La lutte contre la pauvreté en Chine

Dossier : Regards sur la ChineMagazine N°589 Novembre 2003
Par Jacques ATTALI (63)

En matière de pau­vreté, comme sur tant d’autres sujets, la Chine est au pre­mier rang : les vic­times de ce qu’on y appelle la “pau­vreté absolue” représen­tent deux fois la pop­u­la­tion française et leur nom­bre ne cesse d’augmenter.

La Chine est pour­tant le pays où la lutte con­tre la pau­vreté a con­nu un des plus grands suc­cès dans le monde ces dernières années. Selon le PNUD, la pro­por­tion des per­son­nes vivant avec moins d’un dol­lar par jour en Chine a chuté de 33 % en 1990 à 16 % en 2000. Elle ne serait plus aujour­d’hui que de 15 %. La Chine est même le seul pays en développe­ment à avoir réus­si à attein­dre les objec­tifs de lutte con­tre la pau­vreté fixés par les Nations Unies. Il n’y aurait plus que 85 mil­lions d’anal­phabètes con­tre 180 mil­lions il y a dix ans. C’est donc un for­mi­da­ble suc­cès de la poli­tique globale.

Il n’empêche : la pau­vreté est tou­jours là. Selon les chiffres offi­ciels, plus de 120 mil­lions de gens vivent encore avec moins d’un dol­lar par jour. Les deux tiers des Chi­nois n’ont pas les moyens de faire appel à un médecin ; et plus de 200 mil­lions de gens sur­vivent dans une telle mis­ère, dans les cam­pagnes notam­ment, qu’ils préfèrent per­dre tous les avan­tages soci­aux liés à la séden­tar­ité, pour devenir des tra­vailleurs itinérants et ten­ter de gag­n­er, un peu mieux, leur vie ; quitte à ris­quer sur les routes l’ex­trême pré­car­ité à laque­lle les con­damne l’il­lé­gal­ité de leur sit­u­a­tion. Et ces nom­bres devraient aug­menter dans l’avenir.

Face à cela, la crois­sance ne suf­fi­ra pas à réduire les écarts. Au con­traire, même si elle se pour­suit au rythme de la dernière décen­nie elle fab­ri­quera plus de rich­es, plus de mem­bres de la classe moyenne, mais aus­si plus de pau­vres, en par­ti­c­uli­er plus de pau­vres urbains, caté­gorie jusqu’i­ci incon­nue offi­cielle­ment en Chine. L’en­trée dans l’OMC et la restruc­tura­tion des entre­pris­es publiques enver­ront au chô­mage des dizaines de mil­lions d’ou­vri­ers ou d’employés. Il est prob­a­ble qu’à vingt ans d’i­ci plus de 400 mil­lions de Chi­nois auront glis­sé dans la très grande pau­vreté, et qu’ils vivront pour l’essen­tiel dans les villes.

Les pro­grammes clas­siques de lutte con­tre la pau­vreté sem­blent déjà insuff­isants devant l’im­men­sité du prob­lème. Ils le seront encore plus dans l’avenir. Les entre­pris­es ne seront pas capa­bles de créer assez d’emplois salariés ; les pro­grammes d’as­sis­tance sociale ne seront jamais assez large­ment financés pour jouer un rôle sig­ni­fi­catif dans cette lutte. Enfin, les trois quarts des Chi­nois n’ont pas accès au sys­tème ban­caire et ne peu­vent financer une petite entreprise.

Dans de très nom­breux autres pays, une autre tech­nique de lutte con­tre la pau­vreté a mon­tré son effi­cac­ité : la micro­fi­nance. Sa fonc­tion est d’of­frir aux plus pau­vres un crédit, sans rien leur deman­der en échange comme garantie pour leur per­me­t­tre de créer leur pro­pre emploi, sans atten­dre du secteur privé qu’il leur offre un tra­vail, ni du secteur pub­lic qu’il leur offre une assis­tance. Ce crédit doit être rem­boursé avec un intérêt réel.

