Graphique 1 : Évolution du taux d’urbanisation

Quelques défis économiques et sociaux pour le Maroc

Dossier : Le MarocMagazine N°605 Mai 2005
Par Tawfik MOULINE (72)

Démographie

Démographie

Le taux d’ac­croisse­ment démo­graphique a ralen­ti de 2,8 % l’an entre 1960 et 1971 à 1,4 % l’an entre 1994 et 2004 sous l’ef­fet de la baisse de la fécon­dité. D’après les pro­jec­tions du Cen­tre d’é­tudes et de recherch­es démo­graphiques (CERED), cette tran­si­tion démo­graphique devrait se pour­suiv­re dans le futur avec la pro­gres­sion de l’in­struc­tion fémi­nine. Elle s’ac­com­pa­g­n­erait cepen­dant d’une accen­tu­a­tion de la pres­sion démo­graphique sur les villes. Le taux d’ur­ban­i­sa­tion dépasserait 69 % en 2024 con­tre 55,1 % en 2004.

GRAPHIQUE 1
Évolu­tion du taux d’urbanisation

Les change­ments struc­turels majeurs inter­venus au niveau de la pyra­mide des âges de la pop­u­la­tion maro­caine, en lien avec l’aug­men­ta­tion de l’e­spérance de vie à la nais­sance (71 ans en 2004 con­tre 47 ans en 1962) et le recul de la fécon­dité (2,5 enfants par femme en 2004 con­tre 7,2 en 1962), se pour­suiv­ront, à l’avenir, par :

  • une baisse de la part de la tranche 0–15 ans d’âge dans la pop­u­la­tion totale de 29,6 % en 2004 à 22,3 % en 2024,
  • un accroisse­ment de la part de la tranche d’âge 60 ans et plus dans la pop­u­la­tion totale de 7,7 % en 2004 à 12,9 % en 2024,
  • une pro­gres­sion de 62,7 % en 2004 à 64,7 % en 2024 de la part de la tranche d’âge 15–59 ans dans la pop­u­la­tion totale.


L’ar­rivée sur le marché du tra­vail des class­es d’âge act­if coïn­cidera avec la phase la plus cri­tique de l’ou­ver­ture com­mer­ciale du Maroc. D’i­ci à 2015, la demande addi­tion­nelle sur le marché du tra­vail est estimée à 400 000 emplois par an, niveau net­te­ment plus impor­tant que les 217 000 emplois créés annuelle­ment, en moyenne, entre 1995 et 2003.

Ain­si, rien que pour sta­bilis­er le taux de chô­mage qui est de 10,8 % en 2004, il faudrait réalis­er une crois­sance économique supérieure à 4,7 % l’an.

Croissance économique

Dépen­dant moins que par le passé de l’aléa cli­ma­tique, l’é­conomie maro­caine est entrée, en 1996, dans un nou­veau cycle de crois­sance. La reprise enreg­istrée (4 % l’an en moyenne entre 1996 et 2003) est due au dynamisme de cer­tains secteurs por­teurs tels que le tourisme, le BTP, l’én­ergie, les indus­tries élec­triques et élec­tron­iques, le com­merce et les télécommunications.

GRAPHIQUE 2
Taux d’accroissement annuel de la demande ;étrangère adressée au Maroc (en volume)
GRAPHIQUE 2 Taux d’accroissement annuel de la demande étrangère adressée au Maroc (en volume)
GRAPHIQUE 3
Contri­bu­tion des fac­teurs de pro­duc­tion à la croissance
GRAPHIQUE 3 : Contribution des facteurs de production à la croissance

Cette crois­sance est inter­v­enue dans un con­texte de sta­bil­ité du cadre macroé­conomique (déficit budgé­taire dans la lim­ite de 3 % du PIB, infla­tion inférieure à 2 % et excé­dent courant de la bal­ance des paiements depuis 2001). Elle s’ex­plique par l’ac­cu­mu­la­tion du cap­i­tal suite aux efforts d’in­vestisse­ments con­séquents des entre­pris­es privées et du secteur pub­lic. La créa­tion du Fonds Has­san II pour le Développe­ment économique et social, qui reçoit 50 % des recettes de pri­vati­sa­tion, a con­tribué à l’in­ten­si­fi­ca­tion de l’in­vestisse­ment pub­lic dans les infra­struc­tures et dans le social.

