Bien s’informer en respectant l’éthique

Dossier : L'Intelligence économiqueMagazine N°640 Décembre 2008
Par Jean-Pierre BOUYSSONNIE (39)

Les com­mis­sions sur des grands contrats ont exis­té de longue date, ser­vant à rému­né­rer des inter­mé­diaires étran­gers jouant un rôle réel dans la conclu­sion des grands mar­chés inter­na­tio­naux. Ce phé­no­mène avait tou­jours existé.

REPÈRES
Jean-Pierre Bouys­son­nie a diri­gé une socié­té de taille inter­na­tio­nale qui expor­tait beau­coup dans des domaines d’État , du mili­taire à la télé­vi­sion. Il s’est trou­vé obser­va­teur d e faits qu’il convient de poin­ter, d’encadrer et de limi­ter autant que possible.

Lorsque j’é­tais en fonc­tion, comme PDG de Thom­son, ma règle était de res­pec­ter la loi, qui à l’é­poque auto­ri­sait ces com­mis­sions, à condi­tion de les décla­rer au minis­tère des Finances. Je me sou­viens que, tous les mois, j’a­vais une séance de tra­vail avec les douanes où j’in­di­quais les com­mis­sions ver­sées à l’é­tran­ger, com­bien et à qui. Notre règle était de jouer la trans­pa­rence vis-à-vis des pou­voirs publics. La plu­part des pays, jusque dans les années 1970, auto­ri­saient les com­mis­sions, cha­cun avec une régle­men­ta­tion qui lui était propre. La France, avec son sys­tème de décla­ra­tion aux pou­voirs publics, pas­sait plu­tôt pour un bon élève, évi­tant les dérives de pays où l’en­ca­dre­ment était moindre.

Dans les années 1980 et 1990, un mou­ve­ment géné­ral a inter­dit ces com­mis­sions dans un grand nombre de pays. Il deve­nait impor­tant que ces com­mis­sions soient alors inter­dites par­tout, que la com­pé­ti­tion éco­no­mique reste équi­li­brée et en revienne à l’es­sen­tiel, c’est-à-dire le rap­port qua­li­té-prix des pro­duits et des services.

Le bon pro­duit au bon moment
La veille tech­no­lo­gique ne per­met pas de tout pré­voir, mais per­met de réduire les aléas, et de retom­ber sur ses jambes lors­qu’une oppor­tu­ni­té se dégage enfin. À titre d’exemple, le labo­ra­toire cen­tral de recherche de Thom­son avait déve­lop­pé, dans les années 1970, une tech­no­lo­gie de lec­ture laser qui cor­res­pon­dait au mar­ché alors pres­sen­ti du vidéo­disque, qui n’a pas per­cé à l’é­poque, mais qui a été uti­li­sée dix ans plus tard pour les disques musi­caux. La veille des mar­chés et des consom­ma­teurs n’a­vait pas pu situer l’ar­ri­vée loin­taine des DVD, qui n’exis­taient pas encore, mais la veille tech­no­lo­gique avait tou­te­fois bien anti­ci­pé le poten­tiel glo­bal du cré­neau des sys­tèmes de lec­ture laser. Depuis, les bre­vets cor­res­pon­dants ont rap­por­té plu­sieurs mil­liards de francs à Thomson.

Les rétrocommissions

Les réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions, d’eau, de trans­port et plus géné­ra­le­ment d’in­fra­struc­tures lourdes, au même titre que l’ar­me­ment, font par­tie des « grands contrats » les plus expo­sés aux com­mis­sions occultes et rétro­com­mis­sions, avec leur pano­plie com­pro­met­tante de socié­tés-écrans, fausses fac­tures et relais par des para­dis fiscaux.
Il n’est pas rare que les sommes concer­nées sur ces appels d’offres à l’étranger oscil­lent entre 5 et 10 % du mon­tant du contrat. Pour­cen­tage à consi­dé­rer comme une moyenne dans les pays où ces pra­tiques sont cou­rantes, qui consti­tue une moyenne plus hélas qu’un maxi­mum, inexis­tant en la matière.

Les entre­prises auraient dû s’a­li­gner sur ce sys­tème plus ver­tueux, dès lors qu’il était res­pec­té par tous les com­pé­ti­teurs. Mais est appa­ru dans les années 1980 le phé­no­mène des rétro­com­mis­sions, méca­nisme per­met­tant de rétro­cé­der une part à des tiers, sou­vent des inter­mé­diaires du pays four­nis­seur, n’ayant rien à voir avec le contrat lui-même. L’af­faire des fré­gates de Taï­wan a été emblé­ma­tique de ce phé­no­mène. Sou­li­gnons à nou­veau que ces rétro­com­mis­sions sont tota­le­ment en dehors du com­merce inter­na­tio­nal, car elles servent des béné­fi­ciaires qui n’ont géné­ra­le­ment rien à voir avec ces ventes. C’est une per­ver­sion du rôle d’une entre­prise, dont la fonc­tion n’est pas de dis­tri­buer des sub­sides. Il y a eu un règne de lais­ser-aller, où l’on a cou­vert ces dérives.

Revenir à des bases saines

L’in­tel­li­gence éco­no­mique doit reve­nir à des bases saines, orien­tées vers la capa­ci­té à bien s’in­for­mer et prendre de bonnes déci­sions. Dans l’in­dus­trie, l’es­sen­tiel repose sur la notion de pro­duit. Une socié­té vaut par les pro­duits qu’elle étu­die ou vend, qu’il s’a­gisse de biens maté­riels ou de ser­vices. Il faut qu’ils se vendent, donc qu’ils cor­res­pondent à des besoins. Ce qui implique une capa­ci­té d’être bien infor­mé des attentes des clients potentiels.

Chaque fois que j’a­vais une séance de tra­vail avec une filiale ou une divi­sion, mes ques­tions prio­ri­taires concer­naient leurs pro­duits. Et tout se dérou­lait autour de ce point : étude de mar­ché, étude tech­nique, etc. Les entre­prises oublient trop sou­vent aujourd’­hui cette notion.

Je retrouve cette dérive dans le mana­ge­ment des finan­ciers qui dirigent les entre­prises en rai­son­nant fré­quem­ment exclu­si­ve­ment sur le court terme. Les finan­ciers cherchent à avoir des résul­tats rapides, alors que sou­vent il faut dix ans pour sor­tir un pro­duit sophis­ti­qué. Un grand radar néces­site des années d’é­tudes et d’essai.

Lorsque je diri­geais Thom­son, j’ac­cor­dais une grande impor­tance au fait que chaque filiale ou divi­sion ait un ser­vice tech­nique qui regarde le court terme et le moyen terme, avec en plus au niveau cen­tral un ser­vice tech­nique géné­ral qui oeuvre sur le long terme, et un direc­teur géné­ral de la recherche pour pilo­ter ce tra­vail. Dans ce cadre, la veille s’im­pose pour avoir au bon moment le bon produit. 

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