Et l’enthousiasme, b… !

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°598 Octobre 2004
Par Serge GRUDZINSKI (X76)

Votre truc, c’est for­mi­da­ble, c’est une véri­ta­ble cathar­sis ! ” s’ex­cla­mait il y a quelques années le directeur général d’un impor­tant groupe de ser­vices lors du sémi­naire des directeurs de fil­iales. L’éloge sem­blait telle­ment appuyé qu’il m’é­tait impos­si­ble de répon­dre par un sim­ple sourire, aus­si large fût-il. Je dus donc avouer à mon lau­da­teur que, ayant nég­ligé la langue d’Homère pour celle de Goethe, j’ig­no­rais jusqu’à l’ex­is­tence du mot ” cathar­sis “. Cachant son éton­nement, il m’ex­pli­qua ” ces fameux non-dits… qu’il faut absol­u­ment dire… mais qu’on ne dit jamais… “, d’où tant de prob­lèmes dans les groupes humains. Les cou­ples, les familles, les entre­pris­es se divisent voire se déchirent à qui mieux mieux alors qu’il suf­fi­rait sou­vent d’une bonne cathar­sis pour les rapprocher.

Le dic­tio­n­naire com­plé­ta cette expli­ca­tion en me plongeant dans une trou­blante per­plex­ité. ” Cathar­sis : purifi­ca­tion en met­tant les dif­fi­cultés sur la table. ” Ciel ! ” Purifi­ca­tion ! ” Quelle respon­s­abil­ité s’a­bat­tait soudain sur mes épaules ! J’avais créé cette activ­ité, Humour Con­sult­ing Group, parce que le Rire me procu­rait un plaisir iné­gal­able et qu’il per­me­t­tait de dire beau­coup de choses et voilà que j’en­dos­sais le statut de ” purifi­ca­teur d’entreprise ”

Pour­tant, cette déf­i­ni­tion, aus­si empha­tique qu’elle soit, fai­sait un cer­tain écho à mon expéri­ence. En effet, au fil de mes présen­ta­tions lors de con­ven­tions et de sémi­naires — que nous appelons Présen­ta­tions humoris­tiques de man­age­ment -, j’ai dû me ren­dre à l’év­i­dence de la psy­cholo­gie humaine : quand on exprime des vérités pro­fondes tout en par­venant à sus­citer le Rire, on déclenche chez l’au­di­toire un ent­hou­si­asme impres­sion­nant. Les par­tic­i­pants arborent des vis­ages radieux, ” avec des étoiles plein les yeux “. On a l’im­pres­sion d’un grand soulage­ment, d’une véri­ta­ble libéra­tion col­lec­tive. (Et ce phénomène sem­ble uni­versel puisque nous l’éprou­vons avec de nom­breuses nation­al­ités et cul­tures dif­férentes.) C’é­tait donc cela cette purifi­ca­tion, con­nue depuis l’Antiquité.

On pour­rait m’ob­jecter qu’on n’est pas dans l’en­tre­prise pour s’en­t­hou­si­as­mer — encore moins pour ” rigol­er ” — mais pour ” boss­er “. Loin de moi le désir de con­tester la néces­sité de l’ef­fi­cac­ité, de la pro­duc­tiv­ité, de la rentabil­ité, bref, du suc­cès, objec­tifs de plus en plus impérieux dans un con­texte de grande con­cur­rence et que je partage entière­ment. Mais ceux qui ani­ment des équipes, petites ou grandes, savent que les défis du change­ment aujour­d’hui exi­gent tant d’én­ergie, de créa­tiv­ité, de mise en com­mun des com­pé­tences, de déter­mi­na­tion et d’opiniâtreté qu’on ne peut pas les gag­n­er sans partager une vision, sus­citer une envie, soulever un ent­hou­si­asme chez les acteurs de ce fameux change­ment. Et il y a peu de domaines où la moti­va­tion col­lec­tive puisse naître dans l’in­dif­férence et encore moins dans la peur.

