Électricité et énergies renouvelables : jusqu’où le réseau électrique actuel peut-il gérer des sources décentralisées ?

Dossier : Énergie et environnementMagazine N°597 Septembre 2004
Par André MERLIN (62)

Tout au long du vingtième siè­cle, les moyens de pro­duc­tion de l’élec­tric­ité, qu’ils soient ther­miques ou hydrauliques, ont con­nu une crois­sance en taille sur un nom­bre lim­ité de sites. Cette sit­u­a­tion pou­vait s’ex­pli­quer par le gain lié à l’ef­fet de taille et aus­si par la meilleure util­i­sa­tion pos­si­ble des local­i­sa­tions dont l’ac­cept­abil­ité était difficile.

Ce n’est que depuis cette dernière décen­nie que cette ten­dance s’est inver­sée avec le développe­ment de sources de pro­duc­tion décen­tral­isées. En France, ce mou­ve­ment a été ini­tié par le développe­ment d’u­nités de cogénéra­tion, qui four­nissent simul­tané­ment élec­tric­ité et chaleur ter­ti­aires, et plus récem­ment avec le développe­ment des éner­gies renou­ve­lables. Cette ten­dance s’in­scrit dans le cadre de la direc­tive européenne du 27 sep­tem­bre 20011, par laque­lle l’U­nion européenne s’est engagée à porter de 15 à 22 % d’i­ci à 2010 la part de la con­som­ma­tion d’élec­tric­ité cou­verte par les éner­gies renouvelables.

Cette direc­tive, qui a fait l’ob­jet d’une pre­mière éval­u­a­tion par la Com­mis­sion européenne en mai 20042, favorise le développe­ment de moyens de pro­duc­tion, par nature de taille moins impor­tante et dont l’im­plan­ta­tion est plus dis­per­sée. Ce mou­ve­ment est déjà très avancé dans des pays comme le Dane­mark, l’Es­pagne ou l’Alle­magne qui ont notam­ment dévelop­pé un parc éolien très impor­tant. Il en est encore à ses débuts dans beau­coup d’autres pays, dont la France.

Cette ten­dance de fond con­duit RTE, en tant que ges­tion­naire en France du réseau pub­lic de trans­port d’élec­tric­ité, à adapter les dis­po­si­tions pris­es aujour­d’hui pour gér­er et exploiter le parc de pro­duc­tion ; elle va aus­si avoir de fortes réper­cus­sions sur la plan­i­fi­ca­tion et l’ex­ploita­tion du réseau de trans­port d’électricité.

Vous avez dit ” énergies renouvelables ” ?

Le terme éner­gies renou­ve­lables (EnR) recou­vre une vaste gamme de moyens de pro­duc­tion aux tech­nolo­gies var­iées. En matière de pro­duc­tion d’élec­tric­ité, il s’ag­it des sources non fos­siles comme les éner­gies éoli­ennes, solaires pho­to­voltaïques, géother­miques, houlo­motri­ces, maré­motri­ces, hydroélec­triques ou les éner­gies issues de la biomasse.

Ces éner­gies sont déjà util­isées depuis fort longtemps en France mais avec des taux de péné­tra­tion très vari­ables. L’hy­draulique, par exem­ple, cou­vre env­i­ron 15 % de la con­som­ma­tion française d’électricité.

Aujour­d’hui, les autres moyens de pro­duc­tion renou­ve­lables ne jouent pas un rôle sig­ni­fi­catif au regard de la con­som­ma­tion nationale : il y avait ain­si 250 MW de pro­duc­tion éoli­enne en ser­vice à fin 2003 en France con­ti­nen­tale, pour une con­som­ma­tion à la pointe de 80 000 MW.

Pour appréci­er l’im­pact de la pro­duc­tion à base de sources renou­ve­lables, il con­vient d’an­ticiper la nature de la puis­sance qui sera instal­lée et de son évo­lu­tion dans les années à venir.

