Galileo, un outil stratégique au service de l’Europe

Dossier : Navigation par satelliteMagazine N°594 Avril 2004
Par Bruno SAINJON (82)
Par Benoît HANCART (87)

L’U­nion européenne ne pou­vait rester absente de ce qui appa­raît d’ores et déjà comme l’un des prin­ci­paux secteurs indus­triels du xxie siè­cle et dépen­dre de sys­tèmes ou de tech­nolo­gies élaborés en dehors de l’Eu­rope, notam­ment pour nom­bre d’ap­pli­ca­tions vitales au fonc­tion­nement de la société de demain.

Galileo, out­il de sou­veraineté de l’U­nion européenne, révèle des enjeux dépas­sant le seul cadre de la poli­tique com­mu­nau­taire des trans­ports, pilotes actuels de ce pro­gramme. En par­ti­c­uli­er, Galileo ne peut se con­cevoir sans la prise en compte d’en­jeux de sécu­rité nationale, de défense et de poli­tique étrangère, et c’est d’ailleurs la rai­son pour laque­lle en France le min­istère des Trans­ports, pilote de ce dossier, a pris soin de s’en­tour­er d’ex­perts des min­istères des Affaires étrangères, de la Défense, de la Recherche (y com­pris ceux du CNES)… et du SGDN.

Un programme aux enjeux de sécurité dépassant le domaine des transports

Les sys­tèmes de radion­av­i­ga­tion par satel­lite actuelle­ment opéra­tionnels, le GPS améri­cain et le GLONASS russe, ou qui le seront dans le futur, Galileo en par­ti­c­uli­er, en four­nissant gra­tu­ite­ment et sans con­trôle d’ac­cès des infor­ma­tions de posi­tion­nement très pré­cis­es, sont un ” mul­ti­pli­ca­teur de force ” pour les sys­tèmes d’armes ” bas coûts ” tels que les mis­siles ou les avions sans pilote. En com­plé­ment ou à la place des clas­siques sys­tèmes de nav­i­ga­tion iner­tielle, la radion­av­i­ga­tion par satel­lite accroît la pré­ci­sion de nav­i­ga­tion de ces sys­tèmes d’armes d’un fac­teur 10 à 100, leur con­férant ain­si des capac­ités de frappes d’une pré­ci­sion redoutable.

En con­séquence, si la radion­av­i­ga­tion par satel­lite représente un for­mi­da­ble poten­tiel pour toutes les appli­ca­tions de trans­port de la vie courante, elle peut con­stituer aus­si une véri­ta­ble men­ace pour les intérêts de leurs pro­mo­teurs, à savoir, pour Galileo, les États mem­bres de l’U­nion européenne et de l’A­gence spa­tiale européenne, si des util­isa­teurs mal­in­ten­tion­nés y accè­dent égale­ment de façon incontrolée.

Le con­trôle des infor­ma­tions de posi­tion­nement très pré­cis­es délivrées par ces sys­tèmes con­stitue pour ces États une respon­s­abil­ité, sinon une injonc­tion, de sécu­rité nationale qui se cristallise dans la capac­ité de pou­voir maîtris­er l’usage de l’in­for­ma­tion et d’être à même de :

  • dénier l’ac­cès au sys­tème à des util­isa­teurs mal­in­ten­tion­nés sus­cep­ti­bles de men­er des actions malveil­lantes con­tre des intérêts européens et alliés. Ces actions peu­vent être des actions ter­ror­istes néces­si­tant un haut niveau de pré­ci­sion de nav­i­ga­tion, ou des actions mil­i­taires advers­es qui, par essence, requièrent une util­i­sa­tion de moyens de nav­i­ga­tion les plus per­for­mants possibles ;
     
  • garan­tir la con­ti­nu­ité de ser­vice au prof­it d’ap­pli­ca­tions gou­verne­men­tales, mil­i­taires, de main­tien de l’or­dre, de sec­ours…, par un sig­nal suff­isam­ment robuste vis-à-vis du leur­rage et du brouil­lage. Ce sig­nal doit pou­voir per­dur­er en cas de crise sans dépen­dre d’un autre sys­tème ou du bon vouloir d’un État tiers.


