Habillage des grands uniformes

Remise des bicornes, une soirée mémorable !

Dossier : Vie du PlateauMagazine N°726 Juin/Juillet 2017Par : Anne Maginot et Alix Verdet

Une soirée offi­cielle, accueil­lant plus de 1 000 par­tic­i­pants, organ­isée par une société secrète. Il faut donc être poly­tech­ni­cien et iden­ti­fié comme tel pour voir s’af­fich­er les dis­cours pronon­cés à cette occasion.

Conscrit, tu as choisi d’entrer à l’X, tu appar­tiens à une famille dont l’histoire témoigne de son attache­ment à la Nation et à la République… » C’est sur ces mots solen­nels, arti­cle 1 du Code X, que furent accueil­lis les nou­veaux de la pro­mo 2016, venus recevoir leur bicorne des mains des « vieux » chouffes de la 2015, sous l’étroite sur­veil­lance de la Khômiss. 

“ Près de 500 élèves ont reçu leur bicorne à la tombée de la nuit et de la pluie ! ”


X jusqu’aux bretelles.

Pour revêtir pour la pre­mière fois leur grand U, les élèves ont eu la sur­prise d’avoir comme ves­ti­aire… la chapelle des catéchismes de l’église voi­sine de Saint-Éti­enne-du-Mont, rien de moins que l’une des plus belles églis­es de Paris. 

Ironie de l’histoire, un ancien de l’X (si l’on peut dire) les y avait précédés : le cru­ci­fix en bois qui sur­plombe le célèbre jubé n’est autre qu’un ves­tige de la chapelle de l’ancienne École poly­tech­nique. L’AX remer­cie le curé de la paroisse Sain­tÉ­ti­enne- du-Mont pour son accueil bienveillant. 

Le con­texte Vigipi­rate ren­for­cé inter­dit en effet à nos jeunes cama­rades de voy­ager en uni­forme dans les rues de Paris. Revêtir le Grand U peut se révéler une épreuve, surtout quand il manque une par­tie impor­tante de l’uniforme : le pan­talon ! Heureuse­ment, l’AX recèle en ses entrailles des ressources insoupçon­nées, et Yves Stier­lé (65) a pu sauver un jeune cama­rade en exhumant un pan­talon de 1942. 

« Nous entrerons dans la car­rière quand nos aînés n’y seront plus… » Chic à la Rouje ! 

Ce sont près de 500 « fil­lots » qui ont reçu leur bicorne des mains de leurs « par­rains » à la tombée de la nuit et de la pluie ! Mais ce ne sont pas les trombes d’eau qui se sont déver­sées à la fin de cette chaude journée print­anière, qui ont entamé l’enthousiasme des cocons de la 2016, revenus aguer­ris de leur FHM ! 

Si bien que le jardin de l’AX avait, le lende­main, de faux airs de champ de bataille du Paris des Trois Glo­rieuses… Joie, hon­neur, fierté, solen­nité et sur­pris­es météo ont pimen­té de manière par­ti­c­ulière ce moment unique dans la vie d’une promo. 

Ren­dez-vous l’an prochain pour les Jônes. 

Les polytechniciens, authentifiés comme tels, voient apparaître ci dessous le laïus du GénéK ainsi que le laïus de l’antique, célèbre camarade dont La Jaune et la Rouge a publié le portrait récemment.

L’ancien par­le, Con­scrit, tiens ta langue cap­tive, Et prête à son dis­cours une oreille attentive.

Tu as été appelé, Con­scrit, à porter l’habit de l’École. C’est un hon­neur qui t’impose des devoirs. Partout et tou­jours respecte l’uniforme et, d’abord, apprends à le con­naître. Vois-tu l’Ancien ? À sa démarche noble et fière, à ce chic qui le car­ac­térise, tu ne peux man­quer de le recon­naître. Son cha­peau laisse à décou­vert la par­tie gauche de son front, effleure l’oreille droite et divise le sour­cil droit en moyenne et extrême rai­son. Son regard assuré écrase le pékin, son corps est droit, sa poitrine lux­u­ri­ante ; il porte à gauche l’épée qui, tan­gente à la bande, touche à terre et fait vol­er la poussière.