Le tableau suiv­ant, élaboré en 2002, présente les niveaux d’équipement que le Syn­di­cat des éner­gies renou­ve­lables entend dévelop­per indus­trielle­ment d’i­ci 2010 pour attein­dre les objec­tifs de la direc­tive européenne. À droite, on trou­ve les objec­tifs étab­lis par les pou­voirs publics, pour un hori­zon plus proche.

Tableau I — Deux visions du développe­ment des éner­gies renou­ve­lables en France
Fil­ière Puis­sance (MW) à installer entre 2002 et 2010 [SER]3 Arrêté PPI4 : puis­sance (fourchette MW) à installer entre 2003 et 2007
Éolien 14 000 2 000–6 000
+ 500–1 500 off­shore
Biomasse 1 000 200 — 400
Petite hydroélectricité 1 000 200 — 1 000
Photovoltaïque 150 1 — 50
Géothermie 150 10 — 60


Ces prévi­sions mon­trent qu’il existe un con­sen­sus sur le fait que l’éolien offre le plus fort poten­tiel du développe­ment des éner­gies renouvelables.

Afin de pré­par­er l’avenir, RTE est chargé par la loi d’établir un bilan prévi­sion­nel de l’of­fre et de la demande d’élec­tric­ité qui par­ticipe à l’élab­o­ra­tion de la pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle des investisse­ments de pro­duc­tion. Dans ce cadre, il a été retenu comme hypothèse que le développe­ment des éner­gies renou­ve­lables en France se ferait majori­taire­ment par l’in­stal­la­tion d’un parc éolien, qu’il soit ter­restre ou off­shore ; cette hypothèse est con­fortée par les analy­ses de l’ADEME5.

RTE con­sid­ère en effet que les autres moyens de pro­duc­tion pour­ront être rac­cordés sans dif­fi­culté majeure sur les réseaux exis­tants et représen­teront un vol­ume qui sera d’un ordre de grandeur sim­i­laire à l’in­cer­ti­tude qu’il peut y avoir sur la consommation.

Trois élé­ments déter­mi­nants restent à car­ac­téris­er dans ce contexte :

  • le vol­ume glob­al du parc qui sera instal­lé à divers hori­zons temporels,
  • sa local­i­sa­tion géographique,
  • et ses car­ac­téris­tiques de production.


Sur le pre­mier point, le respect des objec­tifs (ambitieux) de la direc­tive européenne con­duirait à installer env­i­ron 14 000 MW d’i­ci à 2010 (chiffres ADEME).

Quant aux deux autres points, il con­vient de réduire les incer­ti­tudes afférentes par un ensem­ble d’é­tudes prospec­tives que RTE mène actuellement.

Comment fonctionne un réseau ?

La prob­lé­ma­tique pour le ges­tion­naire de réseau de trans­port est dou­ble. Il doit à tout instant :

  • s’as­sur­er qu’il y a égal­ité entre pro­duc­tion et consommation ;
  • s’as­sur­er que la puis­sance pro­duite arrive chez les clients con­som­ma­teurs sans dépass­er la capac­ité des ouvrages du réseau (lignes et transformateurs).


Ce prob­lème se com­plex­i­fie très vite par la prise en compte des aléas affec­tant les élé­ments du réseau ou les cen­trales de pro­duc­tion, les niveaux de con­som­ma­tion, et par l’ex­i­gence de maîtrise de la sûreté du fonc­tion­nement du sys­tème élec­trique — main­tien de la ten­sion, de la fréquence et de la sta­bil­ité des unités de pro­duc­tion. Se rajoute à cela la néces­sité d’en­tre­tien du réseau qui se traduit régulière­ment par la mise hors ten­sion de cer­tains de ses élé­ments, ce qui peut le ren­dre plus vul­nérable. Enfin, ce type de prob­lème se gère simul­tané­ment dans cha­cun des pays européens, qui sont inter­dépen­dants par le biais des lignes d’interconnexion.

L’élec­tric­ité ne se stock­ant pas, le ges­tion­naire de réseau est tenu de prévoir à l’a­vance la disponi­bil­ité des moyens de pro­duc­tion et de réseau qui lui per­me­t­tent le moment venu d’ex­ploiter con­ven­able­ment le sys­tème élec­trique tout en ayant suff­isam­ment de réserve pour faire face à des indisponi­bil­ités fortuites.