Le déni d’ac­cès se traduit par l’ap­pli­ca­tion d’un con­cept inter­al­lié (OTAN) dit de guerre de l’in­for­ma­tion de la nav­i­ga­tion (NAVWAR), con­sis­tant à brouiller les sig­naux ” grand pub­lic ” de radion­av­i­ga­tion par satel­lite, tout en préser­vant les sig­naux gouvernementaux.

Garan­tir la con­ti­nu­ité de ser­vice implique l’u­til­i­sa­tion de sig­naux spé­ci­fiques à accès con­trôlé par dis­posi­tif de cryp­togra­phie pour éviter tout leur­rage (sub­sti­tu­tion d’une infor­ma­tion erronée à la véri­ta­ble infor­ma­tion) et toute com­pro­mis­sion (accès par un util­isa­teur non autorisé). En out­re, ces sig­naux doivent présen­ter une cer­taine robustesse vis-à-vis du brouil­lage (neu­tral­i­sa­tion de la récep­tion par émis­sion d’un sig­nal enne­mi saturant).

La prise en compte des impérat­ifs de sécu­rité se traduit pour Galileo par la four­ni­ture d’un ser­vice sécurisé, le PRS1, et la mise en place d’une struc­ture opéra­tionnelle de ges­tion et de con­trôle du système.

La mise en place d’un niveau de sécuri­sa­tion élevé pour Galileo2 con­stitue un fonde­ment essen­tiel de la légitim­ité à la fois stratégique et économique du programme.

Sur le plan stratégique, compte tenu de l’es­sor de l’u­til­i­sa­tion de la radion­av­i­ga­tion par satel­lite, une telle sit­u­a­tion entraîn­erait une dépen­dance totale des out­ils de sou­veraineté de l’U­nion européenne vis-à-vis des États-Unis qui con­trô­lent mil­i­taire­ment le GPS, d’au­tant plus que les ser­vices gou­verne­men­taux, poten­tielle­ment grands util­isa­teurs de la radion­av­i­ga­tion par satel­lite, n’au­raient plus aucun intérêt à utilis­er Galileo pour les raisons d’ab­sence de garantie de con­ti­nu­ité de ser­vice évo­quées précédem­ment. Les forces armées de l’U­nion européenne et de l’OTAN, dont la France, con­tin­ueraient ain­si à utilis­er exclu­sive­ment les sig­naux GPS mil­i­taires.

Sur le plan économique, et con­séquem­ment indus­triel, une telle sit­u­a­tion met­trait vraisem­blable­ment à mal la crédi­bil­ité du sys­tème et vouerait sa com­mer­cial­i­sa­tion à l’échec. Seul un niveau de per­for­mance et de con­ti­nu­ité du ser­vice PRS au moins équiv­a­lent à son pen­dant améri­cain est capa­ble de sus­citer l’in­térêt, d’une part de ses poten­tiels util­isa­teurs, en par­ti­c­uli­er les défens­es européennes, et d’autre part des futurs con­ces­sion­naires du sys­tème Galileo. En out­re, il appa­raît aujour­d’hui qu’une source non nég­lige­able des revenus issus de l’ex­ploita­tion de Galileo sera la vente, aux util­isa­teurs gou­verne­men­taux intéressés, de sys­tèmes de nav­i­ga­tion basés sur le ser­vice PRS.

En cohérence avec les enjeux de sécu­rité et de sou­veraineté de l’U­nion européenne, la sécuri­sa­tion du sys­tème con­stitue une des clefs de la réus­site de Galileo.

Au-delà du pro­gramme Galileo, la sen­si­bil­ité de la plu­part des États européens sur ces ques­tions de sécu­rité nationale liées à la radion­av­i­ga­tion par satel­lite s’est déjà traduite, pour gér­er les cas GPS et GLONASS, par l’adop­tion de divers­es dis­po­si­tions de con­trôle des tech­nolo­gies afférentes à ces sys­tèmes, telles que celles des récep­teurs asso­ciés, inclus­es dans des régle­men­ta­tions inter­na­tionales trai­tant des biens à dou­ble usage (arrange­ment de Wasse­naar) ou du con­trôle des tech­nolo­gies entrant dans la con­fec­tion des mis­siles (MTCR)3.

