Pour un droit probabiliste

Dossier : Libres proposMagazine N°591 Janvier 2004
Par Hervé NIFENECKER (55)
Par Yvon GRALL
Par Bernard KIRCHNER (55)
Par Jean SCHEIDHAUER

Les logiques juridique et scientifique sont-elles compatibles ?

Les logiques juridique et scientifique sont-elles compatibles ?

Au cours du XXe siè­cle, et de façon plus mar­quée dans le courant de sa deux­ième moitié, la démarche sci­en­tifique a util­isé de plus en plus sou­vent le puis­sant out­il que con­stitue l’analyse prob­a­biliste des sit­u­a­tions. La physique mod­erne nous a mon­tré que des événe­ments ordi­naires et repro­ductibles, que nous percevons comme de nature déter­min­iste, reposent en fait sur des phénomènes aléa­toires dans l’in­fin­i­ment petit.

Cepen­dant, à ce jour, dans le domaine du droit la vérité reste essen­tielle­ment binaire. Prenons un exem­ple con­nu : Omar Had­dad est-il coupable d’avoir tué Madame Mar­chal ? À cette ques­tion, le juge n’en­vis­age qu’un type de réponse pos­si­ble : oui ou non. Aucun juriste n’imag­in­erait que Omar Had­dad puisse être coupable avec une cer­taine prob­a­bil­ité, et inno­cent avec la prob­a­bil­ité com­plé­men­taire. Certes le doute est per­mis quant au degré de respon­s­abil­ité éventuel de l’au­teur de l’acte (et d’ailleurs recon­nu, soit par la pos­si­bil­ité d’ac­quit­te­ment pur et sim­ple, soit par l’ob­ten­tion de cir­con­stances atténu­antes), mais il demeure que, selon le mode de raison­nement juridique, il y a soit cul­pa­bil­ité, soit inno­cence, et non les deux à la fois.

Au con­traire, dans le domaine sci­en­tifique, pour obtenir une représen­ta­tion plus cor­recte de la réal­ité, on est con­duit de plus en plus sou­vent à rem­plac­er le déter­min­isme par la prob­a­bil­ité. Et cela affecte égale­ment les appli­ca­tions de la sci­ence au ser­vice du droit. Même dans les cas où le respon­s­able ou coupable d’un sin­istre ou d’un crime est bien iden­ti­fié, lorsque l’ex­pert tech­nique ou médi­cal est con­vo­qué devant le tri­bunal pour don­ner son avis sur tel ou tel aspect, il est excep­tion­nel qu’il puisse répon­dre caté­gorique­ment par oui ou par non à la ques­tion posée.

Le plus sou­vent la rela­tion de cause à effet sera très prob­a­ble, prob­a­ble ou peu prob­a­ble : il est très rare qu’elle soit cer­taine à 100 %. De telles cir­con­stances exis­tent d’ailleurs non seule­ment au pénal, mais aus­si au civ­il. Dans ce dernier cas la notion de respon­s­abil­ité est très sou­vent décou­plée de celle de cul­pa­bil­ité. On peut être respon­s­able sans être coupable. C’est là le pain quo­ti­di­en des com­pag­nies d’as­sur­ances qui font face à des deman­des d’in­dem­ni­sa­tion jus­ti­fiées même dans des cas où aucun coupable ne peut être désigné.

Face à ces sit­u­a­tions d’in­cer­ti­tude, de tout temps et aujour­d’hui encore le juge, comme Salomon ou saint Louis sous son chêne, a cou­tume de tranch­er ” en son âme et con­science “. C’est d’ailleurs là ce qu’il con­sid­ère comme étant l’essence même de son rôle, ce qui lui donne sa noblesse. Mais exam­inons plus avant ce qui se passe dans dif­férentes sit­u­a­tions d’incertitude.