Admire, Con­scrit, et imite si tu le peux. Les pre­miers efforts seront sans suc­cès, mais adresse-toi à l’Ancien : sa bon­té, sa bien­veil­lance te sont assurées. C’est pour lui un devoir comme un plaisir de guider tes pre­miers pas.

L’Ancien, Con­scrit, est ton guide naturel. C’est lui qui te trans­met les Anci­ennes tra­di­tions, et elles doivent être con­servées non seule­ment parce qu’elles main­ti­en­nent à l’extérieur la répu­ta­tion de l’École, mais parce qu’elles assurent à l’intérieur la bonne har­monie et la fra­ter­nité qui doivent se con­tin­uer au-delà de l’École.

C’est par ces mots que com­mençait autre­fois le Code X, l’un des plus beaux héritages que nos antiques nous ont lais­sé. Si le style a changé, le mes­sage sub­siste : le lien entre les pro­mo­tions amenées à porter l’habit de l’école et la trans­mis­sion de notre esprit par les tra­di­tions et la cama­raderie a été, et reste le fonde­ment de nos vies de poly­tech­ni­ciens. Cette his­toire et ces tra­di­tions, elles vous con­tem­plent aujourd’hui entre ces murs. Vous avez choisi d’entrer dans la grande famille des poly­tech­ni­ciens, l’histoire de cette Ecole devient aujourd’hui la vôtre. 

D’illustres Antiques ont foulé le sol de cette cours pen­dant leurs exer­ci­ces de gym­nas­tique ou d’ordre ser­ré. Pois­son, major de la pro­mo­tion 1798, a ici même appris puis enseigné avec la bien­veil­lance de Laplace et Lagrange. Cauchy, Poin­caré, ce sont autant de grands noms qui ont don­né à la France ses let­tres de noblesse dans le domaine des Math­é­ma­tiques ou les ont réaf­fir­mées. Cori­o­lis, Carnot, Clapey­ron, Bec­quer­el, Fres­nel, Gay-Lus­sac, sont encore d’illustres antiques qui sont passé par cette Ecole et ont aus­si lais­sé leur nom dans l’histoire des sci­ences. Ensuite sont venus les mil­i­taires. Des mil­i­taires de renom tels que Faid­herbe, Den­fert-Rochere­au, Foch, Jof­fre, Fer­rié qui ont don­né leur nom à vos bâti­ments mais qui sont avant tout des héros de la nation. Mais aus­si des cama­rades tombés au champ d’honneur pour la patrie, 900 répar­tis sur 50 pro­mo­tions lors de la pre­mière Guerre mon­di­ale, 350 lors de la sec­onde. Tous ceux qui prirent les armes alors qu’ils étaient élèves à l’Ecole, ont ver­sé leur sang sur un uni­forme que vous portez encore aujourd’hui. De nos jours, ce sont plutôt des poly­tech­ni­ciens dans l’entreprise ou en poli­tique dont vous enten­dez par­ler. Quelle que soit la voie que vous choisirez, sachez vous mon­tr­er digne de l’héritage que vos Antiques vous lais­sent de l’histoire de notre Ecole qu’il appar­tient désor­mais à vous d’écrire et rap­pelez-vous la devise de notre Ecole : « Pour la patrie, les sci­ences et la gloire ». C’est cette devise qui orne le fron­ton du pavil­lon Jof­fre, juste au-dessus de moi. 

