Les activités d’une banque étrangère à Kiev

Dossier : UkraineMagazine N°547 Septembre 1999
Par Jacques MOUNIER

Après l’é­cla­te­ment de l’URSS, en 1991, nos équipes ont immé­dia­te­ment tra­vaillé pour nous per­mettre d’être pré­sents en Rus­sie et en Ukraine, les deux nou­veaux pays les plus impor­tants de la nou­velle CEI, pour y mener une acti­vi­té de banque com­mer­ciale de plein exer­cice. Notre but, comme dans cha­cune de nos implan­ta­tions inter­na­tio­nales, était de pou­voir accom­pa­gner ou pré­cé­der nos grands clients inter­na­tio­naux. Le Cré­dit Lyon­nais Rus­bank, en 1993 à Saint-Péters­bourg et en 1994 à Mos­cou, a été la pre­mière banque occi­den­tale opé­ra­tion­nelle dans la nou­velle Russie.

De même en Ukraine, la créa­tion d’une banque « étran­gère » était une pre­mière. Une licence a été deman­dée en juillet 1992 à la nou­velle Banque Natio­nale de l’U­kraine et a été accor­dée au Cré­dit Lyon­nais Ukraine en juillet 1993. Ce n’é­tait que l’une des étapes d’une mise en place qui nous a per­mis d’a­voir, avec les auto­ri­tés de ce pays, un dia­logue et une coopé­ra­tion remar­quables, qui perdurent.

Après l’ob­ten­tion de la licence, nous nous sommes atte­lés à trou­ver des locaux et à recru­ter du per­son­nel. Pour les locaux, une den­rée rare alors, une par­tie du qua­trième étage du musée Lénine, deve­nu la Mai­son de l’U­kraine, fit l’af­faire jus­qu’à la mi-1999. Pour le per­son­nel, les auto­ri­tés sou­hai­taient que nous ne recru­tions pas au sein des banques ukrai­niennes. Des jeunes, for­més par le Cré­dit Lyon­nais à Kiev et à l’é­tran­ger, en anglais, notre langue de tra­vail, forment l’os­sa­ture de l’é­quipe qui com­prend aujourd’­hui 70 per­sonnes. Et en mai 1994, nous ouvrions les pre­miers comptes clients.

Cinq années d’exploitation

Nous sommes res­tés pen­dant trois ans la seule banque étran­gère ins­tal­lée en Ukraine. La seconde, arri­vée en 1997, était éga­le­ment une banque fran­çaise, la Socié­té Géné­rale. Aujourd’­hui, nous sommes huit banques dont le capi­tal est, pour l’es­sen­tiel, déte­nu par des inté­rêts occi­den­taux. Ce nombre est éle­vé compte tenu de la situa­tion éco­no­mique actuelle.

Nos clients, les entre­prises inter­na­tio­nales, nous ont rejoints. En y ajou­tant les repré­sen­ta­tions diplo­ma­tiques et, natu­rel­le­ment, des entre­prises ukrai­niennes, essen­tiel­le­ment les expor­ta­teurs, nous avons main­te­nant dépas­sé le seuil des 500 clients, entre­prises et institutionnels.

Nos ser­vices consistent à gérer des flux d’im­port-export ain­si que des flux en mon­naie ukrai­nienne, la gryv­na. Le cré­dit est peu déve­lop­pé en rai­son des taux d’in­té­rêt éle­vés pour des emprunts en mon­naie locale et en rai­son d’un risque de change consi­dé­rable pour les emprunts en devises. En matière d’import/export, les régle­men­ta­tions sont émi­nem­ment chan­geantes et entraînent une forte consom­ma­tion de temps et de papier.

Par contre, en matière de paie­ments internes, l’U­kraine dis­pose de sys­tèmes de com­pen­sa­tion inter­ban­caire effi­caces et modernes. Nous dis­po­sons d’un sys­tème de paie­ment élec­tro­nique qui nous per­met d’exé­cu­ter des vire­ments vers d’autres banques ou d’en rece­voir de ces mêmes banques. Plus de 150 de nos clients uti­lisent ce ser­vice pour régler leurs salaires ou leurs four­nis­seurs et pour rece­voir des paie­ments de leurs clients.

Enfin il est évident que nos clients consi­dèrent le Cré­dit Lyon­nais Ukraine comme une banque rela­ti­ve­ment sûre. Nos résul­tats sont modestes dans l’ab­so­lu, mais tout à fait hono­rables, en com­pa­rai­son avec le capi­tal inves­ti. Pour nous, cet inves­tis­se­ment consti­tue une réussite.

