Evolution de l'espèce humaine jusqu'à l'intelligence artificielle

Étymologie :
À propos de l’intelligence artificielle

Dossier : ExpressionsMagazine N°733 Mars 2018
Par Pierre AVENAS (X65)

Quelle est la bonne déf­i­ni­tion du mot intel­li­gence ? il n’y a pas de con­sen­sus sur ce point, tant l’intelligence humaine prend des formes dif­férentes… Et quand l’intelligence est arti­fi­cielle, cela se com­plique encore. L’étymologie peut-elle nous aider à y voir clair ?

L’ÉTYMOLOGIE DU MOT INTELLIGENCE

L’éty­molo­gie du mot intel­li­gence n’est pour­tant pas com­pliquée. On part du verbe latin leg­ere qui sig­ni­fie d’abord « cueil­lir », puis, parce qu’on ne cueille que ce qui en vaut la peine, leg­ere prend le sens de « choisir ».

Ce dernier sens est ren­for­cé par le pré­fixe inter « entre, par­mi » [inter + leg­ere] devenant intel­legere, presque un pléonasme car s’il y a un choix à faire, c’est bien parce qu’il y a plusieurs options possibles.

Mais le rôle d’un pré­fixe est de diver­si­fi­er les mots pour éviter des homonymies : ici, le verbe leg­ere, pour­suiv­ant son évo­lu­tion séman­tique, a fini par sig­ni­fi­er « lire » et devenir en français, lire. Et il était alors utile de dis­tinguer leg­ere « lire » et intel­legere « choisir par­mi des options » donc « dis­cern­er », « com­pren­dre »… même si lire entre les lignes, ou lire sur le vis­age d’un inter­locu­teur, c’est plutôt du dis­cerne­ment que de la lecture.

Finale­ment en français, intel­li­gence pro­longe le latin intel­le­gen­tia, qui désigne l’aptitude à faire un choix, idéale­ment le bon choix, ce qui sup­pose de com­pren­dre la situation.

Ce qui dif­féren­cie les formes d’intelligence, c’est le moyen du choix : l’intelligence théorique fait appel aux qual­ités logi­co­math­é­ma­tiques, l’intelligence pra­tique à l’habileté manuelle, l’intelligence ver­bale à la maîtrise du lan­gage… et donc l’intelligence arti­fi­cielle fait appel à des moyens non humains, comme un ordinateur.

L’ART ET LA MATIÈRE

L’étymologie de arti­fi­ciel n’est pas mys­térieuse non plus : directe­ment du latin arti­fi­cialis, lui-même de artifex, arti­fi­cis, for­mé sur le verbe facere « faire » et le nom ars, artis, d’où vient art en français.

C’est plutôt l’évolution séman­tique de tous ces mots qui ne va pas de soi, car le latin artifex ren­voy­ait tout autant à l’artisan qu’à l’artiste, le sens du latin ars étant très large, « tal­ent, savoir-faire, méti­er, art, con­nais­sance, tech­nique ». Le mosaïste qui a réal­isé le CAVE CANEM à Pom­péi était-il un arti­san ou un artiste ?

La dichotomie entre arti­san (de l’italien arti­giano) et artiste (du latin médié­val artista) ne s’est établie qu’au XVIIIe siècle.

Cor­réla­tive­ment, le sens du mot art en français a d’abord englobé la tech­nique et le savoir-faire, comme l’attestent encore les expres­sions comme état de l’art, ouvrage d’art, ou les noms offi­ciels des écoles Cen­trale des arts et man­u­fac­tures et Nationale supérieure d’arts et métiers… sans par­ler des arts mar­ti­aux et de l’art de la guerre (de Machiavel) !

L’IA : UN CHOIX AVISÉ OU TROMPEUR ?

En latin, de artifex vient arti­fi­ci­um qui désig­nait dans son sens con­cret orig­inel tout tra­vail néces­si­tant du savoir-faire, une œuvre de qual­ité. Mais ce mot est devenu en français arti­fice, d’abord dans le même sens posi­tif qu’en latin (comme dans feu d’artifice), mais très vite dans le sens négatif actuel, où un arti­fice est un moyen habile et trompeur pour amélior­er ou cam­ou­fler la réalité.

Et l’adjectif arti­fi­ciel a con­nu un sort sim­i­laire : au mieux son sens est neu­tre comme pour un satel­lite ou un tex­tile arti­fi­ciel, mais le plus sou­vent, il prend un sens péjo­ratif, par oppo­si­tion à ce qui est naturel, cen­sé être meilleur.

Alors, d’accord pour l’intel­li­gence arti­fi­cielle, mais si c’est bien au sens pre­mier du latin arti­fi­ci­um, désig­nant une belle ouvrage réal­isée dans les règles de l’art.


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Illus­tra­tion : © 13FTSTUDIO

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