La logique actuelle du droit s’ap­plique sans dif­fi­culté lorsqu’il existe une qua­si-simul­tanéité entre l’ef­fet et la cause : le coup de couteau est immé­di­ate­ment suivi par la blessure et sa con­stata­tion. Si l’au­teur est iden­ti­fié de façon cer­taine, alors la cause est enten­due : le choix de la sanc­tion pour l’au­teur de l’acte et de la répa­ra­tion pour la vic­time dépen­dra de l’ap­pré­ci­a­tion des moti­va­tions et des respon­s­abil­ités et con­stitue par excel­lence le domaine réservé où doit s’ex­ercer la justice.

Les dif­fi­cultés survi­en­nent lorsque l’ef­fet appa­raît longtemps après la cause : le can­cer de la plèvre appa­raît de nom­breuses années après le tra­vail sur l’ami­ante qui en est prob­a­ble­ment respon­s­able. La coïn­ci­dence tem­porelle ne peut plus être alors invo­quée comme preuve. On aura recours à la sci­ence et aux experts pour décou­vrir une rela­tion causale. Dans un cer­tain nom­bre de cas, l’ef­fet (une mal­adie, par exem­ple) est si spé­ci­fique que la rela­tion mise en évi­dence peut être con­sid­érée comme très prob­a­ble. Ce fut le cas pour les affaires du sang con­t­a­m­iné et de la vache folle.

Dans de nom­breux autres cas, l’ef­fet (can­cer, allergie, affec­tions car­dio­vas­cu­laires ou res­pi­ra­toires) peut résul­ter de mul­ti­ples caus­es ; par­mi celles-ci la cause incrim­inée (radi­a­tions dues à l’én­ergie nucléaire, diox­ines dues à un inc­inéra­teur, tabag­isme pas­sif, pro­duits chim­iques inhalés ou ingérés, ozone…) peut n’avoir apporté qu’une faible contribution.

Il ne faut pas oubli­er non plus que cer­tains états pathologiques peu­vent sur­venir spon­tané­ment en l’ab­sence de toute cause iden­ti­fi­able. Dans les cas où le retard dans l’ap­pari­tion des effets est con­jugué avec la mul­ti­plic­ité des caus­es pos­si­bles, il y a un véri­ta­ble prob­lème : d’où les réflex­ions et propo­si­tions qui suivent.

Pour les cas d’ex­po­si­tion à risque recon­nu, on dis­tingue jusqu’à présent deux pra­tiques suiv­ant le statut de la vic­time : la pre­mière, appliquée en matière de droit du tra­vail dans de nom­breuses con­ven­tions col­lec­tives et dans la lég­is­la­tion des mal­adies pro­fes­sion­nelles, donne l’a­van­tage du doute au salarié ; la deux­ième, qui con­cerne le grand pub­lic générale­ment soumis à de faibles ou très faibles expo­si­tions à risque, n’en­vis­age pra­tique­ment jamais d’in­dem­ni­sa­tion au point que les reven­di­ca­tions dans ce sens sont exceptionnelles.

Exemples : sclérose en plaques et cancer de la thyroïde

Mais, dans ce dernier cas, la judi­cia­ri­sa­tion crois­sante de la société fait augur­er une évo­lu­tion des pra­tiques. Par exem­ple, cer­tains malades atteints de sclérose en plaques ont cru pou­voir met­tre en cause la vac­ci­na­tion con­tre l’hé­patite B. Les preuves épidémi­ologiques d’une rela­tion entre la vac­ci­na­tion et le développe­ment de la mal­adie sont faibles sans qu’on puisse, pour autant, l’ex­clure1. L’éven­tu­al­ité que l’É­tat soit con­damné a con­duit à renon­cer à la pra­tique de la vac­ci­na­tion oblig­a­toire, ce que cer­tains médecins con­sid­èrent comme une erreur qui aura des con­séquences san­i­taires bien plus graves que n’au­rait pu avoir le main­tien pur et sim­ple de l’oblig­a­tion. Par exem­ple, la sup­pres­sion d’un inci­dent affec­tant une per­son­ne sur un mil­lion pour­rait avoir comme con­trepar­tie l’ap­pari­tion d’une dizaine de patholo­gies graves, avec peut-être plusieurs décès : mais les débats entre experts sur ce point ne sont pas clos.