D’ailleurs, cette notion d’en­t­hou­si­asme, qui pour­rait paraître sim­pliste voire gen­til­lette, est sou­vent une préoc­cu­pa­tion pre­mière des dirigeants qui nous font appel. ” Nous avons tout pour réus­sir : une stratégie claire, une nou­velle organ­i­sa­tion, des pro­duits, des process, des com­pé­tences, des moyens, mais je ne sens pas mes équipes, je ne les sens pas motivées. Tout cela manque d’en­t­hou­si­asme ! Et je crains que, mal­gré nos atouts, on n’y arrive pas. ”

J’en prof­i­tai donc pour faire une deux­ième vis­ite au dic­tio­n­naire. ” Ent­hou­si­asme : exal­ta­tion joyeuse, ardeur (du grec, trans­port divin). ” Re-ciel ! Ain­si, la mis­sion de mon équipe se dessi­nait claire­ment… entre la purifi­ca­tion et le trans­port divin !

J’ai préféré une for­mule plus terre- à‑terre : ” généra­teur d’en­t­hou­si­asme pour faciliter le changement “.

Ceux que des effets si puis­sants — qui sem­blent par­fois mag­iques — inquiéteraient peu­vent se ras­sur­er. Tout cela est très naturel puisque ” le Rire est le pro­pre de l’Homme ” et que celui-ci ne rit que s’il le veut bien. C’est un des rares domaines où on ne puisse pas manip­uler l’être humain. Ensuite, l’hu­mour pra­tiqué pour obtenir un tel résul­tat ne con­tient pas de for­mules ésotériques emprun­tées à la sor­cel­lerie. Au con­traire, cet humour, empreint de bien­veil­lance, — ce qui ne veut pas dire sans puis­sance ni caus­tic­ité, bien au con­traire — est appliqué aux réal­ités vécues par les col­lab­o­ra­teurs de l’en­tre­prise con­cernée. Il traite ” au micron près ” les résis­tances au change­ment, les antag­o­nismes, les con­flits, les para­dox­es, les incom­préhen­sions, les peurs. C’est l’al­liance de cet humour et de cette per­ti­nence qui per­met de :

  • créer un sen­ti­ment salu­taire de recon­nais­sance chez les équipes qui ont souf­fert lors de tel ou tel changement,
  • dédrama­tis­er les dif­fi­cultés du moment afin que les col­lab­o­ra­teurs puis­sent con­cen­tr­er leur énergie sur l’avenir,
  • provo­quer des pris­es de con­science de la néces­sité d’évoluer, des ” élec­tro­chocs positifs “.


De sur­croît, le fait d’ex­primer les réal­ités vécues par les divers groupes (métiers, sites, généra­tions) au sein de l’en­tre­prise dans un grand moment d’é­coute et d’ou­ver­ture per­met de décloi­son­ner, de ” faire tomber les bar­rières “. Cela favorise la trans­ver­sal­ité entre les entités alors qu’elles ont sou­vent ten­dance à se refer­mer face aux con­traintes du changement.

Les sit­u­a­tions très var­iées que j’ai abor­dées lors de ces douze années de décou­verte de la cathar­sis par le Rire ont mon­tré la puis­sance de l’ap­proche mais aus­si l’im­por­tance d’une méthodolo­gie rigoureuse dans l’analyse de la sit­u­a­tion et des prob­lèmes (audit, val­i­da­tion) et dans leur mise en forme.

L’écri­t­ure comique et la présen­ta­tion, quant à elles, font appel à un tal­ent très par­ti­c­uli­er. On est là dans un domaine artis­tique où la ratio­nal­ité n’a plus sa place : cela ne s’ex­plique pas, cela se vit2.

Par­mi les nom­breuses inter­ven­tions qui ont rap­proché les col­lab­o­ra­teurs autour des mes­sages de change­ment de leur entre­prise, quelques-unes ont eu lieu dans des con­textes par­ti­c­ulière­ment dif­fi­ciles où leur impact a été encore plus remarquable.

