Statistiques sur la Covid-19

SARS-CoV‑2 : « Où est caché le loup ? »

Dossier : Covid-19Magazine N°758 Octobre 2020Par Christian MANIVEL (72)
« L’obsession de précision numérique sans attention aucune à la pertinence est le meilleur traceur de l’absence de culture mathématique véritable. »
Carl Friedrich Gauss (1777−1855)

Début mars 2020, je pré­pa­rais une navi­ga­tion de Ros­coff à Ham­ma­met en voi­lier sans pen­ser que ce périple allait être mis à mal par un phé­no­mène en train de deve­nir mon­dial à cause dune « bes­tiole » au nom presque impro­non­çable : le SARS-CoV‑2. Frus­tré par cette atteinte à ma liber­té ché­rie, je me suis rabat­tu sur une navi­ga­tion intel­lec­tuelle dans des contrées que je ne fré­quente pas habi­tuel­le­ment, et j’ai cher­ché à me faire une opi­nion d’honnête homme sur le phé­no­mène en ques­tion et sa « bes­tiole ». Cest ce périple que je vous pro­pose daccom­plir en ma compagnie.

Petite navigation d’essai en Virussie

À peine par­tis et déjà un pre­mier débat se fait jour : cette « bes­tiole » n’en est pas une, et pourtant…

Un virus n’est sans doute pas un orga­nisme vivant : c’est un triste sire qui ne se repro­duit pas, ni en soli­taire, ni avec des ami(e)s ; il se réplique par contre, plu­tôt comme un para­site, en détour­nant à son pro­fit la machi­ne­rie géné­tique de nos petites cel­lules à nous. Alors, un virus est un être ou un non-être ? Sha­kes­pea­riens en diable, ces virus.

Je pas­se­rai sur les don­nées connues de ce virus, virus à ARN Classe IV, intro­duc­tion dans nos cel­lules via sa pro­téine Spike et le récep­teur ACE2 de nos cel­lules, ciblage prin­ci­pa­le­ment des cel­lules épi­thé­liales de notre appa­reil res­pi­ra­toire, mais pas que… etc. Je cite­rai cepen­dant une spé­ci­fi­ci­té de ce virus : il contourne une défense immu­ni­taire (inhi­bi­tion de la sécré­tion d’interféron) ET « en même temps » (oui, je sais…) il ren­force « l’appel aux armes » géné­ré par les cyto­kines qui créent une accu­mu­la­tion de neu­tro­philes et macro­phages dans nos orga­nismes, cet excès géné­rant des lésions sou­vent fatales.

Avec quelles cartes et quelles données va-t-on naviguer ?

Encore des débats ouverts… Les cas infec­tés dépendent de la poli­tique de tests, les tests ne sont pas super fiables, ils ne testent pas tous la même chose, et puis on ne peut pas tes­ter tout le monde, et puis il y a les asymp­to­ma­tiques, et puis les décès ne sont pas tous comp­ta­bi­li­sés, et puis les causes des décès sont mul­tiples et pas toutes attri­buables au seul virus… etc.

Pour notre navi­ga­tion, nous uti­li­se­rons les seules don­nées réper­to­riées « décès par 24h à l’hôpital » col­lec­tées par San­té Publique France [1]. Ce sont les don­nées les moins sujettes à cau­tion dont nous dis­po­sons et elles repré­sentent une sous-popu­la­tion de la popu­la­tion fran­çaise impor­tante en nombre et en tout cas très signi­fi­ca­tive. Les don­nées sur les cas recen­sés (tests posi­tifs) sont à évi­ter car dif­fi­ci­le­ment inter­pré­tables en dehors d’étude spé­ci­fique sur échan­tillon suf­fi­sam­ment grand et représentatif.

Nous avons repré­sen­té les don­nées dis­po­nibles jusqu’au 21 août 2020.

Dans tout le reste du docu­ment quand nous par­le­rons des décès, ce sera tou­jours de ces décès-là dont nous parlerons.

L’illustration 1 ci-des­sous décrit ces don­nées à par­tir du 19 février 2020.

Au pre­mier regard, on voit un phé­no­mène de sai­son­na­li­té heb­do­ma­daire, qui consiste en une sous-col­lecte des don­nées le week-end, com­pen­sée par une sur-décla­ra­tion le lun­di et par­fois le mar­di suivants.

Avec mon mau­vais esprit habi­tuel j’ai tout de suite pen­sé à une nou­velle « excep­tion fran­çaise ». Eh bien non, à l’examen des don­nées mon­diales et pays par pays (mer­ci Johns Hop­kins Uni­ver­si­ty) cette excep­tion est en fait mon­diale. (Pour ceux qui sont encore atten­tifs, oui il y a bien un « s » à Johns).

