En ville : Le partage de la voirie fait partie des priorités actuelles.

Réseau routier : de l’accès aux territoires à la route intelligente

Dossier : 300 ans des Ponts & ChausséesMagazine N°719 Novembre 2016
Par Jacques TAVERNIER (70)

La route n’a cessé d’évoluer : des routes empier­rées aux enrobés bitu­mineux ; des ponts en maçon­ner­ie à la con­struc­tion métallique, au béton armé et au béton pré­con­traint. Et main­tenant la cinquième généra­tion se développe en lab­o­ra­toire : la route de demain sera évo­lu­tive, coopéra­tive et à con­tri­bu­tion envi­ron­nemen­tale positive. 

Si les chemins remon­tent à la nuit des temps, et au besoin irré­press­ible de l’homme de se déplac­er, les Romains les ont trans­for­més en voies stratégiques pour uni­fi­er, desservir et défendre l’Empire.

Ils en ont fait des ouvrages tech­niques pour résis­ter à l’épreuve du temps, des élé­ments et du traf­ic, grâce au pavage, au drainage et à la maçon­ner­ie. Tout au long du Moyen Âge et de la Renais­sance, le réseau routi­er, géré par les seigneurs locaux, grâce au péage et à la corvée, évoluera lente­ment dans sa con­sis­tance et dans ses techniques. 

“ Le (premier) grand siècle de la route fut sans conteste le XIXe siècle ”

La créa­tion des relais de poste par Louis XI offrira le pre­mier « ser­vice » aux voyageurs. Sul­ly, pre­mier « grand voy­er de France » puis Col­bert com­menceront à dévelop­per une vision nationale et économique de la route. 

Pour autant, ce n’est qu’au XVIIIe siè­cle, sous l’impulsion du Régent et de Tru­daine, que le réseau routi­er chang­era vrai­ment de dimen­sion avec la con­struc­tion de 24 000 kilo­mètres de grandes routes royales, pilotée par le tout nou­veau corps des Ponts. 

REPÈRES

Le réseau routier français est constitué de 1 071 076 kilomètres de voies. Il est constitué de 11 662 km d’autoroutes (dont 9 503 km d’autoroutes concédées), 8 901 km de routes nationales, 377 223 km de routes départementales et 673 290 km de voies communales.

DE LA VOITURE À CHEVAL À L’AUTOMOBILE

Mais, comme le dit Georges Reverdy (44) dans sa très belle et très doc­u­men­tée His­toire des routes de France, le (pre­mier) grand siè­cle de la route fut sans con­teste le XIXe siè­cle, qui vit se con­stru­ire des dizaines de mil­liers de kilo­mètres de routes départe­men­tales et de chemins vic­in­aux, con­sti­tu­ant un réseau d’une excep­tion­nelle den­sité, desser­vant les hameaux les plus reculés, un réseau encore conçu pour la cir­cu­la­tion hippomobile. 

Au début du XXe siè­cle, la route décou­vre l’automobile : il faut lut­ter con­tre la boue et la pous­sière. Le goudron, pro­duit dérivé de la fab­ri­ca­tion du gaz d’éclairage, est appliqué à grande échelle, pour mieux résis­ter au traf­ic et s’adapter aux vitesses et aux charges gran­dis­santes. Le goudron sera rem­placé petit à petit par le bitume, sous-pro­duit de la dis­til­la­tion pétrolière. 

Après la Deux­ième Guerre mon­di­ale, les « cinquante glo­rieuses » ver­ront la mod­erni­sa­tion des réseaux routiers, et la con­struc­tion accélérée de 9 000 kilo­mètres d’autoroutes à péage, grâce au sys­tème vertueux de la con­ces­sion intro­duit par la loi de 1955, dessi­nant le paysage d’aujourd’hui.

UN RÉSEAU DENSE GÉRÉ PAR DE MULTIPLES ACTEURS


Le partage de la voirie fait par­tie des pri­or­ités actuelles.

