Strategic sourcing : la nouvelle compétence métier

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°598 Octobre 2004Par : Nicole FRANCE, chargée de recherche Gartner

L’en­vi­ron­ne­ment éco­no­mique et l’in­ten­si­fi­ca­tion de la concur­rence au plan mon­dial ont sou­mis les entre­prises en France – comme par­tout en Europe – à de fortes pres­sions en vue de réduire leurs coûts opé­ra­tion­nels et d’a­mé­lio­rer l’ef­fi­ca­ci­té de leurs pro­ces­sus internes. Le dépar­te­ment infor­ma­tique est très sou­vent une cible prio­ri­taire pour contri­buer à ces deux objec­tifs. Résul­tat, la démarche vers l’out­sour­cing – ou info­gé­rance, c’est-à-dire l’ex­ter­na­li­sa­tion des opé­ra­tions infor­ma­tiques par un contrat de longue durée, opé­ra­tion dif­fé­rente de l’off­shore – devient de plus en plus cou­rante. Selon les esti­ma­tions de Gart­ner, le mar­ché de l’out­sour­cing en France attein­dra 4,4 mil­liards d’eu­ros fin 2004. On s’at­tend à une crois­sance moyenne de 20 % par an d’i­ci 2008. 

Cepen­dant, mal­gré l’in­té­rêt crois­sant pour l’out­sour­cing, les risques de défaillance sont impor­tants. En effet, trop sou­vent, la déci­sion d’ex­ter­na­li­ser est réac­tive ; on signe un contrat de longue durée pour résoudre des pro­blèmes à court terme. Après un cer­tain temps appa­raît ain­si un déca­lage impor­tant entre les prio­ri­tés du busi­ness et les ser­vices défi­nis contrac­tuel­le­ment. Même si la réduc­tion de coût pré­vue est obte­nue, les accords pas­sés entre l’en­tre­prise et le pres­ta­taire de ser­vice ne se révèlent pas suf­fi­sam­ment flexibles pour s’a­dap­ter aux chan­ge­ments. Cette situa­tion n’est pas for­ce­ment liée à un man­que­ment du four­nis­seur : l’es­sen­tiel de la res­pon­sa­bi­li­té demeure celle du client qui seul peut prendre, en matière de ges­tion infor­ma­tique, les déci­sions sus­cep­tibles de sou­te­nir la stra­té­gie de la société. 

Dans ce contexte, com­ment mieux for­ma­li­ser les contrats et bâtir des rela­tions saines avec les four­nis­seurs pour aug­men­ter les chances de réus­sites et reti­rer les vrais avan­tages de l’out­sour­cing – pas seule­ment une réduc­tion de coûts mais une hausse de la qua­li­té du ser­vice ? La mise en œuvre du » Stra­te­gic sour­cing « , c’est-à-dire le déve­lop­pe­ment d’une stra­té­gie visant à opti­mi­ser le » sour­cing » des opé­ra­tions infor­ma­tiques, est essen­tielle pour défi­nir et vali­der une démarche d’out­sour­cing pertinente. 

Cette notion ne se réduit ni à un pro­blème de ges­tion infor­ma­tique ni à une simple déci­sion d’ex­ter­na­li­ser cer­taines tâches ou per­son­nels. Il y a quatre phases dans une démarche de sour­cing stratégique : 

1. la défi­ni­tion de la stra­té­gie sour­cing ;
2. l’é­va­lua­tion et la sélec­tion des fournisseurs ;
3. la négo­cia­tion des contrats ;
4. la ges­tion du sour­cing.

La majo­ri­té des entre­prises pri­vi­lé­gie habi­tuel­le­ment les phases 2 et 3. Tou­te­fois les orga­ni­sa­tions les plus avan­cées dans le domaine du sour­cing stra­té­gique se concentrent sur les phases 1 et 4, qui per­mettent d’a­li­gner conti­nuel­le­ment la stra­té­gie et son exé­cu­tion selon les besoins du busi­ness. Le sour­cing stra­té­gique, qui doit être consi­dé­ré comme une com­pé­tence clef (core com­pe­tence) de toute orga­ni­sa­tion (pri­vée ou publique), ins­crit l’en­tre­prise dans son éco­sys­tème et doit faci­li­ter la ges­tion des inno­va­tions, assu­rer la four­ni­ture des ser­vices et pro­ces­sus néces­saires à l’or­ga­ni­sa­tion elle-même, à ses par­te­naires et à ses clients ou usagers.

Le fon­de­ment du sour­cing stra­té­gique est la stra­té­gie elle-même. Gart­ner défi­nit une stra­té­gie sour­cing comme un ensemble de scé­na­rios, plans, direc­tives et déci­sions qui déter­minent et intègrent d’une façon dyna­mique les res­sources et ser­vices internes et externes requis pour atteindre les objec­tifs busi­ness de l’or­ga­ni­sa­tion. Ce concept joue sur l’i­dée de maxi­mi­ser l’in­ves­tis­se­ment dans les com­pé­tences de cœur de métier de l’en­tre­prise tout en pro­fi­tant des inno­va­tions et des éco­no­mies d’é­chelle per­mises par le recours à des pres­ta­taires externes pour des opé­ra­tions non stratégiques. 

