Conçu par les architectes Ricardo Bofill et Elie Mouyal, le campus UM6P se trouve au cœur de la Ville verte de Ben Guerir, près de Marrakech.

Le projet Université Mohammed VI Polytechnique

Dossier : Le MarocMagazine N°788 Octobre 2023
Par Hicham EL HABTI (X98)

L’Université Mohammed VI Poly­tech­nique est une réus­site fondée avec le sou­tien de l’OCP, le groupe maro­cain présent aujourd’hui sur l’ensemble de la chaîne de valeur des engrais. Au-delà de for­mer les futurs élites maro­caines, l’université aspire à con­tribuer au développe­ment de l’Afrique, en val­orisant l’une ses prin­ci­pales richess­es : sa jeunesse. Elle se situe aux plus hauts stan­dards internationaux.

L’histoire de l’Université Mohammed VI Poly­tech­nique (UM6P), c’est d’abord celle d’un Maroc qui prend con­science de l’ampleur des défis qui l’unissent à son con­ti­nent. Les obser­va­teurs l’ont bien noté : en 2016, le retour du pays dans l’Union africaine ne s’est pas fait seule­ment par les mots, mais aus­si à tra­vers des investisse­ments con­séquents dans l’essor du continent.

L’Afrique entre défis et opportunités

Aujourd’hui, dans son développe­ment, l’Afrique est con­fron­tée à un dou­ble dilemme. D’un côté, elle est soumise aux soubre­sauts du monde, que ce soit la pandémie de Covid-19 ou les con­séquences de la guerre en Ukraine qui impactent notre sécu­rité ali­men­taire. Ces événe­ments nous rap­pel­lent de manière per­cu­tante que les Africains doivent pren­dre en main leur des­tin. D’un autre côté, l’Afrique est sans aucun doute le con­ti­nent des poten­tial­ités par excellence.

Dif­fi­cile de par­ler de sécu­rité ali­men­taire en omet­tant le fait que l’Afrique détient plus de 60 % des ter­res arables au monde. Ce poten­tiel, c’est aus­si une pop­u­la­tion à 60 % âgée de moins de 25 ans, avec tout ce que cela implique en ter­mes de cap­i­tal humain. Et, bien qu’il y ait encore du chemin à par­courir con­cer­nant les infra­struc­tures du con­ti­nent, le fait que la péné­tra­tion numérique ait déjà dépassé les 40 % en Afrique per­met d’imaginer toute une économie du savoir fondée sur les nou­velles tech­nolo­gies. Juste­ment, cette économie du savoir ne peut se con­cré­tis­er sans un engage­ment robuste pour la recherche et l’innovation, au ser­vice d’un développe­ment durable et sou­verain en Afrique.

Une création unique en son genre

En tant qu’institution académique, l’Université Mohammed VI Poly­tech­nique (UM6P) n’a rien de typ­ique. Ne serait-ce que dans la nature de l’opérateur économique auquel elle doit son exis­tence. Le Maroc détient plus de 70 % des réserves mon­di­ales de phos­phate, une richesse nationale gérée et exploitée depuis plus de cent ans par le groupe OCP.

Durant un cen­te­naire, OCP a pu val­oris­er cette ressource en dévelop­pant une chaîne de valeur qui mobilise désor­mais toute une panoplie de par­ties prenantes en Afrique. Car le phos­phate, c’est aus­si une com­posante prin­ci­pale des engrais phos­phatés, néces­saires à l’impulsion d’une pro­duc­tion agri­cole en phase avec les besoins gran­dis­sants du con­ti­nent. La val­ori­sa­tion du phos­phate n’aurait pas pu aboutir sans l’investissement soutenu du groupe OCP dans la R&D. Ayant per­mis à OCP de devenir leader mon­di­al des engrais, cette même R&D se devait de pren­dre son envol en vue d’encore plus de val­ori­sa­tion. C’est alors qu’est née l’UM6P, uni­ver­sité de recherche inau­gurée en 2017 grâce au sou­tien financier de la Fon­da­tion OCP.


Lire aus­si : La trans­for­ma­tion de l’OCP : les ver­tus de l’esperluette et d’une pen­sée inaboutie


Témoignage : Anas Lahlou (X88), ex-directeur des partenariats — UM6P

Après une longue expéri­ence au sein du groupe OCP, j’ai rejoint UM6P en 2018 pour lancer son pro­gramme de parte­nar­i­at ain­si que son pre­mier porte­feuille de recherche. En 2020, à trois ans de la retraite, j’ai démar­ré une thèse en économie envi­ron­nemen­tale. Cette thèse en fin de car­rière est pour moi l’occasion de matéri­alis­er plusieurs idées de poli­tique indus­trielle que j’ai dévelop­pées lors de mon pas­sage dans l’industrie. Elle a été pos­si­ble grâce à l’existence d’une uni­ver­sité qui offre à la fois un envi­ron­nement de recherche de qual­ité et une inter­ac­tion avec le monde industriel. 

