Casablanca, Maroc : Vue de la zone Casa Anfa accueillant des résidences haut de gamme et un quartier d’affaires.

Le Maroc en Afrique : émergence d’une puissance économique régionale

Dossier : Le MarocMagazine N°788 Octobre 2023
Par Hamid BOUCHIKHI

En 1976, le roi Has­san II a dit du Maroc qu’il « res­semble à un arbre dont les racines nour­ri­cières plongent pro­fon­dé­ment dans la terre d’Afrique et qui res­pire grâce à son feuillage bruis­sant aux vents d’Europe… Aujourd’hui le Maroc reprend la place qui était géo­gra­phi­que­ment, his­to­ri­que­ment, poli­ti­que­ment la sienne : il est rede­ve­nu une nation de syn­thèse, une com­mu­nau­té de liai­son entre l’Orient et l’Occident. » Dans le pre­mier quart de siècle de son règne, son suc­ces­seur a conso­li­dé les racines afri­caines du Maroc, sur les plans cultu­rel, diplo­ma­tique et éco­no­mique, et a fait du pays un hub régio­nal reliant l’Afrique au reste du monde. 


J’ai mis la touche finale à ce texte quelques jours avant la ter­rible catas­trophe qui a frap­pé le Maroc le 8 sep­tembre dernier. 

Je vou­drais dire ma pro­fonde tris­tesse et ma soli­da­ri­té avec mes conci­toyens qui ont payé un prix exor­bi­tant en vies humaines et pertes maté­rielles. Les dis­po­si­tifs mis en place par les auto­ri­tés, la mobi­li­sa­tion des orga­ni­sa­tions de la socié­té civile et la géné­ro­si­té des citoyens offrent du Maroc le visage d’un pays orga­ni­sé, auto­suf­fi­sant et confiant dans sa capa­ci­té à faire face à des crises de grande ampleur. On retrouve ici les ingré­dients de la ges­tion effi­cace de la pan­dé­mie de Covid-19. La catas­trophe a, éga­le­ment, mis la lumière sur des popu­la­tions et des ter­ri­toires qui tardent à béné­fi­cier de la moder­ni­sa­tion et du dyna­misme éco­no­mique du pays. 

Les diri­geants maro­cains savent qu’ils ont une longue liste de défis domes­tiques à rele­ver, ce qui n’empêche pas le Maroc de pro­je­ter, sur son conti­nent, une image de puis­sance émergente.


Lors de la phase finale du Mon­dial de foot­ball, le monde entier a décou­vert un Maroc moderne, fier et conqué­rant. À cette occa­sion, les popu­la­tions afri­caines se sont iden­ti­fiées à l’équipe natio­nale du Royaume et ont consa­cré, ce fai­sant et symbo­lique­ment, le lea­der­ship régio­nal du Maroc. Les obser­va­teurs aver­tis ont vu dans les per­for­mances des Lions de l’Atlas et dans le sou­tien des peuples afri­cains la juste reconnais­sance, dans le champ spor­tif, d’un quart de siècle d’investissement, plu­tôt de ré­investissement, du pays dans son conti­nent. 

Un axe politique majeur

Le renoue­ment avec la com­po­sante afri­caine de l’identité du pays et l’engagement fort dans les ques­tions géos­tra­té­giques, sécu­ri­taires, cultu­relles et éco­no­miques du conti­nent consti­tuent, en effet, un axe majeur du règne du roi Moham­med VI et un chan­tier où il est inves­ti per­son­nel­le­ment. Après un rap­pel de quelques jalons de l’engagement afri­cain du Maroc, on trai­te­ra ici de la dimen­sion éco­no­mique. Nous y mon­tre­rons, à grands traits, com­ment les entre­prises et les entre­pre­neurs maro­cains donnent corps à la vision royale d’un Maroc qui veut se sen­tir chez lui par­tout en Afrique et contri­buer au déve­lop­pe­ment de son conti­nent. Nous pas­se­rons éga­le­ment en revue les efforts déployés par l’État maro­cain pour faire du pays un hub régio­nal et une porte d’entrée en Afrique pour les entre­prises inter­na­tio­nales. Nous ver­rons enfin com­ment les entre­prises maro­caines pour­raient trans­for­mer l’essai et pas­ser à la vitesse supé­rieure. 