RTE a donc mis en place une organ­i­sa­tion spé­ci­fique pour plan­i­fi­er les opéra­tions de main­te­nance de son réseau et donc sa disponi­bil­ité mais aus­si, avec les pro­duc­teurs, pour que soit organ­isée la main­te­nance des moyens de production.

Quel impact un parc éolien peut avoir sur cette organisation ?

En ce qui con­cerne le réseau, l’ar­rivée de 14 000 MW (un peu plus de 15 % de la puis­sance de pointe en France, le 8 jan­vi­er 2003) aura un impact cer­tain. Indépen­dam­ment des lignes à créer pour rac­corder au réseau exis­tant ces nou­veaux moyens de pro­duc­tion, ces instal­la­tions vont très sen­si­ble­ment mod­i­fi­er les tran­sits sur les lignes exis­tantes et peut-être néces­siter leur renforcement.

Mais la car­ac­téris­tique majeure de l’éolien est la très grande vari­abil­ité de la puis­sance délivrée en com­para­i­son des autres moyens de production.

Nous revenons sur ces points dans les para­graphes qui suivent.

Production décentralisée et développement de réseau

Afin de favoris­er le développe­ment des éner­gies renou­ve­lables en France, les pou­voirs publics ont mis en place un ensem­ble de dis­posi­tifs : tarif d’achat6, appels d’of­fres bio­masse, éolien off­shore et ter­restre7.

Une des spé­ci­ficités de ces dis­posi­tifs est que le tarif d’achat ne s’ap­plique qu’à des instal­la­tions de moins de 12 MW. Pour attein­dre les objec­tifs visés, c’est donc env­i­ron à un mil­li­er de rac­corde­ments que les ges­tion­naires de réseaux pour­raient avoir à procéder.

Fig­ure 1 — Vol­ume (en %) des deman­des de rac­corde­ment par région administrative
Volume (en %) des demandes de raccordement d'éoliennes par région administrative

À la dif­férence des rac­corde­ments d’autres moyens de pro­duc­tion, ce sont les ges­tion­naires de réseaux de dis­tri­b­u­tion qui sont en pre­mier lieu con­cernés car 12 MW con­stituent une puis­sance que l’on rac­corde sur de tels réseaux. On pour­rait imag­in­er que ces nou­velles instal­la­tions vont com­penser la con­som­ma­tion locale et ain­si réduire les tran­sits sur les lignes du réseau de trans­port. Mais en fait les niveaux de puis­sance à installer et leur local­i­sa­tion poten­tielle font que la pro­duc­tion sur les réseaux de dis­tri­b­u­tion devient très vite excé­den­taire et doit emprunter le réseau de trans­port. Le ges­tion­naire de ce réseau est donc lui aus­si directe­ment concerné.

La ques­tion posée au ges­tion­naire de réseau de trans­port est de savoir si la capac­ité de son réseau est suff­isante pour accueil­lir tous les pro­jets qui vont se présen­ter. A pri­ori, il s’ag­it d’une ques­tion clas­sique qui implique de con­naître d’une part la local­i­sa­tion des pro­jets et, d’autre part, leur puissance.

Mais la sit­u­a­tion actuelle con­fère à cette ques­tion une dimen­sion par­ti­c­ulière qui rend la prob­lé­ma­tique com­plexe pour les ges­tion­naires de réseaux électriques.

Ceux-ci ont en effet été soumis à une mul­ti­pli­ca­tion des deman­des de rac­corde­ment émanant de por­teurs de pro­jets cher­chant à s’as­sur­er des pos­si­bil­ités de rac­corde­ment au réseau, sans néces­saire­ment avoir mené à bien toutes les démarch­es régle­men­taires préal­ables à la con­struc­tion des instal­la­tions. Cette sit­u­a­tion a été aggravée par la dif­fi­culté des por­teurs de pro­jets à obtenir les per­mis de con­stru­ire et par le fait que le tarif d’achat était lim­ité à deux tranch­es de 1 500 MW. Ain­si, en 2001, plus de 18 000 MW de deman­des ont été adressées aux ges­tion­naires de réseaux ; ce rythme excep­tion­nel ne s’est pas relâché les années suivantes.