Plus qu’une université, un écosystème 

L’UM6P trou­ve ses racines dans un parte­nar­i­at avec un leader indus­triel maro­cain, ce qui a naturelle­ment ori­en­té les sujets de sa pre­mière pro­duc­tion intel­lectuelle : agri­cul­ture, dura­bil­ité, tech­nolo­gie et exploita­tion minière. Mais, en tant qu’université maro­caine, l’UM6P trou­ve aus­si ses racines dans une Afrique aux défis mul­ti­ples : édu­cat­ifs, économiques, démo­graphiques, soci­aux, tech­nologiques ou liés à la gouvernance.

À l’UM6P, nous avons rapi­de­ment réal­isé que ces deux appar­te­nances ne sont pas mutuelle­ment exclu­sives, mais se com­plè­tent par­faite­ment ; une optique win-win qui a per­mis à notre uni­ver­sité de dévelop­per un mod­èle qui con­cilie les deux besoins. Notre raison­nement en la matière fut sim­ple : en devenant une uni­ver­sité à part entière, l’UM6P s’est fixé comme mis­sion de répon­dre aux besoins en édu­ca­tion, recherche & inno­va­tion du Maroc et de l’Afrique – y com­pris ceux de notre prin­ci­pal parte­naire indus­triel. Forte du sou­tien de ce dernier, l’UM6P a aus­si instau­ré une présence physique ancrée dans les soucis africains de développe­ment durable.

Un ancrage territorial

Notre cam­pus prin­ci­pal est situé au sein de la Ville verte de Ben Guerir, une smart city opérant selon les principes fon­da­men­taux de l’économie cir­cu­laire. Les normes de cette cir­cu­lar­ité ne sont donc pas reflétées seule­ment dans notre pro­duc­tion sci­en­tifique, mais aus­si et surtout dans notre mode opéra­toire en tant qu’institution académique. Con­nue pour être une ville minière et agri­cole, Ben Guerir est l’environnement idéal pour le développe­ment de solu­tions adap­tées aux besoins nationaux et con­ti­nen­taux. Par la même logique, la cap­i­tale Rabat fut un choix naturel pour établir la Fac­ulté de gou­ver­nance, de sci­ences économiques et sociales de l’UM6P. Idem pour notre Insti­tut africain de recherche en agri­cul­ture durable, basé au Sahara maro­cain et spé­cial­isé dans les prob­lé­ma­tiques agri­coles des cli­mats arides.

Pour l’UM6P, cette diver­sité dans l’implantation n’est pas que géo­graphique. Elle vise surtout à cou­vrir les thé­ma­tiques de développe­ment africain dans leur mul­ti­tude et leur com­plex­ité. En adap­tant son offre académique aux régions qui accueil­lent sa présence, l’UM6P témoigne à chaque fois d’une forte ambi­tion de con­tribuer pos­i­tive­ment aux dynamiques qui les ani­ment. Aujourd’hui, cette con­tri­bu­tion de l’UM6P se fait à tra­vers trois activ­ités prin­ci­pales : l’éducation, la recherche appliquée et l’innovation. Là encore, notre uni­ver­sité a fer­me­ment tenu à rester proche de ses racines dans l’élaboration des besoins, tout en se per­me­t­tant d’innover en ter­mes de solu­tions. Au Maroc comme en Afrique, les uni­ver­sités ne peu­vent plus se per­me­t­tre de copi­er des mod­èles étrangers, aus­si pres­tigieux soient-ils.

Témoignage : Driss Lahlou Kitane (X03), Start-up Ground Truth Analytics et Photons Analysis – UM6P 

L’UM6P vise à se posi­tion­ner forte­ment dans le domaine de l’agtech, notam­ment en Afrique, en s’appuyant d’une part sur l’intelligence arti­fi­cielle qui a ouvert d’énormes pos­si­bil­ités pour une agri­cul­ture raison­née et per­for­mante, et sur l’apprentissage machine qui a per­mis le développe­ment de nom­breux ser­vices à des­ti­na­tion des agricul­teurs, indus­triels et agences publiques. C’est dans ce con­texte que j’ai pu par­ticiper au lance­ment de deux start-up. 

