Pour une réussite collective de l’Europe

Dossier : ExpressionsMagazine N°644 Avril 2009Par : Philippe GOUBEAUX (54)

Création (1950–1975)

Création (1950–1975)

Aven­ture sans précé­dent dans l’His­toire où les États s’é­taient tou­jours édi­fiés par con­quête, ses pères fon­da­teurs ont dû se pass­er de mod­èle. Il y avait bien eu les État-Unis d’Amérique, mais dont les mem­bres étaient tous anglo­phones, affran­chis de la Couronne bri­tan­nique…, et cinquante fois moins peu­plés. C’est l’idée de Jean Mon­net d’un ” tripode ” Con­seil-Com­mis­sion-Assem­blée con­sul­ta­tive qui s’est imposée, con­férant à la Com­mis­sion à la fois le rôle de propo­si­tion et celui d’exé­cu­tion. C’é­tait, dans l’e­sprit de Mon­net, faire un Gou­verne­ment fédéral sans le dire, flan­qué d’un Con­seil des dirigeants des État mem­bres n’ayant guère le temps de faire plus que de la surveillance.

Ain­si se con­sti­tua une Com­mu­nauté économique à six, puis à neuf, mal­gré bien des réti­cences, dont celles du général de Gaulle.

Évolution (1975–1991)

Le tripode imag­iné par Jean Mon­net fonc­tion­na bien, mais pas comme il l’avait imag­iné : c’est le Con­seil de l’U­nion qui est devenu l’or­gane de déci­sion essen­tiel qu’il est encore aujourd’hui.

La généra­tion actuelle a oublié le but ini­tial, la paix en Europe

Le Par­lement prit de l’im­por­tance, par­tic­i­pa aux déci­sions (sans cepen­dant avoir le dernier mot). Ses mem­bres furent élus en tant que tels dans leurs pays respec­tifs (ils étaient aupar­a­vant nom­més dans leurs pays). L’U­nion moné­taire fut réal­isée en 1988.

L’U­nion ten­ta d’évoluer vers une poli­tique étrangère com­mune — de devenir en somme un État fédéral européen comme c’é­tait le but des fon­da­teurs — mais ce fut un échec. L’ensem­ble de ces évo­lu­tions n’en jus­ti­fia par moins une révi­sion des insti­tu­tions qui aboutit au traité de Maas­tricht en 1991.

Élargissement à l’Est et Constitution (1991–2020)

L’écroule­ment soudain du sys­tème sovié­tique entraî­na immé­di­ate­ment la can­di­da­ture de tous ses ex-satel­lites à l’U­nion européenne. Elle ne pou­vait guère s’y refuser, mais n’in­sista pas assez sur les con­traintes aux­quelles les nou­veaux entrants devaient souscrire, ce qui n’al­la pas sans créer ten­sions et malen­ten­dus. Men­acé de paralysie par des Con­seils ingérables à 27, et d’ex­plo­sion de la Com­mis­sion — pour chaque pays un Com­mis­saire, s’in­sti­tu­ant à tort l’av­o­cat de ses intérêts nationaux — le Con­seil de Laeken de 2001 dut donc se résoudre à créer une Con­ven­tion sur l’avenir de l’Eu­rope, présidée par Valéry Gis­card d’Es­taing, dont elle attendait un large éven­tail de solu­tions possibles.

La poli­tique étrangère des États mem­bres a déjà ten­dance à converger

À son immense sur­prise, ce fut un texte con­sti­tu­tion­nel unique et unanime qui en sor­tit, dans les délais3 ! La rat­i­fi­ca­tion pop­u­laire fut sans prob­lème en Espagne et au grand-duché du Lux­em­bourg, mais man­qua en France et aux Pays-Bas, dans les deux cas pour des raisons de peurs divers­es (immi­gra­tion : le ” plom­bier polon­ais “, impor­ta­tions : la ” direc­tive Bolkestein “, mon­di­al­i­sa­tion) sans rap­port avec le texte lui-même. Il faut dire que ce dernier fut dis­tribué en France à chaque électeur in exten­so, soit un gros vol­ume d’an­nex­es peu lis­i­bles pour un citoyen ordinaire.

Il en résul­ta un pas­sage à vide — qui dure encore — pou­vant se résumer en un ” pourquoi l’Eu­rope ? ” de la généra­tion actuelle, qui a oublié le but ini­tial, la paix en Europe, désor­mais allant de soi, et nour­rit main­tenant d’autres anx­iétés. Seule une réac­tion des État mem­bres, dont c’est le rôle de rap­procher l’U­nion de ses citoyens au lieu d’en faire un bouc émis­saire com­mode, pour­ra vrai­ment redress­er la sit­u­a­tion. On peut espér­er que la crise finan­cière servi­ra de déclencheur en illus­trant l’im­puis­sance des États pour y faire face s’ils restent isolés.

En atten­dant, pour déblo­quer d’ur­gence les insti­tu­tions, le Con­seil a eu recours à un pal­li­atif, le traité de Lis­bonne, con­sis­tant à mod­erniser le précé­dent traité de Nice en y intro­duisant les prin­ci­pales avancées de la Con­sti­tu­tion : sub­sidiar­ité4, dou­ble majorité5, Com­mis­sion de 16 mem­bres, un min­istre des Affaires étrangères. On peut espér­er que la total­ité des État mem­bres signeront bien­tôt ce Traité, de sorte que la prochaine prési­dence tchèque pour­ra pré­par­er les élec­tions par­lemen­taires européennes sur cette base et faire ain­si repar­tir l’U­nion du bon pied — c’est-à-dire repren­dre le proces­sus d’appro­fondisse­ment inter­rompu par les élar­gisse­ments.

