Renouveler le financement des filières industrielles

Dossier : Les secrets de la Supply ChainMagazine N°700 Décembre 2014
Par Hervé HILLION (80)

Dans la plu­part des filières indus­trielles, les grands don­neurs d’ordre ont exter­na­li­sé plus de 80 % de la valeur ajou­tée de concep­tion et de pro­duc­tion auprès d’un grand nombre de four­nis­seurs ou sous-trai­tants spécialisés.

Or, la grande majo­ri­té de ces four­nis­seurs sont des PME-ETI (plus de 2 000 en rang 1 pour Air­bus à titre d’exemple) dont la capa­ci­té à finan­cer, par anti­ci­pa­tion, les études, les inves­tis­se­ments, les achats, les stocks néces­saires à la four­ni­ture des pièces et équi­pe­ments, est évi­dem­ment cri­tique pour sécu­ri­ser la sup­ply chain dans son ensemble.

REPÈRES

La supply chain finance couvre le financement du BFR (« besoin en fonds de roulement »), la sécurisation des échanges internationaux entre les partenaires et une circulation plus rapide et plus sûre du cash-flow, grâce notamment aux nouvelles technologies et à la dématérialisation.
Cet article est limité à la gestion du BFR et aux nouvelles solutions de financement.

Des besoins de financement mal couverts

Mal­heu­reu­se­ment, du fait des nou­veaux ratios pru­den­tiels exi­gés pour les banques (Bâle III), les condi­tions d’accès au cré­dit ban­caire pour les PME-ETI n’ont ces­sé de se dur­cir ces der­nières années, condui­sant à un « gap » de finan­ce­ment (besoins non cou­verts) signi­fi­ca­tif, notam­ment sur les besoins à court ou moyen terme.

Ce « gap » de finan­ce­ment non seule­ment bride la crois­sance des filières, mais consti­tue un fac­teur de risque majeur de rup­ture des sup­ply chains.

Alternatives financières

D’où l’émergence récente de nou­velles formes de finan­ce­ment alter­na­tives au cré­dit ban­caire (s’agissant du cycle d’exploitation, nous excluons ici le finan­ce­ment en equi­ty) et des­ti­nées aux PME-ETI, telles que les fonds de prêt à l’économie lan­cés en 2013 avec le sou­tien des pou­voirs publics.

“ Le gap de financement est un facteur de risque majeur ”

C’est aus­si la rai­son qui jus­ti­fie le for­mi­dable essor de la sup­ply chain finance en France mais aus­si en Europe, avec des ini­tia­tives regrou­pant les grandes entre­prises, les PME-ETI, les pou­voirs publics, les inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels (banques, assu­rances, fonds), les pres­ta­taires logis­tiques, les édi­teurs de pla­te­formes tech­no­lo­giques, etc.

Nous nous limi­te­rons ici aux solu­tions de finan­ce­ment col­la­bo­ra­tif du BFR entre par­te­naires d’une même sup­ply chain : solu­tions dites de post-ship­ment (après la livrai­son et la fac­tu­ra­tion des pro­duits), essen­tiel­le­ment l’affacturage inver­sé, et solu­tions dites de pre-ship­ment (avant la livrai­son des pro­duits), dont le finan­ce­ment des com­mandes et des stocks.

Affacturage inversé

La tech­nique n’est pas nou­velle en soi, et existe depuis long­temps dans d’autres pays d’Europe, notam­ment l’Espagne, qui a été pré­cur­seur. Connue sous le nom de reverse fac­to­ring, elle fonc­tionne comme de l’affacturage, avec la dif­fé­rence que le sché­ma de finan­ce­ment est orga­ni­sé par un don­neur d’ordre pour le compte de ses four­nis­seurs directs.

“ L’accès au crédit doit être facile, rapide et low-cost ”

Les four­nis­seurs peuvent ain­si béné­fi­cier d’un taux d’escompte d’autant plus inté­res­sant que le pro­fil du don­neur d’ordre est consi­dé­ré comme sans risque. De nom­breux pro­grammes de ce type ont vu le jour depuis trois ans, dans des sec­teurs variés : grande dis­tri­bu­tion, éner­gie, télé­coms, auto­mo­bile, aéro­nau­tique, etc.