La pre­mière, Ground Truth Ana­lyt­ics, développe des plate­formes qui com­bi­nent des don­nées de ter­rain avec l’imagerie satel­li­taire, afin de les analyser en s’appuyant sur des algo­rithmes de machine learn­ing et des réseaux de neu­rones. Nos clients publics utilisent notre tech­nolo­gie afin d’estimer la sur­face cul­tivée par type de cul­ture, prédire les ren­de­ments et la pro­duc­tion agrégée, faire de la veille phy­tosan­i­taire, ou encore ils s’appuient sur les cartes que nous générons pour assainir le cadas­tre agri­cole ou ori­en­ter la con­struc­tion d’infrastructures. D’autres clients utilisent notre tech­nolo­gie à des fins plus com­mer­ciales, telles que l’adaptation de l’offre pro­duit et de ser­vices fondés sur les infor­ma­tions et recom­man­da­tions générées par nos algo­rithmes. L’analyse d’images satel­li­taires, qui sont par­fois rafraîchies quo­ti­di­en­nement, rem­place de plus en plus les enquêtes de ter­rain qui sont le plus sou­vent non exhaus­tives, impré­cis­es, coû­teuses et chronophages. 

La deux­ième start-up, Pho­tons Analy­sis, développe une tech­nolo­gie d’analyse rapi­de et sans réac­t­if de la fer­til­ité des sols. La com­po­si­tion chim­ique est don­née là encore grâce à un algo­rithme de machine learn­ing qui analyse le spec­tre lumineux d’un plas­ma généré à la sur­face d’un échan­til­lon de sol, pour don­ner la com­po­si­tion en quelques min­utes ; là où l’analyse « clas­sique » en lab­o­ra­toire dure plus de huit heures et con­somme une grande quan­tité de pro­duits chimiques. 

La relève d’abord

Ani­mée d’ambition et d’énergie, la jeunesse de l’Afrique est une com­posante néces­saire à l’implantation de tout mod­èle de développe­ment pro­pre au con­ti­nent. Si la vision des sphères de développe­ment inter­na­tion­al reste scep­tique par rap­port au rythme de la crois­sance démo­graphique du con­ti­nent, nous choi­sis­sons à l’UM6P de voir en cette jeunesse une source inépuis­able de tal­ents et de créativité.

Les 60 % d’Africains âgés de moins de 25 ans ont gran­di à l’ère du numérique. Les instru­ire, c’est aus­si réalis­er qu’ils ont un rap­port à l’information plus sophis­tiqué que les généra­tions précé­dentes. Par con­séquent, notre philoso­phie d’apprentissage à l’UM6P porte bien son nom : learn­ing by doing. En inté­grant l’UM6P, l’étudiant est très vite exposé à une infra­struc­ture à échelle réelle lui per­me­t­tant d’appliquer toutes sortes de notions à tra­vers des liv­ing labs indus­triels, agri­coles ou tech­nologiques. Décou­vrir et expéri­menter le savoir, au-delà de la théorie, per­met à l’apprenant de se l’approprier une fois pour toutes. Ça sert aus­si à cela, un écosys­tème en bonne et due forme.

Mais qui est cette jeunesse dont on par­le, en fin de compte ? À l’UM6P, notre mis­sion à cet égard est de refléter les valeurs d’excellence, de diver­sité et de mix­ité sociale néces­saires pour dévelop­per non seule­ment la com­pé­tence, mais aus­si la société inclu­sive de demain. Certes, le poten­tiel académique est notre con­di­tion de base d’admission. Au-delà, il s’agit aus­si de don­ner la chance aux jeunes, toutes orig­ines con­fon­dues, de réalis­er ce poten­tiel. 80 % de nos étu­di­ants béné­fi­cient de bours­es com­plètes ou par­tielles. Et, dans un con­ti­nent où même pas 30 % des écol­ières arrivent à finir le lycée, nous tenons à rec­ti­fi­er le tir en main­tenant une pop­u­la­tion estu­di­antine à plus de 53 % féminine.

Témoignage : Younes Kchia (X05), vice-doyen de l’Africa Business School – UM6P

L’Africa Busi­ness School, dédiée prin­ci­pale­ment à l’Executive Edu­ca­tion, est née du besoin d’accompagner la trans­for­ma­tion de l’OCP et con­tribue aujourd’hui à faire du groupe une organ­i­sa­tion apprenante. L’ABS pro­pose désor­mais une offre sur mesure aux entre­pris­es au Maroc et en Afrique, ain­si qu’un cat­a­logue sur étagère pour tout apprenant. Pour cela, l’Africa Busi­ness School s’est d’emblée artic­ulée autour de trois piliers : recherche – advi­so­ry – learn­ing , qu’elle met au ser­vice de la trans­for­ma­tion. Ce trip­tyque, que l’on nomme R‑A-L en interne, est le fruit d’une ambi­tion : ren­forcer les liens entre les savoirs req­uis par les organ­i­sa­tions, les savoirs pro­duits par l’école et les savoirs enseignés au sein de l’école.

