Quelle “ géographie ” structure l’économie numérique ?

Dossier : Libres proposMagazine N°591 Janvier 2004
Par René MANDEL (61)

Structures de l’économie matérielle

La géographie structure l’économie matérielle

Dans une économie tra­di­tion­nelle, les trans­for­ma­tions matérielles ont un coût directe­ment lié à la prox­im­ité des gise­ments de matières pre­mières, à la com­bi­nai­son opti­male de plusieurs ressources à prix com­péti­tif, aux facil­ités de trans­port, à la disponi­bil­ité, sur site, de main-d’œu­vre qualifiée.

Jusqu’à épuise­ment du gise­ment, ou rup­ture tech­nologique, cette géo­gra­phie naturelle est le nid du développe­ment : et de nom­breux faits his­toriques illus­trent cette règle prim­i­tive, depuis l’an­tiq­ui­té, jusqu’à notre époque :

  • sta­bil­ité de la civil­i­sa­tion égyp­ti­enne, fondée sur le régime saison­nier du Nil,
  • décou­verte du Nou­veau Monde par la recherche d’une alter­na­tive à la route de la soie,
  • implan­ta­tion des indus­tries dans les bassins miniers,
  • développe­ment de la pétrochimie dans les ports.


Alors que la fab­ri­ca­tion de ” l’of­fre ” de marchan­dis­es, de pro­duits finis, est ain­si naturelle­ment local­isée, il en va de même pour la ” demande “.

Les pre­mières civil­i­sa­tions fonc­tion­naient en autar­cie, offre et deman­des’équili­brant, mais, avec la con­tin­uelle exten­sion des échanges, la local­i­sa­tion de la ” demande ” appa­raît tout aus­si déter­mi­nante, car le pou­voir d’achat appelle les affaires.

Le tissu économique reflète les particularités technologiques

La géo­gra­phie, fonde­ment de l’é­conomie, est exploitée en util­isant la tech­nolo­gie de l’époque. La tech­nolo­gie a tou­jours été le moteur du développe­ment. Elle a per­mis de pass­er du stade de la cueil­lette à celui de la cul­ture. Et elle a été le fer­ment de la civil­i­sa­tion indus­trielle : extraire des matières pre­mières de plus en plus dif­fi­ciles d’ac­cès, pro­duire de l’aci­er en quan­tité et qual­ité, dif­fuser de l’én­ergie à bas prix, mul­ti­pli­er les indus­tries de transformation…

Cepen­dant, si la tech­nolo­gie a provo­qué des révo­lu­tions en boulever­sant les modes de vie et de pro­duc­tion (par exem­ple : la ” fée élec­tric­ité ” immor­tal­isée par Raoul Dufy), elle a imposé ses par­tic­u­lar­ités. Ain­si, la taille de cer­tains investisse­ments est-elle incon­tourn­able : des hauts fourneaux qui inci­tent au gigan­tisme, de la recherche pétrolière, de la recherche phar­ma­ceu­tique, acces­si­bles seule­ment à un petit nom­bre de multinationales.

Le poids économique des réseaux est aus­si une car­ac­téris­tique majeure, pour le trans­port de l’én­ergie (élec­tric­ité, gaz), de l’eau, les télé­com­mu­ni­ca­tions, les trans­ports routi­er et ferroviaire.

Chaque nou­velle fil­ière tech­nologique a provo­qué l’ap­pari­tion de nou­veaux métiers, eux-mêmes gar­di­ens de règles du jeu, motivées par des impérat­ifs de sécu­rité, de con­trôle de la qual­ité et de ” chas­se gardée ” économique.

S’est ain­si créé un tis­su économique, d’abord local, rur­al, puis à l’échelle d’une nation, et de plus en plus international.

Une ” compt­abil­ité nationale ” décrit ce tis­su et retrace les échanges interindus­triels, analyse la pro­duc­tion intérieure, au tra­vers de nomen­cla­tures d’ac­tiv­ités économiques représen­ta­tives de notre époque et de l’usage que nous faisons des technologies.

Jusqu’à présent, bien qu’elle ait forte­ment évolué en quelques généra­tions, avec en par­ti­c­uli­er la mar­gin­al­i­sa­tion du monde agri­cole, l’or­gan­i­sa­tion du tis­su économique a été sta­ble, et a pro­gressé dans un cadre adap­té aux tech­nolo­gies dom­i­nantes (énergie, chimie, sidérurgie, indus­trie auto­mo­bile, aéro­nau­tique, transport).

Un modèle bousculé par plusieurs évolutions

Ce sont là évi­dences. Pour­tant, con­cer­nant les tech­nolo­gies émer­gentes, les acteurs poli­tiques, soci­aux, voire économiques, n’ont pas tou­jours poussé l’analyse suff­isam­ment pour faire les bons paris. En effet, la géo­gra­phie est d’une ras­sur­ante sta­bil­ité. Et la recette économique qui a fonc­tion­né ne sem­ble pas, en pre­mière analyse, devoir être remise en cause. La ” poli­tique indus­trielle ” a sou­vent été l’ex­pres­sion de cette continuité.

En réal­ité, si la géo­gra­phie demeure, les évo­lu­tions tech­nologiques dépla­cent les enjeux : la local­i­sa­tion, les dis­tances inter­vi­en­nent à une autre échelle, et autrement. Résis­ter, lut­ter à con­tre-courant ne fait qu’ac­célér­er l’inéluctable.

Les ” transferts de charge ” sur les ressources du numérique

Cha­cun est con­scient d’être dans un monde en muta­tion rapi­de. Mais ces évo­lu­tions sont com­plex­es, et impliquent des tech­nolo­gies de plus en plus sophis­tiquées, mul­ti­formes, émergentes.

L’ex­pli­ca­tion prin­ci­pale des évo­lu­tions actuelles provient de l’in­tru­sion général­isée des tech­nolo­gies numériques dans la vie quo­ti­di­enne, et au sein de la plu­part des proces­sus pro­duc­tifs, et comme com­posante de presta­tions immatérielles.

