Gains obtenus par la conteneurisation maritime

Internet physique : vers l’intégration des réseaux logistiques

Dossier : Les secrets de la Supply ChainMagazine N°700 Décembre 2014
Par Eric BALLOT

Selon une sta­tis­tique pro­duite au Cana­da par le Cen­tre de recherch­es sur la souten­abil­ité, l’utilisation de la logis­tique aurait pro­gressé en vol­ume d’un fac­teur de près de dix mille en un peu plus d’un siè­cle et demi, soit env­i­ron 6 % par an. Cette crois­sance se pour­suit encore en France dans la dernière décen­nie avec près de 3,5 % en moyenne, bien moins impor­tante que dans les pays en voie de développe­ment ou dans le domaine maritime.

REPÈRES

Malgré les progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique des moyens de transport, les services logistiques induisent une nette croissance des émissions de CO2 en contradiction directe avec les objectifs européens de réduction de 60 % pour 2050. L’utilisation des moyens de transport elle-même n’est pas satisfaisante.
La recherche de l’efficacité logistique amène à faire un parallèle avec le fonctionnement de l’internet numérique, et l’auteur a été conduit avec d’autres à émettre le concept « d’Internet physique ».

Un développement non soutenable

Mais le vol­ume n’est qu’un indi­ca­teur de la per­for­mance logis­tique qui ne dit rien sur l’utilisation des moyens néces­saires pour le pro­duire. Or les développe­ments récents tels que le juste-à-temps génèrent des flux de plus en plus fragmentés.

Ain­si, selon une étude menée par l’Ifsttar, le poids médi­an des envois a plongé, pas­sant de 160 kg en 1988 à 30 kg en 2004. Encore cette étude a‑t-elle été menée avant le développe­ment à grande échelle du com­merce par Inter­net, qui con­tribue lui aus­si à dimin­uer la taille des envois de manière drastique.

“ Le besoin de regroupement des flux va croissant avec l’exigence d’efficacité ”

La frag­men­ta­tion des livraisons ne facilite pas l’utilisation des moyens de trans­port. On observe une stag­na­tion des taux de charge­ment des camions à env­i­ron 65 % de la masse et 25 % de tra­jets à vide, ain­si qu’une dif­fi­culté à utilis­er les moyens les plus lourds, donc les plus effi­caces énergé­tique­ment, comme le ferroviaire.

À l’exception notable du trans­port mar­itime con­teneurisé, chaque réseau logis­tique reste affec­té à une entre­prise, que ce soit un pro­duc­teur, un dis­trib­u­teur ou un opéra­teur de fret express par exem­ple. Cette réser­va­tion de la capac­ité, si elle sim­pli­fie la ges­tion et per­met de con­trôler plus facile­ment les opéra­tions, ne per­met pas de regrouper les flux, alors que ce besoin de regroupe­ment va crois­sant avec l’exigence d’efficacité.

On peut ain­si dire que la struc­ture des réseaux logis­tiques actuels, cen­tral­isés et affec­tés, frag­mente les flux alors même que les exi­gences envi­ron­nemen­tales et d’efficacité logis­tique deman­dent de les con­cen­tr­er davantage.

Il y a ici un para­doxe à résoudre indépen­dam­ment des tech­nolo­gies de motori­sa­tion des moyens de transport.

Com­para­i­son des coûts d’un envoi entre Chica­go et Nan­cy avant la con­teneuri­sa­tion en 1960, actu­al­isé en 2010, et con­teneurisé en 2010. Sources multiples.

Interconnecter les services logistiques

L’idée de l’Internet physique est née de la recherche des con­di­tions per­me­t­tant de pass­er sans dif­fi­culté d’un réseau logis­tique à un autre. Il s’agit de dévelop­per une inter­con­nex­ion aujourd’hui rudimentaire.

UNE RÉUSSITE : La conteneurisation maritime

En cinquante ans, ce système de tailles standard et de manutention a bouleversé le transport maritime et le commerce mondial. Le passage par les ports a acquis une efficacité redoutable : le progrès majeur n’est pas dans les navires mais dans la manutention.
Malheureusement, l’interconnexion avec les autres opérations logistiques reste problématique. Par exemple, les palettes n’ont pas de dimensions compatibles avec les conteneurs. On retiendra cependant l’importance de la protection des marchandises dans un système « ouvert », de la standardisation et des progrès induits en manutention rendant la rupture de charge acceptable et même utile.

Quand on abor­de la notion d’interconnexion, on pense évidem­ment à l’Internet numérique et à ses pro­to­coles conçus pour reli­er entre eux tous les réseaux infor­ma­tiques indépen­dam­ment des tech­nolo­gies, des matériels et des applications.

D’où la déf­i­ni­tion du con­cept : selon Benoît Mon­treuil, Éric Bal­lot et Rus­sell D. Meller, « l’Internet physique est un sys­tème logis­tique glob­al tirant prof­it de l’interconnexion des réseaux d’approvisionnement1 par un ensem­ble stan­dard­isé de pro­to­coles de col­lab­o­ra­tion, de con­teneurs mod­u­laires et d’interfaces intel­li­gentes pour une effi­cience et une dura­bil­ité accrues ».

Le véri­ta­ble enjeu con­siste à définir les con­di­tions min­i­males tech­niques – con­tenants, traça­bil­ité, manu­ten­tion – mais aus­si organ­i­sa­tion­nelles et régle­men­taires à voca­tion de stan­dard per­me­t­tant l’interconnexion uni­verselle des ser­vices logistiques.

