Quelle énergie pour la France au XXIe siècle ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°618 Octobre 2006
Par Jean-Noël HERMAN (52)

De nom­breuses études ont déjà été réal­isées sur la prospec­tive énergé­tique, qui se pla­cent à des points de vue assez divers. L’ar­ti­cle de Jacques Frot, pub­lié dans La Jaune et la Rouge de mai 2006, four­nit un éclairage et un cadrage très large puisqu’il se place à l’échelle mon­di­ale et envis­age un hori­zon tem­porel allant jusqu’à la fin du siècle. 

Le présent arti­cle1, qui sera com­plété par un sec­ond, a des ambi­tions un peu plus lim­itées, puisqu’il traite du seul cas de la France et se borne, dans le temps, au milieu du siè­cle, mais ses ambi­tions sont égale­ment plus grandes pour les raisons indiquées ci-après. Il s’ag­it bien enten­du d’un doc­u­ment très syn­thé­tique, les lecteurs ayant la pos­si­bil­ité de se référ­er à dif­férents ouvrages exis­tants s’ils désirent appro­fondir cer­tains points (cf. bib­li­ogra­phie in fine), mais avec l’am­bi­tion de met­tre en lumière des aspects peu con­nus, ou rarement pub­liés, du sujet. 

Le pre­mier arti­cle est con­sacré aux éner­gies non nucléaires2. Le deux­ième sera cen­tré sur le nucléaire, com­plé­tant ain­si le sur­vol du sujet. 

Analyse de la demande, ou des besoins

La struc­ture de la con­som­ma­tion d’én­ergie de la France a beau­coup évolué au cours du dernier demi-siè­cle, aus­si bien par secteurs d’ac­tiv­ité pour ce qui est de la con­som­ma­tion finale (cf. fig­ure 1) que par type de ressources en ce qui con­cerne la con­som­ma­tion d’én­ergie pri­maire (cf. fig­ure 2)3.

Dans la suite de cet exposé, nous nous référerons prin­ci­pale­ment à la con­som­ma­tion d’én­ergie pri­maire, parce que c’est elle qui per­met d’ap­préci­er les per­spec­tives d’équili­bre (ou de déséquili­bre) avec les ressources disponibles ou escomptées. 

Exam­inons main­tenant les dif­férents fac­teurs qui influ­ent sur la con­som­ma­tion d’énergie. 

1) Prin­ci­pal fac­teur : le développe­ment économique. L’é­con­o­miste Pierre Jacquet (75) nous a dit4 son inquié­tude sur la crois­sance économique de l’Eu­rope (dont la France) du fait de la faib­lesse de sa démo­gra­phie, de son inten­sité de tra­vail, et de sa capac­ité d’in­no­va­tion. En se référant aux travaux de con­frères écon­o­mistes réputés très fiables il pronos­tique un taux de crois­sance de 2 % jusqu’à 2020 et de 1,75 % au-delà ; mais il avait par­lé précédem­ment de 1,2 %. Un dou­ble­ment d’i­ci 2050 est donc pos­si­ble, mais incertain. 

2) Le rap­port entre crois­sance de l’én­ergie con­som­mée et crois­sance du PIB est influ­encé par l’évo­lu­tion des grands types de con­som­ma­tion évo­qués ci-dessus. On a con­staté dans le passé de gros pro­grès d’ef­fi­cac­ité énergé­tique dans l’in­dus­trie, qui tendaient à réduire sa con­som­ma­tion d’én­ergie, mais cette réduc­tion trou­vera ses lim­ites si nous avons la volon­té de main­tenir une capac­ité indus­trielle dans notre pays. Les ser­vices, eux, se dévelop­pent rapi­de­ment et sont moins inten­sifs en énergie. La dégres­siv­ité du rap­port énergie/PIB observée depuis 1980 devrait donc se pour­suiv­re au moins à la même cadence (- 1% par an), ce qui con­duirait à lim­iter à 60 % env­i­ron la crois­sance ten­dan­cielle de la con­som­ma­tion d’én­ergie de 2000 à 2050. 

3) La crois­sance prévis­i­ble du coût de l’én­ergie influera néces­saire­ment sur la con­som­ma­tion. Cette crois­sance provien­dra de l’an­tic­i­pa­tion de la raré­fac­tion de l’of­fre, du coût de l’ex­trac­tion des gise­ments pétroliers pau­vres et de la fiscalité. 

Jusqu’à ce jour les hauss­es spécu­la­tives et tech­niques du prix des com­bustibles n’ont eu sur la con­som­ma­tion qu’un effet tem­po­raire. Mais il peut sur­venir d’i­ci 2050 des crises poli­tiques plus graves que celles de l’I­ran et de l’I­rak, entraî­nant une vraie pénurie d’én­ergie : impos­si­ble d’en chiffr­er les conséquences. 

Hormis ces crises les esti­ma­tions les plus sûres ne prévoient pas une vraie pénurie de pét­role avant la fin du siècle. 

Reste la fis­cal­ité qu’il faut plac­er dans son cadre à la fois économique et poli­tique : la reven­di­ca­tion d’une réduc­tion mas­sive de la fis­cal­ité pour atténuer les effets de la hausse du pét­role brut a peu de chances d’être sat­is­faite, étant don­né l’en­jeu pour le bud­get de l’É­tat. En out­re, une poli­tique de mod­éra­tion volon­tariste des prix des car­bu­rants aurait des effets antag­o­nistes à l’ob­jec­tif d’é­conomies d’én­ergie qui va s’im­pos­er pour longtemps (cf. ci-après). 


Fig­ure 1 : con­som­ma­tion énergé­tique de la France
Répar­ti­tion par secteur de con­som­ma­tion finale (1960–2004)
Source : Obser­va­toire de l’énergie (pour 2004).

Fig­ure 2 : con­som­ma­tion énergé­tique de la France (suite)
Répar­ti­tion par forme d’énergie pri­maire (1960–2004)
Source : Obser­va­toire de l’énergie (pour 2004).

 
4)
Lim­i­ta­tions imposées ou pré­con­isées par des con­ven­tions inter­na­tionales, par les pou­voirs publics français ou par des groupes de pres­sion, au nom de la défense de l’environnement. 

Les plus lour­des de con­séquence, à long terme, sont, ou pour­raient être, la pres­sion pour « sor­tir du nucléaire » et l’oblig­a­tion de lim­iter puis de réduire les émis­sions de gaz à effet de serre. 