Dès lors, la sit­u­a­tion est dev­enue par­ti­c­ulière­ment com­plexe pour les ges­tion­naires de réseaux : en effet com­ment répon­dre à la ques­tion ” puis-je installer 10 MW à tel endroit ? ” sachant qu’au même moment et pour le même endroit sont déposées des deman­des équiv­a­lent à quelques cen­taines voire un mil­li­er de MW de pro­jet dont les chances de réal­i­sa­tion sont toutes très incer­taines. Il est évi­dent que si le pro­jet est le seul à se réalis­er, il n’y aura prob­a­ble­ment aucune dif­fi­culté à le rac­corder. À l’in­verse, si tous les pro­jets ayant fait l’ob­jet d’une demande antérieure devaient se réalis­er, le réseau ne saurait faire face.

Mais qu’en est-il entre les deux ?

Les ges­tion­naires de réseaux ont cher­ché, avec des représen­tants de la pro­fes­sion, à met­tre au point des procé­dures de traite­ment des deman­des de rac­corde­ment des­tinées à apporter une réponse raisonnable à ce prob­lème. RTE a ain­si expéri­men­té deux procé­dures depuis bien­tôt trois ans8 et vient de pub­li­er une nou­velle ver­sion qui est accom­pa­g­née par la paru­tion sur le site Inter­net de RTE de la capac­ité d’ac­cueil du réseau pub­lic de transport.

En par­al­lèle, RTE a égale­ment cher­ché ces dernières années à abor­der le prob­lème sous deux axes différents :

  • la pre­mière ques­tion était ” en sup­posant que les deman­des soient représen­ta­tives des pro­jets qui se réalis­eront et en appli­quant une règle du ” pre­mier arrivé pre­mier servi “, quelle puis­sance saurait-on rac­corder sans ren­force­ment du réseau de transport ? ”
  • la sec­onde ques­tion était ” en sup­posant que le parc éolien se développe au pro­ra­ta des deman­des (14 000 MW con­stru­its pour 18 000 MW demandés) quels ouvrages du réseau de trans­port faudrait-il con­stru­ire pour rac­corder ce parc au réseau ? ”


Cet exer­ci­ce a été con­duit en 2002 puis en 2003 car la local­i­sa­tion des deman­des entre ces deux années a forte­ment var­ié comme l’il­lus­trent les deux cartes ci-dessus.

On a assisté en 2002 à une focal­i­sa­tion des deman­des sur les zones à fort poten­tiel éolien (côtes de la Manche, mer du Nord et régions méditer­ranéennes pour l’essen­tiel). Puis, face aux dif­fi­cultés d’ob­ten­tion des autori­sa­tions, les pro­jets se sont déplacés vers des zones moins ven­tées mais encore attrayantes au vu de la struc­ture du tarif d’achat.

Mal­gré cette vari­a­tion impor­tante des hypothès­es, la capac­ité instal­lable sans impact sur le réseau de trans­port est de 6 000 à 7 000 MW dans les deux cas. L’ex­er­ci­ce a mon­tré une par­ti­tion de la France en deux régions dif­férentes très typées : d’un côté le Nord et l’Ouest où il y a peu de pro­duc­tion sur les réseaux haute ten­sion, et, de l’autre côté, le Sud et le Sud-Est où la capac­ité du réseau est faible et où la pro­duc­tion hydraulique est en con­cur­rence avec l’éolien.

Par con­séquent, l’in­stal­la­tion des pre­miers mil­liers de MW éoliens ne néces­site pas un ren­force­ment du réseau de trans­port, sous réserve que les pro­jets se dévelop­pent plutôt dans la moitié nord de la France.

Par ailleurs, en réponse à la sec­onde ques­tion, les besoins en réseau sont moins impor­tants dans l’hy­pothèse d’une local­i­sa­tion sur la base des élé­ments de 2003 par rap­port à celle de 2002 ; de plus les ouvrages à con­stru­ire sont notable­ment différents.