C’est un pro­gramme de recherche large et ambitieux mais à l’échelle des économies énormes atten­dues, en Europe comme aux États-Unis. Le sys­tème pro­posé devra con­stru­ire pro­gres­sive­ment un nou­v­el écosys­tème logis­tique priv­ilé­giant la con­teneuri­sa­tion, le partage des réseaux, un routage dynamique, les ser­vices d’information dans le « nuage », des inter­faces et des pro­to­coles accordés, des stock­ages déployés.

Des simulations encourageantes

Pour explor­er la capac­ité du con­cept à répon­dre au besoin des chargeurs, une sim­u­la­tion a été entre­prise dans le secteur de la grande dis­tri­b­u­tion ali­men­taire. Glob­ale­ment, un flux de plus de 2,5 mil­lions d’équivalent palettes com­plètes pour deux enseignes nationales et plus de 100 four­nisseurs ont été pris en compte dans leurs flux heb­do­madaires et leurs localisations.

“ Des économies potentielles énormes ”

De nom­breux scé­nar­ios de déploiement pro­gres­sif ont été testés pour mesur­er dif­férents fac­teurs : diver­sité des tailles de con­teneurs, con­som­ma­tion des ressources, sat­u­ra­tion des moyens, impact sur le traf­ic, émis­sions, etc. Les résul­tats sont encour­ageants tant en ter­mes économiques (jusqu’à 30 % de gain) qu’environnementaux (jusqu’à – 60 % d’émissions de CO2), avec une accéléra­tion des flux vers les clients en sup­p­ri­mant un éch­e­lon de stock.

Cette pre­mière étude est com­plétée par plusieurs travaux en Europe, aux États-Unis et au Canada.

Des difficultés à surmonter

Au pre­mier abord, le con­cept peut paraître intéres­sant mais dif­fi­cile à met­tre en œuvre. Avant de pou­voir le déploy­er, il reste donc de nom­breux travaux à men­er pour con­cevoir des sys­tèmes, des matériels et les valid­er en situation.

Manutention de conteneurs
Les con­teneurs ont per­mis d’énormes gains sur la manu­ten­tion. © ISTOCK

La tran­si­tion vers l’Internet physique révèle de nom­breux obsta­cles, comme les investisse­ments déjà con­sen­tis dans les sys­tèmes actuels.

Par exem­ple, le ser­vice de livraisons douces, à pied ou en vélo tri­cy­cle, « La Tournée », expéri­men­té avec suc­cès dans plusieurs quartiers de Paris met déjà en place des tech­nolo­gies stan­dard­is­ées de traça­bil­ité des flux et de la livrai­son, mais il n’existe pas aujourd’hui de point d’interconnexion des flux physiques avec d’autres prestataires per­me­t­tant à ce ser­vice de se dévelop­per industriellement.

Les autres prestataires ne sont pas en mesure d’intégrer cette offre à la leur. On le voit, le manque d’ouverture des ser­vices les uns aux autres est un frein puis­sant à la dif­fu­sion d’innovations pour­tant promet­teuses, voire qui ont fait leurs preuves.

Il serait en out­re intéres­sant qu’il existe un cadre régle­men­taire qui recon­naisse les apports soci­aux et envi­ron­nemen­taux des inno­va­tions logis­tiques et ain­si dimin­ue les bar­rières à l’entrée et favorise les com­porte­ments vertueux qui dimin­u­ent les nom­breuses exter­nal­ités néga­tives : con­ges­tion, pol­lu­tion, réchauf­fe­ment cli­ma­tique, stress.

“ Le manque d’ouverture des services les uns aux autres est un frein puissant ”

Cepen­dant, il est pos­si­ble d’utiliser le con­cept pro­posé pour se don­ner dès à présent un objec­tif et un cadre de développe­ment et de mise en cohérence des inno­va­tions en logis­tique. À ce titre, « Alice », la plate­forme tech­nologique européenne de R&D trai­tant de la logis­tique, qui con­tribue au développe­ment de l’Internet physique, est un moyen intéres­sant pour don­ner de la cohérence aux travaux menés en logis­tique urbaine, avec les sys­tèmes d’information et les cor­ri­dors verts. Cette ini­tia­tive se coor­donne en out­re avec l’Amérique du Nord et l’Asie.

POUR EN SAVOIR PLUS

N’oublions pas qu’il existe en Asie des pays très dynamiques, avancés, où les prob­lèmes logis­tiques sont bien plus mar­qués que chez nous et qui dès à présent s’emparent de cette approche dans une per­spec­tive volontariste.

Ain­si, l’université de Hong Kong ouvre à Shang­hai dès 2014 un nou­veau cen­tre de recherche dédié à cette thé­ma­tique, en atten­dant celui de Can­ton prévu pour 2015. Il serait dom­mage de voir l’avance prise, notam­ment en France, effacée d’ici quelques années.

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1. Il faut com­pren­dre ici réseau d’approvisionnement comme une tra­duc­tion du terme anglais sup­ply chain qui n’a pas de réel équiv­a­lent en français. Cela recou­vre toutes les opéra­tions logis­tiques en pro­duc­tion. comme en dis­tri­b­u­tion, en intra comme en interentreprises.

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