Les expériences d’Arago et la genèse de la relativité

Dossier : Libres proposMagazine N°556 Juin/Juillet 2000
Par Albert BIJAOUI (62)

Les lecteurs vont peut-être être sur­pris en lisant ce réc­it, mais l’his­toire des sci­ences est rem­plie de tels faits. Des savants inven­tent, décou­vrent, mais ils sont trop en avance pour que leurs résul­tats puis­sent être cor­recte­ment inter­prétés. Beau­coup plus tard, d’autres expéri­ences vont être imag­inées éclairant les travaux anciens d’une nou­velle lumière, avec un nou­veau lan­gage. Les pio­nniers sont oubliés4, seuls les noms des savants ayant réal­isé les expéri­ences déci­sives seront retenus dans les manuels d’enseignement.

I. D’Estagel à l’Observatoire de Paris

Dominique, François, Jean Ara­go est né en 1786 à Estagel (Pyrénées- Ori­en­tales). En 1796, son père occupe un place impor­tante au Direc­toire départe­men­tal, l’a­menant à emmé­nag­er avec sa famille à Per­pig­nan. François Ara­go va au col­lège, et acquiert un très bon niveau dans les human­ités. En 1800, sa ren­con­tre sur les rem­parts de la ville avec François Celli­ni de Cres­sac (X 1794) est déter­mi­nante : il veut entr­er à l’É­cole poly­tech­nique pour devenir offici­er5.

Il se plonge avec acharne­ment dans les œuvres d’Euler, de Lagrange et de Laplace et il est prêt en 1802 à pass­er le con­cours. Mais les épreuves sont annulées à Mont­pel­li­er, et il doit atten­dre 1803 pour éblouir Louis Mon­ge, le fils du père de la géométrie descrip­tive, et entr­er dans les tout pre­miers à l’É­cole. Sa très grande per­son­nal­ité est très vite remar­quée, et il fait une forte impres­sion sur ses pro­fesseurs, par­mi lesquels Legendre, Lagrange et Mon­ge. Il se lie d’ami­tié avec Siméon Denis Pois­son (X 1794), avec qui il cohab­ite chez Hachette. Pois­son en 1805 va lui faire une étrange propo­si­tion : accepter le poste de secré­taire bib­lio­thé­caire de l’Ob­ser­va­toire de Paris.

Il peut être sur­prenant de voir que le major6 de pro­mo­tion d’une École qui venait d’avoir un statut mil­i­taire puisse être chargé d’une telle fonc­tion alors même que ses études ne sont pas achevées. Dans son auto­bi­ogra­phie, His­toire de ma Jeunesse, Ara­go n’en donne pas d’ex­pli­ca­tions très con­va­in­cantes. Depuis 1795, l’Ob­ser­va­toire de Paris est placé sous la tutelle du Bureau des lon­gi­tudes (que nous appellerons par la suite le Bureau). Pierre, Simon de Laplace y domine de son immense stature sci­en­tifique. La déter­mi­na­tion pré­cise des lon­gi­tudes reste un objec­tif essen­tiel pour la car­togra­phie et la nav­i­ga­tion. Les astronomes ont pour tâche de per­fec­tion­ner les tables astronomiques (éphémérides), et de les pub­li­er, ain­si que toute autre infor­ma­tion utile aux nav­i­ga­teurs. Le Bureau avait joué un rôle déter­mi­nant dans la déter­mi­na­tion du mètre, avec la mis­sion de Jean-Bap­tiste Delam­bre et de Pierre, André Méchain7. Celui-ci avait mesuré la par­tie sud de la Méri­di­enne de Paris. Au cours de ses obser­va­tions, il s’é­tait ren­du compte qu’il était pos­si­ble d’é­ten­dre la mesure jusqu’aux Baléares. Le Bureau avait accep­té cette propo­si­tion et Pierre Méchain était repar­ti en Espagne en 1803. En pas­sant par Per­pig­nan il a été hébergé par la famille Ara­go, pour la sec­onde fois car Méchain avait été aus­si accueil­li en 1796, lors de la pre­mière expédi­tion. Il a découragé le jeune Ara­go, qui pré­parait le con­cours de l’É­cole, de s’en­gager dans la car­rière des sci­ences, l’es­ti­mant trop dif­fi­cile et pleine de déceptions.

