Bossuet par Hyacinthe Rigaud.

Une pépinière de bons chefs d’entreprise : les littéraires

Dossier : La France a besoin d'entrepreneursMagazine N°549 Novembre 1999
Par Daniel JOUVE

Ces obser­va­tions ne se placent pas dans le cadre de l’op­po­si­tion de deux tri­bus, les matheux et les lit­té­raires, oppo­si­tion dans laquelle on laisse entendre que ceux qui font des études lit­té­raires sont ceux qui n’é­taient pas capables de faire des mathé­ma­tiques. C’est une idée fort triste mais mal­heu­reu­se­ment encore très répan­due dans le pays qui a don­né au monde Blaise Pascal.

L’in­di­vi­du déve­loppe sa capa­ci­té d’ex­pres­sion en appre­nant les rouages et les sub­ti­li­tés de la langue (et on n’a pas trou­vé mieux que le latin et le grec pour faire com­prendre le fran­çais) et sur­tout en fré­quen­tant les écrits de ceux qui savent créer des mes­sages aus­si divers en uti­li­sant les mêmes mots four­nis par le dictionnaire.
C’est une école de liber­té, de créa­ti­vi­té, d’o­ri­gi­na­li­té. C’est l’in­verse de l’u­ti­li­sa­teur de l’in­for­ma­tique qui n’est effi­cace qu’en sui­vant ser­vi­le­ment la pen­sée de celui qui a conçu le système.

On me dit : « Peut-être avez-vous rai­son mais com­ment don­ner la rigueur aux lit­té­raires ? » On veut dire par là que les lit­té­raires sont des bara­ti­neurs flous. Une seule réponse : lisez l’His­toire uni­ver­selle de Bos­suet et voyez com­ment un homme qui a vécu il y a trois cents ans cap­ture votre atten­tion et vous fait une démons­tra­tion enri­chis­sante dans une phrase qui fait une page et demie sans que vous per­diez le fil… et en vous don­nant envie de lire les pages sui­vantes. Quelle méca­nique de pré­ci­sion que l’on n’im­pose pas à l’autre mais qui le charme, l’ins­truit et l’enthousiasme !

À mon avis, la for­ma­tion lit­té­raire pré­pare le futur entre­pre­neur en lui don­nant une capa­ci­té d’ex­pres­sion fine, une connais­sance des res­sorts de la nature humaine et en lui don­nant aus­si une capa­ci­té à pen­ser « en relief », expres­sion que j’ex­pli­ci­te­rai ci-dessous.

La capacité d’expression est l’arme absolue de l’entrepreneur

L’en­tre­prise moderne est une socié­té aux publics mul­tiples (équipes de res­sources humaines, de vente, de mar­ke­ting, de recherche et déve­lop­pe­ment, de fabri­ca­tion, de finances, d’in­for­ma­tique). Cha­cun de ces groupes doit adhé­rer au mes­sage de l’en­tre­pre­neur et col­la­bo­rer avec tous les autres groupes alors que pour chaque groupe le choix des mots et la « cou­leur » de cha­cun sont différents.


Bos­suet par Hya­cinthe Rigaud. © ND-VIOLLET

Le grand fédé­ra­teur qu’est le chef d’en­tre­prise doit être sen­sible à toutes ces nuances et les uti­li­ser pour faire pas­ser un mes­sage simple et enthou­sias­mant : voi­ci où nous allons et voi­ci ce qui est atten­du de chacun.

Napo­léon Bona­parte, offi­cier d’ar­tille­rie for­mé aux mathé­ma­tiques dans les bonnes écoles, n’a pas prou­vé la vic­toire à venir au tableau noir avec des équa­tions ! Il a dit ces mots magiques : « Sol­dats, du haut de ces pyra­mides, qua­rante siècles vous contemplent. »

Les sciences humaines et sur­tout l’his­toire mais aus­si la psy­cho­lo­gie et la phi­lo­so­phie enseignent à l’en­tre­pre­neur ce que sont les groupes humains, leurs struc­tures, leurs riva­li­tés, ce qu’est le pou­voir, la séduc­tion, l’or­gueil, la gloire, la récom­pense. Et tout cela, n’est-ce pas le tis­su de l’entreprise ?

Enfin, les langues ne sont pas seule­ment des moyens de com­mu­ni­quer avec des col­la­bo­ra­teurs, des concur­rents, des four­nis­seurs, des mar­chés dans d’autres pays. Les langues sont l’ex­pres­sion d’une forme de pen­sée ori­gi­nale et celui qui en pos­sède plu­sieurs peut « pen­ser en relief » car, pour sai­sir le relief, il faut avoir plus d’un œil ou d’un objec­tif. Les entre­pre­neurs pré­sents ou futurs ont été en France au plus facile et au plus effi­cace en appre­nant l’an­glais. Si les hommes qui nous gou­vernent et se disent euro­péens vou­laient bien lan­cer une croi­sade pour que les Fran­çais apprennent l’al­le­mand, les entre­prises seraient mieux gérées pour le béné­fice de tous.

Tout ceci ne cri­tique ni ne rejette les for­ma­tions scien­ti­fiques et leurs valeurs. Deman­dez tout de même aux diri­geants des 1 000 pre­mières entre­prises fran­çaises com­bien de fois au cours des douze der­niers mois ils ont réso­lu une équa­tion, trai­té un pro­blème de méca­nique ou d’élec­tri­ci­té et com­bien de fois ils ont pris la parole en public, convain­cu un client de signer un gros mar­ché, remo­ti­vé un diri­geant ou grillé un concur­rent, en fai­sant une ana­lyse plus « en relief » que lui.

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