Les moyennes mobiles à sept jours sont donc éga­le­ment repré­sen­tées pour gom­mer le phé­no­mène des week-ends, mais nous avons tra­vaillé ulté­rieu­re­ment avec les deux types de don­nées (brutes ou MM7jours)

Au deuxième regard, on peut obser­ver que, depuis le 11 juillet, le nombre des décès quo­ti­diens varie entre 9 et 13 (en moyenne mobile 7 jours). On ne manque pas d’être sur­pris, dès lors, par nombre de com­men­ta­teurs qui alertent, alarment et crient au loup sur les pers­pec­tives de la ren­trée de sep­tembre, au vu des chiffres quo­ti­diens des cas d’infection consta­tés en juillet et en août. Ils ont l’air d’oublier que les décès d’aujourd’hui suivent pro­por­tion­nel­le­ment les mêmes courbes que les infec­tions d’hier (certes déca­lés de 15 jours envi­ron). Ima­gi­nez un navi­ga­teur qui déclare pré­voir le pro­chain coup de vent en ana­ly­sant les varia­tions du cla­pot alors qu’il navigue par force 1 !

Je vous invite à regar­der les don­nées réelles depuis même la date du décon­fi­ne­ment défi­ni­tif du 22 juin : si ça n’est pas du cla­pot, ça y res­semble grandement.

France : décès par 24h à l’hô­pi­tal – Don­nées réelles et en moyenne mobile 7 jours

Une escale technique dans la cité modèle de Kermack et McKendrick 

Le propre d’une escale tech­nique, ce n’est pas la détente : point de pub, point de musique irlan­daise, point de tapa­le­rias non plus, … on fait seule­ment le plein de res­sources qui nous seront utiles pour la navi­ga­tion future.

L’architecture de la cité 

Après Ross & Hud­son en 1917, nos amis Ker­mack & McKen­drick [2] ont construit vers 1927 une nou­velle cité dont l’architecture est la suivante :

  • une seule infec­tion peut engen­drer un pro­ces­sus auto­nome de déve­lop­pe­ment de l’infection ;
  • le résul­tat de la mala­die est l’immunité ou le décès ;
  • les contacts suivent la loi d’action de masse (le nombre de contact entre sus­cep­tibles et infec­tés par uni­té de temps et de sur­face est pro­por­tion­nel au pro­duit de leurs den­si­tés spa­tiales respectives) ;
  • tous les indi­vi­dus sont sus­cep­tibles de manière indif­fé­ren­ciée (homo­gé­néi­té) ;
  • la popu­la­tion est fer­mée (effet démo­gra­phique négli­geable sur la période concer­née par l’épidémie) ;
  • la popu­la­tion est suf­fi­sam­ment grande pour garan­tir la per­ti­nence d’un modèle déter­mi­niste (vs. stochastique).

Les équations qui en résultent

La manière dont les hypo­thèses ci-des­sus conduisent aux équa­tions du modèle est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sante et je vous conseille vive­ment la lec­ture du jour­nal de bord cité en réfé­rence [4] dans lequel elles sont consignées.

Nous n’en rap­pel­le­rons que les élé­ments clés :

R° est sou­vent appe­lé nombre de repro­duc­tion basique, il est fon­da­men­ta­le­ment asso­cié au temps t=0, au démar­rage de l’épidémie. Par­ler de R° au cours de l’épidémie est symp­to­ma­tique d’une mau­vaise connais­sance du sujet …

R° = β.Ti.S°

Lorsque R° est > 1, le sys­tème converge vers un état d’équilibre stable (S∞ ; 0) et une épi­dé­mie a lieu ; lorsque R° est < 1 les infec­tions décroissent immé­dia­te­ment à par­tir de I°.

Ti = 1/γ est la durée moyenne de l’infection.

β est le coef­fi­cient d’infectivité.

S(t) est la popu­la­tion des indi­vi­dus sus­cep­tibles d’être infec­tés, I(t) celle des infec­tés au sens du modèle [6].

S° et I° les condi­tions ini­tiales à t =0 et Im la valeur maxi­male de I.

La langue parlée dans le pays des modèles

Nous allons main­te­nant pour­suivre notre navi­ga­tion au pays des modèles, en gar­dant à chaque étape comme but de rap­pro­cher, sur de plus en plus longues périodes, les modèles des seules don­nées que nous avons consi­dé­rées comme per­ti­nentes, à savoir les chiffres des décès par 24h.