Le dis­crédit du nucléaire — dont la France a été à peu près préservée — sem­ble s’estom­per sous l’ef­fet de l’évo­lu­tion du prix de l’én­ergie, de la demande soutenue d’én­ergie élec­trique et de la mise en œuvre d’un haut niveau de sécu­rité dans les centrales. 

Il n’en va pas de même en ce qui con­cerne l’ef­fet de serre. Le pro­to­cole de Kyoto, signé en 1997 mais dont la rat­i­fi­ca­tion n’a été effec­tive qu’en 2005, affichait un objec­tif glob­al de réduc­tion de 5,2 % en 2010 par rap­port à 1990 avec des sous-objec­tifs par zone ou par pays. Ces objec­tifs sont désor­mais des engage­ments. À not­er que celui de la France est seule­ment de 0 % (grâce à la place du nucléaire dans notre pays), ce qui est assez modéré. 

Par con­tre, le « Plan cli­mat » adop­té par le gou­verne­ment français en juil­let 2004 va beau­coup plus loin, puisqu’il inclut le « fac­teur 4 » c’est-à-dire l’ob­jec­tif de divis­er par 4 d’i­ci 2050 nos émis­sions de gaz à effet de serre, prin­ci­pale­ment, du gaz car­bonique, résidu de l’u­til­i­sa­tion de com­bustibles fos­siles. Et cet objec­tif est d’ores déjà entériné par voie lég­isla­tive (loi du 13 juil­let 2005 fix­ant les ori­en­ta­tions de la poli­tique énergé­tique — l’ar­ti­cle 2 for­mule un objec­tif de diminu­tion moyenne de 3 % par an). 

Il s’ag­it donc désor­mais d’une oblig­a­tion. C’est pourquoi un plan d’ac­tion a été mis en chantier au niveau gou­verne­men­tal. Ce plan d’ac­tion devrait mon­tr­er que la réduc­tion des émis­sions de gaz car­bonique au quart de ce qu’elles sont aujour­d’hui n’est pas totale­ment impos­si­ble. Dans les études préal­ables, chaque type de con­som­ma­tion a été exam­iné par les experts appro­priés, et a don­né lieu à des pré­con­i­sa­tions de nature diverse : 

exploita­tion sys­té­ma­tique de tous les poten­tiels con­nus d’ef­fi­cac­ité énergé­tique dans les activ­ités industrielles ;
 amélio­ra­tion con­tin­ue des normes des per­for­mances énergé­tiques imposées aux bâti­ments anciens ; rac­corde­ment d’une part sig­ni­fica­tive du parc à des chauf­feries urbaines ou col­lec­tives ; large exten­sion des chauffe-eau solaires ;
 réduc­tion du traf­ic routi­er des marchan­dis­es avec report par­tiel sur le rail ;
 réduc­tion de l’usage de la voiture par­ti­c­ulière et développe­ment cor­rélatif des déplace­ments en trans­ports col­lec­tifs (TGV ou trans­port en com­mun urbain) ; développe­ment des véhicules élec­triques et hybrides ;
 etc. 

Cha­cun de ces axes de pro­grès fait l’ob­jet de pro­grammes détail­lés faisant prin­ci­pale­ment appel à des tech­niques déjà exis­tantes, plus quelques décou­vertes jugées très prob­a­bles débouchant sur des « Tech­nolo­gies à bass­es émis­sions » (de car­bone) ou TBE. 

Dans le scé­nario pré­paré par la DGEMP (Direc­tion générale de l’én­ergie et des matières pre­mières) la con­som­ma­tion totale d’én­ergie pri­maire en 2050 serait réduite de 30 % par rap­port à l’an 2000 et cette économie est réal­isée entière­ment sur les com­bustibles à effet de serre, l’én­ergie nucléaire étant au même niveau qu’au­jour­d’hui5. On table ain­si sur une con­som­ma­tion totale de 188 Mtep en 2050 (con­tre 269 en 2000) dont 103 Mtep d’élec­tric­ité nucléaire (niveau de 2000), sur la base du coef­fi­cient d’équiv­a­lence de 0,2606 tep/MWh.

Conclusions sur les prévisions de consommation d’énergie

Nous ne pou­vons pas nous lim­iter au scé­nario de la DGEMP que nous venons de présen­ter, pour plusieurs raisons : 

a) les mesures pré­con­isées récla­ment une volon­té poli­tique et un pou­voir de con­trainte à l’é­gard de la pop­u­la­tion française très éloignés des tra­di­tions d’une démoc­ra­tie libérale. En out­re, il est incer­tain que les grands pays d’Eu­rope (et du monde) adoptent la même poli­tique et nous encour­a­gent à per­sis­ter dans cette voie ; 

b) cer­tains pro­grès tech­niques, sup­putés dans le pro­gramme d’ac­tion, notam­ment ceux qui con­cer­nent les TBE, restent prob­lé­ma­tiques. De même le trans­fert sur rail d’une par­tie notable du fret routi­er et le main­tien de la crois­sance économique et d’un con­texte de prix du pét­role mod­éré et de fis­cal­ité énergé­tique non moins modérée ; 

c) le finance­ment des investisse­ments néces­saires pour réalis­er les économies d’én­ergie escomp­tées et pour génér­er les éner­gies nou­velles prévues est loin d’être assuré. 

Nous retien­drons donc, out­re le scé­nario DGEMP, un deux­ième, plus proche des ten­dances observées dans le passé, cor­re­spon­dant à une con­som­ma­tion glob­ale en 2050 supérieure à la con­som­ma­tion de 2000. 

Il sem­ble toute­fois exclu de s’en tenir, même en hypothèse haute, au taux ten­dan­ciel de + 60 % évo­qué ci-dessus, notre pays étant d’ores et déjà engagé dans une poli­tique intense d’é­conomies d’én­ergie6, qui sera cer­taine­ment durable et même ampli­fiée par effet d’élas­tic­ité de la demande par rap­port au prix, en présence d’une hausse soutenue, très prob­a­ble, du prix du pét­role. Nous retien­drons donc la moitié du taux ten­dan­ciel, soit + 30 %. 

