Le groupe Michelin vient de lancer une voile gonflable révolutionnaire pour les cargos (projet Wisamo) afin de contribuer à une mobilité maritime plus verte et respectueuse et de réduire l’impact environnemental de sa chaîne logistique.

La supply chain, fer de lance de l’entreprise durable

Dossier : LogistiqueMagazine N°772 Février 2022
Par Pierre-Martin HUET (95)

La sup­ply chain joue un rôle pré­dom­i­nant non seule­ment dans la per­for­mance économique de l’entreprise, par sa capac­ité d’agilité et de résilience, mais aus­si et surtout dans la trans­for­ma­tion de l’entreprise et des sociétés qui l’entourent vers des mod­èles plus durables.

Si la logis­tique irrigue le corps de l’économie en assur­ant la mobil­ité et le stock­age des biens, la sup­ply chain en est le sys­tème nerveux : elle des­sine, orchestre et opti­mise l’ensemble des flux, depuis la matière pre­mière jusqu’à la livrai­son des pro­duits finis, pour répon­dre à la demande du marché. La sup­ply chain du futur sera résiliente, agile et durable.


REPÈRES

Les enjeux économiques (prof­it) de la sup­ply chain sont colos­saux – Apple a par exem­ple annon­cé une perte de 6 mil­liards de dol­lars de chiffre d’affaires liée à des rup­tures de sa chaîne d’approvisionnement sur le troisième trimestre 2021 – mais les enjeux envi­ron­nemen­taux (plan­et) et socié­taux (peo­ple) le sont tout autant. Il suf­fit pour s’en con­va­in­cre de con­sid­ér­er l’empreinte car­bone d’un pro­duit livré en express depuis l’autre bout de la planète ou l’impact socié­tal de la local­i­sa­tion des usines et des four­nisseurs. La sup­ply chain doit donc évoluer rapi­de­ment, se trans­former, voire se réin­ven­ter pour répon­dre à la fois aux trois enjeux du Peo­ple, Prof­it, Plan­et, dans l’esprit de la stratégie du tout durable dévelop­pée par le groupe Michelin. 


Une supply chain résiliente par design

La recherche de per­for­mance économique comme pre­mier et par­fois seul critère de déci­sion a poussé nom­bre de sup­ply chains à priv­ilégi­er des bases de pro­duc­tion à bas coûts, à réduire le nom­bre de four­nisseurs et à opti­miser les stocks dans l’optique du « juste à temps ». Les chaînes d’approvisionnement se sont ain­si étirées au tra­vers de la planète tout en s’affinant. Elles se sont alors ren­dues vul­nérables aux aléas mul­ti­ples qui, en frap­pant un mail­lon du dis­posi­tif glob­al, peu­vent immo­bilis­er son ensem­ble : fer­me­ture d’un pays pour cause de crise san­i­taire, engorge­ment d’un port, infla­tion du trans­port mar­itime, événe­ment cli­ma­tique… Ces crises con­comi­tantes ont mon­tré à quel point le design – au sens d’architecture – de nos chaînes d’approvisionnement con­stitue le fonde­ment même de leur résilience.

Le design de toute sup­ply chain com­mence par le choix de son foot­print physique : local­i­sa­tion des four­nisseurs, posi­tion­nement des usines, sché­ma logis­tique de dis­tri­b­u­tion… Une sup­ply chain résiliente va priv­ilégi­er les cir­cuits courts, afin de gag­n­er en agilité face aux aléas : la volatil­ité des marchés engen­drée par la crise a mis en évi­dence la valeur d’une sup­ply chain à lead times courts, qui per­met de mieux saisir l’occasion du rebond de la demande par une réponse plus rapi­de. Nom­bre d’industriels se sont ain­si lancés dans cette réflex­ion stratégique sur les cir­cuits courts, en étu­di­ant les pos­si­bil­ités de pro­duc­tions locales, voire de relocalisation.

“Le design de nos chaînes d’approvisionnement constitue le fondement même de leur résilience.”