Par exem­ple, un groupe répar­ti dans toute l’Eu­rope con­nais­sait de sérieuses dif­fi­cultés de tré­sorerie qui fai­saient red­outer chaque jour le dépôt de bilan. La vie de tous était empoi­son­née par ce prob­lème auquel s’a­joutait une angoisse cer­taine. Dans ce con­texte fal­lait-il main­tenir la réu­nion annuelle des deux cents directeurs de sites et directeurs fonc­tion­nels ? Si on annu­lait cette réu­nion rit­uelle — pre­mier réflexe d’un ges­tion­naire aux abois -, tout le monde risquait de se dire : ” ça y est ! C’est la fin. ” Si on la main­te­nait, com­ment éviter un rassem­ble­ment de ” gueules d’en­ter­re­ment ” qui ne ferait qu’ag­graver la sin­istrose générale ? Là, la néces­sité de ” génér­er de l’en­t­hou­si­asme ” se fai­sait vrai­ment sen­tir ! Pos­i­tiv­er au max­i­mum des respon­s­ables assail­lis d’idées noires, les soulager de leurs visions pes­simistes afin qu’ils libèrent toute leur énergie pour entraîn­er leurs équipes dans le redressement.

Il est cer­tain que, dans de tels cas, l’ex­er­ci­ce de l’hu­moriste s’ap­par­ente à une ” mis­sion impos­si­ble ” mais le défi est mer­veilleuse­ment moti­vant. En effet, seul l’hu­mour, bien ori­en­té, peut soulager les par­tic­i­pants de telles angoiss­es et trans­former une réu­nion sin­istre en un moment de dynami­sa­tion col­lec­tive dont l’en­jeu est déter­mi­nant pour l’avenir de l’en­tre­prise. Pari tenu.

Un autre exem­ple fut tout aus­si déli­cat et rad­i­cal. Le comité de direc­tion d’un groupe était dans un cer­tain état de déliques­cence : perte de con­fi­ance due à une his­toire mou­ve­men­tée et con­flictuelle, risque de scis­sion, d’é­clate­ment, au mieux de décourage­ment irréversible. Com­ment con­va­in­cre les mem­bres de ce comité de direc­tion de par­ticiper à un sémi­naire — un de plus ? Com­ment obtenir qu’ils s’im­pliquent dans ce ” sémi­naire de la dernière chance “, qu’ils dia­loguent ? Là encore, seul l’hu­mour, seul le Rire per­me­t­tent d’ex­primer d’en­trée de jeu les vérités essen­tielles de cha­cun, aus­si découragé ou isolé soit-il, afin qu’il se sente com­pris et qu’il ait envie de con­fron­ter son point de vue à ceux des autres, pour recon­stru­ire une équipe. Ain­si, après à peine quar­ante min­utes, qui avaient fait tomber les masques et les armes, le sémi­naire réputé ” impos­si­ble ” abor­dait les ques­tions clés avec la par­tic­i­pa­tion de tous dans une ambiance soulagée et franche. Sur huit heures du temps pré­cieux de ces dirigeants, on avait évité d’en per­dre qua­tre en faux-fuyants.

Mais notre approche dévelop­pée dans Humour Con­sult­ing Group n’est pas seule­ment le ” Samu du change­ment “. Dans des cir­con­stances plus clas­siques d’évo­lu­tion des entre­pris­es, moins extrêmes, elle agit comme accéléra­teur de la com­mu­ni­ca­tion, passeur des mes­sages essen­tiels (dans tous les sens), fédéra­teur des équipes.

Le change­ment dans l’En­tre­prise est avant tout une his­toire humaine et le Rire est le plus court chemin entre les Hommes : entre leurs cerveaux et, sou­vent, entre leurs cœurs.

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Le titre inspiré du titre d’un film : Et la ten­dresse, b… !
2. Le lecteur pour­ra obtenir des extraits vidéo auprès d’Hu­mour Con­sult­ing Group ou bien con­sul­ter le site www.humour-consulting.com

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