La part de cette con­som­ma­tion sus­cep­ti­ble d’être cou­verte par la pro­duc­tion d’élec­tric­ité pri­maire (nucléaire + hydraulique + éoli­enne) pour­rait alors pass­er de 40 % à 60 %, taux d’ailleurs voisin de celui du scé­nario DGEMP, grâce à une exten­sion de la pro­duc­tion nucléaire et des pro­grès réal­isés sur l’én­ergie embar­quée (accu­mu­la­teurs allégés, piles à combustible…). 

La con­som­ma­tion totale d’én­ergie pri­maire serait alors de 350 Mtep dont 210 Mtep sous forme d’élec­tric­ité pri­maire, sans émis­sion de gaz car­bonique. Il resterait 140 Mtep à deman­der aux ressources fos­siles sub­sis­tantes et aux nou­velles éner­gies renou­ve­lables, soit un peu moins qu’au­jour­d’hui. Un appoint pour­rait être atten­du des nou­velles éner­gies renou­ve­lables, mais la con­som­ma­tion des éner­gies fos­siles n’au­rait que mod­éré­ment bais­sé. Les objec­tifs de réduc­tion des con­som­ma­tions et d’amélio­ra­tion des ren­de­ments énergé­tiques con­ser­vent donc toute leur valeur. 

Analyse de l’offre ou des ressources

Si notre pro­pos porte délibéré­ment sur le cas de la France, cer­taines ques­tions rel­a­tives aux ressources néces­si­tent une approche mon­di­ale (en par­ti­c­uli­er le pétrole). 

Nous exam­inerons d’abord le cas des prin­ci­paux types de ressources : hydro­car­bu­res — nucléaire (en pre­mière approx­i­ma­tion) — bio­masse, puis, de manière plus suc­cincte, celui des ressources de moin­dre impor­tance (éolien, solaire). Le cas du char­bon doit être con­sid­éré à part non pas en rai­son de la faib­lesse des ressources mais par suite de l’oblig­a­tion de lim­iter les émis­sions de gaz carbonique. 

Les hydrocarbures (pétrole — gaz naturel)

La ques­tion des ressources pétrolières à moyen et long terme est aujour­d’hui diverse­ment commentée. 

S’il n’est pas con­testable que, dans une per­spec­tive à très long terme, le pét­role, ressource fos­sile non renou­ve­lable à l’échelle humaine, fini­ra par être épuisé, les avis diver­gent sur le rythme et les modal­ités de cet épuisement. 

Une école, qu’on peut qual­i­fi­er de pes­simiste, con­sid­ère comme assez proche, sinon l’épuise­ment du pét­role, du moins le pas­sage par un max­i­mum du vol­ume annuel pro­duit (thèse du « peak-oil » de Hubbert). 

Cette thèse appa­raît cepen­dant, en dépit de son appar­ente rigueur, comme pass­able­ment réduc­trice : essen­tielle­ment basée sur des con­sid­éra­tions géologiques, elle focalise sur le pét­role clas­sique. Elle tient en out­re très peu compte des fac­teurs économiques, en par­ti­c­uli­er de l’élas­tic­ité de la demande par rap­port aux prix et plus pré­cisé­ment du fait que des cours élevés du pét­role ren­dent réal­iste l’ex­ploita­tion de nou­velles ressources. 

Aus­si existe-t-il une autre école, plus opti­miste, représen­tée notam­ment par les experts de l’IFP (Insti­tut français du pét­role)7 qui met­tent en avant les con­sid­éra­tions suivantes : 

 les réserves prou­vées (prob­a­bil­ité de récupéra­tion supérieure ou égale à 90 % grâce aux tech­niques actuelles et en l’ab­sence de boule­verse­ment des con­di­tions économiques) représen­tent quelque 1 150 mil­liards de bar­ils soit env­i­ron 40 fois la pro­duc­tion mon­di­ale actuelle (80 mil­lions de barils/jour, soit 29 mil­liards de barils/an) ;
 les réserves des gise­ments déjà con­nus au plan géologique mais non encore explorés (dits « gise­ments restant encore à décou­vrir » en lan­gage pétroli­er) représen­teraient quelque 1 000 mil­liards de bar­ils, soit encore près de quar­ante ans de la con­som­ma­tion actuelle ; 
 à ces ressources de pét­role « con­ven­tion­nel » s’a­jouteront les ressources « non con­ven­tion­nelles », telles que les bruts extralourds du Venezuela et les sables asphal­tiques du Cana­da8, qui sur la base d’un taux pru­dent de récupéra­tion (15 %) représen­teraient quelque 600 mil­liards de bar­ils de pét­role, soit encore une ving­taine d’an­nées de la con­som­ma­tion actuelle ; 
 le pro­grès tech­nique per­met, ou per­me­t­tra, de met­tre en exploita­tion de nou­veaux gise­ments (gise­ments ter­restres enfouis à grande pro­fondeur ; gise­ments off­shore en eau très pro­fonde) et d’amélior­er le taux de récupéra­tion des gisements ; 
 les réserves exploita­bles aug­mentent avec le cours du pétrole ; 
 enfin, les tech­niques CTL (coal to liq­uid) et GTL (gas to liq­uid) sont sus­cep­ti­bles de larges développe­ments dès lors que le prix du pét­role est durable­ment élevé (la Chine escompte un prix de revient de 40 dol­lars par équiv­a­lent d’un bar­il de pét­role, par la tech­nique CTL, à par­tir du char­bon dont elle est riche). 

En fin de compte, il devrait être pos­si­ble d’en­vis­ager la pour­suite de la pro­duc­tion de pét­role, naturel ou non, jusqu’à la fin du siè­cle, en tout cas au-delà de 2050. 

Mais il ne s’en suit pas néces­saire­ment que nous dis­poserons tou­jours de pét­role bon marché.

On doit au con­traire s’at­ten­dre, après divers­es fluc­tu­a­tions ten­ant à la mul­ti­plic­ité des fac­teurs tech­niques, économiques et poli­tiques qui influ­ent sur les cours du pét­role, à un mou­ve­ment de hausse ten­dan­cielle. En par­ti­c­uli­er, des travaux de mod­éli­sa­tion de l’évo­lu­tion des prix de l’én­ergie (mod­èle POLES) con­duisent à envis­ager un cours de l’or­dre de 110 dol­lars le bar­il vers 20509 et encore, dans le cadre d’un scé­nario où pro­duc­tion et con­som­ma­tion mon­di­ale n’aug­menteraient pas trop. Il n’est donc pas exclu que des cours plus élevés encore soient atteints un jour. 