Cette solu­tion est inté­res­sante pour toutes les par­ties pre­nantes de la sup­ply chain : les four­nis­seurs réduisent leur BFR (poste clients) en béné­fi­ciant de taux de finan­ce­ment plus attrac­tifs que l’affacturage clas­sique et ils béné­fi­cient d’une meilleure visi­bi­li­té et pré­vi­si­bi­li­té du cash-flow ; les don­neurs d’ordre ne dégradent pas leur propre BFR et amé­liorent leur rela­tion fournisseurs.

Financement des commandes et des stocks

Les solu­tions de finan­ce­ment des com­mandes (fermes et pré­vi­sion­nelles) et des stocks consti­tuent une réponse par­ti­cu­liè­re­ment bien adap­tées aux PME-ETI en manque de liqui­di­tés, mal­gré la visi­bi­li­té de leur car­net de commandes.

C’est typi­que­ment le cas aujourd’hui de la filière aéro­nau­tique, compte tenu de la visi­bi­li­té du car­net de com­mandes d’Airbus (plus de neuf ans de pro­duc­tion) et des aug­men­ta­tions de cadences pro­gram­mées. En soi, il ne s’agit pas d’une inno­va­tion si l’on consi­dère que les banques (sur­tout anglo-saxonnes) l’ont pra­ti­qué dans le pas­sé pour des mon­tants de com­mandes ou de stocks impor­tants (avec des pro­grammes spé­ci­fiques de titri­sa­tion) et pour des entre­prises finan­ciè­re­ment très solides.

UNE SOLUTION LIMITÉE

L’affacturage inversé a ses propres limites. Il est difficile d’élargir la solution de financement aux fournisseurs de rang 2 et supérieurs car ils ne facturent pas directement le donneur d’ordre (le risque sur la créance étant celui du donneur d’ordre uniquement).
Cela exclut donc beaucoup de PME de la filière. Et même pour les fournisseurs directs (rang 1) du donneur d’ordre, il ne résout pas leurs besoins de financement amont (commandes, stocks).
Il s’agit en fait d’une ligne de crédit engagée sur le donneur d’ordre, et qui est donc susceptible de dégrader les ratios financiers ou d’impacter les arbitrages d’allocation des ressources financières.

Mais les enjeux ne sont plus les mêmes car il s’agit ici de finan­cer le BFR de PME-ETI dans des condi­tions où l’accès au cré­dit doit être facile, rapide et low-cost ; où les mon­tants sont rela­tifs par rap­port aux opé­ra­tions his­to­riques de titri­sa­tion de stocks – de quelques cen­taines de mil­liers à quelques mil­lions d’euros – ; où n’y a en géné­ral aucune nota­tion pour les entre­prises concer­nées ; enfin, où il s’agit plu­tôt de finan­cer un flux de com­mandes plu­tôt qu’un contrat ou une com­mande ferme.

C’est pour­quoi, la concep­tion et la mise en oeuvre de ce type de finan­ce­ment exigent d’innover dans trois domaines. Le pre­mier est le risque de cré­dit, qui doit être appré­hen­dé comme un risque sys­té­mique de sup­ply chain de filière et non plus comme un risque sta­tis­tique de défaillance d’entreprise.

Le deuxième est celui de l’organisation du par­tage d’information et de la col­la­bo­ra­tion entre don­neurs d’ordre et PME four­nis­seurs, élé­ment clé pour opti­mi­ser le BFR et gérer le risque de finan­ce­ment : cela néces­site le déve­lop­pe­ment d’agence de nota­tion de la sup­ply chain, inté­grant per­for­mance finan­cière et opérationnelle.

Enfin, le troi­sième est l’utilisation des nou­velles pla­te­formes tech­no­lo­giques pour faci­li­ter la mise en rela­tion des par­ties pre­nantes (entre­prises, finan­ceurs, etc.) avec une offre inté­grée de finan­ce­ment du BFR.

Des développements prometteurs

Au car­re­four de la finance, des opé­ra­tions et de la ges­tion des risques, la sup­ply chain finance est non seule­ment en plein déve­lop­pe­ment dans les entre­prises, mais c’est aus­si une dis­ci­pline qui émerge avec un suc­cès ful­gu­rant dans les plus grandes uni­ver­si­tés inter­na­tio­nales. Gageons qu’il en sera bien­tôt de même chez nous.

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