RTE, con­for­mé­ment à sa mis­sion de développe­ment du réseau pub­lic de trans­port, a analysé l’op­por­tu­nité d’un accroisse­ment de la capac­ité d’ac­cueil du réseau, en rai­son notam­ment des délais par­ti­c­ulière­ment longs de réal­i­sa­tion des lignes de trans­port d’électricité.
Ces analy­ses et les con­clu­sions précé­dentes, selon lesquelles il n’ap­pa­raît pas d’in­vari­ant dans les ouvrages à con­stru­ire, ont claire­ment fait appa­raître deux risques. Le pre­mier est de génér­er des coûts échoués : les ouvrages réal­isés auraient en fait peu de chance d’être une sim­ple antic­i­pa­tion de besoins de trans­port à sat­is­faire ultérieure­ment car les pro­jets sont le plus sou­vent implan­tés dans des zones ayant une faible den­sité de con­som­ma­tion d’élec­tric­ité avec des taux de crois­sance réduits. Le sec­ond risque est de sus­citer une réac­tion de rejet d’au­tant plus fort de la part des pop­u­la­tions con­cernées par ces pro­jets que ceux-ci ne seraient pas claire­ment identifiés.

Aus­si, en rai­son des incer­ti­tudes majeures quant à la cible, la vitesse de déploiement et la local­i­sa­tion des futures instal­la­tions, et en dépit d’une pro­gram­ma­tion nationale des investisse­ments de pro­duc­tion, RTE juge préférable, à ce jour, ne pas pré­cip­iter des développe­ments de réseaux.

L’intermittence de l’éolien et l’ajustement de l’offre à la demande

Principales caractéristiques de la production éolienne

L’in­ter­mit­tence de la pro­duc­tion éoli­enne est une car­ac­téris­tique très spé­ci­fique de ce type de pro­duc­tion. Certes d’autres moyens de pro­duc­tion voient vari­er leur puis­sance de sor­tie, par exem­ple suite à des vari­a­tions de tem­péra­ture ambiante, suite à des inci­dents… mais aucun moyen de pro­duc­tion n’est aus­si vari­able et aus­si impré­dictible que l’éolien.

Fig­ure 2 — Courbe de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion d’un mois dans le sud du Danemark
Courbe de production (éolienne) et de consommation électrique d’un mois dans le sud du Danemark

La fig­ure ci-dessus mon­tre les évo­lu­tions tem­porelles sur un mois de la pro­duc­tion de la zone sud du Dane­mark mise en regard de la con­som­ma­tion sur la même zone. La pro­duc­tion instal­lée à l’époque sur cette zone était d’en­v­i­ron 2 000 MW. La fig­ure illus­tre le fait que la puis­sance d’une zone assez lim­itée peut être qua­si­ment nulle une semaine puis proche de la puis­sance max­i­male la semaine suiv­ante, la tran­si­tion entre ces deux valeurs se faisant en quelques heures.

Certes, l’hy­draulique aus­si présente des car­ac­téris­tiques assez vari­ables mais la dif­férence essen­tielle réside dans la con­stante de temps des phénomènes : quand un litre d’eau a franchi un bar­rage en amont de la Dor­dogne, il lui fau­dra plus de quelques heures pour se répan­dre jusqu’à la Gironde. L’ex­péri­ence acquise a per­mis de dévelop­per des mod­èles math­é­ma­tiques de pré­ci­sion sophis­tiqués au fil des années.

Pour l’éolien, la sit­u­a­tion est dif­férente car, jusqu’à il y a peu, la vitesse du vent (sa prévi­sion ou son relevé) n’é­tait guère un souci, sauf bien sûr pour les plai­sanciers. Les enreg­istrements réal­isés par Météo-France per­me­t­tent toute­fois d’avoir quelques idées sur le com­porte­ment du vent. On sait qu’il y a en moyenne plus de vent l’hiv­er que l’été, qu’il y a plus de vent le jour que la nuit, ce qui, somme toute, est posi­tif puisque la con­som­ma­tion française d’élec­tric­ité a les mêmes car­ac­téris­tiques. Par con­tre, on con­state aus­si que l’é­cart type autour de cette moyenne est très impor­tant, ce qui con­stitue un lourd hand­i­cap. À titre d’il­lus­tra­tion, on trou­vera ci-après une courbe établie pour simuler la pro­duc­tion d’un parc fic­tif de pro­duc­tion éoli­enne français dont l’ob­jec­tif était d’ex­am­in­er la rela­tion entre tem­péra­ture moyenne France et niveau de production.