Un tel cours n’est pas néces­saire­ment pro­hibitif : le max­i­mum atteint lors du deux­ième choc pétroli­er, en 1980, représen­terait 90 dol­lars actuels en util­isant un défla­teur moné­taire et 100 dol­lars en par­ité de pou­voir d’achat. 

Un cours rel­a­tive­ment élevé a en out­re l’a­van­tage de favoris­er la mise en exploita­tion de nou­velles ressources, puis le développe­ment des éner­gies de substitution. 

À not­er, néan­moins, un para­doxe : la mise en exploita­tion des pétroles non con­ven­tion­nels con­somme beau­coup d’énergie. 

Un mot enfin du gaz naturel : il offre des per­spec­tives à long terme com­pa­ra­bles à celles du pét­role et plutôt plus favor­ables : les réserves sont impor­tantes et la date prob­a­ble de pla­fon­nement de la pro­duc­tion plus loin­taine ; par con­tre le trans­port du gaz naturel est plus dif­fi­cile que celui du pét­role, ce qui induit un risque de frag­men­ta­tion du marché par con­ti­nent et de plus grande volatil­ité des prix. 

L’énergie nucléaire

Comme indiqué en préam­bule, nous nous bornerons ici à deux hypothès­es sup­plé­tives, ren­voy­ant à un arti­cle spé­ci­fique l’analyse des prob­lèmes et per­spec­tives de cette impor­tance source d’énergie. 

Une hypothèse basse, ou au fil de l’eau, serait celle qui est retenue dans les travaux de la DGEMP-Obser­va­toire de l’én­ergie déjà évo­qués : rem­place­ment pro­gres­sif des cen­trales actuelles, lorsqu’elles arriveront en fin de vie, grâce à un développe­ment lui aus­si pro­gres­sif de la 3e généra­tion (EPR) à un rythme stan­dard de deux tranch­es par an (à par­tir de 2020) ce qui con­duirait à un qua­si-pla­fon­nement de la pro­duc­tion au niveau de quelque 90 à 110 Mtep/an (con­tre 103 en 2000). 

Une hypothèse haute déjà évo­quée à la fin de la pre­mière par­tie (con­sacrée à l’analyse de la demande ou des besoins) con­sis­terait, à par­tir de la con­stata­tion des dif­fi­cultés prévis­i­bles sur la voie de la réal­i­sa­tion de l’hy­pothèse basse, à deman­der beau­coup plus au nucléaire afin d’at­tein­dre une pro­duc­tion d’én­ergie élec­trique de l’or­dre de 200 Mtep/an. La fais­abil­ité d’une telle crois­sance en un peu moins d’un demi-siè­cle sera exam­inée dans le deux­ième article. 

Les biocarburants — La biomasse

On sait faire fonc­tion­ner un moteur diesel en l’al­i­men­tant avec de l’huile végé­tale (huile de colza par exem­ple), ou de préférence un dérivé mieux adap­té aux moteurs clas­siques (ester méthylique). Toute­fois, les espoirs qu’on peut met­tre dans une telle fil­ière trou­vent vite leurs lim­ites sur le plan quan­ti­tatif : si l’on envis­ageait de rem­plac­er, en total­ité, le gazole con­som­mé en France par des esters méthyliques d’huiles végé­tales (EMVH) les cul­tures capa­bles de pro­duire les graines néces­saires acca­pareraient la qua­si-total­ité de la sur­face agri­cole util­isée (SAU) en France ! Actuelle­ment, le gazole dis­tribué en France con­tient d’ores et déjà une frac­tion d’EMVH (le taux autorisé est de 5 %, le taux effec­tif actuel est de l’or­dre de 1 % seule­ment, mais en croissance). 

Si l’on ambi­tionne d’obtenir des quan­tités appré­cia­bles d’én­ergie à par­tir de matières pre­mières d’o­rig­ine végé­tale, force est donc d’avoir une approche beau­coup plus large, à savoir la val­ori­sa­tion énergé­tique de toutes les formes de la biomasse. 

Ces formes sont mul­ti­ples et com­pren­nent prin­ci­pale­ment, out­re les graines oléagineuses déjà évoquées : 

 d’autres cul­tures dédiées à cet usage (dans la mesure où les besoins de l’al­i­men­ta­tion humaine et ani­male sont déjà cou­verts) : bet­ter­aves, céréales, etc. (util­i­sa­tion pos­si­ble des jachères oblig­a­toires insti­tuées par la Poli­tique agri­cole com­mune de l’U­nion européenne) ;
 le bois (dans la mesure où les besoins en bois d’œu­vre ou de trit­u­ra­tion sont déjà cou­verts) : la capac­ité de pro­duc­tion glob­ale de la forêt française est de l’or­dre de 65 Mm³, alors qu’on en tire actuelle­ment 35 Mm³ de bois d’œu­vre env­i­ron ; . les déchets organiques et lig­no­cel­lu­losiques (déchets de sci­erie ou d’ex­ploita­tion forestière, paille et tiges de céréales, etc.),
 les cul­tures lig­no­cel­lu­losiques dédiées (tail­lis, chan­vre, lin, etc.). 

Les voies de val­ori­sa­tion pos­si­bles sont très divers­es : pro­duc­tion de chaleur, d’élec­tric­ité, de car­bu­rants liq­uides ou gazeux, etc. 

Les coûts de ces divers­es fil­ières méri­tent bien enten­du con­sid­éra­tion, mais ils doivent être appré­ciés en valeur rel­a­tive par rap­port aux autres sources d’én­ergie : ce qui n’é­tait pas rentable avec du pét­role à 30 dol­lars le bar­il peut le devenir avec du pét­role à 60 dol­lars, voire 110. 

A380 - Quel carburant utilisera-t-il au milieu du siècle ?
L’Airbus A380, nou­v­el avion. Quel car­bu­rant utilis­era-t-il au milieu du siècle ?