Un autre exem­ple est don­né par les procès qui sont actuelle­ment inten­tés con­tre l’É­tat par des malades souf­frant de can­cers de la thy­roïde, au motif que ces can­cers seraient dus au nuage de Tch­er­nobyl et qu’ils auraient pu être évités si l’É­tat avait inter­dit la vente de pro­duits réputés con­t­a­m­inés ou recom­mandé la prise préven­tive de pilules d’iode. Toutes les études épidémi­ologiques menées jusqu’à présent con­clu­ent à l’ab­sence d’ef­fet ” Tch­er­nobyl ” dans l’évo­lu­tion du nom­bre de can­cers de la thy­roïde en France. Toute­fois ces études ont un car­ac­tère sta­tis­tique et ne peu­vent donc pas exclure que tel ou tel cas soit lié, effec­tive­ment, à la dés­in­té­gra­tion d’un seul atome d’iode provenant du nuage qui a bien sur­volé la France. Que pour­ra alors décider un juge placé devant la reven­di­ca­tion d’un malade qui a souf­fert dans sa chair pen­dant de nom­breuses années et qui demande répa­ra­tion ? Dans l’é­tat actuel du droit, il peut soit don­ner rai­son au plaig­nant, soit lui don­ner tort. Lui don­ner rai­son, c’est lui accorder une indem­ni­sa­tion et, dans le même temps, con­damn­er l’É­tat pour faute et créer un précé­dent qui sera invo­qué dans la jurispru­dence. Lui don­ner tort, c’est le priv­er de cette indem­ni­sa­tion alors qu’au­cun expert ne pour­ra assur­er avec cer­ti­tude que la prise d’une pilule d’iode au bon moment n’au­rait pas évité le can­cer. Un juge ” humain et bien­veil­lant ” sera ten­té d’ac­corder le béné­fice du doute au malade plutôt qu’à l’É­tat. Or pra­tique­ment tous les sci­en­tifiques sont per­suadés que le can­cer en ques­tion n’est ” presque sûre­ment pas ” lié à la cat­a­stro­phe (mais le dia­ble n’est-il pas pré­cisé­ment dans le ” presque ” ?).

Ain­si le droit et la sci­ence se trou­vent-ils en con­flit. Rap­pelons, par ailleurs, que, alors que le mes­sage offi­ciel, après la cat­a­stro­phe, fut ” ras­sur­ant ” en France, il fut ” alarmiste ” dans des pays voisins comme l’Alle­magne, l’I­tal­ie ou la Suisse. Ces pays choisirent une poli­tique beau­coup plus sévère en ce qui con­cerne le retrait de la vente des ali­ments faible­ment con­t­a­m­inés. Cette poli­tique, respec­tant apparem­ment ce qui allait devenir le principe de pré­cau­tion, eut aus­si pour résul­tat d’af­fol­er une par­tie de la pop­u­la­tion ayant pu con­duire cer­taines femmes (il y a con­tes­ta­tion sur ce point) à se faire avorter de crainte de met­tre au monde des bébés anor­maux. Peut-être un jour ver­ra-t-on cer­taines de ces femmes atta­quer la puis­sance publique pour dif­fu­sion de fausse nou­velle les ayant con­duites à cette déci­sion ? Objec­tive­ment on ne peut pas con­sid­ér­er que la poli­tique française fut fau­tive ou erronée, pas plus, d’ailleurs que celle, inverse, de ces États voisins, car, de l’op­ti­misme inébran­lable à l’af­fole­ment injus­ti­fi­able, toutes les nuances d’opin­ion ont eu cours.

Une proposition de synthèse

Est-il pos­si­ble de résoudre ce type de con­flit entre sci­ence et droit qui risque d’ailleurs de con­cern­er des cas nou­veaux de plus en plus nom­breux dans l’avenir ? Nous pen­sons que oui si la pos­si­bil­ité est offerte aux juges d’u­tilis­er quan­ti­ta­tive­ment les résul­tats des études épidémiologiques.