Pierre Méchain meurt au cours de sa mis­sion en 1804. Son fils, secré­taire bib­lio­thé­caire de l’Ob­ser­va­toire, démis­sionne peu après. C’est cet emploi qui est offert à Ara­go, qu’il com­mence par refuser, car il a tou­jours l’am­bi­tion de devenir offici­er. Il est très vraisem­blable que le coût élevé des études que venait d’in­stituer Napoléon Ier a joué un rôle déter­mi­nant dans l’ac­cep­ta­tion par Ara­go de cet emploi.

II. L’expérience d’Arago

Le Bureau le place sous la respon­s­abil­ité de Jean-Bap­tiste Biot (X 1794), jeune mem­bre de l’In­sti­tut et pro­fesseur au Col­lège de France, et grand dis­ci­ple de Laplace. Ils repren­nent les travaux de Bor­da sur la réfrac­tion des gaz, d’un grand intérêt dans les obser­va­tions astronomiques. Ces expéri­ences vont jouer un rôle déter­mi­nant dans la car­rière d’Ara­go, car elles lui lais­sent un doute sur la théorie de la lumière à la mode, celle de New­ton. À la suite du suc­cès de la théorie de la grav­i­ta­tion uni­verselle, New­ton avait en effet pro­posé que la lumière était con­sti­tuée de grains, qui étaient cap­tés par le milieu réfrin­gent, déviant ain­si les rayons, con­for­mé­ment à la loi de Descartes. Biot et Ara­go obti­en­nent des mesures qui pou­vaient s’in­té­gr­er dans la théorie de l’émission.

Ce tra­vail inspire à Ara­go l’idée d’ob­serv­er l’aber­ra­tion annuelle des étoiles avec un prisme. Picard8 a mis en évi­dence en 1669 cette aber­ra­tion de déplace­ment d’ensem­ble des étoiles sur la voûte céleste sur la seule étoile polaire. Ce phénomène n’avait rien à voir avec la par­al­laxe, phénomène géométrique, ne dépen­dant que de la dis­tance des étoiles. Bradley a mon­tré en 1728 qu’il s’agis­sait d’un phénomène sys­té­ma­tique, d’une très grande ampli­tude, puisque toutes les étoiles décrivent une ellipse appar­ente de 20″ 4 de demi-grand axe, ce qui était par­faite­ment mesurable au XVIIIe siè­cle. Bradley a mon­tré que ce mou­ve­ment appar­ent était dû au mou­ve­ment de la Terre par rap­port à la lumière émise par la source. Aujour­d’hui l’in­ter­pré­ta­tion de ce phénomène ne se conçoit que dans un cadre relativiste.

L’in­ter­po­si­tion d’un prisme con­duit à mod­i­fi­er les vitesses rel­a­tives. Ara­go inter­pose un prisme de 45′, ce qui était suff­isant d’après ses cal­culs pour observ­er un effet, or il ne détecte aucun déplace­ment dans la lim­ite de ses erreurs. Il effectue une pré­dic­tion pour un prisme d’an­gle plus grand, tou­jours dans le cadre de la théorie de l’émis­sion. Il rédi­ge un mémoire en 1806, avant de par­tir pour l’Es­pagne repren­dre avec Biot le pro­jet d’ex­ten­sion de la Méri­di­enne de Méchain. Ce mémoire présen­té à l’A­cadémie est trans­mis aux rap­por­teurs Lagrange et Laplace, qui vont le laiss­er de côté jusqu’au retour d’Ara­go en 1809.

III. L’odyssée d’Arago

Quand les jeunes savants par­tent sur les routes du Sud, les rela­tions fran­co-espag­noles ne sont pas mau­vais­es. Ils sont accueil­lis par deux com­mis­saires, Chaix et Rodriguez, qui vont se charg­er de les aider et de les pro­téger. En octo­bre 1806, une pre­mière alerte a lieu, avec une fausse nou­velle de guerre entre les deux pays. Fin 1807, l’ex­ten­sion de la Méri­di­enne est finie. Biot revient à Paris, mais Ara­go veut ter­min­er des mesures aux Baléares pour déter­min­er une por­tion de par­al­lèle, désobéis­sant aux injonc­tions du Bureau. Au print­emps 1808, c’est la guerre, sa sit­u­a­tion devient pré­caire. ” Les feux qu’il allumait sur la mon­tagne étaient pris pour des sig­naux aux bateaux impéri­aux. ” Début juin 1808, il ne doit sa survie qu’en courant pour se porter pris­on­nier à la prison de Pal­ma. Il y rejoint un offici­er français, Berthémie, avec lequel il partagera une année d’odyssée.