Je ne vous l’ai pas dit, mais ce pays des modèles est peu­plé de tri­bus diverses, les Logues, très accueillants d’ailleurs, les Logistes, etc., mais la tri­bu pré­pon­dé­rante est la tri­bu des Zateurs. Inutile de vous dire qu’ils ont tous des langues dif­fé­rentes, dont cer­taines sont par­fois intraduisibles.

Très peu de Iciens par contre, avec les­quels nous aurions pour­tant eu une affi­ni­té par­ti­cu­lière, c’est dom­mage car nous aurions com­pris plus aisé­ment leur langue.

Quant aux Zateurs, ils adorent un dieu par­ti­cu­lier qu’ils appellent R° (je connais­sais Ra et Rê mais bon, pour­quoi pas R° ?). Comme beau­coup de dieux, il est mul­ti­formes : il repré­sente un cer­tain com­por­te­ment à l’origine et « en même temps » (déci­dé­ment, on dirait que les sys­tèmes simples sont en noir et blanc et les sys­tèmes com­plexes ou vivants sont « en même temps ») il est fon­da­men­ta­le­ment lié à l’équilibre du sys­tème (à l’infini) et sur­tout à la sta­bi­li­té de cet équi­libre… Il y a même des livres entiers sur ce dieu R° [3].

Il nous faut donc nous fami­lia­ri­ser avec la langue des Zateurs et pour ce faire nous pro­me­ner dans la repré­sen­ta­tion des modèles.

Nou­velle ques­tion exis­ten­tielle : c’est quoi un modèle ?

Pour faire simple et utile pour notre navi­ga­tion future, nous dirons que c’est un ensemble d’EDO muni de condi­tions ini­tiales et de para­mètres adé­quats (oui, je sais, beau­coup de choses sont dans le « adé­quats », sen­si­bi­li­té, iden­ti­fia­bi­li­té, etc. mais cela n’est pas l’objet de notre périple). Tous les modèles des Zateurs, même les plus sophis­ti­qués, suivent ces prin­cipes. On uti­li­se­ra sou­vent le terme modèle SIR pour les désigner.

Un bon des­sin valant mieux qu’un long dis­cours, les illus­tra­tions 2.1 à 2.4 sui­vantes, repré­sen­tant une épi­dé­mie fic­tive, montrent l’allure de dif­fé­rents modèles :

Repré­sen­ta­tion de S(t) et I(t)) pour :

- des R° (>1) dif­fé­rents (10.0, 3.0, 2.0, 1.5) (c’est à dire pour des infec­ti­vi­tés β différentes),

R0=3 R0=10 R0=2

Les autres para­mètres sont les mêmes, à savoir :

  • Ti égal à 7 (IAV par exemple) ;
  • S° étant la pro­por­tion de sus­cep­tibles dans la popu­la­tion (N) : S°=100 % (de N) ;
  • I° égal à 100/N, N égal à 65E+06.

Ces valeurs ne sont pas celles des para­mètres de notre épi­dé­mie et ne sont uti­li­sées que pour les besoins du graphique.

Les pre­miers ensei­gne­ments de ces varia­tions sur un même modèle à infec­ti­vi­tés dif­fé­rentes sont les suivants :

  • il suf­fit d’une très petite valeur de I° pour infec­ter une popu­la­tion (répu­tée homogène) ;
  • dès que le R° est signi­fi­ca­tif (>3) il reste peu de sus­cep­tibles (non-infec­tés) en fin d’épidémie ;
  • avec un R° pas très grand (1< R° <3) et un petit I°, il faut un temps non négli­geable pour que l’épidémie atteigne son pic.

Avec ce pre­mier voca­bu­laire acquis pour par­ler la langue des Zateurs, plu­sieurs débats s’ouvrent tout seuls :

  • le pic de notre épi­dé­mie, même si on ne le connaît pas pré­ci­sé­ment (aux alen­tours de début avril 2020), n’a pas l’air d’avoir eu besoin de beau­coup de mois pour être atteint… ce qui devrait nous inci­ter à pen­ser que son R° n’est pas fran­che­ment petit ;
  • et pour­tant on n’arrive même pas à trou­ver 10 % de la popu­la­tion infec­tée… alors que, avec un R° un peu mus­clé, la popu­la­tion en très grande majo­ri­té devrait être sinon immu­ni­sée, du moins avoir « ren­con­tré » le virus…

Encore un loup !

La seule solu­tion : enga­ger un début de dia­logue avec les Zateurs, mal­gré notre voca­bu­laire basique, et petit à petit confron­ter nos don­nées sur les décès avec leurs modèles.