L’engagement historique vers l’Afrique

La frag­men­ta­tion du conti­nent afri­cain, notam­ment sous l’effet des colo­ni­sa­tions, et l’orientation des regards et des esprits vers l’Europe ont presque fait oublier aux Maro­cains qu’ils sont afri­cains. Aus­si loin qu’on remonte dans l’histoire du Maroc, on observe un enga­ge­ment reli­gieux, poli­tique et com­mer­cial dans la région du Sahel. Les cara­vanes maro­caines allaient jusqu’au Sou­dan. Dans la deuxième moi­tié du XXe siècle le Maroc, indé­pen­dant et désor­mais ampu­té de sa zone d’influence afri­caine, a par­ti­ci­pé acti­ve­ment au mou­ve­ment de déco­lo­ni­sa­tion du continent.

Le roi Moham­med V a réuni le pre­mier som­met afri­cain à Casa­blan­ca en 1961, posant ain­si les fon­da­tions de la future Orga­ni­sa­tion de l’unité afri­caine (OUA). L’engagement afri­cain du Maroc connaî­tra une longue période de gel, à la suite du retrait spec­ta­cu­laire de l’OUA, le 12 novembre 1984. Ce jour-là, la délé­ga­tion maro­caine a quit­té le 20e som­met en rai­son de l’admission de la branche poli­tique du Poli­sa­rio, qui dis­pute la maro­ca­ni­té des pro­vinces du Sud. 

La réintégration dans l’OUA

Un quart de siècle plus tard, le Maroc a offi­cia­li­sé son retour dans l’OUA. Le 31 jan­vier 2017, le roi Moham­med VI a par­ti­ci­pé au 28e som­met et a enta­mé son dis­cours par une décla­ra­tion res­tée célèbre : « Il est beau, le jour où l’on rentre chez soi, après une trop longue absence ! Il est beau, le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé ! L’Afrique est Mon conti­nent et Ma maison. »

La réin­té­gra­tion dans l’OUA a cou­ron­né deux décen­nies d’investissement per­son­nel du roi dans l’extension et l’approfondissement des liens avec le conti­nent afri­cain. Très par­ci­mo­nieux dans la ges­tion de son agen­da, le roi a effec­tué plu­sieurs visites en Afrique sub­sa­ha­rienne et a reçu plu­sieurs chefs d’État afri­cains. À cha­cun de ces dépla­ce­ments, les membres du gou­ver­ne­ment qui accom­pagnent le monarque signent des accords por­tant sur les échanges com­mer­ciaux, la coopé­ra­tion cultu­relle et les ques­tions sécu­ri­taires. Les chefs d’entreprise, régu­liè­re­ment invi­tés à par­ti­ci­per à ces visites, éta­blissent des liens avec les milieux d’affaires, signent des contrats com­mer­ciaux et annoncent des pro­jets d’investissement. 

Des projets ambitieux

Pour conso­li­der son ancrage éco­no­mique dans la région, le Maroc a for­mu­lé, un mois après son retour au sein de l’OUA, une demande d’adhésion, en cours d’instruction, à la Com­mu­nau­té éco­no­mique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et a confir­mé en 2022 son adhé­sion à la Zone de libre-échange conti­nen­tale afri­caine (ZLE­CAf).

Le méga­pro­jet de gazo­duc Nige­ria-Maroc, d’un coût pré­vi­sion­nel de 25 mil­liards US$, contri­bue à l’ancrage du Maroc en Afrique. Le gazo­duc lon­ge­ra la côte ouest afri­caine depuis le Nige­ria, en pas­sant par onze pays de l’Afrique de l’Ouest. Il per­met­tra aus­si d’alimenter en gaz des pays encla­vés comme le Niger, le Mali et le Bur­ki­na Faso. Au Maroc, le gazo­duc sera relié au gazo­duc Magh­reb-Europe et aux réseaux de gaz européens.

En fai­sant de l’extension et de l’approfondis­sement des liens du Maroc avec son conti­nent un axe majeur, le roi Moham­med VI a créé un envi­ron­ne­ment pro­pice au déve­lop­pe­ment des entre­prises maro­caines en Afrique et au position­nement du pays comme hub régio­nal faci­li­tant, pour les entre­prises inter­na­tio­nales, l’accès aux mar­chés afri­cains grâce à sa posi­tion géos­tra­té­gique, aux nom­breux accords de libre-échange signés, à des infra­struc­tures modernes et à des ser­vices d’accompagne­ment aux stan­dards mon­diaux. 

Des exportations croissantes vers l’Afrique

Long­temps orien­té, qua­si exclu­si­ve­ment, vers le nord de la Médi­ter­ra­née et le mar­ché euro­péen, le regard des entre­prises maro­caines pointe désor­mais aus­si vers le sud. Alors que l’Europe reste la prin­ci­pale des­ti­na­tion des expor­ta­tions maro­caines (autour de 60 %), l’Afrique en a repré­sen­té 8 % en 2021. Si le pour­cen­tage peut paraître modeste, à l’instar du com­merce intra-afri­cain, les chiffres en valeur abso­lue sont plus signi­fi­ca­tifs et en croissance.