On peut car­ac­téris­er ces évo­lu­tions par un ” trans­fert de charge ” sur les ressources numériques. His­torique­ment, le pre­mier trans­fert a été d’u­tilis­er des ordi­na­teurs pour amélior­er la pro­duc­tiv­ité de travaux admin­is­trat­ifs répéti­tifs : la tech­nolo­gie se sub­sti­tu­ait à de la ressource humaine pro­duc­tive. D’autres formes de trans­fert se sont dévelop­pées, par exem­ple pour faciliter la vie du client, en lui four­nissant des presta­tions adap­tées, des capac­ités de recherche, la rapid­ité, la traça­bil­ité… le client a vu ain­si sa pro­pre charge dimin­uer, au prix d’une plus forte mobil­i­sa­tion de ressources informatiques.

Il n’ex­iste guère de domaine qui ne soit con­cerné par de tels trans­ferts : même les proces­sus pro­duc­tifs les plus ” lourds ” sont l’ob­jet d’au­toma­ti­sa­tions, qui améliorent qual­ité et délai, et élim­i­nent les postes de tra­vail peu qualifiés.

Ain­si, la struc­ture de coût des pro­duits et ser­vices se trans­forme-t-elle, les tech­nolo­gies numériques se sub­sti­tu­ant aux fac­teurs de pro­duc­tion tra­di­tion­nels, ou appor­tant une valeur ajoutée sup­plé­men­taire. Cette muta­tion est sou­vent cachée, car elle peut se faire sans sur­coût : l’évo­lu­tion tech­nologique très rapi­de per­met d’amélior­er les ser­vices ren­dus grâce aux per­for­mances accrues des processus.

Une mutation profonde

Non seule­ment la struc­ture de coût est mod­i­fiée, mais, plus fon­da­men­tale­ment, de nou­veaux apports de valeur sont pos­si­bles : les opéra­teurs économiques cherchent à se dif­féren­tier par le ser­vice, par une meilleure con­nais­sance, des presta­tions mieux adap­tées, util­isant au mieux les infor­ma­tions disponibles. 

Les sys­tèmes d’in­for­ma­tion sont à la base des ser­vices pro­posés, des échanges com­mer­ci­aux, financiers et administratifs.

Ces trans­for­ma­tions sont pro­fondes et con­cer­nent le con­tenu même des pro­duits et ser­vices échangés.

Elles mod­i­fient aus­si les modes de fonc­tion­nement internes des opéra­teurs économiques :

  • dans le secteur des ser­vices (insti­tu­tions finan­cières, assur­ances, caiss­es de retraite, admin­is­tra­tions publiques…) les organ­i­sa­tions tra­di­tion­nelles n’ont plus de rai­son d’être, car leur logique était d’op­ti­miser des traite­ments de masse main­tenant automatisés ;
  • dans les autres secteurs, l’in­for­ma­tique et les télé­com­mu­ni­ca­tions sous toutes leurs formes appor­tent réduc­tion des stocks, des délais, opti­mi­sa­tion des trans­ports, traça­bil­ité, maîtrise de la qual­ité, diver­si­fi­ca­tion des proces­sus pro­duc­tifs… avec les con­séquences inélucta­bles sur les postes de travail.


Enfin, ces tech­nolo­gies mod­i­fient pro­gres­sive­ment, et irrémé­di­a­ble­ment, le partage des rôles entre les agents économiques.

Par exem­ple, il est économique pour une entre­prise de deman­der à son four­nisseur de gér­er des infor­ma­tions qui la con­cer­nent1, plutôt que de devoir recréer cette ges­tion en interne.

Le principe est d’aller chercher le ser­vice là où il peut être réal­isé à moin­dre coût, dans un jeu ” gagnant-gagnant “.

Ce pre­mier exem­ple cor­re­spond à une mise en com­mun du ” pat­ri­moine ” sys­tème d’in­for­ma­tion le long d’une chaîne pro­duc­tive : client et four­nisseur, con­tribuant à un apport de valeur, opti­misant leur con­tri­bu­tion en util­isant au mieux les infor­ma­tions créées, et en dépas­sant les com­porte­ments autar­ciques contre-productifs.

Une autre forme de redis­tri­b­u­tion des rôles, plus clas­sique, est ren­due sys­té­ma­tique par les facil­ités tech­nologiques. Elle est d’aller chercher à l’ex­térieur les pro­duits et presta­tions qui peu­vent être réal­isés dans de meilleures con­di­tions : économies d’échelle, délo­cal­i­sa­tion, masse cri­tique de con­cen­tra­tion de la com­pé­tence… Ce sont les logiques d’ex­ter­nal­i­sa­tion, qui cor­re­spon­dent à une meilleure organ­i­sa­tion glob­ale du tis­su économique.

Cette ” réingénierie ” de l’é­conomie elle-même dépasse large­ment les fron­tières. Là encore la tech­nolo­gie, et en par­ti­c­uli­er l’of­fre des réseaux Inter­net, dont le coût est indépen­dant de la dis­tance2, a un rôle majeur, his­torique, dans la redis­tri­b­u­tion des activ­ités économiques, et, en fait, des compétences.

De ce point de vue, les bar­rières douanières, les par­tic­u­lar­ismes fis­caux, les dis­par­ités de coût du tra­vail sont dérisoires. Car, glob­al­i­sa­tion, mon­di­al­i­sa­tion, déré­gle­men­ta­tion sont des con­séquences de la nou­velle donne tech­nologique, qui voit l’im­por­tance de la ” matière ” décroître dans tous les secteurs, et les dis­tances tem­porelles et géo­graphiques se réduire, au point de mod­i­fi­er com­plète­ment les espaces économiques.

Un monde technologique en mouvement rapide

Une telle révo­lu­tion tech­nologique n’est pas une pre­mière dans l’his­toire de l’hu­man­ité. La nou­veauté porte plutôt sur la vitesse, et cette accéléra­tion explique les phas­es d’emballement et de désil­lu­sion qui nous caractérisent.

La définition des standards technologiques : accélération des accords autour de ” dialectes ” XML

Dans un monde tech­nologique com­plexe, les normes et stan­dards ont un rôle majeur. De fait, aux pre­mières épo­ques de l’in­for­ma­tique, les grands con­struc­teurs avaient imposé leurs pro­pres stan­dards, ren­dant leurs clients cap­tifs et con­traints à acheter éter­nelle­ment toutes les évo­lu­tions tech­niques dans une coû­teuse fuite en avant.