La céré­monie de ce soir mar­que votre entrée dans la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne. Vous êtes entrés ici en por­tant fière­ment votre Grand Uni­forme et en atti­rant tous les regards sur vous. Cet uni­forme a tou­jours été perçu avec respect. Au lende­main des journées de juil­let 1830 où de nom­breux antiques s’illustrèrent, dont Vaneau qui y trou­va la mort, Lafayette expri­ma en ces mots le sen­ti­ment du moment : « En présence des ser­vices ren­dus à la patrie par la pop­u­la­tion parisi­enne et les jeunes gens de l’Ecole, il n’est aucun citoyen qui ne soit pénétré d’admiration, de con­fi­ance je dirai même de respect, à la vue de ce glo­rieux uni­forme de l’Ecole Poly­tech­nique qui, dans ce moment de crise, a fait de chaque indi­vidu une puis­sance pour la con­quête de la lib­erté et le main­tien de l’ordre public. » 

Cet uni­forme dont par­le Lafayette, aujourd’hui, tu le portes con­scrit. Même si ces mots peu­vent paraître exagérés de nos jours, notre uni­forme est tou­jours un sym­bole impor­tant pour de nom­breux Français a tou­jours une grande impor­tance pour de nom­breux Français . En respec­tant notre uni­forme, ce sont ton Ecole et tes antiques que tu respectes, leur his­toire et ce qui a con­stru­it l’image de l’Ecole.

Con­scrits, vous faites main­tenant par­tie d’une famille unie par de nom­breux liens. Le plus impor­tant d’entre eux est le partage d’un même esprit et de même valeurs. Les tra­di­tions ne sont que les man­i­fes­ta­tions con­crètes de cet esprit de corps qui nous unit. Quand je par­le de tra­di­tions, ne pensez pas à ordre établi ou régime mil­i­taire mais bien plutôt à tous les évène­ments qui vous rat­tachent à votre Ecole et à vos cama­rades, à tout ce qui fait de vous un poly­tech­ni­cien et non un un étu­di­ant de l’Ecole polytechnique. 

Vous avez peut-être enten­du par­ler des change­ments qui vont mar­quer l’Ecole. Les par­ties vis­i­bles de ces boule­verse­ments sont l’arrivée des étu­di­ants du Bach­e­lor sur le Platal ou encore la réin­stau­ra­tion de la pantoufle. 

Il con­vient toute­fois de ne pas céder à la ten­ta­tion de l’immobilisme, d’être réfrac­taire au change­ment et de nous fer­mer à toute ten­ta­tive d’adaptation au monde actuel. Ayons cœur à sculpter l’avenir de notre Ecole en nous investis­sant dans sa vie, en faisant vivre nos con­vic­tions, en trans­met­tant cet esprit. C’est ain­si que nous pour­rons avancer sans crainte vers le futur car nous aurons la cer­ti­tude que cet esprit, ces tra­di­tions, ces valeurs, cette spé­ci­ficité qui nous unit per­dur­era mal­gré les change­ments. Les tra­di­tions poly­tech­ni­ci­ennes ont en grande par­tie été con­servées lors du départ de la mon­tagne Sainte Geneviève mal­gré la sépa­ra­tion de deux pro­mo­tions con­séc­u­tives, le défi sem­ble plus aisé pour les con­serv­er aujourd’hui.

Con­scrit, aujourd’hui plus que de cou­tume aie à cœur de suiv­re ces pré­ceptes car ces change­ments se font à une vitesse ébou­rif­fante et mal­heureuse­ment sou­vent sans con­cer­ta­tion avec les élèves. Aie une pen­sée par­ti­c­ulière pour le per­son­nel de l’école qui est si pré­cieux à la vie de nos binets, qui dans sa dis­cré­tion et son humil­ité remar­quable reste digne mal­gré les incer­ti­tudes qui pèsent sur son avenir. Sur ce sujet comme ailleurs ne crains pas d’être curieux, de d’investir et de porter fière­ment tes con­vic­tions car l’indépendance d’esprit est garante des valeurs poly­tech­ni­ci­ennes, elle con­stitue l’essence même du Code X. 

Ce soir con­scrit, tes antiques t’envient. Tu t’apprêtes à vivre ces deux années à l’Ecole qui sont pour tous les poly­tech­ni­ciens par­mi les plus belles et les plus impor­tantes de leur vie. Prof­ite de ces années, de toutes les per­son­nes que tu pour­ras ren­con­tr­er durant ce pas­sage et de tout ce que notre Ecole peut t’offrir. Tu le ver­ras dans le code X, à l’Ecole Poly­tech­nique « il ne t’est pas per­mis de per­dre ton temps !», prof­ite donc de ces années et sache te met­tre au ser­vice des autres avec humil­ité en t’investissant dans ta sec­tion et dans des binets comme dans des pro­jets per­son­nels qui te tien­nent à coeur. Tu en tir­eras de nom­breux enseigne­ments et n’en garderas que de bons souvenirs. 