En 2021, les entre­prises maro­caines ont géné­ré près de 2,4 mil­liards d’euros (taux de change du 4 avril 2023) de reve­nus en Afrique. Parce que les entre­prises maro­caines qui exportent en Afrique sont encore en nombre limi­té, la part du conti­nent dans leur chiffre d’affaires est sub­stan­tielle. Les entre­prises maro­caines vendent en Afrique des engrais natu­rels et chi­miques, des pro­duits ali­men­taires de divers types, des médi­ca­ments et… des ser­vices informatiques.

Plus notable encore, le com­merce afri­cain est la seule com­po­sante excé­den­taire (560 mil­lions euros en 2021) dans une balance com­mer­ciale mar­quée par un défi­cit struc­tu­rel crois­sant. Signa­lons, au pas­sage, que l’adhésion du Maroc à la CEDEAO est ralen­tie par les craintes de cer­tains pays membres qui redoutent les consé­quences de l’activisme des entre­prises maro­caines pour les entre­prises locales. 

Le premier investisseur africain en Afrique

Parce que la grande majo­ri­té des grandes entre­prises maro­caines opèrent dans des métiers de ser­vices (banque ou télé­com­mu­ni­ca­tions) ou doivent pro­duire loca­le­ment (ciment, extrac­tion minière, grands pro­jets d’infra­structure), les inves­tis­se­ments directs sur le conti­nent afri­cain pro­jettent une image plus fidèle de l’activisme du Maroc. En Afrique, les grandes entre­prises maro­caines sont pré­sentes dans les sec­teurs de la banque, de l’assurance, des télé­com­mu­ni­ca­tions, de l’out­sour­cing, de la fabri­ca­tion d’engrais, de l’extraction minière, des tra­vaux publics et de la construc­tion, pour ne citer que les prin­ci­paux investissements. 

“Inciter les entreprises nationales à se développer sur leur continent et attirer des entreprises internationales intéressées par l’Afrique.”

Grâce au dyna­misme de ses entre­prises, le Maroc est ain­si deve­nu le pre­mier inves­tis­seur afri­cain en Afrique et devance désor­mais l’Afrique du Sud. Quelle est la ren­ta­bi­li­té de ces inves­tis­se­ments ? En l’absence d’une com­mu­ni­ca­tion finan­cière sur cette ques­tion, nous pou­vons expri­mer une opi­nion sur la base d’informations anec­do­tiques et d’échanges infor­mels avec des diri­geants d’entreprises marocaines. 

Glo­ba­le­ment, les entre­prises maro­caines semblent satis­faites du retour sur les inves­tis­se­ments afri­cains. Elles dis­posent d’atouts concur­ren­tiels, en com­pa­rai­son avec des mul­ti­na­tio­nales issues d’autres conti­nents. Elles jouissent d’une proxi­mi­té cultu­relle et s’engagent dans le déve­lop­pe­ment des pays et des ter­ri­toires où elles s’implantent. Elles savent opé­rer des modèles éco­no­miques fru­gaux. La pré­sence d’une dia­spo­ra maro­caine les aide à tis­ser des réseaux dans les pays de la région. Elles béné­fi­cient éga­le­ment des retom­bées posi­tives du dyna­misme diplo­ma­tique du Royaume. 

Le Maroc, porte d’entrée en Afrique

En plus d’inciter ses entre­pre­neurs et ses entre­prises à s’engager en Afrique, le Maroc pour­suit une stra­té­gie de hub régio­nal capable d’attirer des entre­prises inter­na­tio­nales inté­res­sées par les pos­si­bi­li­tés du conti­nent africain.

Le Royaume s’est doté d’un plan d’accélération indus­trielle (PAI) pour atti­rer et accom­pa­gner, sur les plans finan­cier, admi­nis­tra­tif et humain, les inves­tis­se­ments inter­na­tio­naux. Ce plan a per­mis de consti­tuer des éco­sys­tèmes indus­triels, notam­ment dans l’automobile et l’aéronautique, qui contri­buent au déve­lop­pe­ment du Made in Moroc­co et per­mettent au pays de ren­for­cer la part des pro­duits manu­fac­tu­rés dans ses expor­ta­tions, dont une par­tie est des­ti­née aux mar­chés africains.

Pour accom­pa­gner le déve­lop­pe­ment d’éco­systèmes indus­triels, des échanges exté­rieurs qu’ils entraînent, et valo­ri­ser sa posi­tion géo­gra­phique unique, le Maroc s’est en outre doté d’une stra­té­gie por­tuaire ambi­tieuse à l’horizon de 2030. Une dou­zaine de ports, sur les deux façades mari­times du pays, ont été ou sont en cours de mise à l’échelle inter­na­tio­nale. 