Se sont ain­si dévelop­pés des ” mon­des ” cloi­son­nés, cohérents mais exclusifs : le ” monde IBM ” par exemple.

Cepen­dant quelques normes, comme le lan­gage COBOL, se sont imposées auprès des con­struc­teurs. Puis, avec l’ex­ten­sion des matériels et logi­ciels, l’ou­ver­ture de réseaux de trans­mis­sion de don­nées, il est devenu impératif d’or­gan­is­er l’in­ter­fonc­tion­nement des divers­es archi­tec­tures tech­niques (serveurs, ter­minaux, con­cen­tra­teurs, équipements réseau). Des normes de ” mid­dle­ware ” ont alors vu le jour.

De même la dématéri­al­i­sa­tion des échanges admin­is­trat­ifs et com­mer­ci­aux a néces­sité la déf­i­ni­tion de normes pour les échanges élec­tron­iques (EDI).

Ces proces­sus de nor­mal­i­sa­tion ont été extrême­ment lents et lourds, se déroulant sur plusieurs années, et objets de luttes au sein des dif­férents organes de nor­mal­i­sa­tion ou entre organes normalisateurs.

Avec la mat­u­ra­tion des tech­nolo­gies ” Web “, c’est-à-dire des tech­nolo­gies qui ont per­mis l’ex­ten­sion ful­gu­rante du Net, ces proces­sus tra­di­tion­nels sont totale­ment remis en cause.

Et, depuis le début du mil­lé­naire, un con­sen­sus s’est dégagé autour du lan­gage XML, comme brique de base des divers­es normes en cours de déf­i­ni­tion par les prin­ci­paux acteurs de ces technologies.

De quoi s’agit-il ?

XML est une syn­taxe, assez sim­ple, et proche de celle d’un lan­gage de pro­gram­ma­tion. À par­tir de cette syn­taxe, il est pos­si­ble de définir des ” dialectes “, qui auront un rôle spé­ci­fique, et utilisent, au-delà de la syn­taxe com­mune, une séman­tique par­ti­c­ulière. Ain­si les mul­ti­ples normes néces­saires (échang­er des don­nées numériques, les affich­er sur divers médias, accéder à tel ou tel com­posant logi­ciel, réper­to­ri­er les util­isa­teurs, sécuris­er, exé­cuter des proces­sus) sont-elles l’ob­jet de déf­i­ni­tion d’un dialecte XML.

La puis­sance d’XML est de fédér­er toutes les normes, et de ratio­nalis­er l’in­dus­tri­al­i­sa­tion des com­posants néces­saires aux ” ser­vices Web “. Par exem­ple, tout sys­tème de base, que ce soit dans un PC, un télé­phone portable, un organ­isa­teur (PDA), com­pren­dra l’in­ter­pré­teur d’une syn­taxe XML.

Ini­tiale­ment XML est issu des sys­tèmes de ” balise ” qui per­me­t­taient d’af­fich­er un texte avec la présen­ta­tion adéquate (chapitres, para­graphes, puis présen­ta­tion graphique séduisante sur un écran dans le cadre d’In­ter­net). Mais les balis­es, qui truf­faient le texte brut de con­signes d’édi­tion, sont dev­enues de vrais mots-clés dans le cas d’échanges de don­nées en XML : les sys­tèmes ne com­mu­niquent plus sim­ple­ment par des fichiers au for­mat figé, ou par des mes­sages de struc­ture con­v­enue et prédéfinie, mais par un texte, qui, tel un pro­gramme infor­ma­tique, con­tient toutes les con­signes nécessaires.

La décli­nai­son en plusieurs dialectes per­met de dis­soci­er la descrip­tion des don­nées elles-mêmes (le dic­tio­n­naire en quelque sorte), de leur présen­ta­tion, vari­ant par exem­ple selon les car­ac­téris­tiques du sup­port util­isé (la feuille de style en quelque sorte). On entrevoit les infinies pos­si­bil­ités ain­si ouvertes, et la flex­i­bil­ité intro­duite, d’au­tant que, c’est une évi­dence, les dialectes XML con­cer­nent les dif­férentes formes de médias : texte, images, son.

Pour en revenir au sujet de la nor­mal­i­sa­tion, le foi­son­nement actuel est spec­tac­u­laire, il asso­cie tous les majors du ” club “, et les délais de pro­duc­tion des normes sont réduits (en par­ti­c­uli­er du fait de l’usage sys­té­ma­tique du Net comme out­il de pro­duc­tion et de dif­fu­sion de la R & D).

La créa­tion de ce sub­strat de stan­dards de fait a un effet dynamisant pour l’ensem­ble de l’in­dus­trie des nou­velles tech­nolo­gies, cha­cun pou­vant fonder ses pro­duits sur un con­sen­sus des acteurs majeurs de cette indus­trie. XML mar­que une rup­ture ” his­torique “, et l’im­pact pour l’é­conomie numérique sera considérable.

Le fait que la tech­nolo­gie de base, celle des divers com­posants élec­tron­iques, évolue rapi­de­ment en per­for­mance comme en coûts, est en général bien con­nu3.

Par con­tre, sur cette base tech­nologique ont été dévelop­pés de nom­breux pro­duits et ser­vices, sans lesquels l’in­tru­sion tech­nologique, sa dis­sémi­na­tion, ses infinies vari­a­tions n’au­raient pas eu lieu. Là aus­si s’est créé un tis­su économique, une ” indus­trie ” de high-tech, devenu ” native­ment ” mon­di­al. Il fut un temps où quelques PME pou­vaient jouer un jeu local, comme ” édi­teur ” par exem­ple. Cette étape, par con­cen­tra­tions suc­ces­sives, est large­ment dépassée4.

Il est intéres­sant de s’in­ter­roger sur l’évo­lu­tion de cette indus­trie5, qui génère l’of­fre tech­nologique d’in­for­ma­tion et de com­mu­ni­ca­tion actuelle. En effet, la struc­tura­tion de cette offre n’est pas neu­tre pour les opéra­teurs économiques qui la met­tent en œuvre ; et les con­di­tions d’ex­er­ci­ce de la com­péti­tion économique en sont transformées.

