Prendre en compte les interdépendances pour évaluer les risques

Dossier : Les secrets de la Supply ChainMagazine N°700 Décembre 2014
Par Célian COLON (07)

Certaines pra­tiques ont ampli­fié et accéléré les phénomènes de prop­a­ga­tion. Ain­si, la con­cen­tra­tion de la pro­duc­tion et du stock­age, l’externalisation ou encore la général­i­sa­tion du juste-à-temps ont réduit les marges d’erreur, ren­dant les chaînes plus ten­dues et plus sensibles.

REPÈRES

On constate aujourd’hui une complexification des supply chains, en termes de taille, d’interconnexion et de variabilité. Ces chaînes sont exposées à des chocs lointains et peu prévisibles. Le grand tremblement de terre qui a affecté le Japon en 2011 a entraîné une forte chute de la production économique, résultat de multiples ruptures de production se propageant le long des supply chains. Des constructeurs d’automobiles implantés bien loin du Japon ont été sévèrement touchés.
Selon le dernier rapport du Business Continuity Institute, 75 % des entreprises interrogées ont subi au moins une rupture d’approvisionnement dans l’année ; pour 20 % d’entre elles le coût a excédé le million d’euros.

Un environnement perturbé et incertain

Un cas illus­tre le proces­sus de prop­a­ga­tion, aux dépens d’un con­struc­teur de télé­phones porta­bles. Un incendie mineur écla­ta dans l’usine de l’un de ses four­nisseurs, au Nou­veau-Mex­ique. La paralysie de l’unique ligne de pro­duc­tion du sous-com­posant entraî­na une rup­ture bru­tale d’approvisionnement, aucune alter­na­tive n’ayant été préparée.

La crise économique de 2007 a entraîné des réac­tions aus­si bru­tales qu’inattendues.  © REUTERS

La perte se chiffra à quelque 200 mil­lions de dol­lars et enta­ma durable­ment la posi­tion de l’entreprise sur son marché.

Ces sup­ply chains com­plex­i­fiées évolu­ent dans un envi­ron­nement mis sous ten­sion et de plus en plus insta­ble. La perte colos­sale de bio­di­ver­sité érode la résilience des écosys­tèmes, base de toutes activ­ités économiques. Le change­ment cli­ma­tique tend à favoris­er l’occurrence d’événements extrêmes. De tels événe­ments ont un coût direct extrême­ment élevé.

Sur la dernière décen­nie, Swis­sRe a éval­ué les coûts économiques des cat­a­stro­phes naturelles à 190 mil­lions de dol­lars par an. Les événe­ments cli­ma­tiques ont en out­re de larges con­séquences indi­rectes et sont des caus­es majeures de rup­tures d’approvisionnement. En 2011, 30 % des multi­na­tionales inter­rogées par le Car­bon Dis­clo­sure Project ont subi des rup­tures de sup­ply chain à cause d’événements climatiques.

Anticiper les effets locaux

Les change­ments envi­ron­nemen­taux ont en out­re pour effet majeur d’épaissir les incer­ti­tudes. C’est un défi de taille pour les pris­es de déci­sion. En effet, si les ten­dances glob­ales peu­vent être estimées, il est extrême­ment dif­fi­cile d’anticiper les effets locaux de tels phénomènes.

“ La généralisation du juste-à-temps a rendu les chaînes plus sensibles ”

Dans ces con­di­tions, com­ment adapter les sup­ply chains et réduire leur vul­néra­bil­ité ? Com­ment réor­gan­is­er le réseau d’interdépendance pour en accroître la résilience ?

Renouveler les outils

Le sys­tème économique, et les sup­ply chains en par­ti­c­uli­er, se com­plex­i­fient ; l’environnement est per­tur­bé et incer­tain. De nou­velles approches sont néces­saires pour appréhen­der cette complexité.

Aujourd’hui encore, beau­coup d’entreprises peinent à met­tre en place des procé­dures adap­tées de suivi des risques de sup­ply chain. La dernière étude du Glob­al Sup­ply Chain Insti­tute de l’université du Ten­nessee a ain­si con­staté que 90 % des entre­pris­es inter­rogées n’évaluent pas ces risques dans la ges­tion de leur approvisionnement.

Ces préoc­cu­pa­tions gag­nent néan­moins du ter­rain dans cer­tains milieux de décideurs. En témoignent les nom­breux rap­ports pub­liés ces cinq dernières années sur cette thé­ma­tique, émanant d’institutions tels que le World Eco­nom­ic Forum ou Lloyd’s.

Cette année, le World Busi­ness Coun­cil for Sus­tain­able Devel­op­ment lance un pro­gramme de tra­vail sur la résilience des sup­ply chains globalisées.

Les assureurs et réas­sureurs se sont égale­ment sai­sis de ce sujet, de plus en plus d’entreprises con­sid­érant les mécan­ismes assur­antiels comme per­ti­nents pour se pro­téger con­tre ces risques.

Évolution des dommages économiques engendrés par les catastrophes climatiques
Évo­lu­tion des dom­mages économiques engen­drés par les cat­a­stro­phes cli­ma­tiques ces vingt dernières années (sécher­ess­es, inon­da­tions, tem­péra­tures extrêmes, tem­pêtes). Source : EM-DAT.

Simuler les systèmes complexes

Tremblement de terre à Port-au-Prince en 2010.
Les effets d’un trem­ble­ment de terre se font sen­tir bien au-delà des zones con­cernées (ici, à Port-au-Prince en 2010). © REUTERS

Des inno­va­tions sont donc atten­dues pour mieux saisir la dynamique des sup­ply chains inter­con­nec­tées. Elles pour­ront s’appuyer sur de récents travaux sur la vul­néra­bil­ité des insti­tu­tions finan­cières. Ces recherch­es ont été stim­ulées par la grande crise finan­cière de 2007, phénomène « sys­témique » par excellence.

Lors de cette dernière, l’extrême mul­ti­pli­ca­tion des inter­con­nex­ions a entraîné des réac­tions en chaîne aus­si bru­tales qu’inattendues.

Dans le cas des sup­ply chains, il s’agit de dévelop­per des mod­èles économiques prenant explicite­ment en compte la forme par­ti­c­ulière des inter­dépen­dances entre entre­pris­es. Ils per­me­t­tront l’élaboration de stress tests afin d’identifier les vul­néra­bil­ités et d’en déduire les indi­ca­teurs les plus pertinents.

Ces recherch­es mobilis­eront notam­ment de grandes puis­sances de cal­culs, ces dernières ren­dant pos­si­ble la sim­u­la­tion de sys­tèmes économiques com­plex­es, où chaque agent a un com­porte­ment propre.

“ Les assureurs se sont saisis du sujet ”

De tels travaux visent à don­ner aux entre­pris­es les out­ils néces­saires pour mieux com­pren­dre les chaînes com­plex­es dans lesquelles elles sont imbriquées et appréhen­der les risques associés.

Cela doit per­me­t­tre, in fine, de mieux agir dans et sur ces réseaux d’interdépendance. Ces recherch­es offriront égale­ment au décideur pub­lic une nou­velle per­spec­tive sur les impacts macro-économiques des tur­bu­lences locales.

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