Les bases pour entamer le dialogue avec les habitants de la cité modèle

Sur quelles bases stables pou­vons-nous enga­ger le dia­logue à ce stade ?

  • Les décès par 24h à l’hôpital sont des don­nées (les seules) que l’on peut consi­dé­rer comme pertinentes,
  • la durée pour un indi­vi­du entre le début de l’apparition des symp­tômes et le moment où on ne constate plus d’infection est en moyenne entre 14 et 28 jours. La période de latence est a prio­ri infé­rieure à 4 jours. On peut donc faire une hypo­thèse rai­son­nable au sujet de Ti.

Que dire de la léta­li­té (% des décès des per­sonnes infec­tées) de la « bestiole » ?

Là encore, les débats sont nom­breux : 3 % dit-on dans un pays, 1 % dit un autre, 0,53 % dit l’Institut Pas­teur à par­tir des don­nées col­lec­tées à bord du Dia­mond Prin­cess (un échan­tillon qui certes com­porte des biais mais du moins est uti­li­sable) ou encore un taux net­te­ment plus faible que 0,5 % ?

Et tout cela en sup­po­sant que la popu­la­tion est homo­gène, alors que les vieux (à quel âge est-on vieux ? vaste ques­tion …) ont des taux de léta­li­té plus élevés…

Inca­pables de tenir un lan­gage clair sur la léta­li­té à ce stade, et pour les besoins de ce pre­mier dia­logue, nous ferons comme si la léta­li­té était de l’ordre de 0,5 %. (Nous avons adop­té le taux de 0,546 % pour nos cal­culs initiaux).

Pour les décès, nous avons rete­nu le 19 février comme ori­gine des temps.

R0=1.5

Pour Ti nous avons rete­nu la plage de valeurs entre 14 et 32, les infec­tés non pas­sés par l’hôpital se situant plu­tôt vers 14 et les autres vers 32. Nous ferons donc varier Ti entre ces valeurs lors de nos rap­pro­che­ments suc­ces­sifs entre les décès et les modèles.

Le dialogue s’engage : rapprochement avec les décès du 19 février au 3 avril

La courbe des décès se dédui­sant des infec­tions par pro­por­tion­na­li­té du taux de léta­li­té, nous avons deman­dé à nos inter­lo­cu­teurs Zateurs de conve­nir du même taux de létalité.

Nous sommes alors conve­nus sans trop de dif­fi­cul­té, grâce sans doute à notre com­pré­hen­sion meilleure de la langue des Zateurs, d’effectuer ce rap­pro­che­ment pour les décès entre le 19 février et le 3 avril. Par contre, n’ayant pas du tout les mêmes rites reli­gieux qu’eux, nous avions du mal à nous repré­sen­ter leur dieu R° (dont on a vu plus tôt qu’il était mul­ti­formes), c’est pour­quoi nous avons choi­si de l’examiner sous toutes ses cou­tures de la valeur 3 jusqu’à la valeur 11.

Un ter­rain d’entente com­mun n’était pas acquis d’avance, mais nous avons fina­le­ment mis en évi­dence que, sur la plage des valeurs rete­nues pour Ti, il existe une plage de pos­si­bi­li­tés pour les dif­fé­rents visages du dieu R° qui se res­treint : R° ne peut guère des­cendre en-des­sous de 3,6 et non plus se situer bien au-delà de 7,3.

Les voies de R° ne seraient-elles plus aus­si impénétrables ?

Un loup est encore appa­ru (ça va finir en meute, je vous le dis) : le para­mètre S° cen­sé repré­sen­ter la popu­la­tion des sus­cep­tibles à l’origine est, dans tous ces cas de R°, net­te­ment plus faible qu’imaginé …

Bon ! ça a le mérite d’être com­pa­tible avec le faible nombre d’infections iden­ti­fiées sur le ter­rain, mais nos inter­lo­cu­teurs étaient pas­sa­ble­ment inter­lo­qués, au point d’envisager de rompre les palabres !

Par chance nos Zateurs étaient dans l’ensemble très polis et, comme nous ne sou­hai­tions pas inter­rompre le dia­logue, nous sommes conve­nus que nous dis­cu­te­rions de ce point ultérieurement.

Et si … ?

Et si… on essayait un rapprochement avec les décès du 19 février au 1er juillet

Tous nos diplo­mates étaient sur le pont : com­ment émettre cette idée sans un clash retentissant ?

En effet, la ques­tion posée était : existe-t-il un visage du dieu R° com­pa­tible, non seule­ment avec l’égalité des décès du 19 février au 3 avril, mais car­ré­ment du 19 février jusqu’au 1er juillet alors même que ces décès sont sup­po­sés avoir été impac­tés par le confinement ?