Une stra­té­gie sour­cing doit prendre en compte non seule­ment les ini­tia­tives ponc­tuelles (les pro­jets), mais aus­si les contrats d’out­sour­cing por­tant sur l’ex­ploi­ta­tion des ser­vices et pro­ces­sus en conti­nu (l’in­fo­gé­rance). Tâche dif­fi­cile, car la stra­té­gie doit inté­grer les effets dus aux chan­ge­ments de prio­ri­tés busi­ness, d’or­ga­ni­sa­tion, et de tech­no­lo­gie, sans oublier l’im­pact du déve­lop­pe­ment de la stra­té­gie sour­cing elle-même. Par consé­quent, il faut ana­ly­ser et inté­grer cinq dimen­sions en matière de sour­cing stra­té­gique :

  • les objec­tifs business ; 
  • les com­pé­tences exis­tantes en interne ; 
  • l’offre dis­po­nible sur le marché ; 
  • les modèles de sour­cing ;
  • et le mode de gouvernance. 


La rela­tion entre la stra­té­gie busi­ness et la stra­té­gie sour­cing est cosub­stan­tielle. Au contraire d’un lien clas­sique de dépen­dance (où la stra­té­gie sour­cing serait subor­don­née à la stra­té­gie infor­ma­tique, à son tour dépen­dante de la stra­té­gie busi­ness), la stra­té­gie sour­cing devient la com­po­sante essen­tielle qui va déter­mi­ner la façon dont la stra­té­gie busi­ness va être mise en œuvre. Ici, il est impor­tant de consi­dé­rer chaque stra­té­gie comme une réponse à une ques­tion fondamentale : 

  • quoi faire ? —> Stra­té­gie business, 
  • qui va le faire ? —> Stra­té­gie sour­cing,
  • com­ment le faire ? —> Stra­té­gie informatique. 


Du point de vue du sour­cing stra­té­gique, l’ac­cent est mis plu­tôt sur le résul­tat que sur les moyens. Bien que sub­tile, cette dif­fé­rence sup­pose un chan­ge­ment radi­cal pour la grande majo­ri­té des entre­prises dès lors qu’il s’a­git de trai­ter les exi­gences du business. 

Le déve­lop­pe­ment d’une stra­té­gie sour­cing com­mence avec la défi­ni­tion du champ d’in­ter­ven­tion. Selon l’or­ga­ni­sa­tion et le type d’in­fra­struc­ture infor­ma­tique, c’est une par­tie des opé­ra­tions ou l’in­for­ma­tique tout entière qui peut être mise en question. 

En tout état de cause, de notre point de vue, le point essen­tiel est d’in­clure les sys­tèmes et les pro­ces­sus infor­ma­tiques dans la stratégie. 

Après avoir déter­mi­né les limites de l’in­ter­ven­tion, l’é­tape sui­vante est de conduire une éva­lua­tion rigou­reuse du besoin que l’or­ga­ni­sa­tion a de chan­ger et du niveau d’empressement que l’or­ga­ni­sa­tion met à chan­ger. Cette éva­lua­tion porte sur le niveau de ser­vice ren­du, le degré de com­pé­tence en ges­tion, la facul­té de l’or­ga­ni­sa­tion à se trans­for­mer et la rela­tion entre le dépar­te­ment infor­ma­tique et le reste du groupe. Le but est de déter­mi­ner si l’on fait les choses cor­rectes et si on les fait cor­rec­te­ment, si les objec­tifs à court et moyen terme sont atteints et si la vitesse de réac­tion est acceptable. 

Pour les opé­ra­tions qui sont exter­na­li­sées, il faut effec­tuer une ana­lyse du mar­ché et des risques. Compte tenu de l’é­vo­lu­tion de la concur­rence sur le mar­ché des ser­vices infor­ma­tiques, il y a des risques liés non seule­ment à la sta­bi­li­té et la lon­gé­vi­té des socié­tés de ser­vices mais aus­si à la péren­ni­té de leurs offres et de leurs busi­ness modèles. 

Les deux étapes sui­vantes sont étroi­te­ment imbri­quées : il s’a­git de l’é­va­lua­tion des modèles d’en­ga­ge­ment et des scé­na­rios pos­sibles. Pour bien sélec­tion­ner le meilleur four­nis­seur, il faut déter­mi­ner le mode de ser­vice pré­fé­ré (par exemple, conseil en trans­for­ma­tion et mise en œuvre ou info­gé­rance), la struc­ture de l’en­ga­ge­ment (par exemple, out­sour­cing glo­bal ou mul­ti­sour­cing), et le niveau de risque asso­cié à chaque option. 

L’é­tape finale consiste à pré­voir les prin­cipes de gou­ver­nance. Il s’a­git de gérer cor­rec­te­ment les niveaux de ser­vices, la rela­tion avec les pres­ta­taires de ser­vice externes et les com­pé­tences internes en vue de répondre aux exi­gences busi­ness et d’a­dap­ter la confi­gu­ra­tion aux chan­ge­ments de l’environnement. 

En somme, les chan­ge­ments et les inves­tis­se­ments exi­gés par la mise en place du sour­cing stra­té­gique sont impor­tants. Néan­moins, seule cette approche donne à l’or­ga­ni­sa­tion les pos­si­bi­li­tés réelles d’at­teindre un équi­libre opti­mal entre les com­pé­tences (internes et externes), les acti­vi­tés, les pro­ces­sus et les ser­vices en vue de réa­li­ser ses objec­tifs stra­té­giques avec un risque minimal. 

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