Le cap­i­taine général de Pal­ma, sous la pres­sion de Rodriguez, fait évad­er les deux hommes le 28 juil­let. Le petit bateau qui les accueille met le cap sur Alger, où ils arrivent le 3 août 1808. Après un bref séjour, ils repar­tent avec des passe­ports hon­grois sur un navire de la Régence, pour Mar­seille. Le 16 août ils sont près de la cité phocéenne, mais un cor­saire espag­nol les accoste et ramène le bateau, avec ses pas­sagers, en Catalogne.

Ara­go et Berthémie vont rester pris­on­niers en Espagne, dans des con­di­tions très dif­fi­ciles, jusqu’au 28 novem­bre 1808. Le Dey, ayant appris l’ar­raison­nement du bateau, et la mort d’un des lions qu’il voulait offrir à Napoléon Ier , est entré dans une grande colère, menaçant de déclar­er la guerre à l’Es­pagne. Le bateau fait à nou­veau cap sur Mar­seille. Les voyageurs com­men­cent à apercevoir les collines, quand un vio­lent mis­tral les ren­voie en Afrique. Ils abor­dent à Bougie le 5 décem­bre 1808. Pour repar­tir, ils doivent tra­vers­er la Kabylie, aven­ture par­ti­c­ulière­ment dan­gereuse pour des chré­tiens à cette époque. Ils arrivent toute­fois sains et saufs à Alger le 25 décem­bre 1808.

L’aven­ture n’est pas ter­minée, le nou­veau Dey réclame à l’Em­pire le verse­ment d’une dette impor­tante. Le con­sul refuse, le Dey déclare la guerre et met les Français en prison. La sit­u­a­tion dur­era jusqu’au verse­ment de la dette par des com­merçants d’Al­ger qui souf­frent de la rup­ture des rela­tions com­mer­ciales avec l’Em­pire9. Le 21 juin 1809 Ara­go quitte Alger et arrive enfin, après une année d’odyssée, à Marseille.

IV. La constance de la lumière

Le retour d’Ara­go stupé­fie les milieux sci­en­tifiques parisiens. On le croy­ait pen­du aux Baléares, ou bien mas­sacré en Cat­a­logne, ou encore pour­ris­sant en Afrique. Il présente ses dernières mesures au Bureau, les ayant con­servées pen­dant toute son aven­ture. Le poste de Lalande est libre à l’A­cadémie, Ara­go est élu au détri­ment de son ami Pois­son, mal­gré l’op­po­si­tion de Laplace. Cette bril­lante élec­tion à 23 ans à l’In­sti­tut, il la doit en grande par­tie à l’ap­pui de Lagrange et de Delam­bre. Selon P. Costa­bel, il est très prob­a­ble que ce soit le mémoire de 1806 déposé par Ara­go, plus que par la mesure de l’ex­ten­sion de la Méri­di­enne qui ait forte­ment impres­sion­né ce dernier10.

Ce mémoire ressort donc de l’ou­bli et il est accep­té par l’In­sti­tut, à la suite de l’avis des deux rap­por­teurs. Laplace, au nom du Bureau, invite alors Ara­go à mon­ter l’ex­péri­ence et à faire les obser­va­tions cor­re­spon­dantes. En 1806, Ara­go avait util­isé un prisme de 45′, en 1809 les mesures sont réal­isées avec un prisme achro­ma­tique d’un angle de 10°, ce qui est large­ment suff­isant pour voir un effet, d’après les cal­culs d’Ara­go, repris par Lagrange et Laplace. C’est l’échec : aucun change­ment n’est vis­i­ble dans la valeur de l’aber­ra­tion. Ara­go reprend l’ex­péri­ence en 1810 avec un prisme de 22°, et il ne perçoit aucun effet11.