Soit S l’in­dem­nité que le juge déciderait d’ac­corder à un plaig­nant pour tel dom­mage subi dont le respon­s­able serait par­faite­ment défi­ni. Si ce même dom­mage appa­raît comme pou­vant résul­ter de plusieurs caus­es dont une seule­ment engage la respon­s­abil­ité d’un tiers iden­ti­fié, il est logique que le juge ne requière du tiers par­tielle­ment respon­s­able le verse­ment au plaig­nant que d’une par­tie p.S (p com­pris entre 0 et 1) de la somme S, p représen­tant la con­tri­bu­tion estimée du tiers au dom­mage subi, c’est-à-dire la prob­a­bil­ité pour que l’ac­tion de ce tiers soit la cause effec­tive du dom­mage. Les dif­férents experts con­sultés don­neront, en général, des esti­ma­tions dif­férentes pi de la prob­a­bil­ité pour que la cause incrim­inée (par exem­ple la vac­ci­na­tion oblig­a­toire con­tre l’hé­patite B) soit à l’o­rig­ine du dom­mage (par exem­ple la sclérose en plaques). Suiv­ant son intime con­vic­tion, le juge pour­rait retenir une de ces prob­a­bil­ités pm comme celle qui lui paraî­trait à la fois bien-fondée et représen­tant une juste com­pen­sa­tion aux incon­vénients sup­port­és par le plaig­nant. Le juge attribuerait alors au plaig­nant une indem­nité pm x S. Sup­posons, par ailleurs, que les frais de jus­tice, y com­pris ceux d’ex­per­tise, se mon­tent à une somme D. En toute logique ces frais devraient être partagés dans la même pro­por­tion de sorte que la part restant à la charge du plaig­nant s’établi­rait à (1- pm) D.

Ain­si, si N est le nom­bre total de patients ayant con­trac­té la sclérose en plaques après avoir subi la vac­ci­na­tion oblig­a­toire con­tre l’hé­patite B, le coût total pour l’É­tat jugé respon­s­able s’établi­rait à N x pm (S + D), tan­dis que cha­cun des N patients con­cernés recevrait la somme {pm (S + D) — D}. Si pm est faible, le coût total restera accept­able pour l’É­tat, alors même que cha­cun des patients vic­times aura été raisonnable­ment dédommagé.

Dans la mesure où la prob­a­bil­ité pm serait inférieure ou très peu supérieure au rap­port D/ (S + D) ce qui peut être estimé en ordre de grandeur même avant un procès, alors le gain des plaig­nants éventuels sera négatif ou très faible­ment posi­tif de sorte qu’ils se trou­veront dis­suadés d’in­ten­ter des actions en jus­tice pour des caus­es peu motivées.

Inverse­ment l’ap­proche déter­min­iste actuelle donne au plaig­nant abusif une chance réelle d’obtenir gain de cause auprès d’un juge un peu lax­iste, ouvrant ain­si la voie, comme nous l’avons sig­nalé ci-dessus, par le jeu de la jurispru­dence, à une cas­cade de plaintes injus­ti­fiées qu’il serait dif­fi­cile de ne pas traiter de la même façon que la pre­mière, d’où encom­bre­ment inutile des tri­bunaux et mise à mal des finances publiques, voire inco­hérence des juge­ments évidem­ment soulignée dans les médias.

Des accords plus favor­ables au plaig­nant comme ceux en vigueur dans cer­tains secteurs d’ac­tiv­ité devraient pou­voir rester pos­si­bles et avoir la préémi­nence sur la procé­dure décrite ci-dessus.

Par­mi les sin­istres qui pour­raient relever d’une telle approche, citons les can­cers du poumon qu’on pour­rait attribuer au tabag­isme pas­sif, les can­cers ou autres trou­bles provo­qués par les diox­ines, les trou­bles dus à la pol­lu­tion atmo­sphérique (par­tic­ules, ozone), cer­taines mal­adies qui pour­raient être con­séc­u­tives à une hos­pi­tal­i­sa­tion ou à une vac­ci­na­tion, les trou­bles regroupés sous le nom de syn­dromes post­con­flit (ceux du Golfe ou des Balka­ns), éventuelle­ment les effets du réchauf­fe­ment cli­ma­tique quoiqu’on ne voie pas très bien encore quelle instance pour­rait faire l’ob­jet d’une plainte dans ce dernier cas, etc. Naturelle­ment la mise en œuvre de cette approche prob­a­biliste néces­site le développe­ment des études épidémi­ologiques actuelle­ment très insuff­isantes en France.