La Khômiss a invité ce soir un illus­tre antique, Hervé Le Bras , Mis­saire de la Pro­mo­tion 1963, pour vous par­ler de ce riche passé, et de l’esprit de notre Ecole. 

L’Antique par­le con­scrit, tiens ta langue cap­tive et prête à son dis­cours une oreille attentive. 

Le laîus de l’antique

Je remer­cie la Khômiss 2015 de m’avoir invité à pren­dre la parole pour l’ouverture de cette céré­monie poly­tech­ni­ci­enne. C’est avec émo­tion que je retrou­ve la cour d’honneur, non pas que je n’y sois pas sou­vent revenu, mais parce qu’à la place des habituels bureau­crates du min­istère de la recherche, elle est réoc­cupée par les poly­tech­ni­ciens et en grand U. 

Cette céré­monie est une tra­di­tion, mais qu’est-ce que sig­ni­fie la tra­di­tion ? L’historien anglais Eric Hob­s­bawn s’est penché sur le sujet dans son ouvrage célèbre « l’invention de la tra­di­tion ». En sept chapitres, il mon­tre à l’aide de maints exem­ples que les tra­di­tions sont en général bien plus récentes qu’elles ne le revendiquent. Par exem­ple, les Ecos­sais ne por­taient pas de kilt avant la fin du XVI­I­Ième siè­cle. C’est aus­si vrai pour cette céré­monie des bicornes qui n’existait pas à mon époque. Mais pour autant, la tra­di­tion ne nait pas de rien. Elle réar­tic­ule, réin­ter­prète, recom­pose des élé­ments du passé qui lui don­nent un sens. Un grand auteur l’a exprimé mieux que moi et je lui laisse la parole un moment : 

« Les hommes font leur pro­pre his­toire, mais ils ne la font pas arbi­traire­ment, dans des con­di­tions choisies par eux, mais dans des con­di­tions directe­ment don­nées et héritées du passé. La tra­di­tion de toutes les généra­tions mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils sem­blent occupés à se trans­former, eux et les choses, à créer un monde nou­veau, c’est pré­cisé­ment à ces épo­ques de crise qu’ils évo­quent crain­tive­ment les esprits du passé, qu’ils leur emprun­tent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs cos­tumes pour appa­raître sur la nou­velle scène de l’histoire sous ce déguise­ment respectable et avec ce lan­gage d’emprunt.

C’est ain­si que Luther prit le masque de l’apôtre Paul, que la Révo­lu­tion de 1789 à 1814 se dra­pa suc­ces­sive­ment dans le cos­tume de la République romaine, puis dans celui de l’Empire romain et que la Révo­lu­tion de 1848 ne sut rien faire de mieux que de par­o­di­er celles de 1789 et de 1793. » 

Nous voici avec ces cos­tumes du passé, dans cette anci­enne cour d’honneur avec l’immémoriale Khômiss en train de procéder à une céré­monie nou­velle. Ce n’est pas par jeu, ou par nos­tal­gie comme le texte que je viens de lire pour­rait le laiss­er penser. Le rôle de la tra­di­tion n’est pas de flat­ter le passé mais d’unifier la société et plus pré­cisé­ment, ce soir, de dévelop­per un esprit de corps, l’esprit polytechnicien. 

Le décalage entre la Khômiss de 1963 à laque­lle j’ai appartenu et celle de 2015 qui m’invite, est en effet très impor­tant, mais sa place dans le dis­posi­tif poly­tech­ni­cien reste assez sem­blable. En 1963, la Khômiss œuvrait à con­tourn­er les règles qu’une hiérar­chie mil­i­taire stricte et tatil­lonne ten­tait de nous imposer. 