Deux enseigne­ments peu­vent être tirés de cette courbe : les péri­odes de canicule sont très forte­ment cor­rélées avec des niveaux de pro­duc­tion éoli­enne qua­si nuls. Pour des tem­péra­tures médi­anes ou bass­es toutes les sit­u­a­tions de pro­duc­tion sont vraisem­blables de la plus forte à la plus faible : mais pour les tem­péra­tures les plus bass­es, la pro­duc­tion ne dépasse pas 30 % de la puis­sance installée.

Les prévisions : un enjeu majeur pour l’économie de la filière et la sûreté du système électrique

L’in­ter­mit­tence de la pro­duc­tion n’est pas en soi une dif­fi­culté insur­montable. La con­som­ma­tion d’élec­tric­ité est égale­ment une don­née éminem­ment vari­able que les ges­tion­naires de réseaux savent traiter. L’en­jeu majeur de l’éolien est d’éla­bor­er des prévi­sions qui soient fiables sur des échelles de temps suffisantes.

C’est en effet la veille pour le lende­main que se prend l’essen­tiel des déci­sions dans la ges­tion d’un sys­tème élec­trique : démar­rage des groupes de pro­duc­tion pour cou­vrir la demande du lende­main, véri­fi­ca­tion du respect des règles de sécu­rité du réseau, con­sti­tu­tion des réserves pour faire face aux incer­ti­tudes de la prévi­sion de con­som­ma­tion et aux aléas du lende­main. La qual­ité de la prévi­sion de pro­duc­tion éoli­enne aura donc un impact direct sur le dimen­sion­nement de ces réserves, sou­vent con­sti­tuées par des cen­trales ther­miques fonc­tion­nant à puis­sance réduite, et donc sur l’in­térêt écologique (en ter­mes de réduc­tion des émis­sions de CO2) et économique de cette ressource.

Fig­ure 3 — Puis­sance et tem­péra­ture France jour­nal­ière (sim­u­la­tion 1993–1999)
Puissance et température France journalière (simulation 1993-1999)

Or, beau­coup reste à faire dans ce domaine ! Les ges­tion­naires de réseaux alle­mands indiquent que les prévi­sions à plus de soix­ante-douze heures sont hors d’at­teinte, et que l’er­reur sur les prévi­sions à vingt-qua­tre heures est en règle générale d’une dizaine de pour cent de la puis­sance instal­lée, mais qu’elle peut par­fois attein­dre 50 %.

Dans ces con­di­tions, il appa­raît qu’un impor­tant développe­ment de l’éolien va con­duire à une aug­men­ta­tion sen­si­ble des groupes de pro­duc­tion que l’on devra main­tenir en réserve pour faire face à des aléas de pro­duc­tion ou de con­som­ma­tion. Il est encore dif­fi­cile de dire dans quelle pro­por­tion et à quelle échéance va se situer cette aug­men­ta­tion, car elle dépend aus­si de la part glob­ale de l’éolien dans le sys­tème élec­trique européen.

De sur­croît il con­vient en effet de rap­pel­er la dimen­sion européenne du réseau électrique.

On observe ain­si depuis quelques années sur les liaisons d’in­ter­con­nex­ion inter­na­tionales des fluc­tu­a­tions de tran­sit par­fois impor­tantes et extrême­ment dif­fi­ciles à prévoir. Cer­taines de ces fluc­tu­a­tions ont pour orig­ine des vari­a­tions de pro­duc­tion éoli­enne dont l’am­pleur avait été mal appréciée.