Nous nous sommes arrê­tés au 1er juillet car au-delà les don­nées sont faibles et pro­ba­ble­ment liées à des super­po­si­tions de phé­no­mènes très locaux qui ne suivent plus l’évolution géné­rale (comme le cla­pot vous dis-je…).

Pour ce faire, nous avons direc­te­ment effec­tué ce rap­pro­che­ment sur les don­nées réelles des décès sur la tota­li­té de cette période.

Nous avons conti­nué notre dia­logue avec les Zateurs. Le résul­tat était bien évi­dem­ment incertain.

Décès par 24h

Nous avons donc recher­ché dans le spectre des valeurs de R°, celle(s) qui per­met­taient de rap­pro­cher les don­nées de décès entre réel et modèle(s).

Le che­min vers R° fut labo­rieux mais à un moment il s’est éclai­ré et nous avons trou­vé un visage très net du dieu R° qui était com­pa­tible de manière opti­male avec cette poten­tielle héré­sie consis­tant à dire que les décès réels et ceux d’un modèle sont iden­tiques sur la période allant du 19 février au 1er juillet.

Le tra­vail effec­tué, et après de longues palabres encore, nous pou­vons vous livrer le résul­tat dans les illus­tra­tions ci-des­sous, avec les don­nées réelles des décès en moyenne mobile 7 jours (Illus­tra­tion 3.1) et avec les don­nées brutes des décès (Illus­tra­tion 3.2).

Il existe en effet un ensemble de valeurs pour les para­mètres Ti (durée moyenne de l’infection), (nombre de repro­duc­tion de base) et β (infec­ti­vi­té), qui per­mettent d’approcher de manière opti­male l’ensemble du spectre des décès par 24h du 19 février au 1er juillet par un modèle SIR.

Le dieu R° a main­te­nant un visage (« le Modèle ») : R° = 5.5, Ti = 20 et β = 1.53 E‑06

Décès par 24h
Pour mémoire, les autres para­mètres uti­li­sés sont un taux de léta­li­té Alfa = 0,546 % et un nombre de cas infec­tés à l’origine I° = 28

Les Zateurs se tenaient cois, la bouche ouverte, et nous-mêmes obli­gés d’avouer que « le modèle » appro­chait les décès réels de manière bien plus com­plète que nous avions réus­si à le faire lors de navi­ga­tions pré­cé­dentes… Bref tout le monde était silencieux.

En effet, l’épidémie aurait sui­vi un cours indé­pen­dant de toute mesure de confinement !

À ce moment pré­cis, ils sont tous appa­rus… la meute au grand complet !

Et c’est là que la chasse aux loups a vrai­ment commencé.

Avant la chasse on fourbit ses armes 

Avant de par­tir pour une telle bat­tue, il importe de bien four­bir ses armes…

a) Les données pertinentes sont toujours les décès par 24h à l’hôpital et la sous-population correspondante.

Les élé­ments que l’on peut consi­dé­rer comme acquis, suite à notre navi­ga­tion au pays des modèles sont les suivants :

b) Il existe un modèle SIR (« le modèle ») pour lequel les décès suivent avec une excellente adéquation la courbe des décès réels par 24h à l’hôpital sur la quasi-totalité de la période de l’épidémie, à savoir du 19 février au 1er

c) Les paramètres principaux de « le modèle » sont les suivants :

  • Durée moyenne de l’infection au sein d’un individu :

Ti = 20 jours

  • Nombre de repro­duc­tion de base :

R° = 5,5

  • Coef­fi­cient d’infectivité :

β = 1,53 E‑06

Les valeurs de Ti et de R° sont par­fai­te­ment plau­sibles, pas de loup de ce côté-là.

En ce qui concerne le coef­fi­cient d’infectivité, ce chiffre ne semble pas inco­hé­rent avec les valeurs publiées (entre 1.0E-05 et 1.0E-07) pour des virus connus (Influen­za A Virus en particulier…).

La chasse au(x) loup(s)

Réca­pi­tu­lons main­te­nant nos ren­contres avec les loups :

1) Si « le modèle » (cf. illus­tra­tion 6.1) est per­ti­nent, alors le confi­ne­ment en tant que tel n’a pas eu d’influence sur l’évolution des décès par 24h à l’hôpital.

Les mesures « bar­rières » recom­man­dées deuxième quin­zaine de février ont-elles été suf­fi­santes pour déter­mi­ner cette évolution ?

Le déclen­che­ment du confi­ne­ment s’est-il situé trop près du pic et donc trop « tar­di­ve­ment » pour avoir une réelle influence ?