À not­er d’ailleurs que les bio­car­bu­rants au sens large (car­bu­rants liq­uides issus de la bio­masse) présen­tent le grand intérêt d’être la seule forme d’én­ergie renou­ve­lable sub­sti­tu­able au pét­role, tant comme car­bu­rants que comme matières pre­mières pour l’in­dus­trie chim­ique. Ils peu­vent être pro­duits en quan­tités appré­cia­bles par les procédés de la famille BTL (bio­masse to liq­uid), util­isant déchets ou pro­duits de cul­ture lig­no­cel­lu­losique, trans­for­més par voie enzy­ma­tique ou thermochimique. 

L’u­til­i­sa­tion énergé­tique de la bio­masse pour la pro­duc­tion d’élec­tric­ité se heurte à la faib­lesse du ren­de­ment glob­al de telles fil­ières. Elle peut cepen­dant avoir un intérêt aux heures de pointes ou par cogénéra­tion (cf. ci-après). 

En fin de compte, les atouts et hand­i­caps des dif­férentes fil­ières sont assez contrastés : 

 les bio­car­bu­rants présen­tent l’atout, déjà sig­nalé, d’être des sub­sti­tuts des hydro­car­bu­res, mais les ren­de­ments des dif­férentes étapes de leur pro­duc­tion sont très vari­ables : si le ren­de­ment à l’hectare du blé est très supérieur à celui des graines oléagineuses, la pro­duc­tion du bioéthanol à par­tir du blé con­somme beau­coup d’én­ergie10 ;
 la com­bus­tion de tout élé­ment de bio­masse (en par­ti­c­uli­er des déchets) pro­duit facile­ment de la chaleur. On peut aus­si pass­er à la cogénéra­tion (pro­duc­tion con­jointe d’élec­tric­ité et de chaleur à rai­son de 25 % d’én­ergie élec­trique et 75 % de chaleur) ;
• la trans­for­ma­tion ther­mochim­ique, qui con­duit à la gazéi­fi­ca­tion de sub­stances organiques ou végé­tales, con­vient par­ti­c­ulière­ment bien à la val­ori­sa­tion des pro­duits lig­no­cel­lu­losiques (bois, paille, etc.). C’est prob­a­ble­ment la fil­ière la plus promet­teuse à long terme, sous réserve d’im­por­tants efforts de recherche-développement. 

En ce qui con­cerne la France, on admet aujour­d’hui les ordres de grandeur suivants : 

 glob­ale­ment, la val­ori­sa­tion énergé­tique de la bio­masse, qui ne dépasse pas actuelle­ment 11 Mtep par an, pour­rait attein­dre, en 2050, 40 Mtep par an (à rap­procher de la con­som­ma­tion actuelle d’én­ergie pri­maire : 275 Mtep) ;
 les bio­car­bu­rants (com­pris dans les enveloppes glob­ales ci-dessus) qui ne dépassent pas actuelle­ment 0,4 Mtep par an pour­raient attein­dre, en 2050, 20 Mtep par an, majori­taire­ment issus des fil­ières BTL (à rap­procher de la con­som­ma­tion actuelle de pro­duits pétroliers raf­finés : 87 Mtep par an, y com­pris usages non énergétiques) ;
 ces crois­sances très impor­tantes sup­posent un notable accroisse­ment de la sur­face de ter­res arables dédiées aux pro­duc­tions non-ali­men­taires : lim­itée actuelle­ment à 0,6 Mha, elle devrait attein­dre en 2050 quelque 5 Mha, soit env­i­ron 25 % du total. 

À not­er enfin, que les objec­tifs ci-dessus, découlant d’une approche nationale, pour­raient devenir une hypothèse basse dans la per­spec­tive d’un monde qui s’en­gagerait dans une val­ori­sa­tion impor­tante de la bio­masse, laque­lle pour­rait inciter, à terme, à une forte spé­cial­i­sa­tion géo­graphique : cul­tures ligneuses dans des régions forestières peu peu­plées — canne à sucre dans les régions trop­i­cales humides, etc. 

Les autres ressources

La pro­duc­tion d’élec­tric­ité d’o­rig­ine éoli­enne, beau­coup moins impor­tante aujour­d’hui en France que dans cer­tains autres pays (Alle­magne, Espagne) fait cepen­dant l’ob­jet d’un développe­ment volon­tariste, compte tenu de l’en­gage­ment pris par notre pays de pro­duire, dès 2010, 21 % de son élec­tric­ité à par­tir de sources d’én­er­gies renou­ve­lables (Direc­tive européenne du 27 sep­tem­bre 2001, au sens de laque­lle l’hy­draulique est une énergie renou­ve­lable, mais pas le nucléaire), ce qui compte tenu de la faible élas­tic­ité des autres sources con­duit à un objec­tif de 10 000 MW instal­lés (con­tre env­i­ron 1 000 actuelle­ment). Il est d’ores et déjà acquis que cet objec­tif ne sera pas atteint en 2010, mais il pour­rait l’être vers 2015. 

Pour­ra-t-on aller au-delà ? Cela dépen­dra de fac­teurs en par­tie poli­tiques : le développe­ment actuel est fondé sur des tar­ifs admin­istrés et une oblig­a­tion d’achat par EDF. Par con­tre, l’im­plan­ta­tion de nom­breuses éoli­ennes de grande taille sus­cite sou­vent des oppo­si­tions locales. 

Par ailleurs, il est con­nu que le car­ac­tère inter­mit­tent et aléa­toire de la pro­duc­tion éoli­enne pose des prob­lèmes spé­ci­fiques, en par­ti­c­uli­er la néces­sité de dis­pos­er de cen­trales de rem­place­ment. Compte tenu de la néces­sité de démar­rage inopiné à la demande de ces cen­trales de rem­place­ment, la solu­tion la plus sim­ple (mais pas la plus sat­is­faisante) est le recours à des cen­trales ther­miques, mais on pour­rait égale­ment utilis­er des cen­trales nucléaires, moyen­nant un mode d’u­til­i­sa­tion appro­prié de celles-ci (con­duite « en suivi de charge », qui pose toute­fois des prob­lèmes de rentabilité). 

Il con­vient donc d’être pru­dent et d’escompter, à long terme, une pro­duc­tion d’én­ergie qui ne dépasserait pas 40 TWh/an, soit env­i­ron la moitié de la pro­duc­tion hydraulique. 

En ce qui con­cerne l’én­ergie solaire, il con­vient de dis­tinguer deux branch­es très distinctes. 

