Reconnaître des valeurs au vivant

Dossier : La biodiversitéMagazine N°616 Juin/Juillet 2006
Par Anne-Marie DUCROUX

Trop longtemps, les pro­grès tech­niques ou médi­caux ont fab­riqué la croy­ance que tout humain pou­vait s’ab­straire de ce que lui pro­cure le vivant et même de sa dis­pari­tion. Grâce aux inno­va­tions tech­niques, des destruc­tions pou­vaient même être économique­ment qual­i­fiées de “créa­tri­ces”.

Trop longtemps, l’é­tude du vivant a paru coupée du plus grand nom­bre : affaire de biol­o­gistes. De même sa pro­tec­tion a paru affaire de nat­u­ral­istes ou écol­o­gistes, sou­vent perçus comme mar­gin­aux, au mieux minoritaires.

Trop longtemps, l’eau, l’air, les forêts, les paysages, le cli­mat, les espèces ont fig­uré dans notre imag­i­naire comme autant de don­nées sans valeur spé­ci­fique affec­tée, comme “don­né” par la vie à la vie. Avec des impacts con­sid­érables de l’homme sur les biens com­muns et les espaces, de plus en plus con­nus et per­cep­ti­bles, il est devenu avéré que les qual­ités et les quan­tités de biens com­muns dépen­dent et dépen­dront des choix que les hommes effectuent, con­sciem­ment ou non.

Or si, dans un pre­mier temps, la dis­pari­tion du vivant et la dis­pari­tion de la per­cep­tion de la valeur du vivant sont prob­a­ble­ment cor­rélées, dans un deux­ième temps, para­doxale­ment, la per­cep­tion de sa dis­pari­tion pour­rait per­me­t­tre de faire réap­pa­raître, dans la vie com­mune, ses valeurs.

La mer

Qu’est-ce qui dans ce vivant infin­i­ment divers ne touche plus les âmes, les esprits ? L’ig­no­rance de ses qual­ités de vivant, l’ig­no­rance des ser­vices qu’il nous rend. Or gènes, espèces et écosys­tèmes con­stituent un réseau de rela­tions fines et com­plex­es dont la vie humaine dépend. Le vivant four­nit un ensem­ble de biens : ressources de la phar­ma­copée, bois, eau… mais aus­si des ser­vices écologiques indis­pens­ables à la vie quo­ti­di­enne, fil­trage de l’air, des sols, fer­til­ité des sols, épu­ra­tion des eaux, pollini­sa­tion sans laque­lle, par exem­ple, les con­di­tions ne sont plus réu­nies pour dis­pos­er de fruits et légumes, etc. De plus le vivant four­nit des moments d’a­paise­ment, de loisirs, etc., et témoigne de valeurs cul­turelles et spir­ituelles attachées aux ren­con­tres, à sa beauté et ses mystères.

Désor­mais un dou­ble sujet d’in­quié­tudes et d’in­ter­ro­ga­tions s’of­fre à l’Hu­man­ité avec, d’une part, le rythme actuel, totale­ment incon­nu, d’ex­tinc­tion des espèces ain­si que la dégra­da­tion des ser­vices écologiques1, et, d’autre part, avec la cer­ti­tude qu’une espèce qui s’éteint ou un écosys­tème qui dis­paraît, ce n’est pas seule­ment un coût socié­tal ou économique à inté­gr­er, mais c’est une fonc­tion qui dis­paraît dont nous ne savons à ce jour ni mesur­er les con­séquences, ni la valeur. Et si cer­taines pertes peu­vent, peut-être, être com­pen­sées, d’autres sont prob­a­ble­ment irré­para­bles. Ce sont les enjeux du xxie siècle.

C’est ain­si, pour ne pas attein­dre l’ir­réversible, que le Con­seil nation­al du Développe­ment durable a indiqué com­bi­en il s’ag­it pour la société dans son ensem­ble désor­mais de ” chang­er de cap, de références et de com­porte­ments “2, soulig­nant ain­si qu’il ne s’ag­it pas de con­cevoir des amé­nage­ments à la marge pour con­tin­uer comme avant, mais de com­pren­dre et entre­pren­dre résol­u­ment, dès main­tenant, une réelle mutation.

