Etymologie de la robotique et de la cybernétique

Étymologie :
À propos de Robotique

Dossier : Robotique et intelligence artificielleMagazine N°750 Décembre 2019
Par Pierre AVENAS (X65)

Robo­t­ique, intel­li­gence arti­fi­cielle, pilotage infor­ma­tique (des véhicules)… voilà des domaines en pleine expan­sion, qui ont pris la suite de leur ancêtre loin­tain, la cyberné­tique. Un nom tombé dans l’oubli ? En infor­ma­tique sans doute, mais pas dans le vocab­u­laire courant, car le pré­fixe cyber- est apparu au début des années 1990 : cyberespace et cybernaute dès le Petit Larousse 1997, cybercafé l’année suiv­ante jusqu’à une quin­zaine d’occurrences du pré­fixe cyber- dans l’édition 2020, sans par­ler du cyborg (de l’anglais cybernet­ic organism), per­son­nage de sci­ence-fic­tion fait de par­ties vivantes et de par­ties arti­fi­cielles con­trôlant son com­porte­ment. Comme l’homme aug­men­té en quelque sorte.

Les éty­molo­gies de robot et d’intel­li­gence arti­fi­cielle étant déjà présen­tées dans de précé­dents Éty­mologiX, intéres­sons-nous ici à ce pré­fixe cyber-.

Des termes de navigation à l’origine

Dans l’Odyssée, on trou­ve en grec le verbe kuber­nan « diriger avec le gou­ver­nail, pilot­er, com­man­der un navire », d’où kubernêtês « pilote, com­man­dant de navire ». Comme sou­vent pour des ter­mes tech­niques de la langue nau­tique, le latin vient du grec : ici kuber­nan est emprun­té par le latin, gubernare « diriger un navire », d’où guber­num, guber­nac­u­lum « gou­ver­nail », guber­na­tor « pilote ». De là vient en français toute une famille de mots, restée dans la nav­i­ga­tion avec le gou­ver­nail, puis diver­si­fiée dans le sens général de gou­vern­er, du gou­verne­ment, de la gou­ver­nance… ou de sa gou­verne per­son­nelle, revenant à la nav­i­ga­tion, mais aéri­enne cette fois, avec les gou­vernes d’un avion.

Le grec n’emploie pas de dérivé de kuber­nan pour désign­er le gou­ver­nail, mais plutôt pêdon, désig­nant d’abord le plat de la rame, et d’où provient prob­a­ble­ment l’italien pilo­to, passé au français, pilote, emprun­té par l’anglais.

La cybernétique

Le mot cyberné­tique est un néol­o­gisme for­mé sur le grec kubernêtikos « relatif au pilotage », créé en 1834 par le physi­cien Ampère dans son Essai sur la philoso­phie des sci­ences pour sig­ni­fi­er « étude des moyens de gou­verne­ment ». Plus d’un siè­cle après, en 1948, le math­é­mati­cien améri­cain Nor­bert Wiener (1894–1964) pub­lie son ouvrage fon­da­teur Cyber­net­ics, dans lequel il emprunte le mot en anglais : « We have decid­ed to call the entire field of con­trol and com­mu­ni­ca­tion the­o­ry, whether in the machine or in the ani­mal, by the name Cyber­net­ics. » Ce terme a con­nu d’emblée un large suc­cès pop­u­laire, avant de tomber en désué­tude après la mort de Wiener, pour resur­gir dans les années 1990 par l’utilisation du pré­fixe cyber- dans les mots relat­ifs aux usages d’Internet.

L’évocation métaphorique de la nav­i­ga­tion est donc à la base du verbe gou­vern­er, comme de ce pré­fixe cyber-. Le français file la métaphore puisque l’internaute est par déf­i­ni­tion celui qui nav­igue sur Inter­net ou, plus sportive­ment, qui surfe sur le Web comme en anglais. On par­le aus­si de nav­i­ga­teur infor­ma­tique en français, mais pas en anglais qui emploie brows­er, de to browse « feuil­leter (un livre) », dont le pre­mier sens était « brouter », de l’ancien français broster, de brost « jeune feuille » (cf. une broutille).

Épilogue

Il faut croire que le pilotage des navires a été l’un des défis tech­niques les plus dif­fi­ciles à relever pour les pre­miers humains. Cela peut expli­quer l’origine nau­tique du verbe gou­vern­er, et sans doute aus­si de pilot­er, en anglais to pilot, syn­onyme du verbe d’origine ger­manique, to steer, d’abord « tenir la barre », encore d’inspiration nautique.

Du même auteur : L’in­tel­li­gence arti­fi­cielle dans La Jaune et la Rouge N° 733, mars 2018

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