Il mérite d’être noté que de nom­breuses régions du monde sont en train d’ac­céder à la démoc­ra­tie et se cherchent des struc­tures d’u­nion qui respectent les iden­tités nationales, et s’in­spireront sans doute de l’Europe.

Participer à la réussite collective

J’e­spère avoir éveil­lé en vous un désir de faire avancer l’Eu­rope, car elle va avoir besoin de votre aide, voire de votre sec­ours. Ne tombez pas dans le piège d’y chercher une voie pour la puis­sance française en Europe, il s’ag­it au con­traire de par­ticiper à la réus­site col­lec­tive de l’Eu­rope ” a con­clu notre grand Européen.

Un débat animé

Il s’est ensuite prêté aux ques­tions de nos jeunes cama­rades, avec de très intéres­sants développements :

Pourquoi demeure-t-il une zone euro à l’in­térieur de l’U­nion ? (Con­stance Paquel, 2006)

” Cer­tains pays tien­nent à leur mon­naie comme à un sym­bole de leur iden­tité. Il en résulte des dis­tor­sions, des accords économiques (fis­cal­ité, etc.). On va voir si la crise finan­cière accélère l’harmonisation. ”

Quelles sont les chances de voir émerg­er une poli­tique étrangère com­mune avec le traité de Lis­bonne ? (Nico­las Fer­nan­dez, 2006)

” La poli­tique étrangère des États mem­bres a déjà ten­dance à con­verg­er, bien que cela soit peu lis­i­ble à cause de la com­mu­ni­ca­tion et de la mise en oeu­vre pro­pre à cha­cun. Avec le traité de Lis­bonne, un min­istre des Affaires étrangères va être nom­mé pour cinq ans, et c’est lui qui par­lera au nom de l’Union. ”

Le proces­sus de tran­si­tion qui a mar­qué l’en­trée de l’Es­pagne en 1989 s’applique-t-il aux pays de l’Est ? (C. Gon­za­les, 2007)

” En effet : de même que les migrants espag­nols et por­tu­gais sont retournés mas­sive­ment de France dans leur pays lorsque l’ad­hé­sion à l’U­nion y a amélioré l’emploi et les salaires, on voit main­tenant le fameux ” plom­bier polon­ais ” faire de même depuis l’Ir­lande. C’est même là un cer­tain échec de l’in­té­gra­tion européenne, qu’il faudrait plus flu­ide, mais cela exig­era un grand effort pour que tous les Européens par­lent deux ou trois langues. ”

Que pensez-vous de l’en­trée de la Turquie ? (Adrien Zakhartchouk, 2007)

” D’abord, l’U­nion doit arrêter les élar­gisse­ments, sauf pour la Croat­ie, et repren­dre l’ap­pro­fondisse­ment qu’elle a inter­rompu. Les deux sont antag­o­nistes. On l’a ressen­ti forte­ment, et il faut désor­mais être ferme : l’ap­pro­fondisse­ment doit être la pri­or­ité absolue. ” ” Quant à la Turquie, elle est fort peu en Europe, et ses tro­pismes naturels vers l’Est se ren­for­cent : États voisins tur­coph­o­nes, intérêts pétroliers, etc. Autant l’U­nion doit avoir avec elle un parte­nar­i­at, autant elle ne peut se per­me­t­tre de la voir devenir, par sa crois­sance démo­graphique, le pre­mier État de l’U­nion ! ” ” Il faut aus­si penser ici à la Russie, bien plus européenne cul­turelle­ment que la Turquie, mais beau­coup trop vaste pour s’in­té­gr­er à l’U­nion : affaire de parte­nar­i­at là aussi. ”

Que pensez-vous de l’U­nion de la Méditer­ranée ? (Youssef Mroueh, 2006)

” Il y a un parte­nar­i­at, mais il n’y aura pas de struc­ture insti­tu­tion­nelle avant longtemps : les États en ques­tion n’ont pas de lan­gage poli­tique com­mun, ni avec l’U­nion, ni même entre eux. ” ” Et puis il y a le prob­lème d’Is­raël, dont la clef est aux États-Unis. Les gou­verne­ments ni israélien ni pales­tinien n’ont la capac­ité d’im­pos­er la paix. Il fau­dra un vote à l’ONU, qui sera sans dif­fi­culté, et trois ans plus tard tout le monde se deman­dera pourquoi on ne l’a pas fait plus tôt. ”
 

 
1.
Prési­dent de la République de 1974 à 1981 et prési­dent de la Con­ven­tion de 2002 à 2003.
2. Il cite ici Thomas Jef­fer­son, « Le para­doxe de la démoc­ra­tie est que chaque généra­tion impose ses règles à la suivante. »
3. Sa mod­estie inter­dit ici à VGE d’indiquer qu’il y joua un rôle décisif, uni­verselle­ment recon­nu. Per­venche Bérès, Con­ven­tion­nelle social­iste, s’avouait « débor­dée par l’habilité per­sua­sive et manoeu­vrière de VGE, et finis­sait par souscrire à des dis­po­si­tions qui lui déplaisaient ».
4. La sub­sidiar­ité est ain­si définie : « L’Union fonc­tionne sur le mode fédéral dans ses domaines de com­pé­tence com­mune », dûment énumérés.
5. La dou­ble majorité, qui rem­place l’unanimité (source des blocages), con­siste en 55 % du nom­bre d’États mem­bres et 65% de la population.

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