Laplace est très per­plexe de ce résul­tat. Il hésite entre deux expli­ca­tions, soit l’œil ne peut percevoir que des grains de lumière ayant une vitesse don­née, soit la vitesse de la lumière est con­stante. C’est plutôt la pre­mière hypothèse que retient Laplace dans son grand ouvrage, l’Expo­si­tion du Sys­tème des Mon­des12 :

” L’aber­ra­tion des étoiles dépend de la vitesse de leur lumière com­binée avec celle de la Terre dans son orbite ; elle ne serait donc pas la même pour tous les astres, si leurs rayons par­ve­naient à nous avec des vitesses dif­férentes. Il serait dif­fi­cile, vu la petitesse de l’aber­ra­tion, de con­naître exacte­ment par ce moyen, ces dif­férences ; mais la grande influ­ence de la vitesse de la lumière sur sa réfrac­tion, en pas­sant dans un milieu diaphane, four­nit une méthode très pré­cise pour déter­min­er les vitesses respec­tives des rayons lumineux. Il suf­fit pour cela de fix­er un prisme de verre au devant de l’ob­jec­tif de la lunette et de mesur­er la dévi­a­tion qui en résulte dans la posi­tion appar­ente des astres.

On a recon­nu de cette manière que les vitesses de la lumière directe et réfléchie de tous les objets célestes et ter­restres étaient exacte­ment les mêmes. Les expéri­ences qu’Ara­go a bien voulu faire à ma prière ne lais­sent aucun doute sur ce point de physique impor­tant à l’as­tronomie en ce qu’il prou­ve la justesse de l’aber­ra­tion des astres.

” La vitesse de la lumière des étoiles n’est pas, rel­a­tive­ment à un obser­va­teur, la même dans tous les points de l’or­bite ter­restre. Elle est la plus grande lorsque son mou­ve­ment est con­traire à celui de la Terre ; elle est la plus petite quand les deux mou­ve­ments con­spirent. Quoique la dif­férence qui en résulte dans la vitesse rel­a­tive d’un ray­on lumineux ne s’élève qu’à un cinq mil­lième env­i­ron de la vitesse totale, cepen­dant elle peut pro­duire des change­ments sen­si­bles dans la dévi­a­tion de la lumière qui tra­verse un prisme. Des expéri­ences très pré­cis­es, faites par Ara­go, ne les ayant point fait apercevoir, on doit en con­clure que la vitesse rel­a­tive d’un ray­on lumineux homogène est con­stam­ment la même, et prob­a­ble­ment déter­minée par la nature du flu­ide qu’il met en mou­ve­ment dans nos organes pour pro­duire la sen­sa­tion de lumière.

Cette con­séquence paraît encore indiquée par l’é­gal­ité de vitesse de la lumière émanée des astres et des objets ter­restres, égal­ité qui, sans cela, serait inex­plic­a­ble. Est-il invraisem­blable de sup­pos­er que les corps lumineux lan­cent une infinité de rayons doués de vitesses dif­férentes, et que les seuls rayons dont la vitesse est com­prise dans cer­taines lim­ites ont la pro­priété d’ex­citer la sen­sa­tion de lumière, tan­dis que les autres ne pro­duisent qu’une chaleur obscure. ”

V. L’entraînement de l’éther

Nous sommes en 1811. La théorie de l’émis­sion est la théorie dom­i­nante. Pour­tant plusieurs faits expéri­men­taux, bien con­nus, accrédi­tent plutôt la thèse de la nature ondu­la­toire de la lumière. Ara­go va s’en­gager dans cette voie, sous l’in­flu­ence des travaux d’É­ti­enne, Louis Malus (X 1794). En obser­vant la réflex­ion du Soleil dans une mare à tra­vers un spath d’Is­lande, Malus s’é­tait aperçu que de sim­ples réflex­ions pou­vaient polaris­er la lumière. Il était même pos­si­ble de faire ain­si dis­paraître totale­ment la lumière. La polar­i­sa­tion cristalline, asso­ciée à la biréfrin­gence, était con­nue depuis de longues années. Elle était inter­prétée dans la théorie de l’émis­sion. La polar­i­sa­tion par sim­ple réflex­ion par con­tre était dif­fi­cile­ment explic­a­ble dans cette théorie.