2) Si « le modèle » (cf. illus­tra­tion 6.1) est per­ti­nent, et avec un taux de léta­li­té pris par hypo­thèse aux alen­tours de 0,5 %, cela signi­fie que la sous-popu­la­tion infec­tée asso­ciée aux décès est au moment du pic de l’ordre de 100 000 indi­vi­dus et la popu­la­tion des sus­cep­tibles à l’origine de l’ordre de 200 000.

Ces chiffres sont sur­ement infé­rieurs aux chiffres concer­nant la tota­li­té de la popu­la­tion. En effet la sous-popu­la­tion asso­ciée à nos décès n’est pas la tota­li­té de la popu­la­tion fran­çaise, et les chiffres cumu­lés des décès au sein de la popu­la­tion sont plu­tôt de l’ordre du double (en incluant EPHAD, EMS et décès « à domicile »).

Cepen­dant, le constat est qu’au 16 août 2020 le nombre de tests effec­tués est de l’ordre de 5 mil­lions et le nombre de cas diag­nos­ti­qués et/ou tes­tés est de l’ordre de 240 000.

Bref, la popu­la­tion iden­ti­fiée comme ayant été infec­tée est effec­ti­ve­ment faible, voire très faible pour un R° qui est lar­ge­ment supé­rieur à 1.

On peut dès lors « pis­ter » 3 traces de loup :

  • une par­tie de la popu­la­tion aurait été immu­ni­sée (?) préa­la­ble­ment et la popu­la­tion des « Sus­cep­tibles » au sein de la popu­la­tion fran­çaise est infé­rieure à 1 % ?
  • le taux de léta­li­té réel est très infé­rieur à celui pris comme hypo­thèse (qui est pour­tant en four­chette basse de ce qui a été décrit ici ou là) ?
  • un mélange de ces 2 pistes ?

Comment expliquer qu’il y ait aussi peu de cas d’infection identifiés en France ?

Même si les tests viro­lo­giques et séro­lo­giques n’ont pas concer­né la popu­la­tion entière, force est de consta­ter qu’ils mènent à des hypo­thèses sur le nombre total de per­sonnes infec­tées de l’ordre de 10 % de la popu­la­tion (seule­ment ! devrait-on dire).

La piste consti­tuant à dire qu’une par­tie de la popu­la­tion a réagi de manière très rapide à l’infection est une autre piste ten­tante : le sys­tème immu­ni­taire inné (cel­lules den­dri­tiques, macro­phages, cel­lules NK et neu­tro­philes) pour­rait avoir digé­ré les virions et les cel­lules infec­tées avant même que le sys­tème immu­ni­taire adap­ta­tif (en par­ti­cu­lier lym­pho­cytes B, pro­duc­teurs des anti­corps) ait eu le temps d’intervenir (délai entre 5 et 7 jours) ?

Cela pour­rait éven­tuel­le­ment expli­quer pour­quoi on déclare « non-infec­tés » des indi­vi­dus qui ont été infec­tés mais n’ont pas pro­duit d’anticorps (ou en quan­ti­té non détec­table) … mais ceci est une autre his­toire sujette à une autre navi­ga­tion que j’ai entre­prise par ailleurs.

3) Si nous lais­sons de côté « le modèle », mal­gré sa per­ti­nence, pour adop­ter un modèle SIR qui n’est conforme aux décès que sur la période du 19 février au 3 avril, par exemple, et en recher­chant le plus petit R° qui convient, on trouve un R° de 4,65 (tou­jours avec Ti=20) qui ne change pas fon­da­men­ta­le­ment la nature des loups évo­qués en 2).

On pour­rait cepen­dant ima­gi­ner que l’évolution suit cette courbe (Ti=20 ; R°= 4.65) jusqu’au 3 avril puis (confi­ne­ment oblige) « bas­cule » sur les don­nées de « le modèle ». Le loup évo­qué en 1) n’en est alors plus un, le nombre de décès cumu­lés au 1er juillet serait alors de 35 000 (par rap­port au réel 19 000) et on en dédui­rait que le nombre de décès directs évi­tés grâce au confi­ne­ment s’élève à 15 000 envi­ron… On demeure bien loin des 300 000 en France ou des 3 mil­lions en Europe !

4) Des modèles SIR plus sophis­ti­qués condui­raient à d’autres chiffres ?

Des modèles à plu­sieurs seg­ments de Sus­cep­tibles ou à plu­sieurs seg­ments d’Infectés (asymp­to­ma­tiques) auraient une influence sur la créa­tion de phases dif­fé­rentes au cours de l’évolution de l’épidémie mais ne résou­draient guère les loups sou­le­vés en 1) et 2).