La Khômiss pou­vait ain­si appa­raitre comme l’opposant prin­ci­pal du sys­tème mil­i­taire alors qu’en réal­ité, elle en était le com­plé­ment indis­pens­able, le dou­ble, l’ombre portée. La pro­mo­tion était prise en étau entre une struc­ture vis­i­ble du haut, l’armée, et une struc­ture cachée du bas, la Khômiss. 

La simil­i­tude, voire l’homologie entre les deux insti­tu­tions était en effet fla­grante. De même qu’un général com­mandait l’Ecole, un géné K était à la tête de la Khômiss. Les hauts faits de la Khômiss étaient ceux d’un com­man­do mil­i­taire. Il s’agissait par exem­ple de dérober furtive­ment, de nuit, le cla­iron qui son­nait l’appel du matin pour le percher sur un para­ton­nerre ou pour y couler du plâtre. 

La coopéra­tion entre la Khômiss et ce qu’on nom­mait la Mili était encore plus fla­grante dans la ges­tion des bêtas. Par ce terme, on désig­nait les issues clan­des­tines grâce aux­quelles on pou­vait sor­tir ou ren­tr­er à toute heure, car les sor­ties offi­cielles étaient lim­itées à un début de soirée, de 19h 30 à 22h 15. 

La Khômiss entrete­nait par exem­ple le bêta de la chimie, un bar­reau scié et remis en place, pen­du à une ficelle, ou l’infirmerie, dont une clef per­me­t­tait d’ouvrir la porte pour sor­tir rue Mon­ge ou encore le béli­er et le Styx, aux­quels on accé­dait par les sous-sols de l’ancien cou­vent des Genovéfins. 

Une tête de béli­er sculp­tée est en effet enchâssée à mi-hau­teur dans le mur qui donne sur le square de la rue Mon­ge. En prenant appui sur elle, on pou­vait attein­dre une lucarne des sous-sols. Les mil­i­taires étaient bien sûr au courant de ces issues qu’ils blo­quaient péri­odique­ment, ressoudant le bar­reau de la chimie, changeant la ser­rure de l’infirmerie, gril­lageant la lucarne du Styx. Mais dès la nuit suiv­ante, la Khômiss rou­vrait les issues. C’était un bal­let bien réglé entre deux complices. 

La cir­cu­la­tion des clés en don­nait un autre exem­ple. L’un des mis­saires, Ger­ald Bois­ray­on, était chargé en tant que « pitaine clés » de pro­duire des dou­bles des clés qu’utilisaient les mil­i­taires. Il avait un tal­ent remar­quable, capa­ble de fab­ri­quer une clé, non pas seule­ment à par­tir d’un orig­i­nal, mais directe­ment à par­tir de la ser­rure en écoutant le bruit de ses « pompes ». 

Il se met­tait en colère quand on lui demandait une fausse clef. Elles sont aus­si vraies que les autres grondait-il. Par­fois, les mil­i­taires qui avaient égaré l’une de leurs clés venaient lui emprunter une vraie-fausse clef, nou­v­el exem­ple du par­al­lélisme des deux organisations. 

Une anec­dote, plus longue, fourni­ra mon dernier exem­ple. La pro­mo­tion par­tait une fois dans l’année en vis­ite à Coëtquidan où elle pas­sait quelques jours avec les Cyrards. A l’arrivée, on nous fai­sait vis­iter leurs caserts ou dor­toirs pour nous mon­tr­er l’extrême ordre qui y régnait. 

Les armoires de chaque Cyrard étaient ouvertes et leurs affaires rangées exacte­ment de la même manière. Sur l’une des étagères hautes, à gauche, bien pliée, se trou­vait la tenue léopard dont ils étaient très fiers et qui sen­tait un peu le soufre en cette année où la guerre d’Algérie venait à peine de se terminer. 

A la sor­tie de la vis­ite, les Cyrards nous chahutèrent en nous bous­cu­lant et en nous jetant de la farine (peut-être de la poudre d’ailleurs). C’était déplaisant et grossier comme plaisanterie. 

