Pour une politique de croissance active

Dossier : Créer des entreprisesMagazine N°584 Avril 2003
Par Renaud DUTREIL

Je suis très heureux que La Jaune et la Rouge con­sacre ce mois-ci un numéro spé­cial à la créa­tion d’en­tre­pris­es afin d’y sen­si­bilis­er tout par­ti­c­ulière­ment la com­mu­nauté polytechnicienne.

Nos conci­toyens veu­lent la poli­tique économique et sociale “qui marche”, c’est-à-dire celle qui crée des emplois, accroît le pou­voir d’achat des Français, assure au pays le meilleur taux de crois­sance à moyen et long terme. Plusieurs réformes ont déjà été entre­pris­es ou annon­cées par le Gou­verne­ment. Elles définis­sent une “nou­velle poli­tique de crois­sance active” (NPCA), une action cohérente des­tinée à accroître durable­ment notre poten­tiel de développe­ment. Foin des idéolo­gies ! le niveau de crois­sance est l’u­nique réponse aux ques­tions poignantes : l’emploi — la France a un taux de chô­mage anor­male­ment supérieur à la moyenne de l’OCDE -, la richesse par habi­tant — le niveau de vie d’un Améri­cain dépasse de 30 % celui d’un Français et ce retard ne se réduit pas -, le finance­ment de notre “con­trat de pro­tec­tion sociale” (retraite, san­té, sol­i­dar­ité) et de notre “con­trat répub­li­cain” (défense, sécu­rité, édu­ca­tion, ser­vices publics).

Plus de crois­sance endogène (hors influ­ence de la con­jonc­ture mon­di­ale), c’est une France qui va et vit mieux. Notre crois­sance est en moyenne de 2 % depuis dix ans, elle est de 3,2 % aux États-Unis. Chaque année, la crois­sance améri­caine est donc de 60 % supérieure à la nôtre ! Faire aus­si bien sans sac­ri­fi­er notre cohé­sion sociale, tel est le défi du Gou­verne­ment de Jean-Pierre Raffarin.

Se pose d’abord le prob­lème du tra­vail : un pays qui tra­vaille moins et dont la pro­duc­tiv­ité du tra­vail stagne s’in­ter­dit tout pro­grès sig­ni­fi­catif de crois­sance. La France, con­nue pour son niveau très bas de durée moyenne de tra­vail, devra répon­dre d’i­ci à 2010 à une demande de tra­vail com­prise entre 6,8 et 8,4 mil­lions de postes publics ou privés. Gou­vern­er, ce n’est pas dis­suad­er les Français de tra­vailler, c’est au con­traire les intéress­er davan­tage au travail :

1. l’as­sou­plisse­ment des 35 heures, cou­plé à l’aug­men­ta­tion du Smic et à celle de la prime pour l’emploi, à la baisse des charges sociales et de l’IRPP va dans ce sens ;
2. la réforme des retraites doit met­tre un frein à la dis­sua­sion organ­isée de l’ac­tiv­ité pro­fes­sion­nelle après cinquante ans ;
3. la réforme de l’ap­pren­tis­sage et le plan Fer­ry (class­es en alter­nance, lycées des métiers) amélioreront l’ac­cès des jeunes à la vie active ;
4. le pro­jet prési­den­tiel du “compte per­son­nel de for­ma­tion ouvert pour chaque Français” devra accroître la pro­duc­tiv­ité du tra­vail tout en offrant une véri­ta­ble “assur­ance emploi” à chacun.

Enfin il fau­dra réfléchir à cette anom­alie française de la “souf­france au tra­vail”, fruit du stress des 35 heures et de rap­ports humains trop formels et rigides sur le lieu de tra­vail : le tra­vail de demain doit être plus épanouis­sant pour l’individu.

Un autre volet de la stratégie économique du Gou­verne­ment porte sur la créa­tion de richess­es par les entreprises.

La “loi sur l’ini­tia­tive économique” souf­fle l’e­sprit d’en­tre­prise sur la France, elle s’at­taque à nos prin­ci­pales faib­less­es : insuff­i­sance du nom­bre d’en­tre­pris­es, de l’in­vestisse­ment pro­duc­tif, des cap­i­taux pro­pres des entre­pris­es, de la dif­fu­sion mas­sive des inno­va­tions technologiques.