Un programme répondant à des besoins gouvernementaux de sécurité et de défense

Galileo au service de la police, des douanes et de la protection civile

Par­mi les admin­is­tra­tions français­es, des besoins ont été poten­tielle­ment recen­sés au niveau des forces de police nationales et locales, de la sécu­rité civile et des forces armées, et des analy­ses se pour­suiv­ent pour exam­in­er l’in­térêt éventuel d’autres admin­is­tra­tions (douanes, etc.).

Au niveau des forces de police nationales et locales, on con­state un besoin crois­sant en ter­mes de capac­ité de posi­tion­nement pré­cis et instan­ta­né. L’idée générale est que les policiers, soumis à des agres­sions de plus en plus vio­lentes et fréquentes, puis­sent activ­er la fonc­tion d’alerte d’un récep­teur pour indi­quer leur posi­tion au cen­tre de com­man­de­ment et recevoir ain­si des renforts.

Un nou­veau matériel de radio­com­mu­ni­ca­tion des­tiné aux forces de police est en cours de développe­ment, et l’in­tro­duc­tion d’un récep­teur de sig­naux de local­i­sa­tion et de nav­i­ga­tion y est envis­agée. Le sig­nal ouvert du GPS reste la seule oppor­tu­nité ouverte à court terme. En revanche, dans sept ou huit ans, les sig­naux de Galileo devraient fournir une redon­dance et un ser­vice bien plus robuste. Étant don­né qu’en zone urbaine les bâti­ments réduisent la ” vis­i­bil­ité ” directe des satel­lites, l’ef­fi­cac­ité du GPS restera tou­jours lim­itée, tan­dis que la com­bi­nai­son des deux sys­tèmes, met­tant en jeu près d’une soix­an­taine de satel­lites, per­me­t­trait d’as­sur­er un ser­vice d’une fia­bil­ité bien plus grande.

Plus impor­tant encore, la mise à dis­po­si­tion du sig­nal PRS aiderait les forces de police à réus­sir des mis­sions plus com­plex­es. Le PRS ouvre en effet la voie à de nom­breuses appli­ca­tions nouvelles :

  • créa­tion d’un déni local de ser­vice pour les sig­naux à accès ouvert de façon à ce que les util­isa­teurs du PRS aient un moyen de con­serv­er leur supéri­or­ité sur leurs opposants ;
  • con­ser­va­tion d’une fonc­tion de local­i­sa­tion util­is­able même en cas de brouil­lage par un opposant du sig­nal à accès ouvert (cas qui s’est déjà présenté) ;
  • accès à une fonc­tion pro­tégée de local­i­sa­tion en cas de rup­ture de tous les ser­vices à accès ouvert.


Aus­si, les unités de sécu­rité et de pro­tec­tion civile ont-elles recen­sé un grand nom­bre d’ap­pli­ca­tions que l’u­til­i­sa­tion d’un sig­nal de local­i­sa­tion à accès con­trôlé rendrait possibles :

  • ges­tion fine de la main courante élec­tron­ique (local­i­sa­tion automa­tique des appels) ;
  • coor­di­na­tion entre l’alerte, le cen­tre opéra­tionnel départe­men­tal et l’équipe d’in­ter­ven­tion concernée ;
  • suivi et sécu­rité des équipes d’in­ter­ven­tion en zone urbaine à risques ;
  • suivi des véhicules en intervention ;
  • aide à la lutte con­tre les feux de forêt : local­i­sa­tion pré­cise des citernes, traçage de pistes pour la préven­tion des incendies, local­i­sa­tion des départs de feux à par­tir des tours de guet, effi­cac­ité dans le posi­tion­nement et la pro­gres­sion des moyens et des équipes d’in­ter­ven­tion, local­i­sa­tion des pom­piers masqués par les nuages de fumée, sécu­rité des équipes au sol lors des largages d’eau, etc. ;
  • local­i­sa­tion des unités en inter­ven­tion sur des théâtres extérieurs, en par­ti­c­uli­er lors d’opéra­tions de récupéra­tion (opéra­tions de recherche et de sauvetage) ;
  • accom­pa­g­ne­ment et pro­tec­tion de hautes autorités.

Galileo au service des Forces armées européennes ?

Les sys­tèmes d’armes mod­ernes fer­ont appel de plus en plus pour leur posi­tion­nement et leur syn­chro­ni­sa­tion aux ser­vices de radion­av­i­ga­tion glob­ale par satellite.