Pour pro­mou­voir l’in­vestisse­ment privé nation­al et étranger, il a été procédé, en 2002, à la créa­tion de cen­tres régionaux d’in­vestisse­ment et à la déf­i­ni­tion des règles d’une ges­tion décon­cen­trée de l’investissement.

Si la con­tri­bu­tion à la crois­sance économique de la con­som­ma­tion des ménages est impor­tante (2,5 points entre 1996 et 2003), celle du com­merce extérieur de biens et ser­vices reste néga­tive (-1 point) eu égard à la lour­deur de la fac­ture pétrolière et ce, mal­gré le développe­ment du tourisme. Les expor­ta­tions sont trib­u­taires d’une demande étrangère glob­ale qui ne pro­gresse pas forte­ment et dont l’évo­lu­tion est sim­i­laire à celle de la demande étrangère adressée au Maroc par la France. Ce pays représente à lui seul près du quart du com­merce extérieur du Maroc.

Depuis 1996, la crois­sance économique est tirée par l’amélio­ra­tion de la pro­duc­tiv­ité glob­ale des fac­teurs (PGF). Liée à la reprise de l’in­vestisse­ment, cette évo­lu­tion est imputable à la hausse de la pro­duc­tiv­ité du tra­vail, par­ti­c­ulière­ment au niveau des indus­tries man­u­fac­turières suite à une plus grande con­tri­bu­tion du pro­grès tech­nique et au développe­ment de la pro­duc­tiv­ité poten­tielle de ce secteur.

L’amélio­ra­tion de la pro­duc­tiv­ité glob­ale des fac­teurs a été opérée dans un con­texte car­ac­térisé par une sub­sti­tu­tion mar­quée du cap­i­tal au tra­vail, due à une fis­cal­ité plus favor­able à l’in­vestisse­ment qu’à l’emploi et, aupar­a­vant, aux rigid­ités de la lég­is­la­tion du travail.

Pour con­solid­er davan­tage ce nou­veau cycle de crois­sance, les pou­voirs publics ont accéléré la mise à niveau de l’é­conomie, procédé à la libéral­i­sa­tion de nom­breux secteurs de l’é­conomie et con­clu des con­trats-pro­grammes avec les fédéra­tions pro­fes­sion­nelles (tourisme, tex­tile, tech­nolo­gies de l’information…).

Des réformes struc­turelles ont été menées visant l’amélio­ra­tion de l’en­vi­ron­nement des affaires avec, par exem­ple, l’adop­tion récente d’un code du tra­vail rénové, la mod­erni­sa­tion du secteur pub­lic, la réforme de la jus­tice et la dynami­sa­tion du secteur financier. Entamée depuis une ving­taine d’an­nées, la réforme de ce secteur vient d’être couron­née par un nou­veau statut de la banque cen­trale lui accor­dant une grande autonomie vis-à-vis du gouvernement.

Des pro­grammes ambitieux ont été lancés pour dévelop­per les infra­struc­tures (achève­ment de la con­struc­tion de la rocade méditer­ranéenne en 2007, pro­gramme autorouti­er visant un linéaire de 1 500 km à l’hori­zon 2010, mise en ser­vice en 2007 du com­plexe por­tu­aire Tanger-Méditer­ranée…) et pour val­oris­er le cap­i­tal humain.

Développement social

Le Maroc accorde une place de choix au développe­ment des secteurs soci­aux ain­si qu’en témoigne la part du bud­get de l’É­tat accordée à ces domaines qui est passée de 39 % en 1993 à plus de 48 % en 2004. Out­re la créa­tion, à par­tir de 1999, de l’A­gence de développe­ment social, une nou­velle poli­tique de prox­im­ité a été mise en œuvre en vue d’amélior­er les con­di­tions de vie des pop­u­la­tions et de lut­ter con­tre la pau­vreté. Celle-ci a con­cerné 13,7 % de la pop­u­la­tion nationale en 2001 dont 6,3 % en milieu urbain et 23,1 % en milieu rural.

