d’un pro­jet poli­tique qui implique une ambi­tion nou­velle pour l’Union.

À l’heure de la mon­di­al­i­sa­tion, une com­péti­tion se pré­pare, à l’échelle plané­taire, entre dif­férents mod­èles d’é­conomie de marché : le mod­èle améri­cain sera con­fron­té à la con­cur­rence du mod­èle chi­nois, du mod­èle indi­en, du mod­èle japon­ais ; mais son prin­ci­pal com­péti­teur devrait être le mod­èle européen.

L’Eu­rope et la France ont une for­mi­da­ble carte à jouer. L’en­jeu est sans doute l’avenir d’une civil­i­sa­tion européenne originale.

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