Avec plus d’un mil­lion de kilo­mètres de routes et de rues, la France pos­sède un des réseaux routiers les plus dens­es du monde. 

Un réseau géré, après les dif­férentes étapes de la décen­tral­i­sa­tion, par de mul­ti­ples acteurs : sociétés con­ces­sion­naires d’autoroutes, direc­tions inter­dé­parte­men­tales des routes de l’État, départe­ments, com­munes et com­mu­nautés de communes. 

Tous ces acteurs ont été fédérés en 2010 avec les entre­pris­es et les bureaux d’études, dans l’Institut des routes, des rues et des infra­struc­tures de mobil­ité (IDRRIM), pour dévelop­per et pro­mou­voir le référen­tiel tech­nique français, his­torique­ment conçu par les Ser­vices tech­niques des routes et autoroutes du min­istère de l’Équipement.

LA ROUTE PREMIER RÉSEAU SOCIAL

Le réseau routi­er assure 86 % des déplace­ments de per­son­nes et 87 % des trans­ports de marchan­dis­es. C’est donc bien, et de très loin, le pre­mier réseau social, le prin­ci­pal sup­port de la mobil­ité, et notam­ment celui des nou­velles mobil­ités (autopartage, cov­oiturage, auto­cars longue dis­tance, vélos, etc.) qui se dévelop­pent rapidement. 

Cette part de marché impor­tante est bien sûr liée à l’extraordinaire flex­i­bil­ité et à la lib­erté qu’offre la route aux dif­férents modes de trans­port, indi­vidu­els et col­lec­tifs, qui l’utilisent.

D’ailleurs de tels taux ne sont pas pro­pres à la France : on les retrou­ve peu ou prou dans la plu­part des pays dévelop­pés ou émer­gents, selon la den­sité des réseaux fer­rovi­aires ou des voies navigables. 

La ges­tion du réseau routi­er est assurée par 100 000 agents publics et fait vivre 1 400 entre­pris­es privées, pour 12 mil­liards de chiffre d’affaires et 80 000 emplois. 

La con­struc­tion et la mod­erni­sa­tion con­tin­ue du réseau routi­er ont fait émerg­er un savoir-faire français incon­testable en matière de ges­tion de pro­jets, de tech­nique routière, de génie civ­il et d’exploitation.

MODERNISER MALGRÉ LES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES

Le réseau routi­er français est mature ; l’heure n’est plus à la con­struc­tion mas­sive de nou­veaux axes, mais à la mod­erni­sa­tion d’un réseau qui vieil­lit rapi­de­ment et dont les points de con­ges­tion aug­mentent en périphérie des villes. 

“ Le réseau routier assure 86 % des déplacements de personnes ”

La pri­or­ité est aujourd’hui à l’optimisation du réseau, au partage de la voirie, à la main­te­nance et à la con­ser­va­tion du pat­ri­moine : en effet, sous le poids de la con­trainte budgé­taire, tous les ges­tion­naires de voirie, à l’exception notable des con­ces­sion­naires autoroutiers, ont réduit leurs dépens­es d’entretien de 20 à 30 % en six ans, générant de plus en plus de désor­dres sur les chaussées et les équipements. 

La France, qui était encore classée pre­mière pour la qual­ité de son réseau routi­er par le World Eco­nom­ic Forum en 2011, a dégringolé à la sep­tième place en 2015. C’est un pat­ri­moine pub­lic de 2 000 mil­liards d’euros, qui est aujourd’hui en danger. 

PRISE DE CONSCIENCE

Mais le pire n’est jamais cer­tain, et le triste exem­ple du réseau fer­rovi­aire, dont l’entretien a été longtemps délais­sé, com­mence à faire réagir. 

PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ

Le savoir-faire français en matière de routes est le fruit d’une coopération exceptionnelle dans la deuxième moitié du XXe siècle entre le ministère de l’Équipement, son réseau scientifique et technique (LCPC devenu IFSTTAR1, SETRA et CETE devenus CEREMA2) et les entreprises qui ont pu développer et expérimenter des innovations économiques, techniques et managériales permettant à certaines de devenir des leaders mondiaux.

Le dis­cours poli­tique change : l’heure n’est plus à l’ostracisme, mais à la prise de con­science de la néces­sité d’entretenir et de mod­erniser un réseau aus­si essen­tiel à la vie quo­ti­di­enne et au développe­ment économique. 

L’État, l’Assemblée des départe­ments de France, l’Assemblée des com­mu­nautés de France ont créé en jan­vi­er 2016 avec la pro­fes­sion un Obser­va­toire nation­al des routes, pour objec­tiv­er l’état du réseau et opti­miser les dépens­es routières des dif­férents ges­tion­naires. L’État a d’ailleurs triplé en deux ans les moyens con­sacrés à l’entretien du réseau nation­al qui étaient, il est vrai, tombés très bas. 

Sur le plan envi­ron­nemen­tal, la route a depuis longtemps fait sa mue, pour répon­dre aux défis de la tran­si­tion énergé­tique et du change­ment climatique. 

À tra­vers une charte d’engagement volon­taire, signée en 2009 entre tous les acteurs (maîtres d’ouvrage et pro­fes­sion) des pro­grès con­sid­érables ont été faits en matière d’économie d’énergie, d’émission de gaz à effet de serre, de recy­clage et d’éco-comparateurs.

La route, qui recy­cle chaque année plus de 100 mil­lions de tonnes de déchets inertes notam­ment issus de la décon­struc­tion du BTP, est une des prin­ci­pales fil­ières de l’économie circulaire. 

Les util­isa­teurs de la route ont fait égale­ment d’énormes pro­grès : véhicules hybrides ou élec­triques, bus élec­triques, camions Euro 6, régu­la­tion de vitesse sur autoroutes, etc. 

UN BILAN ENVIRONNEMENTAL EN PROGRÈS

La route solaire
Le pro­to­type de route solaire, expérimenté
depuis quelques mois avec des rendements
encore faibles mais prometteurs.

Toutes ces évo­lu­tions con­tribuent à réduire les exter­nal­ités néga­tives (coût de l’insécurité routière, du bruit, de la pol­lu­tion, de la con­ges­tion, etc.) que l’on a sou­vent reprochées à la route, ou plus exacte­ment aux modes de trans­port routi­er, qui d’ailleurs les com­pensent large­ment par la fis­cal­ité qui leur est appliquée. 

Nul doute que les nou­veaux ser­vices de mobil­ité et l’autopartage per­me­t­tront encore d’améliorer le bilan envi­ron­nemen­tal et socioé­conomique de la route et de ses utilisateurs. 

La route s’est donc adap­tée, elle s’adapte encore et s’apprête à vivre de nou­velles révolutions. 

UN FUTUR RICHE DE PROMESSES

Comme toutes les indus­tries et les ser­vices, la route est con­fron­tée à de mul­ti­ples défis socié­taux et tech­niques : la tran­si­tion numérique qui impacte les méth­odes de tra­vail et génère de nou­veaux ser­vices de mobil­ité (autopartage, infor­ma­tion traf­ic, etc.), le change­ment cli­ma­tique, la tran­si­tion écologique et énergé­tique et ce d’autant plus que le secteur des trans­ports génère près de 28 % des émis­sions de gaz à effet de serre. 

Et bien sûr la con­trainte budgé­taire restera très forte pour les ges­tion­naires de routes, État et col­lec­tiv­ités locales. 

Plusieurs répons­es font l’objet de travaux de recherch­es et d’expérimentations. Il y a, en pre­mier, la mobil­ité intel­li­gente, dite mobil­ité 3.0, qui passera par des véhicules con­nec­tés et des véhicules autonomes dont d’ores et déjà de nom­breux pro­to­types fonc­tion­nent dans le monde. 