LE CONSEIL NATIONAL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
Le CNDD est une instance con­sul­ta­tive de 90 mem­bres et de 400 acteurs asso­ciés issus des com­posantes les plus var­iées de la société civile et de col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales. Placé auprès du Pre­mier min­istre, il joue un rôle de trait d’union entre eux et avec le gou­verne­ment. Il for­mule des propo­si­tions en amont de l’élaboration des poli­tiques publiques de Développe­ment durable. Il est asso­cié égale­ment à leur suivi et leur éval­u­a­tion. Il peut ren­dre des avis sur des pro­jets de loi, règle­ments, programmes…
Le CNDD a déjà répon­du, depuis son instal­la­tion en 2003, à neuf min­istres du gou­verne­ment. Toutes ses pro­duc­tions sont con­sulta­bles sur
www.developpement-durable.gouv.fr ou
www.premier-ministre.gouv.fr

L’at­ten­tion au vivant ne peut plus en effet se déléguer à telles ou telles asso­ci­a­tions, à l’É­tat, aux col­lec­tiv­ités, bref à des tiers. Son état con­cerne tout le monde et dépend de tous. Il con­vient de chang­er de regard à son égard et chercher un ensem­ble de solu­tions qui pour­raient le per­me­t­tre : depuis la recherche et la péd­a­gogie, l’en­seigne­ment, l’ex­em­ple de ceux qui ont com­pris, l’ap­pren­tis­sage de l’ob­ser­va­tion, de l’émer­veille­ment, de nou­veaux ques­tion­nements, à la recon­nais­sance de valeurs au vivant, jusqu’à un meilleur usage de la démoc­ra­tie autour de ses enjeux.

Mettre à jour, de différentes manières, les valeurs du vivant

Les humains ne pour­ront con­tin­uer indéfin­i­ment à occul­ter les valeurs du vivant sous pré­texte que ce qu’il four­nit est ou était abon­dant et gra­tu­it et qu’ain­si il n’au­rait pas de valeurs ou alors qu’il ne serait pas néces­saire de s’in­ter­roger sur elles. Son altéra­tion, sa destruc­tion ou sa pol­lu­tion révè­lent de plus en plus au con­traire ses valeurs comme le négatif étrange et inquié­tant d’une image pos­i­tive en voie de disparition.

Notre vie actuelle dépend des qual­ités du vivant. Les vies futures dépen­dent de sa diver­sité qui, elle, déter­mine sa capac­ité d’adap­ta­tion aux change­ments à venir. Il con­vient dès lors de rechercher col­lec­tive­ment un nou­veau mode de développe­ment, plus durable, où la nature et la qual­ité des usages, de biens de con­som­ma­tion ou de biens et ser­vices issus du vivant, comptent au moins autant, sinon plus, que leur seule quantité.

Il s’ag­it bien de ren­dre lis­i­bles les valeurs du vivant pour la vie com­mune. Pour mieux les pren­dre en compte, il faut notam­ment avancer par le change­ment de références don­nées à cha­cun par la vie publique nationale et inter­na­tionale, exprimées par les lois, la fis­cal­ité, la jurispru­dence, les critères des marchés, des sub­ven­tions, des prêts, les compt­abil­ités publiques et privées qui fix­ent les valeurs enreg­istrées pour la vie col­lec­tive et le type d’in­for­ma­tions disponibles… Diplo­matie, droit, économie, poli­tique, pour ne citer que ces domaines, de manière recon­nue ou non, sont sol­lic­ités pour pré­cis­er les valeurs du vivant.

Valeurs des processus environnementaux qui n’en ont pas ?

La diplo­matie a com­mencé à qual­i­fi­er des élé­ments essen­tiels à la vie de ” biens com­muns ” retraçant ain­si pour la pre­mière fois une ligne per­me­t­tant de retrou­ver autant notre inter­dépen­dance à leur égard que notre responsabilité.