Le solaire ther­mique (pro­duc­tion d’eau chaude) est sim­ple à met­tre en œuvre et per­met des économies sur les autres sources d’én­ergie (com­bustibles — élec­tric­ité). L’équipement des immeubles en pan­neaux solaires ther­miques est une tech­nique d’ores et déjà éprou­vée. Le « plan solaire » ini­tié par l’ADEME en 2000 visait un objec­tif de 1 000 000 m2/an d’in­stal­la­tion de pan­neaux solaires ther­miques vers 2010, échéance à laque­lle le parc français pour­rait être de l’or­dre de 3 600 000 m2. Si le rythme visé se pour­suit pen­dant une ving­taine d’an­nées, on arriverait à long terme à quelque 24 000 000 m2, ce qui évit­erait une con­som­ma­tion d’autres éner­gies de l’or­dre de 1,5 Mtep/an, c’est-à-dire assez peu de chose. 

La ques­tion du solaire pho­to­voltaïque (pro­duc­tion d’élec­tric­ité) est plus com­plexe : ce procédé rend des ser­vices très appré­ciés pour les instal­la­tions isolées ou les bâti­ments non rac­cordés au réseau élec­trique (ce dernier cas est très mar­gin­al en France mét­ro­pol­i­taine). Une util­i­sa­tion moins lim­itée pour­rait emprunter deux voies : Le « toit pho­to­voltaïque » per­me­t­tant à un bâti­ment de pro­duire au moins une par­tie de sa con­som­ma­tion d’élec­tric­ité, qui s’in­scrirait dans un effort plus glob­al d’amélio­ra­tion des per­for­mances énergé­tiques des bâti­ments ou la pro­duc­tion pour le réseau. Ce dernier mode souf­fre de sérieux hand­i­caps, en par­ti­c­uli­er une fais­abil­ité totale­ment sub­or­don­née à d’im­por­tantes sub­ven­tions, car son prix de revient est de l’or­dre de dix fois celui des cen­trales clas­siques. Même en sup­posant un impor­tant renchérisse­ment général de l’én­ergie, un tel hand­i­cap ne pour­rait être sur­mon­té qu’à long terme et par d’im­por­tants efforts de recherche-développe­ment qui restent à accomplir. 

En résumé, il sem­ble improb­a­ble que la pro­duc­tion d’élec­tric­ité d’o­rig­ine solaire apporte une con­tri­bu­tion sig­ni­fica­tive au réseau français à l’hori­zon 2050, ce qui ne retire d’ailleurs pas leur intérêt à des appli­ca­tions dédiées comme le « toit pho­to­voltaïque » pour un pavil­lon d’habitation. 

Le charbon

Les plus récents des scé­nar­ios prospec­tifs con­ver­gent vers une util­i­sa­tion en France de plus en plus lim­itée de cette source d’én­ergie. Le fait que la pro­duc­tion française ait dis­paru n’en est évidem­ment pas la seule rai­son : s’y ajoutent l’in­com­mod­ité du char­bon et surtout le fait que la par­tie utile de ce com­bustible étant exclu­sive­ment con­sti­tuée de car­bone, son bilan gaz car­bonique-énergie est par­ti­c­ulière­ment mau­vais, ce qui est très défa­vor­able à la réal­i­sa­tion des objec­tifs que la France s’est assignée en la matière. 

On s’ori­ente donc, à long terme, vers une con­som­ma­tion lim­itée à une fourchette de 1 à 4 Mtep. 

Des scé­nar­ios vari­antes sont toute­fois pos­si­bles, notam­ment par recours à des tech­nolo­gies évoluées (CTL, cf. ci-dessus) ou dans un but de sécu­rité d’ap­pro­vi­sion­nement (cf. ci-après). 

La sécurité énergétique

Aus­si bien l’ex­péri­ence accu­mulée depuis le pre­mier choc pétroli­er (1973) que les sup­pu­ta­tions que l’on peut faire à par­tir de la sit­u­a­tion géopoli­tique actuelle sug­gèrent que l’im­pératif de sécu­rité énergé­tique pour­rait, dans cer­tains cas, l’emporter sur d’autres fac­teurs du prob­lème de l’énergie. 

On sait en effet que si les pays mem­bres de l’OPEP ne réalisent aujour­d’hui que 30 % de la pro­duc­tion mon­di­ale de pét­role, ce taux risque de pass­er, dans une ving­taine d’an­nées, à 40–45 %, alors que plusieurs pays de l’OPEP entre­ti­en­nent des rela­tions dif­fi­ciles avec les prin­ci­paux pays impor­ta­teurs11.

L’U­nion européenne a d’ailleurs rangé la sécu­rité énergé­tique au rang de ses objec­tifs fon­da­men­taux depuis 2002. 

Quels équilibres possibles en 2050 ?

On obtient ain­si les évo­lu­tions suiv­antes des ressources globales  Hypothèse basse
(– 30%) 
Hypothèse haute
(+ 30%) 
Pétrole  35  65 
Gaz naturel  12  30 
Élec­tric­ité nucléaire  103  200 
Bio­car­bu­rants, biomasse  40  40 
Élec­tric­ité hydraulique 
Autres éner­gies renou­ve­lables (éolien-solaire)
Charbon 
Total 203 Mtep/an 351 Mtep/an

On a éval­ué, dans la pre­mière par­tie, les besoins en énergie pri­maire de la France en 2050 à :
 188 Mtep/an en hypothèse basse,
 350 Mtep/an en hypothèse haute. 

Restent à exam­in­er les ressources dont on peut escompter l’u­til­i­sa­tion, en reprenant de manière syn­thé­tique les don­nées exam­inées dans la deux­ième par­tie pour cha­cune des prin­ci­pales sources d’én­ergie, ce qui donne l’in­ven­taire suivant 

 pét­role et gaz naturel : on a admis qu’ils seraient encore disponibles en 2050, les lim­i­ta­tions prob­a­bles de la con­som­ma­tion découlant soit de l’ef­fet d’élas­tic­ité de la demande par rap­port aux prix, soit des déci­sions rel­a­tives à la lim­i­ta­tion des émis­sions de gaz carbonique. 

La ten­dance de la con­som­ma­tion de pét­role a d’ailleurs cessé depuis longtemps d’être à la hausse puisque cette con­som­ma­tion, qui était de 121 Mtep en 1973, pla­fonne depuis 1990 à 90–95 Mtep. On peut donc admet­tre qu’elle sera inférieure à 90 Mtep, même en hypothèse haute. L’hy­pothèse basse la lim­ite à 35 Mtep en 2050. 