Cette mobil­ité intel­li­gente néces­sit­era des routes plus stan­dard­is­ées, au niveau de la géométrie, de l’uni, de l’adhérence, de la sig­nal­i­sa­tion hor­i­zon­tale et verticale. 

L’infrastructure devra être numérisée (balis­es de chantier et mar­quages intel­li­gents, unités de bord de route) pour assur­er les com­mu­ni­ca­tions entre les véhicules et l’infrastructure.

Les véhicules équipés de nom­breux cap­teurs pour­ront aus­cul­teEn­cart jauner en temps réel l’état des chaussées et fournir aux ges­tion­naires des infor­ma­tions précieuses. 

MOINS DE CO2

Les autres expéri­men­ta­tions con­cer­nent la mobil­ité décar­bonée et la route à énergie positive. 

“ La route s’apprête à vivre de nouvelles révolutions ”

La réduc­tion pro­gres­sive des motori­sa­tions ther­miques au prof­it des nou­velles motori­sa­tions hybrides, élec­triques et à hydrogène per­met de dévelop­per une mobil­ité sans rejet de CO2. Il fau­dra répon­dre aux besoins de recharges élec­triques ou à hydrogène voire d’alimentation des véhicules en marche par con­duc­tion ou par induction. 

Les chaussées et les park­ings représen­tent une sur­face de 17 000 km2 qui pour­raient servir à stock­er de l’énergie, ou à pro­duire de l’électricité en les trans­for­mant en pan­neaux photovoltaïques. 

Ce rêve est en marche, comme le mon­tre le pro­to­type de route solaire, expéri­men­té depuis quelques mois avec des ren­de­ments encore faibles mais prometteurs. 

UNE CINQUIÈME GÉNÉRATION DE ROUTE

UN RÉSEAU PLUS SÛR

En matière de sécurité routière, la construction du réseau autoroutier, l’amélioration continue du réseau et de ses équipements, la construction des giratoires, le renforcement de la sécurité des véhicules et les mesures réglementaires (limitation de vitesse, port de la ceinture, contrôle technique, permis à points, etc.), modifiant les comportements des usagers de la route, ont permis de baisser fortement la mortalité, celle-ci passant de 16 212 morts en 1972 à 3 461 en 2015, avec un trafic multiplié par plus de 2.

C’est ain­si qu’une nou­velle généra­tion de route se pré­pare dans les lab­o­ra­toires publics et privés. 

Après le chemin, la route pavée romaine, la route revêtue et l’autoroute, la route de cinquième généra­tion, selon le con­cept dévelop­pé par l’IFSTTAR, sera évo­lu­tive, coopéra­tive et à con­tri­bu­tion envi­ron­nemen­tale positive. 

Cette route de cinquième généra­tion va faire l’objet dès l’année prochaine de démon­stra­teurs en vraie grandeur grâce à l’appel à pro­jet route du futur, lancé en 2015 par l’ADEME dans le cadre du Pro­gramme des investisse­ments d’avenir.

La route se renou­velle donc comme elle l’a tou­jours fait et la route a encore de beaux jours devant elle, si l’on en croit l’International Ener­gy Agency qui estime qu’il fau­dra con­stru­ire d’ici 2050 25 mil­lions de kilo­mètres de routes nou­velles dans le monde pour sat­is­faire les besoins de développement. 

Nul doute que les ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts y con­tribuent encore et con­tin­u­ent de dévelop­per l’excellence routière française dans le monde. 

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1. IFSTTAR : Insti­tut français des sci­ences et tech­nolo­gies des trans­ports, de l’aménagement et des réseaux.
2. CEREMA : Cen­tre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobil­ité et l’aménagement

La route de cinquième génération
La route de cinquième généra­tion sera évo­lu­tive, coopéra­tive et à con­tri­bu­tion envi­ron­nemen­tale pos­i­tive © IFSTTAR

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