Les pro­duc­tions du CNDD depuis jan­vi­er 2003,
con­sulta­bles sur le site du CNDD

•  Pre­mière con­tri­bu­tion en amont de la Stratégie nationale de Développe­ment durable (SNDD), avril 2003
•  Réac­tions à la SNDD, “ Paroles d’acteurs ”, automne 2003 + ver­sion anglaise
•  Avis n° 1 autour du rôle de la recherche, “Quelles passerelles entre sci­ences et société?”, sep­tem­bre 2003
•  Avis n° 2 “ Vers une empreinte de Développe­ment durable ”, avis sur 45 indi­ca­teurs, décem­bre 2003 + ver­sion anglaise
•  Con­tri­bu­tion pour les ori­en­ta­tions de la Stratégie nationale de bio­di­ver­sité, “Au nom du vivant ”, avec l’UICN, décem­bre 2003 + ver­sion anglaise
•  Avis n° 3 autour du rôle des préfets pour le Développe­ment durable, mars 2004
•  Con­tri­bu­tion au débat pub­lic relatif à la Charte de l’environnement, avril 2004
•  Recueil de fich­es “ Ini­tia­tives d’acteurs ”, à l’occasion du Som­met de la Fran­coph­o­nie “ Un espace sol­idaire pour le Développe­ment durable ”, novem­bre 2004
•  Charte de par­tic­i­pa­tion aux travaux du CNDD, jan­vi­er 2005
•  Dossier d’information du CNDD à l’issue de la pre­mière ses­sion, mars 2005
•  Con­tri­bu­tion en amont du pro­jet de loi d’orientation agri­cole, mars 2005
•  Avis n° 4 relatif au pro­jet de charte d’écoresponsabilité des agents du ser­vice pub­lic, mars 2005
•  Avis n° 5 relatif au pro­jet de loi d’orientation agri­cole, avril 2005
•  Avis n° 6 “ Échang­er avec les Français ”, relatif aux infor­ma­tions essen­tielles à fournir aux Français sur la poli­tique de Développe­ment durable du gou­verne­ment – févri­er 2006
•  Avis n° 7 “ Regards croisés ”, relatif à la lec­ture par la société civile et les col­lec­tiv­ités des Pro­jets d’action stratégique de l’État en région, (PASER) étab­lis par les préfets de région – mars 2006
•  Avis n° 8 relatif au deux­ième rap­port (2005) de suivi de la mise en oeu­vre de la Stratégie nationale du Développe­ment durable (SNDD) – mars 2006
•  Avis n° 9 relatif à la révi­sion de la Stratégie européenne de Développe­ment durable – com­mu­ni­ca­tion de la Com­mis­sion européenne 13 décem­bre 2005 – mars 2006 – ver­sion française et anglaise

Les textes, comme la Charte de l’en­vi­ron­nement con­sti­tu­tion­nelle depuis 2005, indiquent que l’en­vi­ron­nement est le pat­ri­moine com­mun des êtres humains. La jus­tice a été con­duite, lors de dif­férentes cat­a­stro­phes, à fix­er une valeur au vivant lors de la recherche de respon­s­abil­ités et d’in­dem­ni­sa­tions3 pour la dégra­da­tion de ressources naturelles.

Le droit con­fère aus­si une valeur au vivant par la déten­tion d’un titre de pro­priété. Ce qui met à jour, inverse­ment, cette qual­ité de res nul­lius ” n’ap­par­tenant à per­son­ne “, de la faune sauvage par exem­ple, dont la destruc­tion n’est prise en charge par per­son­ne tant qu’elle n’est pas trans­for­mée en res pro­pria ” appar­tient à quelqu’un “, par exem­ple à la Nation.

Après une cat­a­stro­phe pétrolière, les pertes (sel, coquil­lages, pois­sons) ou man­ques à gag­n­er de telles ou telles pro­fes­sions sont chiffrables, mais on ne sait pas très bien éval­uer, encore moins restau­r­er, la valeur du vivant non com­mer­cial comme des oiseaux mazoutés par mil­liers. Qui com­pense leur perte, qui l’in­dem­nise ? Par glisse­ments suc­ces­sifs, c’est un con­stat réal­iste, ce qui n’en­tre pas dans un marché, quel qu’il soit, n’a finale­ment pas de valeur représentée.

