Étymologie :
À propos de la douance

Dossier : DouanceMagazine N°762 Février 2021
Par Pierre AVENAS (X65)

L’adjectif sur­doué, spé­cia­le­ment à pro­pos d’un enfant, est appa­ru dans le Petit Larousse 1977. Il cor­res­pond à l’anglais gif­ted, d’où gif­ted­ness « apti­tude intel­lec­tuelle très éle­vée », que l’autorité lin­guis­tique du Qué­bec a recom­man­dé en 1984 de tra­duire en fran­çais par douance. L’emploi de ce mot s’est alors déve­lop­pé au Cana­da, puis en France, et il entre dans le Petit Larousse 2021 avec la défi­ni­tion : qua­li­té d’une per­sonne sur­douée, spé­cia­le­ment d’un enfant. Les mots douance, doué se relient à la même racine que don, mais par un che­min différent.

Le don, la dot et la dose 

Le mot don vient du latin donum, lui-même du verbe dare « don­ner, offrir ». Le don est dés­in­té­res­sé et dans un sens figu­ré, le don mani­fes­té par une per­sonne est une apti­tude innée, que lui a don­née en quelque sorte… la nature.

D’autre part, doué est le par­ti­cipe de douer, déri­vant lui-même du verbe doter, concer­nant d’abord la dot, ce qui, éton­nam­ment, nous situe dans le domaine matri­mo­nial. En effet en latin dos, dotis est la dot, le plus sou­vent appor­tée par la mariée au marié, et par­fois par le marié à la famille de la mariée, d’où le verbe dotare, en fran­çais doter, dans le sens d’accorder une dot. Puis le sens de dos et celui de dotare se sont élar­gis jusqu’à concer­ner les qua­li­tés d’une per­sonne, d’où en fran­çais doter « munir de », et au figu­ré douer comme pour l’être humain doué de parole, ou une per­sonne douée dans un domaine. Tou­te­fois, l’origine matri­mo­niale se voyait encore lorsque douer signi­fiait au XIIe siècle « accor­der un douaire », le douaire étant consti­tué des biens lais­sés par le mari à sa veuve, la douai­rière.

À côté des verbes don­ner et doter, douer, il faut évo­quer le verbe doser. En effet, la même racine indo-euro­péenne *do- se mani­feste sous trois formes prin­ci­pales : 1. grec dôron, latin donum, d’où don, don­ner… 2. grec dôs, latin dos, d’où dot, doter, douer… et 3. grec dosis, latin médié­val dosis, d’où dose, doser… quand on donne un remède… ou un poison.

Un don est bien dosé chez une per­sonne douée, mais il est, si l’on veut, sur­do­sé chez une per­sonne sur­douée. Tout est une ques­tion de dose. Un don est un cadeau, s’il est sur­do­sé il peut deve­nir un cadeau empoisonné.

Et dans les langues germaniques ?

Dans ces langues, il se trouve que la racine *do- n’apparaît pas. Son rôle est joué par la racine ger­ma­nique *geban, à laquelle se rat­tachent l’anglais to give « don­ner », gift « cadeau, don », gif­ted « doué », ain­si que l’allemand geben « don­ner », Gabe « cadeau, don », begabt « doué », et l’allemand va plus loin avec Mit­gift « dot » et Gift « (dose de) poi­son ». Les langues scan­di­naves ont l’équivalent, par exemple en danois/suédois, give/ge « don­ner », gave/gåva « cadeau, don », bega­vet/begå­vad « doué », hem­gift « dot », gift « poi­son », mais elles vont encore plus loin que l’allemand, avec gift « marié, mariée ». Ain­si, l’anglais gift « cadeau », le danois gift « marié » et l’allemand Gift « poi­son » sont en ligne avec les mots don, dot et dose.

Épilogue

Tou­jours dans le Petit Larousse 2021, à zèbre, après le sens 1, l’animal, et le sens 2 fami­lier et datant du XIXe siècle, indi­vi­du bizarre, appa­raît le sens 3, per­sonne (enfant spé­cia­le­ment) sur­douée. Ce sens 3, rela­tif à la douance, est dû à la psy­cho­logue fran­çaise Jeanne Siaud-Fac­chin, qui évite ain­si des termes plus pesants (sur­doué, haut poten­tiel ou pré­coce) tout en admet­tant un rap­port avec le « drôle de zèbre » du sens 2, lui-même ins­pi­ré par l’animal, ori­gi­nal et rétif.


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