La ques­tion des can­cers de la thy­roïde sem­blant devoir faire l’ac­tu­al­ité dans un avenir proche à la suite des mul­ti­ples plaintes déposées récem­ment, nous pen­sons intéres­sant d’ex­am­in­er ce que pour­rait don­ner l’ap­pli­ca­tion de la méth­ode précé­dente au cal­cul des indem­nités sus­cep­ti­bles d’être ver­sées aux plaig­nants. Bien sûr, il ne s’ag­it ici que d’un exer­ci­ce de démon­stra­tion qui a sim­ple­ment pour objec­tif d’indi­quer un ordre de grandeur afin d’aider la réflex­ion. En par­ti­c­uli­er, nous ne prenons pas en compte la spé­ci­ficité des can­cers de la thy­roïde radio-induits (papil­lomes) qui pour­rait avoir un dou­ble effet : rejet d’un cer­tain nom­bre de plaintes pour des can­cers non spé­ci­fiques, ou, au con­traire, aug­men­ta­tion des indem­nités pour les plaig­nants atteints d’une forme spé­ci­fique du can­cer. De même, on ne tient pas compte ici de l’âge des patients irradiés. Il sem­ble, en effet, que seules les thy­roïdes des enfants et des jeunes adultes peu­vent dévelop­per des can­cers à la suite d’une irra­di­a­tion. En tout état de cause ce serait au juge d’ar­rêter le mon­tant de l’in­dem­nité de référence S et la valeur de la prob­a­bil­ité p à lui appliquer.

Le sur­croît d’ir­ra­di­a­tion moyenne due à Tch­er­nobyl a été de 0,05 mil­li-Siev­ert pen­dant la pre­mière année suiv­ant la cat­a­stro­phe. Nous sup­poserons que cette dose a été reçue exclu­sive­ment au niveau de la thy­roïde. En util­isant la rela­tion linéaire sans seuil de la CIPR2, rela­tion qui, d’ailleurs, peut être con­sid­érée comme four­nissant une éval­u­a­tion très con­ser­v­a­tive, on estime à 150 le nom­bre de can­cers de la thy­roïde sup­plé­men­taires sus­cep­ti­bles d’être provo­qués par la cat­a­stro­phe en France sur une péri­ode de vingt années.

Ce nom­bre est à rap­procher de celui des can­cers de la thy­roïde observé nor­male­ment pour une pop­u­la­tion de 60 mil­lions d’habi­tants3, soit 2 500 par an et un total de 50 000 sur vingt ans. Selon ces chiffres la prob­a­bil­ité ℗ pour qu’un can­cer de la thy­roïde détec­té entre cinq et vingt-cinq ans après Tch­er­nobyl soit effec­tive­ment dû à la cat­a­stro­phe serait de l’or­dre de 0,003.

Env­i­ron 10 % des can­cers de la thy­roïde sont mor­tels4. Nous admet­trons que le pronos­tic des can­cers radio-induits est le même que celui des autres can­cers ce qui est, là aus­si, un ” max­i­mum max­i­mo­rum “. La Com­mis­sion européenne dans son étude externe éval­ue la valeur sta­tis­tique (S) de la vie humaine à 3 mil­lions d’eu­ros5. En oubliant ce qu’une telle éval­u­a­tion peut avoir de choquant (mais il en faut bien une), dans le cas d’un décès l’in­dem­nité qui pour­rait être ver­sée à la famille de la vic­time se mon­terait donc à env­i­ron 9 000 euros6. Ce chiffre devra être rap­proché de celui des frais de jus­tice et d’ex­per­tise, prob­a­ble­ment de plusieurs mil­liers d’eu­ros. Dans les autres cas, non mor­tels, il fau­dra estimer le préju­dice subi par les plaig­nants, cer­taine­ment large­ment inférieur à 9 000 euros. Il est prob­a­ble que les frais de jus­tice excéderont alors le mon­tant de l’indemnité.