L’é­conomie fonde ses valeurs sur la rareté et sur l’ap­par­te­nance à un mécan­isme d’échanges rémunérés. Mais la quan­tité des échanges y prime le plus sou­vent sur la nature des échanges et leurs qual­ités. L’essen­tiel et l’ac­ces­soire y sont à égal­ité. La valeur du vivant n’y est pas, peu ou mal représentée.

Pire encore, la destruc­tion de pat­ri­moines naturels dès lors qu’elle génère des activ­ités et des flux moné­taires con­duit à la compt­abilis­er comme une richesse nationale entrant dans la mesure du pro­duit intérieur brut. Nos sys­tèmes de compt­abil­ité, en effet, enreg­istrent des destruc­tions humaines et envi­ron­nemen­tales coû­tant des mil­liards à la col­lec­tiv­ité comme des apports de richess­es dans la mesure où elles génèrent des activ­ités économiques exprimées en mon­naie (par exem­ple : le débrous­sail­lage, l’éla­gage, les répa­ra­tions, lors de la tem­pête de 1999 en France, ou par exem­ple les répa­ra­tions auto­mo­biles pour les acci­dents de la route).

Ain­si des instru­ments de mesure, qui compt­abilisent pos­i­tive­ment les destruc­tions évo­quées, guident quo­ti­di­en­nement des mil­liers de déci­sions. Car le sys­tème compt­able a été conçu pour enreg­istr­er l’am­pleur des trans­ac­tions économiques dans un objec­tif de recon­struc­tion après-guerre et non la capac­ité d’un sys­tème économique, ou d’une Nation, pour les enjeux du siè­cle, à main­tenir les dota­tions en ressources naturelles, à même de ne pas com­pro­met­tre la vie actuelle et celle des généra­tions futures, même si la recherche d’un développe­ment durable a favorisé la recherche rel­a­tive à la compt­abil­ité envi­ron­nemen­tale, avec des unités de mesure physique et des comptes moné­taires qui ont été inscrits dans l’Agen­da 21, ou pro­gramme d’ac­tion pour le xxie siè­cle, du Som­met de Rio, en 1992.

Nos sys­tèmes de compt­abil­ité actuels com­men­cent par des comptes ” satel­lites ” et des comptes de pat­ri­moines à ten­ter de mieux iden­ti­fi­er des comptes liés à la pro­tec­tion sociale ou à l’en­vi­ron­nement, iden­ti­fi­er les fac­teurs de destruc­tion, afin de cess­er de les compter pos­i­tive­ment. Mais ces comptes n’at­teignent pas le ” logi­ciel ” du sys­tème mis en place, comme leur nom de ” satel­lite ” en témoigne. Ain­si ce qu’ils expri­ment n’en­tre pas dans le cœur des straté­gies et des poli­tiques et reste plutôt périphérique.

La réponse usuelle, face aux urgences, pour préserv­er le vivant fut d’abord la préser­va­tion et la pro­tec­tion. Face à la nou­velle échelle plané­taire des enjeux, la seule préser­va­tion ne pour­ra suf­fire, et la recon­nais­sance d’une valeur au vivant con­duit égale­ment à réfléchir aux dis­posi­tifs qui per­me­t­traient de mieux organ­is­er la ges­tion du vivant c’est-à-dire la rela­tion con­sciente, perçue, organ­isée que nous avons avec lui, dans toutes nos activités.

Cette étude de la valeur que cer­tains réfu­tent est déjà en réal­ité inscrite dans les échanges. Les enjeux sont per­cep­ti­bles autour notam­ment des brevets du vivant. Dif­férentes méth­odes d’é­val­u­a­tion moné­taire du pat­ri­moine naturel, indi­rectes ou directes, ont été approchées depuis vingt-cinq ans.

L’é­val­u­a­tion indi­recte prend en compte moné­taire­ment les effets des impacts physiques d’une mod­i­fi­ca­tion de la qual­ité de l’en­vi­ron­nement comme, par exem­ple, un déboise­ment, un assèche­ment de zones humides…

Les méth­odes d’é­val­u­a­tion directe pren­nent en compte dif­férents élé­ments indi­quant le prix des com­porte­ments d’ad­hé­sion ou au con­traire d’évite­ment des citoyens ou acteurs pour des biens, ser­vices ou sites envi­ron­nemen­taux : prix que des util­isa­teurs sont dis­posés à pay­er par leurs coûts de déplace­ment pour béné­fici­er d’une ressource ou d’un site envi­ron­nemen­tal, mesure de l’im­pact d’un paysage sur la valeur d’un bien immo­bili­er, dépens­es de pro­tec­tion des indi­vidus face à une dégra­da­tion de l’en­vi­ron­nement (démé­nage­ment, dis­posi­tifs antibruit, iso­la­tions, fil­trage de l’eau, achats d’eau en bouteille, etc.).