La Khômiss se réu­nit et nous décidâmes d’exercer une vengeance plus raf­finée. En pleine nuit nous nous intro­duisîmes dans les caserts des Cyrards et nous prîmes dans leurs armoires leur tenue léopard, ce qui était sim­ple puisqu’elle se trou­vait tou­jours à la même place. L’ordre n’est pas tou­jours un avan­tage stratégique. Le lende­main matin une de nos com­pag­nies se présen­ta à l’appel, toute en tenue léopard. Je me sou­viens encore de cette expédi­tion noc­turne avec les Cyrards plongés dans un som­meil tran­quille pen­dant que nous les dépouil­lions de leur tré­sor, en craig­nant qu’ils ne s’éveillent.

Dans cette opéra­tion encore, le par­al­lélisme entre la Khômiss et l’armée est frap­pant. L’expédition noc­turne est typ­ique­ment celle d’un com­man­do. Et le lende­main, l’arrivée en tenue léopard est typ­ique­ment militaire. 

Sur le moment, nous ne sen­tions pas l’homologie entre la Khômiss et l’armée. Il est dif­fi­cile de com­pren­dre une struc­ture lorsque l’on se trou­ve à son intérieur. On peut seule­ment en avoir l’intuition et cette intu­ition je l’ai éprou­vée à la fin de mes études à l’X. J’ai alors décidé d’étudier une struc­ture à laque­lle je serai extérieur. 

Grâce à l’aide du pro­fesseur d’humanités et sci­ences sociales (c’était l’intitulé à l’époque), l’historien Charles Morazé, je suis par­ti comme anthro­po­logue sta­giaire au cen­tre du Tchad étudi­er les Mas­sas, un groupe trib­al d’éleveurs d’origine nilo­tique que l’on pou­vait qual­i­fi­er de prim­i­tif à pre­mière vue, mais qui se révéla, comme la plu­part de tels groupes, très raf­finé socialement. 

Les Mas­sas me tendirent un miroir pour regarder mon expéri­ence à la Khômiss et mon pas­sage à l’X. Non pas que ces deux insti­tu­tions puis­sent être directe­ment qual­i­fiées de prim­i­tives, mais parce qu’elles deux étaient con­sti­tuées, comme la société Mas­sa, des mêmes élé­ments prim­i­tifs com­binés dans un ordre différent. 

Percevoir de l’extérieur ces élé­ments chez les Mas­sas per­me­t­tait de les repér­er chez les mil­i­taires et à la Khômiss. Ce qui dis­tingue les sociétés est l’assemblage de leurs élé­ments prim­i­tifs, non leur matéri­au, comme l’a remar­quable­ment mon­tré Claude Lévi-Strauss, en par­ti­c­uli­er dans « Les struc­tures élé­men­taires de la par­en­té ». Il y a été aidé par un grand math­é­mati­cien, André Weil, l’un des mem­bres du groupe Bourbaki. 

Les des­tins s’étaient en quelque sorte croisés. De math­é­mati­cien, j’étais devenu (presque) anthro­po­logue et Lévi Strauss, d’anthropologue était devenu (presque) math­é­mati­cien. Mais il y a une grande dif­férence, en fait, entre les deux parcours. 

Un poly­tech­ni­cien peut devenir anthro­po­logue mais un anthro­po­logue ne peut pas devenir math­é­mati­cien. Il peut se faire aider par un math­é­mati­cien. C’est une for­mi­da­ble pos­si­bil­ité qu’offre la for­ma­tion poly­tech­ni­ci­enne. Elle per­met d’aborder pra­tique­ment n’importe quelle forme d’activité sci­en­tifique, sociale, économique et même politique. 

Suite et fin du GénéK

Par­rains, vous allez bien­tôt remet­tre son bicorne à votre fil­lot. Ce geste sym­bol­ique a son impor­tance bien au-delà de la sim­ple com­plé­tion de l’uniforme. Il est tout d’abord le début d’un lien qui doit unir les deux pro­mo­tions ici réu­nies. Aujourd’hui, une pro­mo­tion ne con­naît que celle qui la précède et celle qui la suit. C’est bien dom­mage. Il est alors dans notre intérêt à tous que ce lien que vous créez soit fort et fécond. 