Politique de proximité

La poli­tique de prox­im­ité est basée sur une nou­velle approche de la prob­lé­ma­tique du loge­ment, l’amélio­ra­tion de l’ac­cès des pop­u­la­tions aux infra­struc­tures de base et la pro­mo­tion des secteurs de l’é­d­u­ca­tion et de la san­té. Elle est accom­pa­g­née par un ren­force­ment du rôle de la femme sur tous les plans.

Face à un déficit en loge­ments de 1,2 mil­lion d’u­nités, la nou­velle stratégie s’ap­puie sur des mesures favorisant l’ac­cès à la pro­priété à des prix préféren­tiels et vise, en pri­or­ité, la lutte con­tre l’habi­tat insalu­bre pour lequel un pro­gramme décen­nal a été mis en œuvre, financé con­join­te­ment par l’É­tat, les col­lec­tiv­ités locales et les béné­fi­ci­aires. Ce pro­gramme con­cerne 630 000 ménages.

GRAPHIQUE 4
Évolu­tion du taux net de sco­lar­i­sa­tion pour le 1er cycle fon­da­men­tal (pri­maire)
GRAPHIQUE 4 : Évolution du taux net de scolarisation pour le 1er cycle fondamental (primaire)

Au niveau de l’ac­cès aux infra­struc­tures de base, des pro­grès réels ont été enreg­istrés au prof­it du monde rur­al qui fait l’ob­jet d’une vision inté­grée. Le taux d’ac­cès à l’eau potable en milieu rur­al a évolué de 14 % en 1994 à 62 % en 2003 et atteindrait 90 % en 2007. Le taux d’élec­tri­fi­ca­tion rurale est passé de 17 % en 1996 à 62 % en 2003 ; l’ob­jec­tif pour­suivi étant d’aboutir à une élec­tri­fi­ca­tion inté­grale du monde rur­al en 2007.

Après la réus­site du pre­mier pro­gramme nation­al de désen­clave­ment du monde rur­al, un sec­ond pro­gramme a été mis en place, visant un taux d’ac­cès de 80 % en 2015.

Enseignement

La général­i­sa­tion de l’en­seigne­ment, l’amélio­ra­tion de la qual­ité de l’é­d­u­ca­tion et de la ges­tion du sys­tème édu­catif ain­si que l’érad­i­ca­tion de l’anal­phabétisme con­stituent les prin­ci­paux objec­tifs fixés par la Charte Édu­ca­tion-For­ma­tion de 1999.

Cette réforme a per­mis d’amélior­er sig­ni­fica­tive­ment l’ensem­ble des indi­ca­teurs de l’en­seigne­ment fon­da­men­tal. Le taux net de sco­lar­i­sa­tion des enfants âgés de 6 à 11 ans est passé de 68,6 % en 1997–1998 à 92,2 % en 2003–2004. Des avancées impor­tantes ont été con­statées en milieu rur­al et en ce qui con­cerne la sco­lar­i­sa­tion des filles.

Pour ce qui est de la lutte con­tre l’anal­phabétisme, elle a été érigée en pri­or­ité nationale et un départe­ment min­istériel lui a été con­sacré. Con­for­mé­ment aux objec­tifs du mil­lé­naire pour le développe­ment, le pro­gramme nation­al de lutte con­tre l’anal­phabétisme vise l’érad­i­ca­tion en 2015 de ce fléau qui a touché en 1998 près de 36 % des jeunes de 15 à 24 ans.

Santé publique

GRAPHIQUE 5
Évolu­tion du nom­bre d’habitants par étab­lisse­ment de san­té de base et par médecin
GRAPHIQUE 5 : Évolution du nombre d’habitants par établissement de santé de base et par médecin

Les efforts menés par les autorités publiques dans le domaine san­i­taire, au cours des dernières années, se sont traduits par une diminu­tion sen­si­ble tant du nom­bre d’habi­tants par étab­lisse­ment de san­té de base que du nom­bre d’habi­tants par médecin.

La crois­sance soutenue de l’ef­fec­tif des médecins (6 % par an en moyenne) a eu lieu dans un con­texte mar­qué, cepen­dant, par de fortes dis­par­ités spa­tiales. De l’or­dre de 2 000 actuelle­ment, sur le plan nation­al, le nom­bre d’habi­tants par médecin excède 4 000 pour la région de Taza-Al Hoceima-Taounate alors qu’il ne dépasse pas 750 pour la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër.