En sec­ond lieu, la résilience d’une chaîne d’approvisionnement se joue sur sa capac­ité à sur­mon­ter un aléa par une capac­ité de réac­tion à la hausse ou à la baisse de cha­cun de ses mail­lons. La volatil­ité des marchés a créé de grandes vari­a­tions du sig­nal de demande tout au long des sup­ply chains et ain­si mis en lumière la lim­i­ta­tion intrin­sèque de leur réactivité.

Sur le marché en ten­sion de l’emploi aux États-Unis, le temps de recrute­ment d’un opéra­teur en entre­pôt ou en usine est soudain devenu un goulot déter­mi­nant pour répon­dre à une demande en forte hausse, posant la ques­tion d’une stratégie de sur­ef­fec­tif struc­turel. De même, des capac­ités négo­ciées avec des com­pag­nies mar­itimes par des con­trats de long terme peu­vent con­stituer un avan­tage con­cur­ren­tiel sub­stantiel dans un con­texte de grande ten­sion sur ces marchés…

Le troisième élé­ment essen­tiel de design d’une sup­ply chain résiliente s’obtient par la créa­tion de redon­dances entre ses mail­lons les plus cri­tiques, ce que le pro­fesseur Hau Lee de l’université Stan­ford appelle la sup­ply chain recon­fig­urable. Celle-ci vise à com­penser la défail­lance d’un des mail­lons de la chaîne par l’entrée en fonc­tion d’un autre mail­lon pré­paré pour cela. C’est typ­ique­ment la poli­tique de passerelles entre les usines mise en place au sein du groupe Miche­lin : la capac­ité à pro­duire exacte­ment le même pro­duit sur plusieurs sites indus­triels d’une ou plusieurs régions. C’est aus­si la mise en place de solu­tions d’extend­ed sup­ply, qui per­me­t­tent de livr­er un client depuis le stock d’un tiers partenaire.

Une supply chain agile grâce à la numérisation et des organisations responsabilisées

Si les trois ingré­di­ents essen­tiels de la sup­ply chain résiliente – cir­cuits courts, réac­tiv­ité et redon­dance des mail­lons – con­courent cha­cun à son agilité, ils n’en sont que les préreq­uis. Celle-ci s’obtient en effet au jour le jour par un pilotage des opéra­tions à la fois pré­cis et rapi­de. Ce pilotage s’appuie sur un socle de don­nées partagées end-to-end, sur des équipes respon­s­abil­isées pour pren­dre la déci­sion au plus près de l’action et sur une cul­ture d’excellence opéra­tionnelle au ser­vice du client.

La numéri­sa­tion de la sup­ply chain con­stitue le socle d’un pilotage agile des opéra­tions : elle per­met de visu­alis­er l’ensemble de la chaîne pour une prise de déci­sion rapi­de et per­ti­nente. Où sont mes con­teneurs ? Quel est le niveau de stock chez mon client ? Est-ce que mon usine pro­duit au bon niveau ? Quelles sont les ten­dances de vente de notre dernière gamme ? Autant de don­nées qui per­me­t­tent de pren­dre une déci­sion – par exem­ple le déclenche­ment d’une livrai­son express entre deux mail­lons – dans une optique d’optimisation glob­ale pour l’entreprise et non plus dic­tée par une sit­u­a­tion locale et partielle.

Le groupe Miche­lin s’est ain­si engagé dans une trans­for­ma­tion visant à créer une data dri­ven com­pa­ny via le partage et la ges­tion des don­nées dans un endroit unique et acces­si­ble à tous : le cor­po­rate data lake. L’extraction de la valeur de la don­née repose ensuite sur notre capac­ité à la visu­alis­er et à l’exploiter via l’analyse sta­tis­tique et l’intelligence arti­fi­cielle. Les appli­ca­tions sont nom­breuses pour le domaine sup­ply chain et le groupe Miche­lin fait fig­ure de pio­nnier dans leur déploiement avec des pro­jets à fort impact, tant sur les sujets de plan­ning (prévi­sion de la demande) que sur le sujet de l’exécution (pré­dic­tions de rup­tures sur la chaîne).

“La démocratisation de la donnée rend possible la décision rapide au plus près de l’action.”