La ten­dance de la con­som­ma­tion de gaz naturel, par con­tre, reste net­te­ment ori­en­tée à la hausse. Toute­fois, compte tenu de ce que plus de la moitié de la con­som­ma­tion actuelle con­cerne le secteur rési­den­tiel et ter­ti­aire, où l’ef­fort d’amélio­ra­tion des per­for­mances énergé­tiques, déjà évo­qué, va néces­saire­ment se pour­suiv­re, on peut admet­tre, même en hypothèse haute, une réduc­tion de l’or­dre de 25 % par rap­port à la sit­u­a­tion actuelle, soit 30 Mtep (con­tre 40 en 2004). L’hy­pothèse basse lim­ite cette con­som­ma­tion à 34 Mtep en 2030 et 12 en 2050. 

 élec­tric­ité nucléaire on a admis les chiffres pro­vi­soires suivants :
— hypothèse basse : 103 Mtep/an,
— hypothèse haute : 200 Mtep/an.

 bio­car­bu­rants et autres val­ori­sa­tions de la bio­masse : 40 Mtep/an.
 élec­tric­ité hydraulique : force est d’ad­met­tre un pla­fon­nement au voisi­nage du niveau actuel soit 7 Mtep/an12.
 élec­tric­ité éoli­enne : 3,5 Mtep/an.
 solaire ther­mique : 1,5 Mtep/an.

L’équili­bre est assuré en hypothèse basse (il le serait encore si les objec­tifs de val­ori­sa­tion de la bio­masse n’é­taient que par­tielle­ment atteints) mais au prix d’é­conomies dras­tiques de pét­role et de gaz naturel, dont la fais­abil­ité reste à établir. 

L’équili­bre peut égale­ment être assuré en hypothèse haute tout en per­me­t­tant une cer­taine réduc­tion de la con­som­ma­tion de pét­role, mais au prix d’un très gros effort d’équipement nucléaire et sans pour autant arriv­er à respecter le « fac­teur 4 ». 

Le cumul de ces deux derniers hand­i­caps donne à penser que le respect du « fac­teur 4 » serait pour le moins dif­fi­cile, même pour une hypothèse de con­som­ma­tion intermédiaire. 

Des vari­antes plus auda­cieuses mérit­eraient peut-être cepen­dant d’être exam­inées, notam­ment à par­tir de la remar­que suiv­ante : le « fac­teur 4 » con­stitue une décli­nai­son appliquée aux pays dévelop­pés d’un objec­tif « fac­teur 2 » à l’échelle mon­di­ale (afin de ménag­er les pos­si­bil­ités de crois­sance des autres pays). Mais on peut se pos­er la ques­tion de savoir s’il est équitable de vouloir impos­er ce fac­teur 4 tel quel à la France, qui a déjà forte­ment réduit ses émis­sions de gaz car­bonique, du fait du développe­ment impor­tant de sa pro­duc­tion d’én­ergie nucléaire13.

Il s’a­gi­rait évidem­ment là d’une démarche poli­tique auda­cieuse. Mais, inverse­ment, con­sid­ér­er le « fac­teur 4 » comme un dogme intan­gi­ble con­stituerait une démarche de car­ac­tère téléologique14.

Commentaires

Les chiffres ci-dessus ne doivent pas faire illu­sion : ils ne con­stituent que des ordres de grandeur. De plus, la réal­i­sa­tion d’un équili­bre esquis­sé de manière aus­si som­maire reste sub­or­don­née à des con­di­tions physiques qui ne ressor­tent pas directe­ment de ces chiffres. Une analyse plus générale (qui débor­derait de l’ob­jet du présent arti­cle) devrait appro­fondir les per­spec­tives de com­péti­tion, pour l’u­til­i­sa­tion de cer­taines matières pre­mières, telles que les pro­duits de la bio­masse, entre les util­i­sa­tions énergé­tiques et d’autres domaines : lubri­fi­ants, mais aus­si solvants, plas­tiques, papeterie, bois d’œu­vre, etc. 

En par­ti­c­uli­er, les car­bu­rants liq­uides vont devenir rares et la réal­i­sa­tion d’un nou­v­el équili­bre (même en hypothèse haute) sup­pose que nous soyons capa­bles de mod­i­fi­er les proces­sus de déplace­ments de per­son­nes et de trans­ports de marchan­dis­es en faisant appel à de nou­velles tech­nolo­gies ou en ayant recours beau­coup plus large­ment que par le passé à des tech­nolo­gies déjà con­nues, mais dont le développe­ment a, jusqu’à présent, stag­né : véhicule à propul­sion élec­trique15 ; déplace­ments en TGV plutôt qu’en voiture par­ti­c­ulière pour les dis­tances moyennes ou en avion pour des dis­tances plus longues16, voire réduc­tion de la fréquence de nos déplace­ments. Ou encore : rap­proche­ment de cer­taines pro­duc­tions, ou fab­ri­ca­tions, des zones de con­som­ma­tion (à l’in­verse de ce qui s’est fait au cours des dernières décennies). 

On débouche là non seule­ment sur une péri­ode de tran­si­tion énergé­tique, mais aus­si sur de véri­ta­bles prob­lèmes de société, qui ne peu­vent, au mieux, être réso­lus qu’à long terme : il con­viendrait donc de com­mencer à s’en occu­per tout de suite (les réveils tardifs risquent d’être douloureux). 

Dans un autre ordre d’idées, il se pour­rait qu’on envis­age, si les autres sources d’én­ergie s’avéraient insuff­isantes, un cer­tain retour au char­bon (dont les ressources restent abon­dantes au plan mon­di­al). Mais compte tenu des con­traintes désor­mais pris­es en compte en matière d’émis­sions de gaz car­bonique, ce retour au char­bon sup­pose l’ac­cep­ta­tion et le finance­ment des tech­niques de cap­tage et séques­tra­tion du gaz car­bonique. Il pour­rait aus­si y avoir là un moyen de respecter le « fac­teur 4 » en hypothèse haute. Or, ces tech­niques de stock­age géologique en sont encore à l’ex­péri­men­ta­tion, voire au con­cept. Un impor­tant effort de recherche-développe­ment sem­ble d’au­tant plus s’im­pos­er dans ce domaine, notam­ment pour faire baiss­er les prix, qu’il sem­ble devoir être de longue haleine. 