Il n’y a rien d’é­ton­nant à ce que ces pro­fes­sions qui con­tribuent à enrichir l’of­fre fondée sur les tech­nolo­gies numériques, à la diver­si­fi­er sans d’autres lim­ites que l’imag­i­na­tion des con­cep­teurs et la via­bil­ité économique, soient aus­si elles-mêmes forte­ment atteintes par les muta­tions tech­nologiques. L’in­no­va­tion y est omniprésente. Cha­cun des acteurs économiques doit en per­ma­nence faire évoluer son offre pour l’adapter aux nou­veaux stan­dards, pour per­me­t­tre son assem­blage avec d’autres pro­duits, de plus en plus nom­breux et divers.

On con­state d’ailleurs, dans ce monde tech­nologique, une rup­ture apparue avec le présent mil­lé­naire. Cette rup­ture, liée à la général­i­sa­tion des accords autour du lan­gage XML (voir encadré page suiv­ante), n’a pas pro­duit ses effets, mais on peut prévoir qu’ils seront fondamentaux.

Les particularismes nationaux et régionaux ont un poids historique fort

La prise de con­science de ces mou­ve­ments fon­da­men­taux est naturelle­ment retardée, car l’in­ci­dence de toutes les révo­lu­tions tech­nologiques n’est pas encore pleine­ment vis­i­ble, et un temps de dif­fu­sion et d’adap­ta­tion est néces­saire. En out­re, les par­tic­u­lar­ismes nationaux ou régionaux, qui ont pris nais­sance à une époque reculée, ont encore un poids fort, et l’in­er­tie lég­isla­tive, régle­men­taire, sociale, cul­turelle résiste aux logiques plus glob­ales. Ces par­tic­u­lar­ismes masquent le mou­ve­ment engagé.

Ils don­nent lieu à un vrai débat. Va-t-on inéluctable­ment à une glob­al­i­sa­tion por­teuse de stéréo­types dans tous les domaines, ou l’avenir durable ne serait-il pas au con­traire dans la richesse de la diversité ?

Deux con­cep­tions s’opposent :

  • pour cer­tains pro­duits et ser­vices, les dif­férences n’ont bien sou­vent plus de rai­son d’être : que dire du ” patch­work ” des sys­tèmes de pro­tec­tion sociale, de retraite. Par exem­ple, le secteur des ser­vices financiers et d’as­sur­ance struc­turé tra­di­tion­nelle­ment par les ini­ti­a­teurs ” his­toriques “, il y a par­fois plusieurs siè­cles : mont-de-piété à Sienne, reg­istre de marins créé par Col­bert, ou quelques décen­nies, mutuelles agri­coles, de com­merçants, d’ar­ti­sans. Ces par­tic­u­lar­ismes ne résis­tent pas à l’analyse rationnelle, et la tech­nolo­gie poussera à les effac­er. Elle joue dès à présent le rôle de révéla­teur, par exem­ple au tra­vers des por­tails Inter­net qui don­nent accès, pour des fonc­tions iden­tiques, à divers sys­tèmes admin­is­trat­ifs (déc­la­ra­tions sociales par Net-entreprises) ;
  • dans d’autres cas, le mod­èle socio­cul­turel dom­i­nant engen­dre naturelle­ment des résis­tances vives, des oppo­si­tions extrémistes. À terme, celles-ci sont prob­a­ble­ment salu­taires, car elles préser­vent de vraies alter­na­tives, une créa­tiv­ité, autour de pro­duits ” cul­turels ” originaux.


Sans doute, les par­tic­u­lar­ismes s’estom­per­ont-ils là où ils n’ont plus de sens, et demeureront-ils quand ils sont à la base même de l’ap­port de valeur (tourisme, cul­ture…)6.

Le besoin d’une stabilité

Dif­fi­cile époque, atteinte de fébril­ité, de ver­sa­til­ité, où les acteurs économiques ont une vis­i­bil­ité réduite : y aura-t-il crois­sance durable ? Quels sont les moteurs de la crois­sance ? Quelle attrac­tiv­ité pour une nation ? Quelle glob­al­i­sa­tion est justifiée ?

Certes l’of­fre tech­nologique per­met le mon­tage de solu­tions rapi­des, de maque­ttes, d’ex­ter­nalis­er, bref, de gag­n­er en réac­tiv­ité.

Par con­tre, quelle sera la place de telle entre­prise, de telle struc­ture, au bout du chemin où nous con­duit la logique d’ex­ploita­tion opti­male de la technologie ?

Plus prosaïque­ment, dans le champ infor­ma­tique, il existe encore des pro­jets lourds et com­plex­es, des pro­jets incon­tourn­ables, des risques. La taille de ces investisse­ments ne sem­ble pas devoir se réduire, et le nom­bre de per­son­nes con­cernées, clients, prospects, employés, ne cesse de croître, ren­dant les migra­tions de plus en plus lourdes.

L’ur­ban­isme des sys­tèmes d’in­for­ma­tion (voir encadré page suiv­ante) est une réponse pro­mue au sein des grandes entre­pris­es et organ­i­sa­tions. Cepen­dant, au-delà de ces efforts de mise en ordre, peut-on con­stru­ire sur des bases mou­vantes, et répon­dre à des objec­tifs eux-mêmes per­pétuelle­ment remis en cause ?

Pour les man­agers, comme pour les infor­mati­ciens, il y a là défi. Le besoin d’une nou­velle sta­bil­ité, qui tran­scende le cadre des périmètres fluc­tu­ants, déplacés par les fusions, acqui­si­tions, exter­nal­i­sa­tions, est impérieux.

Une ” géographie virtuelle ” fondatrice de l’économie numérique

Nous avons vu que la géo­gra­phie jouait un grand rôle dans l’or­gan­i­sa­tion de l’é­conomie tra­di­tion­nelle, à la fois de par la local­i­sa­tion des ressources, les par­tic­u­lar­ismes socio­cul­turels et le pou­voir d’achat des consommateurs.

Les mêmes raisons qui expliquent que le développe­ment économique exploite des par­tic­u­lar­ismes ” géo­graphiques ” jouent pour le développe­ment d’une économie numérique.

Un tis­su économique ne se crée pas au hasard.