En sup­posant qu’on adopte les approx­i­ma­tions ci-dessus (volon­taire­ment exagérées, rap­pelons-le, dans le but d’obtenir une lim­ite supérieure indis­cutable) le coût, pour l’É­tat, des indem­ni­sa­tions ver­sées dans le cas de décès serait de l’or­dre de 45 mil­lions d’eu­ros sur vingt ans (9 000 x 50 000 x 10 %), soit 2,25 mil­lions d’eu­ros par an. Ceci est, finan­cière­ment par­lant, stricte­ment équiv­a­lent à l’in­dem­ni­sa­tion à taux plein des 15 vic­times (au max­i­mum) liées à l’ir­ra­di­a­tion, mais on est actuelle­ment dans l’im­pos­si­bil­ité de les iden­ti­fi­er de façon précise.

Si, au con­traire, tous les can­cers mor­tels de la thy­roïde, (et rap­pelons-le, quelle qu’en soit l’o­rig­ine), devaient être indem­nisés à taux plein, le coût pour l’É­tat se mon­terait à 15 mil­liards d’eu­ros sur vingt ans, soit 0,75 mil­liard d’eu­ros par an. À ce chiffre devraient s’a­jouter les indem­nités par­tielles dues aux quelque 45 000 malades atteints d’une forme non mortelle de can­cer de la thyroïde.

En con­clu­sion, l’ap­proche prob­a­biliste pro­posée per­met d’ap­porter à de nom­breux prob­lèmes juridiques actuels et futurs des solu­tions équili­brées, sat­is­faisantes à la fois du point de vue de la juste indem­ni­sa­tion des vic­times et de la mise à con­tri­bu­tion cor­recte des respon­s­ables, là où l’ap­proche déter­min­iste habituelle, procé­dant par tout ou rien, ne peut con­duire qu’à l’ex­cès dans un sens ou dans l’autre. On notera que cette approche appa­raît comme une sim­ple exten­sion des règles habituelles du droit à l’u­nivers sta­tis­tique, le cas de Omar Had­dad s’analysant comme un cas par­ti­c­uli­er où p = 0 s’il est inno­cent, ou bien p = 1 s’il est coupable. On notera égale­ment que cette approche con­serve bien au juge son rôle essen­tiel, qui n’est pas de se sub­stituer aux lois, pas plus aux lois de prob­a­bil­ité qu’aux lois de la République, mais bien d’ap­préci­er en son âme et con­science tous les élé­ments cir­con­stan­ciels per­me­t­tant une juste appli­ca­tion de ces lois.


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1.
La Cour de cas­sa­tion vient de débouter les plaig­nants au motif que la rela­tion de cause à effet entre la vac­ci­na­tion et la sclérose en plaques n’é­tait pas démon­trée. La cour d’ap­pel en avait jugé dif­férem­ment. On retrou­ve là une illus­tra­tion de la logique binaire par laque­lle seules deux répons­es sont possibles.
2. Soit 0,05 cancer/Sievert par habitant.
3. Au cours des années récentes on a observé env­i­ron 4 can­cers de la thy­roïde pour cent mille habitants.
4. Plus pré­cisé­ment la mor­tal­ité par can­cer de la thy­roïde est de l’or­dre de 0,5 pour cent mille habitants.
5. La CE estime aus­si à 86 000 euros le coût d’une année de vie per­due. En util­isant cette approche l’in­dem­nité ver­sée aux ayants droit des vic­times serait notable­ment dimin­uée. Elle dépendrait aus­si de l’âge au décès.
6. 0,003 x 3 000 000.

Commentaire

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John Chen­nierrépondre
4 mars 2022 à 21 h 08 min

Bon­jour, donc si je résume vous voulez une loi math­é­ma­tique­ment par­faite exé­cutée par un homme math­é­ma­tique­ment impar­fait ? Votre approche me sem­ble erronée.

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