État des lieux et solutions

La France compte env­i­ron 2 400 000 entre­pris­es quand la Grande-Bre­tagne en compte 3 400 000, le flux annuel d’en­tre­pris­es nou­velles est deux fois inférieur en France à celui de l’Es­pagne et nous créons 25 000 entre­pris­es de moins chaque année que dans les années qua­tre-vingt : la nou­velle loi entend faciliter la sécuri­sa­tion, le finance­ment et l’ac­com­pa­g­ne­ment des nou­veaux entre­pre­neurs, “inven­teurs” des emplois de demain

.En réduisant la fis­cal­ité sur le pat­ri­moine économique, sur l’in­vestisse­ment privé dans les entre­pris­es et sur les trans­mis­sions, elle facilite la crois­sance des entre­pris­es de toute taille, tout en pré­parant la survie des 500 000 entre­pris­es dont les dirigeants vont pass­er la main dans les dix prochaines années.

Elle incite les Français à drain­er leur abon­dante épargne (17 % du revenu disponible brut) vers les entre­pris­es, à trans­former l’ar­gent dor­mant en argent vif. Il faut que tous les investis­seurs, gros et petits, se mobilisent aux côtés des por­teurs de pro­jet. Les “fonds d’in­vestisse­ment de prox­im­ité” doivent dévelop­per, à côté de l’aut­o­fi­nance­ment, du crédit ban­caire et des marchés de valeurs, une qua­trième source de finance­ment long des entre­pris­es, au cœur de chaque ter­ri­toire. La loi sur l’in­no­va­tion, extrême­ment avan­tageuse pour l’in­vestisse­ment dans l’in­no­va­tion et la recherche, pro­longera cette action. De même, dès l’é­cole, la dif­fu­sion de l’e­sprit d’en­tre­prise sera encouragée.

La “nou­velle poli­tique de crois­sance active” doit per­me­t­tre à la France de tir­er le meilleur par­ti de son ouver­ture au monde et à l’Eu­rope élargie, en offrant des pro­duits et des ser­vices à forte valeur ajoutée. Elle est la seule réponse durable aux muta­tions de l’é­conomie. Elle va de pair avec la sol­i­dar­ité à l’é­gard de ceux qui subis­sent le con­tre­coup de ces muta­tions. Elle est la seule à même de financer nos ser­vices col­lec­tifs d’É­tat ou de pro­tec­tion sociale. Elle est surtout et enfin un nou­veau chemin vers l’é­gal­ité entre les Français.

Notre société, on le sait, est iné­gal­i­taire, prin­ci­pale­ment du fait de la repro­duc­tion des class­es sociales par le sys­tème sco­laire : 84,8 % des enfants d’en­seignants atteignent le niveau bac général ou tech­nologique à l’is­sue de leur for­ma­tion sec­ondaire con­tre 31,2 % des enfants d’ou­vri­ers non qual­i­fiés et 38,7 % des enfants d’ou­vri­ers qual­i­fiés. Le sys­tème du con­cours admin­is­tratif, qui ouvre aux car­rières de la fonc­tion publique, est para­doxale­ment une voie étroite et “réservée” de pro­mo­tion sociale. Par com­para­i­son, la créa­tion d’en­tre­pris­es appa­raît comme une voie beau­coup plus démoc­ra­tique et égal­i­taire : 55 % des créa­teurs d’en­tre­prise n’ont pas le niveau bac, les bac + 2 et plus ne représen­tant que 29 % des créateurs.

Faciliter la créa­tion d’en­tre­pris­es, c’est aus­si offrir une nou­velle chance pro­fes­sion­nelle : un créa­teur sur trois est chômeur ! Ain­si, et con­traire­ment à bien des idées reçues, faire souf­fler l’e­sprit d’en­tre­prise sur notre pays, et faciliter l’ac­cès à un finance­ment, à un accom­pa­g­ne­ment, à un statut d’en­tre­pre­neur du plus grand nom­bre de Français, c’est con­cili­er crois­sance économique et cohé­sion sociale, c’est réc­on­cili­er par une voie inat­ten­due mais féconde l’aspi­ra­tion à l’é­gal­ité et la soif de liberté.

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