Portrait de Hervé Le BRAS (63)

Hervé Le Bras (63), le sens des phénomènes

Dossier : TrajectoiresMagazine N°717 Septembre 2016
Par Pierre LASZLO

Par tra­di­tion fami­liale Her­vé Le Bras a failli être juriste, mais ses dons pour les mathé­ma­tiques lui ont ouvert les portes des grandes écoles. Il a fait car­rière comme cher­cheur à l’I­ned (Ins­ti­tut natio­nal des études démo­gra­phiques) où d’éminents maîtres, comme Alfred Sau­vy (20S) lui ont incul­qué le res­pect des don­nées et leur rôle dans le test des idées. Pour lui, être scien­ti­fique consiste non pas à trou­ver des réponses, bien davan­tage à poser de bonnes questions.

Face à la com­plexi­té du réel, Her­vé Le Bras affec­tionne la bru­tale fran­chise d’un beau para­doxe. Un exemple ? Ana­ly­sant la struc­ture démo­gra­phique d’une pro­mo­tion de poly­tech­ni­ciens (73), il découvre avec jubi­la­tion que les parents ouvriers ou employés ont les plus petites familles et les âges les plus éle­vés à la nais­sance des enfants.

Ain­si, pour lui, être scien­ti­fique consiste non pas à trou­ver des réponses, bien davan­tage à poser de bonnes questions.

Lors des élec­tions régio­nales de décembre 2015, on le vit beau­coup à la radio et à la télé­vi­sion : auteur d’un livre sur le Front natio­nal, il fut beau­coup consul­té à ce sujet. Aimable et sou­riant, calme et déten­du, il répond d’un ton posé, didac­tique. La voix est éton­nam­ment jeune.

Les mathématiques plutôt que le droit

Ses parents étaient des juristes. Il s’apprêtait à les suivre. En seconde, son ensei­gnant P. Le Fus­tec (21) « aimait les mathé­ma­tiques et il me les a fait aimer à coups de droites de Sim­son et d’épicycloïdes.

Mais c’est la tra­di­tion fami­liale qui l’a d’abord empor­té, avec une ins­crip­tion en fac de droit où j’ai pas­sé l’année la moins assi­due de mes études. À l’oral d’économie poli­tique, l’examinateur m’a dit : Vous aurez tout le temps de faire du droit, vous êtes bon en mathé­ma­tiques, essayez d’abord une grande école.

Sur son conseil, je me suis ins­crit en maths sup et, deux ans plus tard, je me suis retrou­vé en train d’essayer une tenue BD 48 sur la Mon­tagne Sainte-Gene­viève. Les mathé­ma­tiques l’avaient empor­té sur l’histoire du droit.

Pas com­plè­te­ment puisque ma femme est fille et petite-fille de pro­fes­seurs d’histoire du droit de la facul­té de Paris. Mais le virage était pris : ma fille, cen­tra­lienne, est mariée à un poly­tech­ni­cien et l’un de leurs enfants vient d’intégrer l’X.

À l’X, j’ai souf­fert. C’est le cours d’histoire et lit­té­ra­ture qui m’a le plus inté­res­sé. Charles Mora­zé, qui le pro­fes­sait, m’a aidé à orga­ni­ser des confé­rences du soir où sont venus par­ler des anthro­po­logues, des socio­logues, des phi­lo­sophes dont Jacques Lacan. »

La vocation de la démographie

À la sor­tie, après une enquête en brousse sur l’alimentation chez les Mas­sas, au Tchad, des éle­veurs-agri­cul­teurs d’origine nilo­tique, « une expé­rience ini­tia­tique extra­or­di­naire », il entra à l’Ined : « Très vite, je me suis retrou­vé dans un milieu de poly­tech­ni­ciens qui m’ont for­mé et sur­tout incul­qué le res­pect des don­nées et leur rôle dans le test des idées.

Alfred Sau­vy (20 spé­ciale), fon­da­teur de l’Ined, esprit uni­ver­sel avec lequel je me suis rapi­de­ment lié mal­gré la dif­fé­rence d’âge, Louis Hen­ry (31), esprit rigou­reux, fon­da­teur de la démo­gra­phie his­to­rique, mon pre­mier patron dont j’ai pris la suc­ces­sion à sa retraite, Daniel Schwartz (37), pre­mier pro­fes­seur de sta­tis­tique dans une fac de méde­cine où il intro­dui­sit cette dis­ci­pline qui m’a véri­ta­ble­ment appris le manie­ment des don­nées et des tests ain­si que son adjoint Phi­lippe Lazar (56) futur grand patron de l’Inserm dont j’étais l’un des char­gés de TD.

Sans eux, je n’aurai pas prê­té tant d’attention aux don­nées et plus encore aux caté­go­ries par les­quelles on les décrit et les résume. »

La recherche du vrai

Il monte au cré­neau ratio­na­liste lorsqu’on dévie d’une recherche du vrai. Il démonte ain­si l’analyse fac­to­rielle, une métho­do­lo­gie viciée. Cela l’entraîne aus­si dans de vives contro­verses, à pro­pos, par exemple, de l’expression poli­ti­que­ment non inno­cente « Fran­çais de souche ».

« La démo­gra­phie n’est pas une dis­ci­pline fer­mée, un champ clos, mais un point de conver­gence, un nœud auquel sont reliées de nom­breuses dis­ci­plines. Acqué­rir des com­pé­tences en dehors de la démo­gra­phie dans ces dis­ci­plines prend du temps et oblige à se déca­ler, à se dépar­tir de ses savoir-faire locaux, à pra­ti­quer ce que les sur­réa­listes ont appe­lé l’estrangement. »

La démo­gra­phie a comme pers­pec­tive his­to­rique la longue durée, dont Fer­nand Brau­del (1902- 1985) mon­tra com­bien elle marque notre rap­port au pas­sé. Son père, Gabriel Le Bras (1891−1970) fut un his­to­rien du catho­li­cisme, dans ses aspects juri­dique et socio­lo­gique. Her­vé le Bras, sans qu’il y pré­tende expli­ci­te­ment, pro­longe l’œuvre paternelle.

Il trouve à illus­trer sa convic­tion majeure, la socié­té fran­çaise reste sou­mise aux struc­tures fami­liales, en leur extrême diversité.

Trois titres à épin­gler, dans une abon­dante pro­duc­tion de livres, deux coécrits avec Emma­nuel Todd, L’Invention de la France (1981) et Le Mys­tère fran­çais (2013) et une somme sur la démo­gra­phie, The Nature of Demo­gra­phy (2005), publiée par Prin­ce­ton Uni­ver­si­ty Press.

L’exactitude de l’expression

Il touche du cla­vier dans des duos de sonates pia­no et vio­lon. Sa pièce pré­fé­rée est l’arietta de la sonate pour pia­no n° 32 opus 111 de Beethoven.

Her­vé Le Bras, qui demeure un fervent des mathé­ma­tiques, pri­vi­lé­gie l’exactitude dans l’expression. Ce qu’il aime par-des­sus tout est trou­ver le sens pro­fond, pour­tant non évident a prio­ri, des phénomènes.

Poster un commentaire