Enfin, il sem­ble évi­dent, à la lumière de ce qui précède, qu’il est exclu de « sor­tir du nucléaire » : le défi auquel notre pays va être con­fron­té au cours des prochaines décen­nies sera au con­traire celui de notre capac­ité à dou­bler la pro­duc­tion d’élec­tric­ité d’o­rig­ine nucléaire. 

Bib­li­ogra­phie sommaire

L’énergie de demain, sous la direc­tion de J.-L. BOBLIN, E. HUFFER et H. NIFENECKER – EDP – Sci­ences édi­teur, 2005. 

L’énergie en 2050 par B. WIESENFELD – EDP – Sci­ences édi­teur, 2005. 

Quelles éner­gies pour demain ? par R. DAUTRAY – Odile Jacob – Sci­ences édi­teur, 2004. 

Futuri­bles, n° 315 – jan­vi­er 2006 (numéro con­sacré aux per­spec­tives énergétiques). 


1. Cet arti­cle, ain­si que le deux­ième évo­qué ci-après, a été établi, notam­ment (mais non exclu­sive­ment) à par­tir des don­nées pro­duites lors de deux tables ron­des, aux­quelles par­tic­i­paient notam­ment : Gérard FRIÈS (75), Richard LAVERGNE (75), Jean BOUNINE-CABALÉ (44) et Jean-Paul LANNEGRACE (55), tan­dis que Gérard de LIGNY (43) et Jean HERMAN (52) par­tic­i­paient aux deux, pour en assur­er l’an­i­ma­tion et la syn­thèse. Hervé NIFENECKER (55) a été con­sulté séparé­ment. La présente syn­thèse n’en­gage per­son­nelle­ment aucun des experts ain­si con­sultés, cha­cun d’eux ayant cepen­dant été à même de don­ner son avis.
2. Des hypothès­es sup­plé­tives seront faites, à ce stade, sur le nucléaire, pour abor­der la ques­tion de l’équili­bre global.
3. Les fig­ures 1 et 2 sont extraites des doc­u­ments pub­liés par la Direc­tion générale de l’én­ergie et des matières pre­mières (DGEMP, Obser­va­toire de l’énergie).
4. Voir son arti­cle dans le numéro de mai 2005 de La Jaune et la Rouge.
5. Le doc­u­ment — très péd­a­gogique — qui présente le proces­sus et le résul­tat de cette étude est con­sultable sur le site Inter­net : www.industrie.gouv.fr/énergie
6. Dont témoigne, notam­ment, la nou­velle régle­men­ta­tion ther­mique des bâti­ments (RT 2005) qui va entr­er en vigueur et s’avère pass­able­ment dra­coni­enne : oblig­a­tion de respecter une con­som­ma­tion max­i­male en kWh/m2/an — oblig­a­tion d’une sur­face min­i­male de pan­neaux solaires ther­miques, etc.
7. Cf. aus­si : Albert BRESSAND — Les scé­nar­ios globaux de Shell — Futuri­bles, jan­vi­er 2006.
8. L’ob­jec­tion selon laque­lle le pét­role con­tenu dans ces gise­ments serait un pét­role dégradé par oxy­da­tion relève de la tau­tolo­gie : les sables asphal­tiques étant enfouis à faible pro­fondeur dans des couch­es de sables non con­solidés et per­méables ont effec­tive­ment subi des altéra­tions par destruc­tion des molécules les plus légères. Cela ne sig­ni­fie pas qu’ils sont inexploitables !
9. Exposé de Patrick CRIQUI, directeur de recherch­es au CNRS (Lab­o­ra­toire d’é­conomie de la pro­duc­tion et de l’in­té­gra­tion inter­na­tionale-LEP­II) au Groupe X‑Environnement le 16 novem­bre 2005.
10. Toutes étapes cumulées, le ren­de­ment énergé­tique de la fil­ière bioéthanol dépasse à peine 1, pour pro­duire 100 tep sous forme de bioéthanol, il faut dépenser près de 100 tep et le pro­duit final ne con­tient que très peu de pro­duc­tion énergé­tique nette : il a surtout l’in­térêt d’être un trans­for­ma­teur d’énergie.
11. Albert BRESSAND — Les scé­nar­ios globaux de Shell — in Futuri­bles n° 315, jan­vi­er 2006 (numéro con­sacré aux per­spec­tives énergétiques).
12. La con­ver­sion des ressources en énergie élec­trique pri­maire non nucléaire (hydraulique-éolien) est faite sur la base dite du « con­tenu énergé­tique », soit 0,086 tep/MWh, selon les con­ven­tions de l’A­gence inter­na­tionale de l’én­ergie (AIE) et de l’Of­fice européen des sta­tis­tiques (EUROSTAT) adop­tées en France par l’Ob­ser­va­toire de l’én­ergie depuis 2002. D’autres inter­pré­ta­tions sont pos­si­bles, par com­para­i­son avec une autre source d’én­ergie, jugée plus pré­cieuse (par ex. : le pétrole).
13. Cf. France-Per­spec­tives énergé­tiques pour 2050, par C. ACKET et P. BACHER, doc­u­ment con­sultable sur le site : www.sauvonsleclimat.org
14. Terme employé dans le rap­port « Étude pour une prospec­tive énergé­tique con­cer­nant la France » pro­duit par ENERDATA et le LEPII pour le compte de la DGEMP en févri­er 2005.
15. En dépit de la stag­na­tion passée de la voiture élec­trique, des marges impor­tantes exis­tent dans ce domaine. En par­ti­c­uli­er les spé­cial­istes de la recherche (tout à fait appliquée) en matière de trans­ports col­lec­tifs urbains con­sid­èrent qu’à long terme ces trans­ports pour­raient utilis­er exclu­sive­ment de l’én­ergie élec­trique (Réf : 50e Forum d’Ié­na — Les trans­ports de la ville en pleine muta­tion — mai 2005).
16. L’u­til­i­sa­tion de l’hy­drogène comme car­bu­rant mérite une sim­ple men­tion car, out­re qu’il ne s’ag­it pas d’une source d’én­ergie mais seule­ment d’un vecteur d’én­ergie, sa mise en œuvre restera longtemps incom­mode, voire dangereuse. 

Poster un commentaire