Il se forme des lignes de partage entre les acteurs économiques, qui, pour n’être pas matéri­al­isées physique­ment, n’en sont pas moins réelles.

Ces lignes de partage sont sta­bles et représen­tent une ” géo­gra­phie virtuelle “, base invari­ante sur laque­lle se fonde l’or­gan­i­sa­tion de l’économie.

De mul­ti­ples proces­sus de trans­for­ma­tion tra­versent le tis­su économique et con­cré­tisent les offres en réponse aux deman­des du marché. On peut ain­si exam­in­er les deux extrémités de ces proces­sus : du côté de la demande, et de celui de l’offre.

Une demande fondée sur une ” géographie événementielle ”

Du côté de la demande, fait his­torique majeur, les réseaux irriguent pro­gres­sive­ment la majorité de la pop­u­la­tion solvable.

L’urbanisme des systèmes d’information : le besoin d’une stabilité

Le développe­ment des sys­tèmes d’in­for­ma­tion au sein des entre­pris­es est à com­par­er à l’ur­ban­i­sa­tion d’une cité : les con­struc­tions suc­ces­sives, faites d’ini­tia­tives non coor­don­nées, créent, en l’ab­sence de sché­ma glob­al, un tis­su urbain imbriqué, désor­gan­isé, com­plexe et pro­gres­sive­ment nécrosé. De même l’empilement des sys­tèmes infor­ma­tiques con­duit à des ensem­bles sur­com­plex­es et bloque les évo­lu­tions. Les entre­pris­es n’ont plus les moyens de se pay­er des réno­va­tions lour­des, et l’ac­céléra­tion des cycles économiques exige une grande réac­tiv­ité des sys­tèmes d’information.

L’ur­ban­isme des sys­tèmes d’in­for­ma­tion est une dis­ci­pline nou­velle qui répond à ces défis, et com­plète les approches pure­ment tech­nologiques prônées par les grands four­nisseurs. Dans le but de crédi­bilis­er cette pro­fes­sion émer­gente, de cap­i­talis­er sur ses expéri­ences, de la faire con­naître, a été créé le Club des urban­istes et archi­tectes des sys­tèmes d’in­for­ma­tion (asso­ci­a­tion de 1901).

Un des besoins des urban­istes des SI est d’align­er la con­struc­tion des SI sur des ” invari­ants “. En effet, cer­tains cycles de con­struc­tion des SI sont de plus en plus courts, mais d’autres sont fon­da­men­tale­ment longs, et il serait illu­soire d’e­spér­er les rac­cour­cir. De ce fait, il y a sou­vent un hia­tus entre la stratégie de l’en­tre­prise et l’é­tat exis­tant de son SI : cycles stratégiques et cycles SI ne peu­vent être totale­ment en phase.

L’ur­ban­isme doit dépass­er ce débat sur ” l’aligne­ment stratégique “, et éviter de ” con­stru­ire sur du sable “. Il recherche une sta­bil­ité pour que les investisse­ments lourds dans les sys­tèmes ne soient pas remis en cause par la pre­mière inflex­ion stratégique.

Cette recherche amène à se pos­er la ques­tion certes en ter­mes de sys­tème d’in­for­ma­tion, d’or­gan­i­sa­tion, ou de proces­sus, qui sont des moyens pour réalis­er le busi­ness, mais surtout en ter­mes d’ap­port de valeur.

Du fait de l’im­por­tance prise par l’outil infor­ma­tique comme fac­teur de pro­duc­tiv­ité et comme atout stratégique, la recherche d’une sta­bil­ité pour l’ur­ban­isme des SI répond à des enjeux forts au sein des entre­pris­es. Mais elle révèle aus­si la néces­sité d’une vision de l’ur­ban­isme du busi­ness, qui tran­scende les visions tech­niques, organ­i­sa­tion­nelles, ou stratégiques habituelles

Certes, il y a une ” frac­ture numérique ” qui laisse à l’é­cart des agents économiques dis­per­sés, durable­ment éloignés du ” haut débit “. Pour les autres, c’est-à-dire les entre­pris­es et organ­i­sa­tions, et les pop­u­la­tions urbaines, il n’y a plus dis­crim­i­na­tion pour l’ac­cès aux réseaux.

Se développe ain­si une ” médi­a­tion numérique ” qui donne accès aux pro­duits et ser­vices tra­di­tion­nels, ain­si qu’à des pro­duits et ser­vices numériques. Ces pro­duits peu­vent être atteints dans des con­di­tions iden­tiques de n’im­porte quel emplace­ment : leur marché devient glob­al, sous réserve de la dimen­sion cul­turelle men­tion­née ci-dessus.

La médi­a­tion numérique facilite une plus forte sat­is­fac­tion de la demande, dans ses dimen­sions ” non géo­graphiques “, et une organ­i­sa­tion sur des fonde­ments ” événe­men­tiels “. Car les prin­ci­paux obsta­cles à la sat­is­fac­tion de la demande sont les lim­ites naturelles de la con­nais­sance. Une hyper­spé­cial­i­sa­tion des offres les rendrait inac­ces­si­bles au plus grand nombre.

En effet, il s’ag­it, au-delà de la sat­is­fac­tion du client, qui est vari­able selon son besoin, de précéder en quelque sorte ces besoins en ori­en­tant l’of­fre par rap­port aux événe­ments qui les provo­quent7.

Si fond de com­merce il y a, dans cette économie médi­atisée, il n’est point local, dû à une prox­im­ité géo­graphique, mais ” sit­u­a­tion­niste “, dû à une prox­im­ité de sit­u­a­tion. Et ces sit­u­a­tions généra­tri­ces de besoin sont par­ti­c­ulière­ment éter­nelles dans leur répéti­tion : il y aura tou­jours des événe­ments de la vie famil­iale, de la vie pro­fes­sion­nelle, sco­laire, des loisirs, des trans­ports, qui sus­ci­tent des besoins spé­ci­fiques, dans une offre opti­misée et adap­tée à chaque époque de l’humanité.

L’in­tim­ité événe­ment est l’aboutisse­ment de ” l’ori­en­ta­tion client ” prônée par les grands cab­i­nets de con­sult­ing et les grands éditeurs.