Ce phénomène ira en s’am­pli­fi­ant si l’on con­sid­ère qu’en 2010 il pour­rait y avoir 20 000 MW instal­lés en Alle­magne, plus de 10 000 en Espagne et plusieurs mil­liers en France. On observera alors des déplace­ments impor­tants de la pro­duc­tion dans ces pays en cours de journée ce qui, compte tenu du mail­lage du réseau européen, aura une influ­ence sur les tran­sits à l’échelle de l’Eu­rope entière.

Or, la capac­ité des inter­con­nex­ions inter­na­tionale est lim­itée. Un accroisse­ment de cette capac­ité, out­re qu’il per­met un accroisse­ment des échanges indis­pens­ables à la con­struc­tion du marché européen de l’élec­tric­ité, est sans aucun doute égale­ment souhaitable pour garan­tir la sécu­rité du sys­tème dans ce nou­veau con­texte. Mais les dif­fi­cultés ren­con­trées pour la con­struc­tion de lignes nou­velles, notam­ment en ter­mes d’ac­cept­abil­ité locale risquent de ne pas per­me­t­tre d’at­tein­dre les capac­ités souhaitées à court ou moyen terme.

Dans de telles cir­con­stances, l’amélio­ra­tion des prévi­sions météorologiques est la seule voie qui per­me­t­tra de maîtris­er l’aléa éolien. Des pro­jets européens sur le sujet ont été lancés, mais qui n’en sont encore qu’au stade de la recherche appliquée.

Les ges­tion­naires de réseaux seront con­duits à met­tre en com­mun leurs prévi­sions pour amélior­er celles-ci, et à aug­menter le rythme des échanges d’in­for­ma­tion au niveau jour­nalier et infra­jour­nalier. Cela impli­quera une organ­i­sa­tion resser­rée, qui passe sans doute par une cohérence accrue des mod­èles nationaux, ain­si que des dis­posi­tifs de col­lecte et d’échange.

Ce ne serait pas là un des points les moins para­dox­aux que de voir un moyen de pro­duc­tion extrême­ment décen­tral­isé exiger une organ­i­sa­tion de ges­tion de réseau qua­si centralisée.

Conclusion

Le développe­ment de la pro­duc­tion d’élec­tric­ité par des éner­gies renou­ve­lables devrait prin­ci­pale­ment repos­er en France sur la pro­duc­tion éolienne.

L’ob­jec­tif de 7 000 MW fixé pour l’éolien dans la Pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle des investisse­ments de pro­duc­tion retenue par les pou­voirs publics pour­rait être atteint sans exiger de développe­ments nota­bles du réseau de trans­port, sous réserve d’une local­i­sa­tion adaptée.

Par con­tre, l’at­teinte de la cible de la direc­tive européenne sur les éner­gies renou­ve­lables, dont 14 000 MW en France, con­stitue un nou­veau défi. Elle néces­site des pro­grès con­séquents en matière de prévi­sions météorologiques et sans doute aus­si une organ­i­sa­tion coor­don­née au plan européen.

Il con­vient de soulign­er que le ren­force­ment du réseau de trans­port en France, et des inter­con­nex­ions européennes, paraît une con­di­tion incon­tourn­able à l’at­teinte de cet objec­tif et à la ges­tion har­monieuse de ce parc de production.

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1. Direc­tive 2001/77/CE rel­a­tive à la pro­mo­tion d’élec­tric­ité pro­duite à par­tir de sources d’én­ergie renou­ve­lables sur le marché intérieur de l’électricité.
2. Voir doc­u­ment COM (2004) 366 du 26 mai 2004.
3. Énergie Plus 1er novem­bre 2002.
4. Arrêté du 7 mars 2003 relatif à la pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle des investisse­ments de pro­duc­tion d’électricité.
5. On pour­ra con­sul­ter le site de l’A­gence de développe­ment pour la maîtrise de l’énergie
http://www.ademe.fr ain­si que le site http://www.suivi-eolien.com
6. Arrêtés du 8 juin 2001 (éolien), du 13 mars 2002 (pho­to­voltaïque)…
7. Voir le site de la Com­mis­sion de régu­la­tion de l’én­ergie (www.cre.fr)
8. www.rte-france.com/htm/fr/offre/offre_raccord.htm

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