En dépit d’ac­cords autorisant l’u­til­i­sa­tion du sig­nal cryp­té du GPS à l’ensem­ble des forces armées européennes, on peut légitime­ment se pos­er la ques­tion de l’u­til­i­sa­tion par ces dernières du sig­nal PRS de Galileo.

Illustration Galileo
Galiléo repose sur une con­stel­la­tion de trente satel­lites et des sta­tions ter­restres per­me­t­tant defournir des infor­ma­tions con­cer­nant leur posi­tion­nement à des usagers de nom­breux secteurs, tels que le trans­port, les ser­vices soci­aux , la jus­tice et les douanes, les travaux publics, le sauve­tage de per­son­nes en détresse, ou les loisirs. 
© ESA/ILLUSTRATION JACKY HUART, 2002

Cela cor­re­spondrait en effet au cas clas­sique de l’u­til­i­sa­tion d’équipements civils pour sat­is­faire des besoins mil­i­taires de façon rentable et dans de bonnes con­di­tions opéra­tionnelles, ce qui est, par exem­ple, le cas du sys­tème de télé­com­mu­ni­ca­tions civiles Inmarsat large­ment util­isé par la plu­part des forces navales européennes. Cela va égale­ment dans le sens de la con­struc­tion d’une Europe de la défense et de la mise en place de capac­ités mil­i­taires autonomes : le trans­port stratégique, le ren­seigne­ment, l’in­for­ma­tion et le com­man­de­ment, la pré­ci­sion dans le posi­tion­nement et la nav­i­ga­tion sont autant d’élé­ments clés que l’Eu­rope pour­rait chercher à maîtris­er dans un avenir proche.

Bien sûr, il n’est pas ques­tion de sous-estimer ni de refuser les moyens et le sou­tien que les États-Unis, par le biais de l’Al­liance transat­lan­tique, peu­vent apporter à l’Eu­rope pour l’aider à résoudre ses pro­pres prob­lèmes de sécu­rité. Il s’ag­it sim­ple­ment de com­pléter ces ressources en assur­ant une redon­dance adéquate de façon à ren­forcer la disponi­bil­ité et la qual­ité des ser­vices cor­re­spon­dants dans des con­di­tions économiques et opéra­tionnelles appro­priées. Dans la mesure où Galileo est un sys­tème civ­il qui sera mis au point et util­isé pour d’autres objec­tifs, la ques­tion de l’in­tro­duc­tion d’un sig­nal PRS dont les car­ac­téris­tiques seraient com­pat­i­bles avec des appli­ca­tions mil­i­taires doit être exam­inée non seule­ment sous l’an­gle de l’au­tonomie mais aus­si de la rentabilité.

Cette ques­tion de l’u­til­i­sa­tion poten­tielle à des fins mil­i­taires de Galileo n’a pas encore fait l’ob­jet d’un véri­ta­ble débat au sein des instances européennes.

Cer­tains États, comme la France, moteurs dans la con­struc­tion de la Poli­tique étrangère et de Sécu­rité com­mune de l’U­nion, voient dans le sig­nal PRS une source d’au­tonomie poten­tielle en matière de nav­i­ga­tion, mais aus­si l’oc­ca­sion de démon­tr­er, avec ce pro­gramme Galileo, qu’une cer­taine cohérence peut être don­née aux investisse­ments européens en en faisant prof­iter à l’ensem­ble des poli­tiques sec­to­rielles de l’Union.

D’autres États souhait­ent restrein­dre aux seuls util­isa­teurs civils l’u­til­i­sa­tion de ce ” sys­tème civ­il sous con­trôle civil “.

Le com­pro­mis réside vraisem­blable­ment du point de vue tech­nique dans la com­plé­men­tar­ité des deux sig­naux, laque­lle apporterait une pré­ci­sion et une garantie de fonc­tion­nement améliorées, et du point de vue poli­tique dans un dia­logue d’é­gal à égal entre les deux grandes puis­sances dans ce domaine.

Cette ques­tion de l’u­til­i­sa­tion mil­i­taire de Galileo devrait être tranchée par un Con­seil, à venir, de l’U­nion européenne.