L’offre fondée sur une ” géographie des compétences ”

Du côté de l’of­fre, la glob­al­i­sa­tion provo­quée par l’u­biq­ui­té du réseau pousse à la créa­tion de ” monopoles naturels “. En par­ti­c­uli­er, la pro­duc­tion des pro­duits numériques est à coût mar­gin­al qua­si nul : la loi est à ren­de­ment croissant.

Un opéra­teur spé­cial­isé qui a atteint le seuil cri­tique ne pour­ra plus être con­cur­rencé, car un nou­v­el entrant sera pénal­isé par un coût de pro­duc­tion supérieur8.

En out­re, les pro­duits numériques peu­vent aisé­ment être mixés pour créer une offre com­pos­ite, sans aucune con­trainte matérielle (sécu­rité, disponi­bil­ité, traça­bil­ité, fraîcheur, con­di­tion­nement, trans­port, livrai­son), et à la con­di­tion de définir des inter­faces sta­bles entre les dif­férents ser­vices numériques proposés.

Cela dit, dans un monde tech­nologique en évo­lu­tion rapi­de, les posi­tions ne sont jamais défini­tive­ment acquis­es. La recherche développe­ment est plus que jamais fon­da­men­tale : sans elle, aucun avenir n’est durable. Les monopoles naturels ne sont plus des monopoles dus à des gise­ments géo­graphiques, mais à des acquis de com­pé­tence. Une com­pé­tence entretenue et qui per­met la maîtrise d’une tech­nolo­gie au niveau glob­al. En quelque sorte, un savoir-faire unique que l’on ne peut aller chercher ailleurs, car, dès qu’une alter­na­tive est pos­si­ble, pour un coût sim­i­laire voire inférieur, un dif­féren­tiel de coût salar­i­al pou­vant être déter­mi­nant, elle sera activée et dif­fusée grâce au réseau global.

Car il s’ag­it de réalis­er les bons paris économiques, et au bon niveau. Là encore les États-nations sont naturelle­ment dépassés, et agis­sent sou­vent à con­tre-courant, poussés, par le raison­nement autar­cique, à sac­ri­fi­er com­pé­tence stratégique à ” défense de l’emploi “.

L’é­conomie numérique a son indus­trie : depuis les micro­processeurs, les com­posants logi­ciels de base, jusqu’aux ser­vices les plus divers ; les investisse­ments sont à la taille des enjeux. Les paris indus­triels, dans l’é­conomie numérique, sont supra­na­tionaux, et cer­taine­ment plus dif­fi­ciles que dans l’in­dus­trie clas­sique. En effet, ces deux types d’in­dus­tries sont glob­al­isés, comme, par exem­ple, l’in­dus­trie auto­mo­bile, celle de l’aci­er, mais l’é­conomie numérique évolue très rapi­de­ment, et un grand nom­bre de paramètres peu­vent être déter­mi­nants. La flex­i­bil­ité de l’im­matériel rend les paris par­ti­c­ulière­ment aléatoires.

Cela ren­force l’im­por­tance de dis­pos­er d’une véri­ta­ble com­pé­tence stratégique sur une fil­ière tech­nologique, pour la pré­cieuse réac­tiv­ité qui peut être mobilisée.

Du côté de l’of­fre, le tis­su de l’é­conomie numérique se fonde ain­si sur une ” géo­gra­phie des compétences “.

Des échanges ” interindustriels ” de plus en plus complexes

Comme dans l’in­dus­trie tra­di­tion­nelle, les indus­triels de l’é­conomie du numérique sont dans des rela­tions d’af­faires qui leur per­me­t­tent, glob­ale­ment, d’amélior­er l’of­fre et de l’adapter de mieux en mieux aux cycles de vie qui motivent les besoins et l’u­til­ité finale.

Cepen­dant, les échanges ne por­tent plus sur des pro­duits matériels, qui sup­posent réap­pro­vi­sion­nement, stock­age, con­di­tion­nement, trans­ports, comme dans les échanges interindus­triels clas­siques. Il s’ag­it plutôt de presta­tions récipro­ques, cha­cun ajoutant sa con­tri­bu­tion pour une par­tie de la valeur apportée. Le sché­ma habituel des échanges interindus­triels, avec les indus­tries trai­tant les matières pre­mières, les indus­tries de trans­for­ma­tion, les ser­vices, se trans­pose. On peut ain­si définir une typolo­gie des con­tri­bu­tions ” indus­trielles ” à l’é­conomie numérique :

  • éla­bor­er les com­posants matériels de base (micro­processeurs, ordi­na­teurs, matériels réseau, portables),
  • équiper ces matériels avec sys­tème d’ex­ploita­tion, nav­i­ga­teur, ges­tion de base de don­nées, pour les trans­former en ” machines à tout faire “,
  • fournir des logi­ciels sec­to­riels ou spé­cial­isés pour répon­dre à des besoins d’une pro­fes­sion, d’une activ­ité économique, de particuliers…


Avec la glob­al­i­sa­tion qui est en cours, ce tis­su indus­triel s’or­gan­ise autour de quelques multi­na­tionales, cha­cune cher­chant à con­serv­er une posi­tion dom­i­nante sur son ” créneau ” (cf. Intel pour les micro­processeurs, Microsoft pour les sys­tèmes de base, Ora­cle pour les bases de don­nées) et éventuelle­ment à éten­dre son hégé­monie, ou à résis­ter à l’hégé­monie en nouant des parte­nar­i­ats avec d’autres opérateurs.

Mais on est loin d’avoir décou­vert tous les usages de ces tech­nolo­gies. Il y aus­si la place pour des ini­tia­tives appor­tant une inno­va­tion tech­nologique, ou un mix-pro­duit per­for­mant. Le tis­su économique suit ain­si une dou­ble évolution :

  • une con­sol­i­da­tion autour de quelques acteurs mon­di­aux, qui sont à présent en sit­u­a­tion de mono­pole naturel et dis­posent, par la maîtrise d’un univers tech­nologique, de bar­rière à l’en­trée de con­cur­rents. Dans la course à la taille, ils font par­tie d’un ” club ” de plus en plus restreint ;
  • une exten­sion vers de nou­veaux hori­zons, par une diver­si­fi­ca­tion mas­sive des usages, qui, au-delà des briques de base revendiquées par le club, laisse place à la diver­si­fi­ca­tion, l’ini­tia­tive, la recherche de la différence.