5) Des modèles encore plus sophis­ti­qués (mais ils ont tou­jours une base SIR), modèles consis­tant à tenir compte de struc­tures de contact, par âge, par loca­li­sa­tion, ont été uti­li­sés abon­dam­ment… Ils sont de nature à atté­nuer les gros loups sou­le­vés en 2) en par­ti­cu­lier en dimi­nuant la pro­por­tion de Sus­cep­tibles à l’origine, mais ne répondent pas aux ques­tions soulevées.

6) Alors d’autres modèles non construits sur une base SIR ?

Dans tout ce qui pré­cède, les modèles SIR consi­dé­rés font l’hypothèse que l’infectivité d’un indi­vi­du suit au cours de sa période de conta­gio­si­té une courbe du type :

Une autre forme pour l’infectivité A méri­te­rait d’être recher­chée et une piste est à suivre pour l’identifier.

Pour autant les loups dis­pa­rai­traient-ils pour autant ?

Retour de chasse : une opinion d’honnête homme

Je pour­rais « bri­ser là » et m’arrêter sur ce flot de ques­tions non réso­lues, mais je pense qu’il serait mal­séant, après tous ces efforts de navi­ga­tion que vous avez accom­plis avec moi, que je ne vous donne pas mon opi­nion per­son­nelle. Comme d’habitude, elle n’engage que son auteur …

Je vous livre donc mes convic­tions ci-après.

  • J’ai rare­ment vu des adé­qua­tions aus­si bonnes entre réel et modèle sur d’aussi longues périodes de temps (comme « le modèle » avec les décès) qui ne soient pas per­ti­nentes et signi­fiantes. Le modèle de cette épi­dé­mie est bien un modèle de type SIR par­ti­cu­lier (Ti=20 ; R°=5.5 ; β = 1.53 E‑06).
    Il me reste à effec­tuer l’analyse cor­res­pon­dante pour les autres pays, mais il est très pro­bable qu’ils seront similaires.
  • Le confi­ne­ment sous sa forme maxi­male déclen­ché le 16 mars a eu peu d’impact direct sur l’évolution de l’épidémie.
    En par­ti­cu­lier, les décès cumu­lés sont qua­si­ment les mêmes avec ou sans ce confinement.
    Il aurait été, par contre, dif­fi­cile poli­ti­que­ment de ne pas prendre une telle déci­sion compte tenu des déci­sions déjà prises par d’autres pays, de l’explosion pos­sible du sys­tème de san­té et des risques de panique et de ten­sions sociales poten­tiel­le­ment fortes liées à une per­cep­tion de dis­cri­mi­na­tion vis-à-vis des accès aux soins.
  • Le taux de léta­li­té est net­te­ment plus faible qu’annoncé et une par­tie de la popu­la­tion n’est pas Susceptible.
  • Ce virus est unique en son genre dans son double contour­ne­ment et détour­ne­ment de nos défenses immu­ni­taires, en mani­pu­lant notre ADN pour, à la fois dimi­nuer l’efficacité de notre réponse immu­ni­taire immé­diate (inter­fé­ron) ET exa­cer­ber la pro­fu­sion de neu­tro­philes et macro­phages dans notre organisme.

« Ce virus est unique en son genre dans son double contournement et détournement de nos défenses immunitaires. »

  • Nous avons vécu ici et main­te­nant une épi­dé­mie qui, en termes de pertes humaines, est très minime par rap­port au pas­sé (popu­la­tions de cer­tains pays ou civi­li­sa­tions réduites de 30 % ! …), mais elle consti­tue une mine d’informations consi­dé­rable pour pen­ser un futur, y com­pris, et peut-être sur­tout, en termes géopolitiques.
    Ce n’est sans doute pas le cas de ce virus, mais, ima­gi­nez que, par négli­gence, un virus autre­ment plus létal que le SARS-CoV‑2 et bien plus nou­veau (toute la popu­la­tion est Sus­cep­tible), s’échappe d’un des mul­tiples labo­ra­toires mon­diaux qui les mani­pulent (au sens propre) à des fins de prévention…
  • Je pense éga­le­ment qu’une ana­lyse fac­to­rielle com­plète (de bons outils existent) méri­te­rait d’être faite sur les carac­té­ris­tiques com­munes des pays qui ont eu des nombres de décès par habi­tants très faibles.
    Ce n’est pas parce qu’on peut pen­ser que cer­tains pays ont eu des comp­ta­bi­li­sa­tions insuf­fi­santes de ces décès, voire des poli­tiques volon­taires de sous-décla­ra­tion, qu’on n’en tire­rait pas des ensei­gne­ments très intéressants.