Un programme aux enjeux de politique étrangère

Le choix des fréquences des signaux de Galileo, objet de discussions entre l’Europe et les États-Unis

Comme indiqué précédem­ment, out­re une cryp­togra­phie de très haut niveau (con­trôle d’ac­cès et résis­tance au leur­rage), un sig­nal sécurisé de radion­av­i­ga­tion par satel­lite doit :

  • présen­ter une cer­taine robustesse vis-à-vis d’un brouil­lage offen­sif ciblé ;
  • pou­voir être util­isé en ambiance de brouil­lage allié volon­taire des sig­naux grand pub­lic (con­cept NAVWAR).


La robustesse vis-à-vis du brouil­lage impose une cer­taine struc­ture des sig­naux (deux ban­des de fréquence éloignées et suff­isam­ment larges). Ces dis­po­si­tions sont d’ailleurs celles qui ont été retenues pour les sig­naux sécurisés des sys­tèmes améri­cain GPS (y com­pris à par­tir de 2010 pour le Code M) et russe GLONASS. Compte tenu de la régle­men­ta­tion inter­na­tionale en matière de télé­com­mu­ni­ca­tions (allo­ca­tion par l’UIT4 de ban­des de fréquence dédiées aux dif­férentes appli­ca­tions), la seule plage de fréquence disponible pour l’une des deux ban­des du sig­nal sécurisé PRS de Galileo se situe dans la par­tie haute de la bande L dédiée à la radion­av­i­ga­tion par satel­lite. Oblig­a­toire­ment, vu la faible largeur de cette bande et les per­for­mances recher­chées pour le PRS, les fréquences util­isées par ce dernier recou­vrent par­tielle­ment voire sont super­posées soit à la bande du GPS (cen­trée sur la fréquence L1), soit à celle du GLONASS.

Nos experts ont mon­tré qu’une telle super­po­si­tion ne cause pas de prob­lèmes d’in­ter­férences ni pour le GPS ni pour GLONASS. Elle est donc par­faite­ment légale, et la démarche des États-Unis entre­prise depuis 2001 visant à exclure les sig­naux PRS des ban­des de fréquence qui seront util­isées par leur sig­nal mil­i­taire Code M peut donc s’ap­par­enter à une ten­ta­tive d’ap­pro­pri­a­tion uni­latérale d’une bande de fréquence, en con­tra­dic­tion avec la régle­men­ta­tion inter­na­tionale en vigueur. Au con­traire, il con­vient de soulign­er que le Code M du GPS vien­dra empiéter sur le sig­nal PRS de Galileo, en par­ti­c­uli­er sur les deux ban­des E1 et E2 encad­rant la bande L1 pour lesquelles l’Eu­rope a l’an­téri­or­ité des dépôts. Enfin, il faut rap­pel­er qu’à coûts, per­for­mances et con­traintes de sécu­rité don­nés, les fréquences prévues pour être util­isées par le Code M du GPS sont les meilleures ; ne pas les utilis­er pour le PRS en ferait un ser­vice de ” sec­onde classe “.

Les États-Unis sont toute­fois opposés à la super­po­si­tion du PRS sur le Code M du GPS. Les raisons de cette oppo­si­tion reposent sur l’im­pos­si­bil­ité de pou­voir brouiller sélec­tive­ment le PRS sans affecter leur pro­pre sig­nal sécurisé et se cristallisent dans l’évo­ca­tion de scé­nar­ios de crise met­tant en jeu des troupes ou des intérêts améri­cains ou de l’OTAN face à des adver­saires ayant accès, de manière légale ou non, au PRS.

Cette préoc­cu­pa­tion relève de con­sid­éra­tions tech­niques et poli­tiques, mais égale­ment économiques :

  • sur le plan tech­nique, en soulig­nant que Galileo est un pro­jet civ­il et non mil­i­taire comme le GPS, les Améri­cains met­tent en ques­tion la capac­ité du PRS à être un sig­nal con­ven­able­ment sécurisé à un niveau équiv­a­lent au Code M du GPS. En d’autres ter­mes, le débat est restreint à une oppo­si­tion entre sys­tèmes mil­i­taires et civils alors que la ques­tion se situe plus vraisem­blable­ment au niveau d’une oppo­si­tion entre sys­tèmes sécurisés et non sécurisés ;
     