La flex­i­bil­ité du pro­duit ou du ser­vice numérique repousse ain­si les lim­ites habituelles, et le tis­su économique est plus com­plexe, évo­lu­tif, exten­sif, que celui observé dans les échanges interindus­triels habituels. Les ter­ri­toires d’une ” compt­abil­ité nationale “, bien adap­tés pour représen­ter le fonc­tion­nement et le développe­ment du pat­ri­moine indus­triel, par exem­ple au niveau d’une nation, sont dépassés, et on ne dis­pose guère d’ap­proche macroé­conomique per­me­t­tant de représen­ter et de quan­ti­fi­er ces échanges.

Hybridation des économies traditionnelles et de l’économie numérique

Ancienne et nouvelle économie

Les suc­cès et mal­heurs de la ” nou­velle économie ” sont con­nus, et l’ob­jet de débats pas­sion­nés. Le fait est que la nou­velle économie n’a pas répon­du aux espoirs que cer­tains lui fai­saient porter.

Mais faut-il en réal­ité oppos­er l’é­conomie tra­di­tion­nelle, qui explique encore une large part du pro­duit intérieur brut, et nou­velle économie, dont le poids demeure faible, mal­gré une crois­sance rapide ?

Des frontières virtuelles stables et une organisation typique dans chaque univers économique : la ” trame business ”

Si l’on observe un univers économique, qui regroupe les entre­pris­es étroite­ment liées dans un même courant d’af­faires, on con­state d’abord que cet univers s’é­tend entre des ” fron­tières ” invari­ables. En général une fron­tière con­cerne les clients, et les événe­ments qui provo­quent leur intérêt pour les pro­duits et ser­vices pro­posés. Une ou plusieurs fron­tières appa­rais­sent pour les ressources, mar­quées par leurs pro­pres cycles de vie (cycle d’ex­ploita­tion, cycle pro­duit). Cette éten­due ” ter­ri­to­ri­ale ” est tout à fait car­ac­téris­tique de l’u­nivers économique, elle le définit claire­ment, quelle que soit l’or­gan­i­sa­tion du tis­su économique. Dans les dif­férents cas ren­con­trés (plate-forme aéro­por­tu­aire, banque de détail, assur­ance IARD, régime de prévoy­ance, trans­port de gaz, admin­is­tra­tion publique) un ter­ri­toire orig­i­nal a pu être for­mal­isé, dont les fron­tières virtuelles sont sta­bles et objec­tives (par­cours du pas­sager, cycle de vie d’un équipement, cycle d’ac­tiv­ité d’un point de livraison).

En s’in­téres­sant ensuite à l’or­gan­i­sa­tion interne du ter­ri­toire, on retrou­ve, au-delà des spé­ci­ficités de chaque courant d’af­faires, des con­fig­u­ra­tions typ­iques entre les acteurs économiques, et, de façon plus fine, entre les dif­férents ” opéra­teurs ” d’une entre­prise. Ces con­fig­u­ra­tions s’or­gan­isent le long de lignes de cli­vage qui tra­cent les ” join­tures busi­ness ” créées au sein du tis­su économique : la seg­men­ta­tion d’une chaîne de valeur ne se fait pas au hasard, et respecte une trame invari­ante et orig­i­nale pour l’u­nivers concerné.

On établit ain­si une représen­ta­tion neu­tre de cet univers, quels que soient les posi­tion­nements des acteurs économiques, les choix d’or­gan­i­sa­tion, les proces­sus et l’im­plan­ta­tion des sys­tèmes d’in­for­ma­tion. Cette représen­ta­tion se matéri­alise par quelques sché­mas illus­trant les principes d’or­gan­i­sa­tion du tis­su économique et des chaînes de valeur.

Cette approche est mise en œuvre rapi­de­ment, car, bien que chaque univers économique présente un cas par­ti­c­uli­er, orig­i­nal et car­ac­téris­tique, les règles de con­struc­tion des sché­mas de la ” trame busi­ness ” sont iden­tiques et les bases de cette représen­ta­tion et de la seg­men­ta­tion du ” busi­ness ” sont objec­tives et stables.

La néces­sité de dis­pos­er d’un repérage glob­al, dépas­sant les fron­tières de l’en­tre­prise, est apparue à l’oc­ca­sion des investisse­ments dans les sys­tèmes d’in­for­ma­tion, pour situer ces investisse­ments dans une vision glob­ale d’ur­ban­isme des SI. Cepen­dant, cette vision s’in­téresse aux apports de valeur, et con­stitue un cadre objec­tif pour l’analyse des con­fig­u­ra­tions économiques, comme pour celle des proces­sus, et des SI.

En fait les apports des tech­nolo­gies sont bien plus dans la réno­va­tion de ” l’an­ci­enne économie ” que dans la créa­tion d’une économie entière­ment numérique, comme la ” bulle Inter­net ” l’a fait croire.

Oppos­er anci­enne et nou­velle économie, si on can­tonne cette dernière à une économie entière­ment numérique, n’a pas de sens.

Le fait majeur est l’in­va­sion de l’ensem­ble de l’é­conomie tra­di­tion­nelle par des pro­duits et ser­vices nés de son ” hybri­da­tion ” avec des apports de valeur fondés sur des pro­duits et ser­vices numériques. Le codage numérique est en effet devenu la norme pour tous les médias, que ce soient textes, images, sons, vidéos…

Une économie hybride

Pour les économies qui met­tent en œuvre à la fois les fac­teurs pro­duc­tifs tra­di­tion­nels, et ces nou­veaux fac­teurs, tous se mix­ent. La géo­gra­phie tra­di­tion­nelle garde une impor­tance, certes amoin­drie par les phénomènes que nous avons décrits, mais aus­si ren­for­cée par les par­tic­u­lar­ismes culturels.