Valeurs non-marchandes du vivant

Faut-il ne pas faire entr­er dans l’é­conomie ou dans des sys­tèmes de com­pen­sa­tion le vivant dont la valeur tran­scende effec­tive­ment les échanges économiques ?

Toutes les méth­odes de recherche des valeurs du vivant com­por­tent des dif­fi­cultés tech­niques ou éthiques. Mais refuser, par principe, de ten­ter d’é­val­uer la valeur des biens d’en­vi­ron­nement con­siste finale­ment à la con­sid­ér­er comme nulle et par con­séquent à accepter qu’elle soit minorée, ou non gérée, ou pas prise en compte dans les bilans, les études, les bilans prévi­sion­nels, les nui­sances, les pol­lu­tions, l’é­val­u­a­tion des dom­mages causés…

On voit qu’en étu­di­ant des sys­tèmes de com­pen­sa­tion, d’échanges, et en fix­ant une valeur au car­bone, de nou­veaux acteurs, comme les entre­pris­es dont la capac­ité d’ac­tion est par­fois supérieure aux États, sont entrés dans la réflex­ion et dans l’ac­tion, avec des mécan­ismes qu’ils com­pren­nent, sur un objet qui leur était totale­ment étranger.

De nou­veaux secteurs d’ac­tiv­ité et de nou­veaux acteurs comme les col­lec­tiv­ités locales y entreront à terme, démul­ti­pli­ant une capac­ité d’a­gir mieux partagée.

Une ques­tion à débat­tre devrait être de savoir si faire entr­er le vivant dans des mécan­ismes d’es­ti­ma­tion de valeurs et de com­pen­sa­tions abouti­rait à une meilleure recon­nais­sance qu’actuelle­ment et donc à une meilleure prise en compte ou au con­traire le con­duirait plus encore qu’au­jour­d’hui à sa perte ?

Hors du champ de l’é­conomie, la per­cep­tion de la pré­ciosité, de la fini­tude et de la vul­néra­bil­ité désigne sou­vent ce qui a de la valeur. En effet, est-ce que ce qui compte pour nous est ce qui se compte ou plus large­ment ce qui s’ap­pré­cie ? Mais en ne mis­ant que sur une appré­ci­a­tion sub­jec­tive et indi­vidu­elle de la valeur du vivant, les con­stats d’au­jour­d’hui le mon­trent, nous avons, pour une part, échoué. Il nous faut dès lors chang­er le ques­tion­nement et l’é­tat d’e­sprit pour espér­er chang­er de répons­es et de solutions.

L’apport de la démocratie

Il s’ag­it moins au xxie siè­cle pour l’Homme d’ex­plor­er de nou­veaux espaces géo­graphiques que pour lui désor­mais d’ex­plor­er son temps et son avenir, la nature de ses pro­grès, les maux qu’il a générés avec les biens, et d’ex­am­in­er sa pro­pre capac­ité de destruc­tion, et la dou­ble ques­tion des fins : le sens, la final­ité de notre développe­ment actuel et les lim­ites de nos activ­ités et de celles de la planète. De plus, le droit des généra­tions futures est déter­miné par nos valeurs d’au­jour­d’hui et ain­si se pose déjà à nous une ques­tion morale, philosophique et juridique de responsabilité.