La démoc­ra­ti­sa­tion de la don­née rend pos­si­ble la déci­sion rapi­de au plus près de l’action, qui est le sec­ond gage d’agilité. Dans notre monde de plus en plus volatil, la vitesse de déci­sion face à un aléa est essen­tielle dans la capac­ité de la sup­ply chain à réa­gir pour éviter la rup­ture. La mise en place d’organisations respon­s­abil­isées pour pren­dre des déci­sions en toute autonomie – à l’intérieur d’un cadre fixé à l’avance – per­met de gag­n­er une agilité pré­cieuse. L’exemple des cen­tres d’appels d’Amazon, où une grande lat­i­tude est don­née à l’opérateur pour apporter des solu­tions au con­som­ma­teur, est emblé­ma­tique de ce point de vue. Elle dif­fère d’une approche tra­di­tion­nelle où l’opérateur télé­phonique suit un script et doit valid­er toute dépense non prévue avec sa hiérarchie.

Le groupe Miche­lin s’est engagé très tôt dans cette démarche au sein de ses usines, avec des résul­tats très probants. D’abord cen­trée sur les sujets de per­for­mance indus­trielle, cette approche est main­tenant élargie à l’ensemble de la sup­ply chain. Les équipes cen­trales se posi­tion­nent alors en sou­tien des opéra­tions pour traiter les prob­lèmes récur­rents ou trans­vers­es qui néces­si­tent la mobil­i­sa­tion de ressources impor­tantes et de mul­ti­en­tités, comme la ges­tion d’une crise logis­tique majeure (canal de Suez…).

Pour porter pleine­ment ses fruits, cette démarche de respon­s­abil­i­sa­tion doit enfin s’accompagner du déploiement d’une cul­ture d’excellence opéra­tionnelle tout au long de la chaîne. Elle vise à la for­ma­tion et la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion des équipes, ain­si qu’à la dif­fu­sion d’une cul­ture du pro­grès con­tinu et des out­ils du lean.

Une supply chain durable par son design et son intégration dans un écosystème

La sup­ply chain tient enfin dans ses mains plusieurs leviers majeurs de l’entreprise durable. Si son design est essen­tiel pour sa résilience et son agilité, il l’est aus­si et avant tout pour son empreinte envi­ron­nemen­tale : une sup­ply chain durable cherchera à dévelop­per les cir­cuits courts pour économiser l’énergie et l’é­conomie cir­cu­laire pour économiser la matière. Le groupe Miche­lin est ain­si engagé dans une démarche de décar­bon­a­tion de sa sup­ply chain qui repose sur trois piliers.

“La supply chain tient enfin dans ses mains plusieurs leviers majeurs de l’entreprise durable.”

D’abord trans­porter moins en pro­duisant plus près des marchés : il s’agit de con­tin­uer l’ajustement de notre foot­print indus­triel et la local­i­sa­tion de nos four­nisseurs pour réduire les trans­ports inter­con­ti­nen­taux, qui représen­tent encore aujourd’hui un tiers des émis­sions de CO2 de la logis­tique du groupe. Ensuite trans­porter mieux grâce à un écosys­tème en mou­ve­ment : pouss­er l’intermodal sur les longues dis­tances avec l’utilisation du train, de la barge ou du trans­port mar­itime région­al, mieux rem­plir les camions et les con­teneurs en recourant si néces­saire à un partage des capac­ités logis­tiques avec d’autres acteurs, favoris­er l’utilisation des éner­gies bas car­bone (élec­tric­ité pour le dernier kilo­mètre, bio­fu­el sur le maritime…).

Enfin trans­porter dif­férem­ment, en tes­tant des tech­nolo­gies de rup­ture qui seules pour­ront nous amen­er au zéro car­bone en 2050 : on cit­era la forte impli­ca­tion du groupe dans la mobil­ité hydrogène (Sym­bio avec Fau­re­cia), les appels d’offres sur le trans­port mar­itime à propul­sion vélique (pre­mière liai­son opéra­tionnelle en 2023) ou encore le récent lance­ment d’une voile gon­flable révo­lu­tion­naire pour les car­gos (pro­jet Wisamo par Michelin).

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