Pour l’é­conomie hybride, forte­ment numérisée, l’ensem­ble des géo­gra­phies, naturelles et virtuelles, con­tribue à fix­er l’échiquier économique. Dans cette économie, les sys­tèmes d’in­for­ma­tion jouent un rôle gran­dis­sant, et il devient impératif de ” situer ” les investisse­ments ain­si réal­isés. Cette approche, en quelque sorte car­tographique, fait appa­raître les struc­tures fon­da­men­tales qui prési­dent au jeu des acteurs économiques au sein d’un ” univers économique “.

On peut en effet sché­ma­tis­er les rela­tions au sein d’un univers où les acteurs économiques sont en forte sym­biose, cha­cun se spé­cial­isant dans l’ap­port de valeur.

Dans le cas par­ti­c­uli­er de telle ou telle entre­prise ou organ­isme, il est en général assez rapi­de de détecter l’u­nivers auquel ils par­ticipent, leur struc­tures invari­antes (voir encadré sur la ” trame busi­ness ”), et les ” fron­tières ” de ce territoire.

On con­state que les fron­tières sont sta­bles, et que l’or­gan­i­sa­tion d’un tel univers obéit à des con­stantes (voir à ce sujet le sché­ma ci-dessus).

Exem­ple de l’univers “ pas­sager ” d’un aéro­port selon les dimen­sions événe­ment et chaîne de valeur
Exemple de l’univers “ passager ” d’un aéroport selon les dimensions événement et chaîne de valeur

Remettre en cause nos repères

L’é­conomie, dans sa glob­al­ité, est en muta­tion : la tech­nolo­gie en est le ” fau­teur de trou­ble “, qui bous­cule les struc­tures traditionnelles.

Les sys­tèmes poli­tiques peu­vent accélér­er, ou ralen­tir ces muta­tions. Cepen­dant, la tech­nolo­gie galope plus vite que les réformes poli­tiques, les accords entre nations, les aban­dons de sou­veraineté : de fait, une part de plus en plus grande de l’é­conomie échappe à toute ” adhérence ” territoriale.

Nous ne pou­vons donc ni raison­ner dans l’il­lu­sion de l’ex­clu­siv­ité de la bonne vieille économie, celle des vrais pro­duits bien matériels, et por­tant en quelque sorte de ” vraies valeurs “, ni ne jur­er que par l’é­conomie numérisée à tout crin, qui représen­terait le seul salut au développement.

Il nous faut recon­stru­ire nos repères, sans délaiss­er la géo­gra­phie tra­di­tion­nelle, mais en la com­plé­tant par une ” géo­gra­phie du virtuel ” dont on prend seule­ment main­tenant con­science9.

La mise en évi­dence de ces nou­veaux repères peut nous aider à sor­tir des querelles d’é­cole, des dis­cours incan­ta­toires, et des mal­heureuses impass­es aux­quelles une vision autar­cique, court-ter­miste, ras­sur­ante nous amèn­erait infailliblement.

Car il est pos­si­ble, et souhaitable, sur l’échiquier économique, de repér­er le ter­ri­toire des affron­te­ments, les invari­ants qui jalon­nent ” lon­gi­tudes ” et ” lat­i­tudes ” de la géo­gra­phie d’une économie mix­ant sys­té­ma­tique­ment pro­duc­tions matérielles et numériques, dans toutes leurs déclinaisons. 

Bibliographie

. ACSEL-FING : Hauts débits. Librairie générale de droit et de jurisprudence.
. Chau­vet Jean-Marie : Ser­vices Web avec SOAP, WSDL, UDDI, ebXML. Eyrolles.
. Club urba-si : Pra­tiques de l’ur­ban­isme des sys­tèmes d’in­for­ma­tion en entre­pris­es. Pub­li­book, . Volle Michel : e‑conomie. Economica.

Sites


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1. Ain­si toute société a intérêt à pass­er un accord avec son agence de voy­age, qui a en charge la bil­let­terie, pour que les dépens­es de déplace­ment du per­son­nel soient imputées sur les codes ana­ly­tiques ” mai­son “. Ceci évite une coû­teuse resaisie.
2. Se rend-on compte par exem­ple qu’une très large part des com­mu­ni­ca­tions Inter­net intra-européennes passent en réal­ité par l’Amérique de Nord ?
3. Cf. loi de Moore.
4. Par exem­ple, il y a eu, il y deux décen­nies, des édi­teurs ” régionaux ” de progi­ciel de compt­abil­ité, puis des édi­teurs ” fran­co-français “. Ce marché est devenu, au moins pour la gamme ” grand compte “, le champ d’af­fron­te­ment de mastodontes mondiaux.
5. Il s’ag­it plutôt d’en­tre­pris­es de ser­vice, mais qui ont une approche ” industrielle “.
6. Par exem­ple, la musique ” clas­sique ” ne touche plus qu’un faible pour­cent­age de la pop­u­la­tion, et a per­du son car­ac­tère ” pop­u­laire “. Ses qual­ités issues de siè­cles d’en­richisse­ment (poly­phonie, har­monie, orches­tra­tion, struc­ture tonale, atonale), son infinie diver­sité garan­tis­sent cepen­dant sa pérennité.
7. Le pre­mier exem­ple qui nous a per­mis d’il­lus­tr­er cette logique est celui d’une plate-forme aéro­por­tu­aire, où l’of­fre des divers inter­venants est directe­ment liée soit aux événe­ments du ” par­cours pas­sager “, soit aux événe­ments du ” par­cours avion ” (voir sché­ma). De grandes com­pag­nies d’as­sur­ances ont util­isé, dans le même ordre d’idées, le con­cept d’événe­ment du xixe siè­cle, pour sym­bol­is­er l’in­vari­ance de la notion de sinistre.
8. Par exem­ple, un insti­tut alle­mand a mis au point un moteur de recherche capa­ble d’i­den­ti­fi­er une mélodie chan­tée ou sif­flotée. Un tel com­posant, s’ap­pli­quant sur un lan­gage aus­si uni­versel que la musique, aura un marché mon­di­al (en direct, mais aus­si inté­gré à d’autres ser­vices) et, si les algo­rithmes sont effi­caces, une avance concurrentielle.
9. Le repérage ” trame busi­ness ” mis en évi­dence pour les études d’ur­ban­isme des sys­tèmes d’in­for­ma­tion a une portée générale, et con­stitue une base de réflex­ion et d’ac­tion, une référence utile.

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