La com­plex­ité des trans­for­ma­tions des entre­pris­es néces­si­tant l’usage simul­tané de grilles d’analyse dif­férentes, voire par­fois para­doxales, notre iden­tité s’inscrit forte­ment dans la créa­tion d’un envi­ron­nement péd­a­gogique hybride, alliant qual­i­tatif et quan­ti­tatif. À titre d’exemple, nous avons lancé cette année la chaire « com­plex­ités et human­ités » et fig­ure par­mi nos pro­grammes l’Executive Diplo­ma in Finan­cial Engi­neer­ing and Oper­a­tions Research for Indus­try, en parte­nar­i­at juste­ment avec l’École polytechnique. 

Une matière grise à l’œuvre

Dans leur quête de solu­tions sci­en­tifiques aux dif­férentes prob­lé­ma­tiques de développe­ment en Afrique, les chercheurs de l’UM6P sont équipés de lab­o­ra­toires aux stan­dards inter­na­tionaux, mais pas seule­ment. L’utilité même de leurs théories trou­ve un ter­rain fer­tile d’expérimentation et de val­i­da­tion dans l’écosystème qui les entoure. Un référence­ment académique et des brevets, c’est bien. Leur con­créti­sa­tion dans l’environnement direct de l’université, c’est encore mieux. Par exem­ple, la ferme expéri­men­tale de l’UM6P n’a rien d’une minia­ture. C’est bel et bien une ferme en bonne et due forme, avec une pro­duc­tion agri­cole régulière, où l’expérimentation sci­en­tifique est con­duite selon le besoin. De même pour notre mine expérimentale.

Témoignage : Nicolas Cheimanoff (X81), directeur de l’EMINES – School of Industrial Management – UM6P

Le pro­jet « Uni­ver­sité Mohammed VI Poly­tech­nique » por­tait dès son orig­ine l’ambition forte de devenir l’université de référence en Afrique, dis­po­sait de moyens con­séquents grâce au sou­tien du groupe OCP SA et offrait la pos­si­bil­ité, par­ti­c­ulière­ment pré­cieuse pour un pro­fesseur de l’enseignement supérieur, de rem­plir une page blanche péd­a­gogique, dans le but de créer un mod­èle de for­ma­tion sur mesure capa­ble de s’enrichir des meilleures expéri­ences internationales. 

J’ai eu ain­si, après près de trente années passées à l’École des mines de Paris, dans la recherche, l’enseignement et la coopéra­tion inter­na­tionale, la pos­si­bil­ité de met­tre en œuvre à l’UM6P, et plus par­ti­c­ulière­ment au sein de son pre­mier étab­lisse­ment l’école d’ingénieur de l’EMINES School of Indus­tri­al Man­age­ment, un mod­èle de for­ma­tion con­ciliant les péd­a­go­gies hypothéti­co-déduc­tives, chères aux for­ma­tions sci­en­tifiques français­es, et des péd­a­go­gies résol­u­ment induc­tives dans l’esprit de « la main à la pâte », dans des domaines aus­si var­iés que l’économie, la physique expéri­men­tale, la robo­t­ique ou encore le man­age­ment de grands pro­jets indus­triels. J’ai pu aus­si appuy­er ces développe­ments sur des parte­nar­i­ats ambitieux, par­mi lesquels une chaire de recherche et d’enseignement en data sci­ences et proces­sus indus­triels portée par mon cama­rade de pro­mo­tion, Éric Moulines, pro­fesseur à l’École polytechnique. 

Les résul­tats après bien­tôt dix ans d’existence de l’école : des enseignants de toutes nation­al­ités heureux de tester de nou­velles péd­a­go­gies, des étu­di­ants épanouis, dis­posant d’une base math­é­ma­tiques très solide, mais pou­vant aus­si déploy­er d’autres com­pé­tences au long de leur cur­sus, et des diplômés qui ont con­quis le marché nation­al et dont une part a eu le choix de s’exporter avec bon­heur sur le con­ti­nent et en Europe. 

Une forte valeur ajoutée

Com­prenant étu­di­ants, diplômés, chercheurs, investis­seurs et pou­voirs publics, les écosys­tèmes de l’UM6P sont un champ prop­ice à l’accompagnement des pro­jets à forte valeur ajoutée. C’est exacte­ment la mis­sion de Start­Gate, notre cam­pus de start-up situé à Ben Guerir et béné­fi­ciant de la prox­im­ité stratégique d’une recherche testée dans plusieurs domaines. Car, après avoir instru­it les généra­tions futures et trou­vé la réponse aux mul­ti­ples défis de développe­ment, quoi de mieux que de réin­ve­stir cet arse­nal cog­ni­tif au ser­vice de la crois­sance régionale, nationale et con­ti­nen­tale ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que le cer­cle vertueux de la créa­tion de valeur y trou­vera une fin heureuse.


Pour en savoir plus : https://um6p.ma/

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