  • sur le plan poli­tique, en met­tant en exer­gue la dif­fi­culté d’un con­trôle poli­tique du sys­tème par une Europe à 25 nations et la présence de Nations non mem­bres de l’OTAN au sein de l’U­nion européenne, ils s’in­ter­ro­gent sur la réac­tiv­ité et la capac­ité de l’Eu­rope à pou­voir dénier effi­cace­ment l’ac­cès au sys­tème à des util­isa­teurs mal inten­tion­nés. L’an­nonce récente de l’ar­rivée prochaine dans le pro­gramme de la Chine n’a fait que ren­forcer leurs craintes, même si le pro­jet d’ac­cord Union européenne-Chine exclut a pri­ori toute par­tic­i­pa­tion chi­noise aux aspects liés à la sécu­rité du sys­tème, et notam­ment au PRS ;
     
  • sur le plan économique, car un sig­nal PRS fiable, per­ma­nent et aus­si pro­tégé que le Code M, gage du bon niveau de sécuri­sa­tion de l’ensem­ble du sys­tème, représente un marché poten­tiel pour des cen­taines de familles d’u­til­isa­teurs et donc une con­cur­rence sérieuse et directe pour l’ensem­ble du sys­tème américain.


L’ar­gu­men­ta­tion de l’U­nion européenne puise sa légitim­ité dans sa capac­ité réelle et sa volon­té d’obtenir un niveau de sécuri­sa­tion du sys­tème au moins égal à celui du GPS de troisième généra­tion, ren­dant la super­po­si­tion des sig­naux par­faite­ment com­pat­i­ble avec le con­cept NAVWAR, le prob­lème ne devant pas être celui d’une oppo­si­tion entre sys­tèmes civils et mil­i­taires, mais bien celui d’une dis­crim­i­na­tion entre sig­naux de nav­i­ga­tion sécurisés et non sécurisés.

Dans l’im­mé­di­at, un accord entre les États-Unis et la Com­mu­nauté européenne est en cours de négo­ci­a­tion afin, notam­ment, de régler cette question.

À plus long terme, Galileo pourrait devenir un outil au service de la politique étrangère de l’Union européenne…

Le con­trôle d’un sys­tème de radion­av­i­ga­tion par satel­lite est un enjeu stratégique. Les États-Unis, la Fédéra­tion de Russie, l’Eu­rope et la Chine l’ont bien com­pris et ont investi de manière plus ou moins impor­tante dans ce domaine : la Chine, avec son sys­tème Bei­dou com­posé (seule­ment) de trois satel­lites, n’a pas encore atteint le niveau de développe­ment suff­isant pour assur­er une autonomie com­plète dans le domaine du posi­tion­nement pré­cis, d’où son récent parte­nar­i­at avec l’Eu­rope sur Galileo.

Par ailleurs, des pays souhai­tant jouer un rôle sur la scène inter­na­tionale, tels que l’Inde ou Israël, frap­pent à la porte de l’Eu­rope pour eux aus­si par­ticiper au programme.

Ces parte­nar­i­ats, par lesquels l’Eu­rope peut recueil­lir des fonds sup­plé­men­taires aux siens pour financer la réal­i­sa­tion, la mise à poste et l’ex­ploita­tion du sys­tème Galileo, posent cepen­dant des ques­tions stratégiques essen­tielles telles que celle du niveau de par­tic­i­pa­tion de ces États tiers à l’U­nion européenne et à l’A­gence spa­tiale européenne à un pro­gramme européen dépas­sant le ” sim­ple ” périmètre de la poli­tique des trans­ports ou des ser­vices à valeur ajoutée.

En effet, le niveau d’in­té­gra­tion de ces États tiers au pro­gramme de Galileo aura des con­séquences impor­tantes sur le niveau de con­trôle qu’au­ra l’Eu­rope sur son sys­tème. Pour illus­tr­er ce point, dif­férents niveaux d’in­té­gra­tion, classés par ordre crois­sant d’im­pli­ca­tion, peu­vent être dis­tin­gués : util­isa­teur des sig­naux ” grand pub­lic ” de Galileo, util­isa­teur du sig­nal sécurisé PRS ou mem­bre à part entière dans la struc­ture qui con­trôlera ce système.