Élé­ments biographiques
Le CNDD est présidé par Anne-Marie DUCROUX. Issue de la société civile, elle a été nom­mée par le Pre­mier min­istre en novem­bre 2002 pour cette mis­sion de médi­a­tion de la parole des acteurs, au sein de débats con­tro­ver­sés et très évo­lu­tifs. Son par­cours pro­fes­sion­nel l’a con­duite vers le jour­nal­isme, la com­mu­ni­ca­tion et l’édition.
Elle a notam­ment dirigé Les nou­veaux utopistes du Développe­ment durable pour les Édi­tions Autrement, choi­sis­sant déjà, dans l’ouvrage, de don­ner la parole à 40 témoins ou acteurs du Développe­ment durable.
Elle a été égale­ment mem­bre du Comité con­sul­tatif du débat énergie, du Con­seil d’orientation des travaux pra­tiques de la charte de l’environnement, mem­bre de la Com­mis­sion nationale d’orientation du débat du pro­jet de loi d’orientation agri­cole, mem­bre du Comité stratégique d’un pro­gramme de recherche de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Elle est égale­ment mem­bre du Haut Con­seil à la coopéra­tion inter­na­tionale et du Con­seil nation­al de sécu­rité civile.

En posant pour hypothès­es que l’é­conomie ne serait pas pos­si­ble par exem­ple sur une planète dont l’air serait devenu irres­pirable, l’eau imbuvable, les sols stériles, les ressources trop rares… et si l’é­conomie se place au ser­vice de final­ités morales et poli­tiques, alors il n’est pas d’é­conomie sans un pas­sage par les valeurs, à pré­cis­er dans le débat démocratique.

Notre enjeu col­lec­tif aujour­d’hui est de pass­er de sys­tèmes pure­ment sta­tis­tiques et infor­mat­ifs sur le vivant, à leur util­i­sa­tion et à la val­ori­sa­tion des résul­tats au cœur des proces­sus de la déci­sion poli­tique inter­na­tionale, nationale et territoriale.

La mise en place d’une stratégie nationale pour la bio­di­ver­sité revêt une impor­tance cap­i­tale pour la France car, d’une part, elle se doit d’être exem­plaire pour la préser­va­tion d’une bio­di­ver­sité unique au monde dont elle a spé­ci­fique­ment la respon­s­abil­ité et, d’autre part, pour la recon­nais­sance par tous de la valeur socié­tale incluse dans le vivant.

De la com­préhen­sion de cette valeur dépen­dra le pas­sage d’une démarche min­istérielle à une poli­tique inter­min­istérielle, et donc l’in­té­gra­tion de la bio­di­ver­sité dans toutes les poli­tiques du gouvernement.

De ce sig­nal dépen­dra la mobil­i­sa­tion de tous les acteurs et citoyens pour la pro­tec­tion des espèces et des milieux men­acés jusqu’à la nature dite ” ordi­naire “, si famil­ière que l’on n’y prête plus attention.

C’est ce qui a con­duit le Con­seil nation­al du Développe­ment durable inter­rogé, à recom­man­der au gou­verne­ment que le tout pre­mier enjeu d’une stratégie nationale de bio­di­ver­sité devait être d’ou­vrir des réflex­ions et des débats pour une meilleure recon­nais­sance des valeurs du vivant.

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1. Cf. Mil­le­ni­um Ecosys­tem Assess­ment paru en 2005 : seuls 4 des 24 ser­vices écologiques exam­inés dans le cadre de cette éval­u­a­tion ont été dévelop­pés : l’a­gri­cul­ture, l’él­e­vage, l’aqua­cul­ture et, au cours des dernières décen­nies, la séques­tra­tion du car­bone. Par con­traste, 15 autres ser­vices ont con­nu une dégra­da­tion, notam­ment les ressources halieu­tiques, la pro­duc­tion de bois, l’ap­pro­vi­sion­nement en eau, le traite­ment et la détox­i­ca­tion des eaux usées, l’épu­ra­tion des eaux, la pro­tec­tion con­tre les dan­gers naturels, la régu­la­tion de la qual­ité de l’air, du cli­mat région­al et local, de l’éro­sion, et un grand nom­bre d’a­van­tages cul­turels (spir­ituels, esthé­tiques, récréat­ifs et autres).
2. www.developpement-durable.gouv.fr — Pre­mière con­tri­bu­tion — avril 2003.
3. La com­pag­nie Exxon a été con­duite à pay­er une indem­nité de 1 mil­liard de dol­lars en rai­son des dom­mages causés au pat­ri­moine naturel, par exemple.

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