Nous devons cette réus­site d’a­bord à nos clients. Mais nous la devons aus­si à notre per­son­nel : celui-ci est d’ex­cel­lente édu­ca­tion, tri­lingue voire qua­dri­lingue : ukrai­nien, russe, anglais et par­fois fran­çais. Il est effi­cace, sur­tout lors­qu’il est bien enca­dré et dis­pose des bons outils. La qua­li­té de l’exé­cu­tion est bonne.

Tou­te­fois, pour des rai­sons par­fai­te­ment com­pré­hen­sibles au vu de son his­toire, ce pays souffre d’une absence de créa­teurs et de ges­tion­naires capables de mener des pro­jets ou de gérer dans une optique de long terme, sur­tout pour les per­sonnes d’âge mûr for­mées pen­dant la période soviétique.

Au demeu­rant, notre exploi­ta­tion a été et reste très dépen­dante de l’é­vo­lu­tion de l’U­kraine, telle qu’elle est per­çue de l’é­tran­ger ; très dépen­dante éga­le­ment de sa situa­tion éco­no­mique. L’U­kraine a eu l’im­mense avan­tage de démar­rer sans endettement.

Mais son inex­pé­rience, son absence de culture en matière de ges­tion et l’ins­ta­bi­li­té qui existe sur les plans fis­caux, régle­men­taires, légaux… ont été et res­tent des han­di­caps forts pour son déve­lop­pe­ment et son inté­gra­tion à nos mar­chés occi­den­taux. Au cours de ces cinq années de régres­sion sur le plan éco­no­mique, les défi­cits bud­gé­taires, les défi­cits de la balance com­mer­ciale et de la balance des paie­ments… ont été per­ma­nents, mais ils décroissent et tendent vers zéro. L’hy­per­in­fla­tion a main­te­nant disparu.

Main­te­nant, les émis­sions de bons du Tré­sor et d’emprunts à l’é­tran­ger par le Gou­ver­ne­ment ne font plus recette… sur­tout après l’ef­fon­dre­ment finan­cier de la Rus­sie en août 1998. Les auto­ri­tés, et en par­ti­cu­lier la Banque Cen­trale d’U­kraine, ont très bien géré cette crise « russe ».

Dans ce pays lar­ge­ment démo­né­ti­sé, où le sys­tème ban­caire est fra­gile mais trop peu déve­lop­pé pour peser lourd sur l’é­co­no­mie, la mon­naie a été déva­luée de façon douce, de deux à quatre gryv­nas pour un dol­lar (soit deux fois moins que le rouble qui s’est déva­lué de 6 à 24 pour un dol­lar) ; jus­qu’i­ci, les échéances des emprunts à l’é­tran­ger ont été hono­rées ou rééche­lon­nées « à l’amiable ».

En réa­li­té, l’ac­ti­vi­té éco­no­mique ukrai­nienne n’a régres­sé que de façon mar­gi­nale depuis août 1998, même si nos clients inter­na­tio­naux, impor­ta­teurs en Ukraine, ont pu connaître une régres­sion plus mar­quée, leurs prix deve­nant non com­pé­ti­tifs du fait de la dévaluation.

Et maintenant

L’U­kraine n’a pas vrai­ment atti­ré les inves­tis­seurs étran­gers depuis son indé­pen­dance : les inves­tis­se­ments directs étran­gers tota­lisent envi­ron 3 mil­liards de dol­lars depuis 1991, un mon­tant que la Pologne obtient actuel­le­ment en six mois. Des oppor­tu­ni­tés d’in­ves­tis­se­ment existent donc actuel­le­ment en Ukraine à des condi­tions par­fai­te­ment raisonnables.

À condi­tion de jouer le long terme, le suc­cès est pro­bable pour tout inves­tis­seur sérieux. Après les élec­tions pré­si­den­tielles, fin octobre et début novembre, les inves­tis­seurs étran­gers devraient, espé­rons-le, sor­tir de leur expectative.

Il est éga­le­ment vrai­sem­blable que la façon selon laquelle seront réglées les échéances proches de la dette envers l’é­tran­ger condi­tion­ne­ra le futur : en effet, si l’en­det­te­ment exté­rieur de l’U­kraine est modeste (il n’ex­cède pas 15 mil­liards de dol­lars), le rem­bour­se­ment des échéances dans les deux ans à venir porte sur 5 mil­liards de dol­lars et ne sera pas chose facile.

Le sou­tien des ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales (FMI, Banque Mon­diale, BERD…) ne s’est tou­te­fois jamais démen­ti car l’U­kraine est un pays impor­tant, sur le plan géo­po­li­tique, pour la com­mu­nau­té occidentale.

Notre acti­vi­té de banque, expri­mée en devises fortes, a natu­rel­le­ment décru depuis un an. Mais elle reste bonne. À terme, et c’est le propre de l’ac­ti­vi­té ban­caire, elle est for­te­ment dépen­dante de l’é­vo­lu­tion éco­no­mique et finan­cière de ce pays.

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