Des livraisons citadines plus vertes :

Dossier : Les secrets de la Supply ChainMagazine N°700 Décembre 2014
Par Charlotte VÉZINE (07)

Une des clés pour réduire la cir­cu­la­tion due aux véhicules de livrai­son con­siste en la mutu­al­i­sa­tion des flux. Si les longs tra­jets sont déjà bien opti­misés par les grands trans­porteurs, la logis­tique du dernier kilo­mètre reste aujourd’hui com­plexe et rel­a­tive­ment inef­fi­cace, surtout pour la livrai­son aux particuliers.

“ La logistique du dernier kilomètre est souvent inefficace ”

En général, un quarti­er est sil­lon­né chaque jour par une mul­ti­tude de livreurs tra­vail­lant pour des comptes dif­férents. Les adress­es à livr­er sont donc répar­ties entre ces agents en fonc­tion de la prove­nance des col­is, et peu­vent être large­ment dis­per­sés dans le quartier.

Or, un découpage par zones géo­graphiques serait bien plus effi­cace, per­me­t­tant d’augmenter la den­sité des points de livrai­son pour chaque livreur, et donc de réduire la dis­tance à par­courir entre deux livraisons.

REPÈRES

À travers le monde, les gens vivent de plus en plus massivement en milieu urbain, dans des agglomérations à la fois plus denses et plus étendues.
Par ailleurs, si la circulation des particuliers et les livraisons à destination des commerces forment encore la majeure partie du trafic routier, les livraisons chez les particuliers représentent depuis quelques années une part grandissante des flux, notamment grâce à l’explosion des ventes en ligne.

Un modèle venu de loin

En s’inspirant de ce qui se fait en Inde, nous avons conçu un sys­tème de dis­tri­b­u­tion d’hyperproximité, adap­té à la livrai­son à domi­cile dans une ville comme Paris. La ville doit être découpée en mailles, et des tournées de col­lecte et de livrai­son organ­isées à l’intérieur de chaque maille. Des « hubs » d’échange doivent être prévus pour que les livreurs puis­sent échang­er leurs col­is et par­tir cha­cun avec l’ensemble des élé­ments de leur tournée de livraison.

L’INDE DONNE L’EXEMPLE

Depuis cent trente ans, une coopérative de livreurs à Mumbai collecte et livre tous les jours 200 000 repas à travers la ville, à pied, en vélo et en transports en commun.
Pour cela, 5 000 dabbawalas s’occupent chacun d’une partie de la collecte et de la livraison, et se retrouvent dans des endroits prédéfinis (quais de gare, etc.) pour procéder aux échanges de colis nécessaires.
Ainsi, chaque repas change de mains trois ou quatre fois en moyenne, entre sa remise au livreur par la famille et sa réception par le destinataire.

Ce mode de fonc­tion­nement per­met de réduire la dis­tance à par­courir par chaque livreur, et donc de faciliter la livrai­son à pied (ou en vélo), moins chère et moins pol­lu­ante. Ces choix ont égale­ment l’intérêt de deman­der une infra­struc­ture beau­coup plus légère.

Par ailleurs, dès que les vol­umes devi­en­nent sig­ni­fi­cat­ifs, le temps de par­cours devient faible devant le temps de remise des col­is, comp­té entre le moment où le livreur s’arrête en bas de la porte de l’immeuble et le moment où il reprend son char­i­ot ou vélo.

C’est l’une des expli­ca­tions au fait que les tournées à pied peu­vent être « renta­bles », mal­gré la faible vitesse de déplacement.

Le sys­tème d’information qui a été dévelop­pé per­met aux livreurs de gér­er inté­grale­ment le suivi des col­is et des clients à par­tir d’un smart­phone du marché : scan des codes iden­ti­fi­ants des col­is, géolo­cal­i­sa­tion d’une adresse, sig­na­ture du des­ti­nataire… Le paiement « à dis­tance » est égale­ment facil­ité pour les com­merçants ne pro­posant pas de ser­vice de paiement en ligne, puisque le règle­ment peut s’effectuer par carte ban­caire via le ter­mi­nal du livreur.

Un impact social positif

Au-delà de ses intérêts envi­ron­nemen­taux et économiques, ce nou­veau mod­èle logis­tique per­met égale­ment d’autres inno­va­tions. En par­ti­c­uli­er, grâce à la mutu­al­i­sa­tion des flux, la livrai­son à domi­cile devient un ser­vice abor­d­able pour les com­merçants de proximité.