Pour ne traiter que le deux­ième exem­ple, l’u­til­i­sa­tion du sig­nal sécurisé PRS par un État tiers à l’U­nion européenne, qui con­fér­era à ce dernier une capac­ité de posi­tion­nement accrue, sera le résul­tat d’une volon­té européenne forte d’établir des liens stratégiques étroits avec ce parte­naire priv­ilégié. Il en sera de même, le jour où, inverse­ment, pour des raisons géopoli­tiques par­ti­c­ulières, il sera néces­saire de ” faire marche arrière ” et de couper à un pays son accès au sig­nal PRS.

Conclusion

Ces exem­ples soulig­nent claire­ment que les enjeux soulevés par le pro­gramme Galileo dépassent ceux rel­e­vant de la poli­tique com­mu­nau­taire du domaine des trans­ports pour touch­er à des ques­tions rel­e­vant des poli­tiques inter­gou­verne­men­tales de l’U­nion européenne des affaires étrangères, de la sécu­rité et de la défense. Galileo est un ” pro­gramme civ­il sous con­trôle civ­il ” du pre­mier pili­er de l’U­nion aux prob­lé­ma­tiques ” transpiliers “.

En pra­tique, cet aspect ” tran­spili­er ” de Galileo a eu et aura pour quelques années encore du mal à s’im­pos­er. Les raisons sont mul­ti­ples et, très cer­taine­ment, trou­vent leur fonde­ment dans les mécan­ismes poli­tiques et organ­i­sa­tion­nels de la Com­mu­nauté européenne, les ambi­tions diver­gentes des États mem­bres vis-à-vis de l’in­té­gra­tion de l’U­nion, l’in­flu­ence des rela­tions transat­lan­tiques ou encore l’ab­sence d’une par­tic­i­pa­tion finan­cière des défens­es européennes au projet.

L’une des caus­es des dif­fi­cultés ren­con­trées dans la genèse de ce pro­gramme et de son organ­i­sa­tion réside dans le fait qu’il s’ag­it du pre­mier pro­gramme con­stru­it ex nihi­lo5 dans un con­texte européen et sous l’égide de l’U­nion européenne, de sur­croît en phase d’élar­gisse­ment, alors que toutes les grandes réal­i­sa­tions européennes antérieures (lanceurs par exem­ple) s’ap­puyaient sur un ou plusieurs savoir-faire nationaux avancés. Le choix, par ailleurs logique, de l’E­SA comme pilote du pro­gramme rend cette mise en place com­plexe du fait d’une part que cer­tains pays sont mem­bres de l’E­SA mais pas de l’U­nion européenne, et vice ver­sa, d’autre part que la con­duite d’un pro­gramme par l’E­SA com­por­tant un cer­tain nom­bre d’en­jeux et de don­nées clas­si­fiées et devant donc faire l’ob­jet d’une pro­tec­tion par­ti­c­ulière va à l’en­con­tre du rôle de ” dis­sémi­na­teur tech­nologique ” de l’E­SA6.

Dans l’im­mé­di­at, la mise en place des struc­tures organ­i­sa­tion­nelles devant gér­er les aspects de sécu­rité du sys­tème Galileo tant du point de vue poli­tique qu’opéra­tionnel va per­me­t­tre d’a­vancer vers une clar­i­fi­ca­tion de ce débat et, espérons-le, d’œu­vr­er vers un peu plus de cohérence.

Car s’il est un enjeu sur lequel l’Eu­rope doit démon­tr­er sa crédi­bil­ité notam­ment vis-à-vis de son parte­naire améri­cain, c’est dans sa capac­ité à savoir gér­er la ques­tion cru­ciale de l’u­til­i­sa­tion hos­tile voire ter­ror­iste de l’in­for­ma­tion pré­cise de posi­tion­nement que délivr­era le sys­tème Galileo. 

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1. Pub­lic Reg­u­lat­ed Service.
2. La liste des ser­vices à embar­quer n’est pas arrêtée à ce jour.
3. Mis­sile Tech­nol­o­gy Con­trol Regime.
4. UIT : Union inter­na­tionale des télécommunications.
5. Aucun pays n’ayant une véri­ta­ble expéri­ence en matière de sys­tème de nav­i­ga­tion par satellite.
6. Ce dernier doit pour cela se dot­er d’un règle­ment en matière de sécu­rité qui n’avait aucune rai­son d’être auparavant.

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