Étymologie :
À propos de la chimie

Dossier : La ChimieMagazine N°749 Novembre 2019
Par Pierre AVENAS (X65)

Faute de moyens d’identification des sub­stances, l’alchi­mie est res­tée une science occulte, envi­ron­née de mys­tère, par­fois de magie. Son grand objec­tif était d’obtenir la Pierre phi­lo­so­phale capable de trans­mu­ter le plomb en or. C’est à par­tir de la fin du XVIIIe siècle que la chi­mie s’est impo­sée par­mi les sciences exactes, grâce à des moyens ana­ly­tiques de plus en plus sophis­ti­qués. Or pour pas­ser de l’alchimie à la chi­mie, il fal­lait com­prendre la notion même d’élément chi­mique, néces­saire à tout rai­son­ne­ment cohé­rent. Cette avan­cée fon­da­men­tale est due à Lavoisier.

Le génie de Lavoisier

Le prin­cipe aris­to­té­li­cien des quatre élé­ments (feu, air, eau, terre) était encore clai­re­ment affir­mé en 1778 dans la 2e édi­tion du Dic­tion­naire de chy­mie du chi­miste Mac­quer. Dans le même temps, Lavoi­sier conce­vait et réa­li­sait sur l’eau, l’air et… le dia­mant, les expé­riences cru­ciales qui lui ont per­mis de remettre en cause ce prin­cipe, et d’établir la notion moderne d’élément chi­mique, dans son Trai­té élé­men­taire de chi­mie de 1789. Le plomb et l’or par exemple deve­naient des élé­ments, et il n’était plus ques­tion de trans­mu­ter l’un en l’autre. La chi­mie pre­nait alors, en quelque sorte, le relai de l’alchimie, et à par­tir de là, le mot même alchi­mie est sor­ti de l’usage cou­rant, en ne conser­vant plus qu’une valeur his­to­rique et en lais­sant toute la place au mot chi­mie. Des mots, chi­mie et alchi­mie, qui se res­semblent, mais dont l’étymologie reste assez obs­cure, comme on va le voir.

L’alchimie d’abord

L’élément al- de alchi­mie pro­vient de l’article arabe al « le », tout comme celui de alcool ou de alcalin. En effet, le mot alchi­mie est un emprunt au latin médié­val alchi­mia, attes­té au XIIe siècle, pro­ve­nant de l’arabe al-kīmiyā, dési­gnant l’alchimie elle-même, ou bien son but ultime, la Pierre phi­lo­so­phale. Quant à l’origine de l’arabe kīmiyā, elle est incer­taine : soit des mots égyp­tiens, kemi « magie », kem « (terre) noire », réfé­rences à la « magie noire », l’alchimie de l’Égypte ancienne, soit le grec tar­dif khêm(e)ia « art de la trans­mu­ta­tion des métaux, magie », venant peut-être de l’égyptien, soit encore le grec khu­meia « mélange de sucs », qui a pu se confondre avec khê­meia. On retrouve dans ces hypo­thèses ara­bo-grecques les grands traits alchi­miques : l’ésotérisme, la science des métaux et l’art des mélanges. On voit cepen­dant que dans alchi­mie, seul l’élément al- a une ori­gine certaine.

La chimie

Le mot chi­mie, d’origine contro­ver­sée éga­le­ment, est attes­té sous la forme chy­mie en 1554 dans le sens de « science qui étu­die la consti­tu­tion des divers corps », et remonte au latin médié­val chi­mia « art de trans­for­mer les métaux », attes­té au XIIIe siècle, peut-être un emprunt au grec tar­dif khêm(e)ia, une ori­gine pos­sible de alchi­mie. On voit que le mot chy­mie, chi­mie s’emploie déjà dans la période alchi­mique, mais il prend toute sa dimen­sion moderne, sous l’orthographe chi­mie, à par­tir du XIXe siècle.

Épilogue

Peut-on poser en défi­ni­tive : alchi­mie = al + chi­mie ? C’est pos­sible via le grec khê­mia, mais pas cer­tain. Au mini­mum, ces mots ont dû s’influencer réci­pro­que­ment, dès le latin, pour la forme. On n’a pas ici la cer­ti­tude que donne en zoo­lo­gie l’égalité : alga­zelle = al + gazelle, de l’arabe al-ghazâl, l’algazelle (ou oryx) fai­sant par­tie, comme les gazelles, des antilopes.

L’alchimie n’a pas dis­pa­ru, qui qua­li­fie la réus­site, un peu magique, d’une rela­tion… et même la trans­mu­ta­tion des métaux est réap­pa­rue dans la chi­mie nucléaire. Rien ne se perd…

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