Bibliographie / Références

[1] https://dashboard.covid19.data.gouv.fr/vue-d-ensemble?location=FRA

[2] Ker­mack (W. O.) and McKen­drick (A. G.) (1927), « Contri­bu­tions to the mathe­ma­ti­cal theo­ry of epi­de­mics », part I. Pro­cee­dings of the Royal Socie­ty A 115, 700–721, Reprin­ted : Bul­le­tin of Mathe­ma­ti­cal Bio­lo­gy (1991), 53, 33–55.

[3] Hees­ter­beek (J.A.P.) and Dietz (K.) (1996) The concept of R° in epi­de­mic theo­ry, Sta­tis­ti­ca Neer­lan­di­ca (1996) Vol. 50, nr. 1, pp. 89–110

[4] Mani­vel (C.) COVID-19 : Déter­mi­na­tion des para­mètres R°, β et γ d’un modèle SIR de l’épidémie à par­tir des décès à l’hôpital sur la période en France du 19 février au 1er juillet 2020 HAL Id : 02923715

2 Commentaires

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Fran­çois Xavier MARTINrépondre
9 octobre 2020 à 10 h 39 min

Le modèle Ker­mack-McKen­drick donne une expli­ca­tion cohé­rente de l’historique de l’épidémie rap­pe­lé et minu­tieu­se­ment ana­ly­sé dans l’article.
Ce modèle per­met de cal­cu­ler l’évolution au cours du temps de I (nombre de per­sonnes conta­mi­nées simul­ta­né­ment, se trou­vant donc entre le moment de leur infec­tion et celui de leur gué­ri­son ou de leur décès, moments sépa­rés en moyenne par une durée D).
Tant que le taux de conta­mi­nés depuis le début de l’épidémie n’est pas trop impor­tant, I pro­gresse (ou régresse) comme une expo­nen­tielle d’exposant (R0 – 1) x t / D.
Les ordres de gran­deur de R0 asso­ciés à ce virus et au contexte fran­çais sont don­nés par dif­fé­rents sites :
* début d’épidémie : envi­ron 3 (période de dou­ble­ment du nombre d’infectés simul­ta­nés : quelques jours)
* confi­ne­ment : entre 0,5 et 1 (période de divi­sion par 2 du nombre d’infectés simul­ta­nés : quelques semaines)
* post-confi­ne­ment : entre 1 et 1,5 (période de dou­ble­ment du nombre d’infectés simul­ta­nés : quelques semaines)
La remon­tée du nombre d’infectés simul­ta­nés (et d’hospitalisation, de décès, …) consta­tée actuel­le­ment a démar­ré tar­di­ve­ment en rai­son des moda­li­tés de sor­tie du confinement.
En mai-juin, cette sor­tie s’est faite de façon pru­dente, et le nombre d’infectés s’est sta­bi­li­sé à un niveau très bas. Puis la las­si­tude, l’ambiance des vacances ont entraî­né un relâ­che­ment, encou­ra­gé par les décla­ra­tions péremp­toires de quelques per­son­na­li­tés média­tiques du milieu médi­cal (Raoult, Per­ronne, Tous­saint, Tou­bia­na, …) affir­mant que l’épidémie était ter­mi­née (décla­ra­tions abon­dam­ment relayées par les réseaux sociaux liber­taires ou sys­té­ma­ti­que­ment contestataires).
Du coup R0 est repas­sé au-des­sus de 1 … ce qui explique la remon­tée actuelle (beau­coup plus lente que celle de mars).

Fleu­ryrépondre
25 octobre 2020 à 19 h 54 min

il me semble pas sérieux d’in­fé­rer que le confi­ne­ment n’a pas eu d’ef­fet sur la base d’un modèle dont trois para­mètres sont com­plè­te­ment ad hoc. Au contraire une cal­cul très simple montre que le confi­ne­ment implique un pic au 8 avril. Sachant que la moyenne des ménages fran­çais est com­po­sé de 2,2 per­sonnes, soit M le nombre de per­sonnes conta­mi­nées n’ayant pas décla­ré les symp­tômes au jour du confi­ne­ment, ces per­sonnes conta­mi­ne­ront une popu­la­tion encore d’ordre M, jus­qu’au jour moyen de décla­ra­tion des symp­tômes (5 jours) après quoi les gens se pro­tègent, en sorte que le pic sera atteint quand les malades conta­mi­nés au bout 5 jours auront cuvé la mala­die soit envi­ron 15 jours, le pic de l’é­pi­dé­mie a donc lieu envi­ron 20 jours après le 17 mars.

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