La trans­mis­sion des savoirs, à for­tiori celle des tra­di­tions, est mise en péril par le manque de com­mu­ni­ca­tion entre les pro­mo­tions ain­si que par une volon­té de cer­tains dirigeants de notre Ecole, bien qu’eux même par­fois anciens élèves, de met­tre fin à quelques une de nos tra­di­tions qui par­ticipent pour­tant à la trans­mis­sion de l’état d’esprit poly­tech­ni­cien qui a fait la force de l’Ecole pen­dant plus de 200 ans. N’hésitez pas à venir voir vos par­rains quand vous aurez une ques­tion. N’hésitez pas à aller vers vos antiques lors des occa­sions divers­es qui s’offriront à vous. En d’autres ter­mes, n’hésitez pas à vous appro­prier ce riche pat­ri­moine qui est main­tenant le vôtre. 

Le bicorne est aus­si l’un des sym­bol­es de l’Ecole Poly­tech­nique. Per­me­t­tez-moi à nou­veau de citer l’ancien Code‑X : « Vois-tu l’ancien ? A sa démarche noble et fière, à ce chic qui le car­ac­térise, tu ne peux man­quer de le recon­naître. Son cha­peau laisse à décou­vert la par­tie gauche de son front, effleure l’oreille droite et divise le sour­cil droit en moyenne et extrême rai­son. » Par­rains, faites-vous un devoir de plac­er le bicorne sur la tête de vos fil­lots en respec­tant de ces quelques préceptes. 

Roûjes/ Con­scrits, met­tez vos gants. Le bicorne ne saurait être porté sans. 

Roûjes/Conscrits, met­tez vous en posi­tion de recevoir votre bicorne, genou droit à terre. 

Jônes/Parrains (et mar­raines), remet­tez les bicornes. 

Con­scrits, lev­ez-vous. Vous portez doré­na­vant le bicorne de l’École polytechnique. 

Vous allez main­tenant recevoir le Code X. Il est le recueil bicen­te­naire des quelques pré­ceptes sim­ples qui guident la vie des poly­tech­ni­ciens, ain­si que d’indications sur le fonc­tion­nement des organes prin­ci­paux de la vie des élèves. Il a évolué au rythme des change­ments de notre Ecole, c’est pourquoi con­scrit, tu y trou­veras en annexe une ver­sion anci­enne de celui-ci qui te per­me­t­tra d’apprécier l’humour et l’esprit de tes antiques, qui fait aujourd’hui encore le socle de nos relations. 

Cama­rades de la 2015, tenez le Code X devant vous. 

Con­scrits, c’est la dernière fois que je vous appelle ain­si, Placez votre main droite sur sa couverture. 

Roû­jes et Jônes vous allez main­tenant répéter la devise de l’É­cole, Répétez après moi : Pour la Patrie………Les Sciences……….et la Gloire…… Prenez vos Code‑X.

2016, par ton ser­ment sur ce présent Code X Con­scrit tu n’es plus, Cama­rade tu deviens. Sâche être digne de ces deux sym­bol­es fort de notre iden­tité polytechnicienne. 

Je vous remer­cie d’être venus, Cama­rades et invités. C’est un plaisir pour la Khômiss et moi-même de vous avoir reçu ce soir. 

Vous pou­vez main­tenant prof­iter du cham­pagne qui va vous être remis pour bap­tis­er votre bicorne. Ce n’est en aucun cas une oblig­a­tion mais un moment de con­vivi­al­ité entre par­rain et fillot. 

Mais avant toutes choses, Chic à la Roû­je.

Mer­ci et bonne soirée. 

Commentaire

Ajouter un commentaire

Thomasrépondre
20 juillet 2017 à 6 h 10 min

C’est un moment émou­vant pour

C’est un moment émou­vant pour les par­ents de voir leurs enfants récom­pen­sés pour tout leur effort. Bra­vo à tous. 

Thomas acticani-shop.fr

Répondre