Là où elle s’est par­ti­c­ulière­ment dévelop­pée en Inde, au Bangladesh, en Amérique latine, en Afrique la micro­fi­nance s’est révélée effi­cace con­tre la pau­vreté. En Chine, elle a été longtemps refusée par des bureau­crates réti­cents devant le développe­ment de l’ini­tia­tive sociale privée, et de la vie asso­cia­tive, préférant con­serv­er le con­trôle des pau­vres dans l’or­bite de l’É­tat, social et polici­er. Ces pro­grammes publics sub­ven­tion­nés tien­nent plus de l’as­sis­tance que de la micro­fi­nance car peu d’ef­forts sont faits pour obtenir le rem­bourse­ment des prêts. Les taux d’in­térêt sont entre 6 % et 10 %.

Depuis peu, l’ad­min­is­tra­tion a autorisé, d’abord timide­ment, puis plus libre­ment, la créa­tion de quelques pro­grammes de micro­fi­nance pour l’essen­tiel d’É­tat. Sur les trois cents mil­lions de micro-entre­pre­neurs poten­tiels, qui pour­raient en béné­fici­er, quelque six mil­lions y ont accès aujour­d’hui, dans six cents comtés, à tra­vers quelque deux cents pro­grammes financés pour l’essen­tiel par 700 mil­lions de dol­lars apportés par le gou­verne­ment soit sous forme de pro­jets autonomes, soit sous forme de mise à dis­po­si­tion de crédits par le sys­tème ban­caire, soit comme par­tie inté­grante de pro­grammes plus globaux de lutte con­tre la pauvreté.

Annexe I
Pro­grammes de Micro­fi­nance en Chine
Bailleur de fonds Gou­verne­ment Coopéra­tives rurales de crédit
Date de début 1994 1997 2001
Mon­tant (US$)(1998) 20 M 75 M
Lim­ite de crédit (US$) 125–800 125–800 125‑6000
Méthodolo­gie de crédit Groupes de 5 per­son­nes et fonds de crédit ruraux Groupes de 5 per­son­nes et garanties ban­caires dans les zones urbaines Particuliers ;
groupes solidaires
Épargne Épargne oblig­a­toire pour les membres Épargne oblig­a­toire pour les mem­bres ou pas d’épargne Épargne volontaire
Taux d’intérêt 8% (for­faitaire) ou fixé selon les taux bancaires 3% (for­faitaire) Fixé selon les taux ban­caires (6–7%)
Client ciblé Ménages pauvres Ménages pauvres Tous les ménages des zones rurales


Cer­tains de ces pro­grammes ont été lancés par des ban­ques en par­ti­c­uli­er par des coopéra­tives de crédit rur­al et béné­fi­cient d’ex­per­tise étrangère. Ain­si, dans la province de Qing­hai, un de ces pro­grammes, assisté par une exper­tise aus­trali­enne, per­met à la suc­cur­sale de Haidong de la Banque Agri­cole Chi­noise (ABC) de faire à plus de 20 000 micro-entre­pre­neurs des prêts sub­ven­tion­nés allant de USD 50 à 250, pour qua­tre à douze mois. Ce pro­gramme sem­ble être sur le point d’at­tein­dre un point d’équilibre.

Ailleurs se sont for­més des ” Fonds Vil­la­geois “, regroupant cha­cun une quin­zaine de per­son­nes autour d’un leader com­mu­nau­taire, cha­cun appor­tant USD 25 au groupe ; ces Fonds rece­vant ensuite des ressources de l’É­tat pour financer les pro­jets des mem­bres par des prêts sub­ven­tion­nés. D’autres pro­grammes copi­ent les méth­odes du pre­mier pio­nnier de la micro­fi­nance, la Grameen Bank, au Bangladesh. On les trou­ve dans 48 comtés de 16 provinces. Mais les méth­odes de Grameen, qui sup­posent des réu­nions régulières lim­itées aux seuls entre­pre­neurs, se sont révélées inadap­tées au con­texte chi­nois, où l’ad­min­is­tra­tion se mêle de tout et assiste à ces réunions.