L’ac­cès aux soins est vari­able en fonc­tion du milieu de rési­dence (71 % dans les villes et 56 % dans les cam­pagnes). À cela s’a­joute l’in­suff­i­sance des dépens­es con­sacrées au secteur de la san­té (4,5 % du PIB).

Pour pal­li­er cette sit­u­a­tion, la stratégie 2003–2007 s’ar­tic­ule autour de la région­al­i­sa­tion du sys­tème san­i­taire pour le réha­biliter dans le cadre de la poli­tique de décen­tral­i­sa­tion, de la réforme hos­pi­tal­ière, du ren­force­ment et de l’ac­céléra­tion des pro­grammes de préven­tion et de prise en charge des mal­adies chroniques ain­si que de l’amélio­ra­tion des bud­gets octroyés pour la ratio­nal­i­sa­tion de la ges­tion des ressources.

Pour desser­rer, en par­tie, la con­trainte du finance­ment, un nou­veau pro­jet a démar­ré en jan­vi­er 2005. Il s’ag­it de l’as­sur­ance-mal­adie oblig­a­toire (AMO) qui per­me­t­tra de dou­bler à terme la part de la pop­u­la­tion béné­fi­ciant de la cou­ver­ture médi­cale. Un autre pro­jet est à l’é­tude en vue d’é­ten­dre la cou­ver­ture médi­cale aux per­son­nes économique­ment démunies.

Situation de la femme marocaine

La sit­u­a­tion de la femme maro­caine a con­nu cer­taines muta­tions avec l’amélio­ra­tion à la fois de la sco­lar­i­sa­tion des filles, du taux de féminité de l’of­fre de tra­vail (26,6 % en 2003 con­tre 8,5 % en 1960) et de la par­tic­i­pa­tion poli­tique (10 % actuelle­ment de la Cham­bre des représentants).

Mal­gré cela, des iné­gal­ités sub­sis­tent entre les hommes et les femmes dans la société maro­caine tant en ter­mes de revenus (rap­port de 1 à 2,5 en 2001) que sur le plan social. Ces iné­gal­ités auront ten­dance à dimin­uer avec l’émer­gence d’un mou­ve­ment asso­ci­atif organ­isé, soucieux de la pro­mo­tion des chances, d’un partage des richess­es et des oppor­tu­nités plus équita­bles et d’une par­tic­i­pa­tion plus active de la femme au développement.

L’an­née 2004 con­stitue déjà une date mar­quante avec la pro­mul­ga­tion du nou­veau code de la famille qui a con­sacré le principe d’é­gal­ité entre les hommes et les femmes au niveau de la respon­s­abil­ité famil­iale, restreint forte­ment la polyg­a­mie en la soumet­tant, entre autres, à l’au­tori­sa­tion du juge et prévu des procé­dures ou mécan­ismes des­tinés à la pro­tec­tion de l’épouse des abus de l’époux ain­si qu’à la répar­ti­tion équitable des biens acquis durant la péri­ode du mariage.

Conclusion

Dans un con­texte d’ou­ver­ture et d’in­ser­tion crois­sante à l’é­conomie inter­na­tionale, le Maroc devra relever de nom­breux défis économiques et soci­aux en rela­tion avec la crois­sance économique, l’emploi, le loge­ment, la qual­ité de l’en­seigne­ment, la cou­ver­ture sanitaire…

Pour cela, il dis­pose d’un cer­tain nom­bre d’atouts, en l’oc­cur­rence, son ancrage démoc­ra­tique (respect des Droits de l’homme et des lib­ertés publiques, con­sol­i­da­tion de la démoc­ra­tie, rôle act­if de la société civile…), son engage­ment dans l’é­conomie de marché, son cadre macroé­conomique sta­ble et sa volon­té de pour­suiv­re les réformes struc­turelles en abor­dant les plus dif­fi­ciles et en les met­tant au ser­vice du développe­ment humain.

Taw­fik Mouline : Ancien directeur de la Poli­tique économique au min­istère des Finances, actuelle­ment chargé de mis­sion au Cab­i­net Royal.

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