“ Contribuer à la réinsertion de personnes non qualifiées ”

Afin de véri­fi­er le bon fonc­tion­nement du mod­èle et son intérêt pour le com­merce local, une expéri­men­ta­tion de vingt mois, de 2011 à 2013, a été menée sur un quarti­er pilote à Paris. Il s’agit du ser­vice La Tournée, qui a rapi­de­ment gag­né une cer­taine renom­mée dans le quarti­er desservi.

À cheval sur deux arrondisse­ments, la zone de cha­lan­dise sélec­tion­née englobait 20 000 foy­ers et 200 com­merçants « cœur de cible ». S’il sem­ble qu’une cou­ver­ture de la ville entière soit indis­pens­able pour attir­er les plus grandes enseignes, cette expéri­ence a tout de même per­mis de valid­er ses objec­tifs initiaux.

Des livreurs de La Tournée pré­par­ent un échange de colis.
© CAROLE CUILLIER, 2012

En pre­mier lieu, le ren­force­ment du tis­su économique local, qui perçoit ce ser­vice comme un élé­ment val­orisant de la vie du quarti­er. L’expérience a rassem­blé 60 com­merçants et 700 clients, dont 16 % de per­son­nes à mobil­ité réduite représen­tant plus de 40 % des commandes.

La Tournée a donc rem­pli son rôle quo­ti­di­en de lien social entre les com­merçants de prox­im­ité et les habi­tants du quarti­er. En sec­ond lieu, la créa­tion d’emplois. Sept livreurs ont été recrutés au cours de l’expérimentation, dont un a trou­vé un emploi sta­ble ensuite au sein du groupe La Poste.

En créant des emplois rel­a­tive­ment sim­ples, et au ser­vice des habi­tants d’un quarti­er, La Tournée a mon­tré que ce mod­èle peut con­tribuer à la réin­ser­tion de per­son­nes non qual­i­fiées, béné­fi­ci­aires du RSA.

L’expérimentation a égale­ment per­mis de véri­fi­er la justesse du mod­èle logis­tique et la fia­bil­ité du proces­sus de livrai­son, dont la com­posante informatique.

En parte­nar­i­at avec Diag­ma, La Tournée a même rem­porté le pre­mier prix au con­cours des Rois de la Sup­ply Chain, organ­isé par Sup­ply Chain Mag­a­zine.

Un projet durable

L’intérêt envi­ron­nemen­tal, social et économique d’un tel opéra­teur logis­tique, spé­cial­isé dans le « dernier kilo­mètre », ne fait guère de doute. Du reste, l’expérience déjà menée a accom­pli l’exploit de réu­nir les moyens financiers et le savoir-faire d’acteurs publics et privés, pour innover en un temps record.

DEUX EUROS PAR LIVRAISON

Une modélisation des temps de parcours et de livraison a permis d’aboutir à la conclusion que, avec un volume de livraisons suffisant, le prix de revient est de l’ordre de 2 € par livraison pour de petits objets.
Ce modèle, établi par le cabinet Diagma dans le cadre de la préétude du projet, a ensuite été validé par La Poste.
Les travaux de modélisation ont été complétés par la recherche de solutions permettant de piloter l’activité et de garantir la fiabilité des opérations ainsi que la traçabilité des livraisons.

À titre d’exemple, le squelette logis­tique de La Tournée a été mis sur pied en seule­ment trois mois, à l’aide d’un sys­tème d’information ad hoc créé par Atos, des smart­phones four­nis et paramétrés par Orange pour le track­ing et le paiement, et un char­i­ot dérivé de celui util­isé par La Poste.

En tout, une douzaine d’entreprises ont soutenu le pro­jet par une aide en nature, ou en appor­tant un finance­ment. Le pro­jet a égale­ment béné­fi­cié du sou­tien de la Mairie de Paris, de l’Agence nationale des ser­vices à la per­son­ne, ou encore de la Cham­bre du com­merce et d’industrie de Paris.

Aujourd’hui, les fon­da­teurs de l’association loi 1901 à l’origine de l’expérience La Tournée – dont plusieurs X – con­tin­u­ent à tra­vailler avec les pou­voirs publics ain­si qu’avec d’autres parte­naires, afin de créer les con­di­tions néces­saires à la général­i­sa­tion d’un tel ser­vice dans tout Paris.

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