Puis d’autres Insti­tu­tions publiques ont lancé leurs pro­grammes : les Ban­ques Rurales, les coopéra­tives rurales, la Banque Agri­cole Chi­noise, la Poste. Tous appor­tent, à leur façon, des ressources pour mon­ter de tels pro­grammes, en par­ti­c­uli­er dans les provinces de Shanxi, Sichuan, Yun­nan, Guangxi et Guizhou, où des pro­grammes pilotes se sont mon­trés par­ti­c­ulière­ment effi­caces. Peu de pro­grammes véri­ta­ble­ment autonomes ont vu encore le jour. La plu­part restent dépen­dants de l’É­tat ou de dif­férents démem­bre­ments financiers de l’ap­pareil pub­lic. Peu appliquent les principes inter­na­tionaux de la micro­fi­nance. Aujour­d’hui, l’ob­sta­cle prin­ci­pal au développe­ment de la micro­fi­nance en Chine tient à la poli­tique de taux d’in­térêt trop con­trôlée, à l’in­suff­i­sance du pro­fes­sion­nal­isme des Insti­tu­tions et des cadres, qui ne leur per­met pas de tenir tête aux con­signes admin­is­tra­tives et de gér­er leurs affaires de façon autonome.

Pour y remédi­er, le PNUD a déjà financé une ving­taine de ces pro­jets en y con­sacrant US$ 19,32 mil­lions, dont $ 8,21 mil­lions comme lignes de crédit et le reste comme assis­tance tech­nique. Un énorme marché est pos­si­ble pour la micro­fi­nance. Il y a volon­té poli­tique et de l’ex­per­tise en même temps qu’une nou­velle poli­tique de la Banque Centrale.

PlaN­et Finance, en Chine comme ailleurs, aide les Insti­tu­tions de Micro­fi­nance et les admin­is­tra­tions respon­s­ables à acquérir plus de pro­fes­sion­nal­isme en matière de micro­crédit et en par­ti­c­uli­er à mieux utilis­er les nou­velles tech­nolo­gies ban­caires de com­mu­ni­ca­tion, qui leur per­me­t­tent de réduire leurs coûts de ges­tion. Par son action, elle vise à aider la Chine à devenir, à l’é­gal d’autres pays, le cadre d’un développe­ment de toutes les poten­tial­ités créa­tri­ces de ses plus pau­vres citoyens.

Annexe II
Le bureau de PlaN­et Finance en Chine

Créa­tion : sep­tem­bre 2002
Statut : Bureau de représen­ta­tion de PlaN­et Finance
Head Office : Bei­jing

Adresse :

No. 15 Xiwai Dajie Xinx­ing Dongxiang
Zhou­ji Huaqiao Jiu­di­an Rm #1 312
Bei­jing, Chi­na 100 044
Chine
Tél. : + 86 (10) 88.36.39.46
Mél : stsien@planetfinance.org. Site : www.planetfinance.org

Réalisations

Tech­nolo­gies
Créa­tion d’une base de don­nées exhaus­tive des activ­ités de micro­fi­nance en Chine.
Créa­tion d’un por­tail Web (Chi­na Micro­fi­nance Web­site) des­tiné aux prati­ciens, chercheurs, politi­ciens, bailleurs mais aus­si au grand public.
 
Savoirs
Organ­i­sa­tion de plusieurs ate­liers regroupant des acteurs du secteur de la micro­fi­nance afin de les informer sur les pos­si­bil­ités offertes par les nou­velles technologies.
Pro­jet Asia IT & C : sou­tien au secteur de la micro­fi­nance en Chine — mené par PlaN­et Finance en col­lab­o­ra­tion avec l’U­nion européenne :
PlaN­et Finance, en parte­nar­i­at avec la Com­mis­sion européenne, met en place un pro­jet de dix-huit mois des­tiné à soutenir le secteur de la micro­fi­nance en Chine grâce aux tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion. Dans le cadre de ce pro­jet sont prévues des activ­ités de for­ma­tion à la micro­fi­nance et aux nou­velles tech­nolo­gies, la mise en réseau de pro­grammes de micro­fi­nance en Chine à tra­vers un por­tail Web de la micro­fi­nance pro­posant égale­ment du e‑learning, l’équipement infor­ma­tique de pro­grammes parte­naires, ain­si que la créa­tion et l’héberge­ment de leur site Web indi­vidu­el. Ce pro­gramme vise aus­si à met­tre en rela­tion les pro­grammes locaux avec des parte­naires européens.

Parte­naires privés : Suez et Areva.

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