Maroc : Aéroport international de Marrakech Menara.
Maroc : Aéro­port inter­na­tio­nal de Mar­ra­kech Menara.

Un hub régional 

Le Maroc dis­pose d’un réseau de com­mu­ni­ca­tions et de trans­mis­sion de don­nées de classe mon­diale. La construc­tion d’autoroutes et l’extension du réseau de trains à grande vitesse (TGV) contri­buent à faire du Maroc un pays où les entre­prises, natio­nales et inter­na­tio­nales, opèrent dans un envi­ron­ne­ment favo­rable et peuvent concen­trer leurs efforts sur leur cœur de métier. Au niveau des ser­vices aux entre­prises, il convient de sou­li­gner deux volets impor­tants de la stra­té­gie Maroc hub régio­nal : les liai­sons aériennes mises en place par la Royal Air Maroc (RAM) et la pla­te­forme Casa­blan­ca Finance City (CFC). Pour accom­pa­gner la stra­té­gie afri­caine du Maroc, la RAM a fait de l’aéroport de Casa­blan­ca un hub régio­nal relié à une tren­taine de des­ti­na­tions afri­caines et per­met ain­si des dépla­ce­ments pro­fes­sion­nels sur le conti­nent sans pas­ser par Paris ou Londres.

Inau­gu­rée en 2010, Casa­blan­ca Finance City est une pla­te­forme régio­nale ayant pour mis­sion d’attirer des entre­prises inter­nationales au Maroc et en Afrique. Pour deve­nir membre de CFC, les entre­prises inter­na­tio­nales doivent répondre à un cahier des charges et béné­fi­cient, en contre­par­tie, de condi­tions logis­tiques et fis­cales favo­rables. À titre d’exemple, le groupe Orange a déci­dé de loger le siège de la région EMEA (Europe Middle East and Afri­ca) à CFC. Avec 200 entre­prises membres qui opèrent dans 50 pays afri­cains, CFC est le pre­mier centre finan­cier en Afrique et le qua­trième dans la région MENA (Middle East and North Afri­ca). 

Transformer l’essai et changer d’échelle

Inci­ter les entre­prises natio­nales à se déve­lop­per sur leur conti­nent et atti­rer des entre­prises inter­nationales inté­res­sées par l’Afrique sont les deux axes de l’émergence du Maroc comme puis­sance éco­no­mique régio­nale. Obser­va­teur des entre­prises maro­caines depuis quelques décen­nies, je constate que leurs diri­geants ont inter­na­li­sé l’Afrique dans leur réfé­ren­tiel men­tal et intègrent spon­ta­né­ment le conti­nent dans leurs cal­culs stratégiques.

Alors que les ini­tia­tives des entre­prises maro­caines, sur les fronts des expor­ta­tions et les inves­tis­se­ments, sont en crois­sance et pro­duisent des résul­tats satis­fai­sants, ils res­tent encore modestes et doivent être inten­si­fiés. Pour cela, il fau­drait que les entre­prises maro­caines changent d’échelle et s’engagent en Afrique sur des pro­jets indus­triels ou d’infrastructures plus ambi­tieux et plus ris­qués, afin de cap­ter une plus grande part de la demande glo­bale afri­caine et des 2,5 tril­lions de dol­lars US de dépenses de consom­ma­tion du conti­nent pré­vues en 2030. Pour chan­ger d’échelle en Afrique, les entre­prises maro­caines doivent mettre en place une approche inté­grée et com­plé­ter leurs offres com­mer­ciales par des dis­po­si­tifs de finan­ce­ment, d’assistance tech­nique, de troc, etc. Les pays qui percent en Afrique pro­posent des solu­tions glo­bales. Le Maroc doit faire de même.

Les entre­prises maro­caines pour­raient aus­si for­mer des alliances et des joint ven­tures avec des groupes occi­den­taux et asia­tiques capables d’apporter des tech­no­lo­gies de pointe et de mobi­li­ser des finan­ce­ments sur les mar­chés inter­na­tio­naux. Les entre­prises maro­caines appor­te­raient, elles, la connais­sance du conti­nent afri­cain, une proxi­mi­té cultu­relle et poli­tique, une capa­ci­té d’opérer des modèles éco­no­miques fru­gaux et des res­sources humaines de qua­li­té. 


En cou­ver­ture : Vue de la zone Casa Anfa accueillant des rési­dences haut de gamme et un quar­tier d’affaires.

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