Ara­go, reprenant des travaux de New­ton sur les lames minces, décou­vre en 1811 les phénomènes de polar­i­sa­tion chro­ma­tique et de polar­i­sa­tion rota­toire. Ceci lui per­met de con­stru­ire un polar­iscope avec lequel il va décou­vrir la polar­i­sa­tion des halos de la Lune et du Soleil, l’ex­is­tence de points neu­tres dans la polar­i­sa­tion du ciel, la polar­i­sa­tion des mers lunaires… Il a l’idée d’ex­am­in­er la polar­i­sa­tion des gaz, des liq­uides et des solides sur leur bord, et mon­tre ain­si en 1814 la nature gazeuse du Soleil.

Il acquiert ain­si une nou­velle célébrité. C’est prob­a­ble­ment cela qui va con­duire en 1814 Augustin Fres­nel (X 1807) à le con­tac­ter pour qu’il juge quelques-uns de ses travaux d’op­tique13. Il com­mence à lui envoy­er un mémoire sur l’aber­ra­tion annuelle des étoiles, qu’Ara­go refuse de pub­li­er, car il ne con­tient aucune infor­ma­tion nou­velle par rap­port aux travaux de Bradley. Fres­nel soumet ensuite un sec­ond mémoire sur l’in­ter­férométrie à par­tir de trous. Ara­go accepte de pub­li­er ce tra­vail dans le cadre de l’A­cadémie des sci­ences, bien qu’il n’ap­porte que peu d’in­for­ma­tions par rap­port aux travaux de Thomas Young.

Cette pub­li­ca­tion encour­age Fres­nel qui veut pour­suiv­re ses travaux d’op­tique pour valid­er la théorie ondu­la­toire de la lumière qu’il met au point. Un con­cours est organ­isé par l’A­cadémie des sci­ences pour la meilleure expéri­ence prou­vant la nature de la lumière. Fres­nel le rem­porte bril­lam­ment avec sa célèbre expéri­ence de la dif­frac­tion à dis­tance finie. Pois­son est ébran­lé et revient à la séance suiv­ante en prou­vant, par la théorie ondu­la­toire, qu’au cen­tre de l’om­bre du disque occulté l’in­ten­sité est exacte­ment celle à l’ex­térieur du disque, ce qui est effec­tive­ment véri­fié14. Ce n’est pas pour autant que les par­ti­sans de la théorie de l’émis­sion renon­cent. Laplace, Biot, Cauchy n’ac­cepteront jamais la théorie ondulatoire.

Ara­go et Fres­nel col­la­borent d’une manière extrême­ment fructueuse, en mon­tant des expéri­ences nou­velles d’in­ter­férométrie, autant de pier­res dans le jardin des par­ti­sans des grains de lumière. Ils aboutis­sent à l’une des plus impor­tantes expéri­ences de la physique : l’ab­sence d’in­ter­férences dans le cas de la lumière polar­isée. Si chaque voie a une lumière de polar­i­sa­tion con­traire, aucune frange n’est vis­i­ble. Fres­nel en déduit la nature trans­verse de la lumière, con­traire­ment au mod­èle d’on­des lon­gi­tu­di­nales. Ara­go, lui, est per­plexe. Cette atti­tude est sou­vent mal com­prise, mais l’ex­is­tence d’une onde trans­verse impli­quait la trans­mis­sion dans un milieu pourvu d’une grande rigid­ité, alors que les ondes lon­gi­tu­di­nales se trans­met­taient dans un milieu élas­tique15. Il fal­lait donc intro­duire un éther cristallin, revenant ain­si à une théorie d’Aris­tote qui avait été rejetée par les astronomes à par­tir des travaux de Copernic.

Pen­dant ces années d’in­tense col­lab­o­ra­tion, Ara­go a eu bien sûr l’idée de deman­der à son ami d’in­ter­préter dans le cadre ondu­la­toire son expéri­ence d’aber­ra­tion des étoiles avec un prisme. Fres­nel lui répond dans une let­tre célèbre16, qui sera pub­liée dans les Annales de Chimie et Physique, qu’édite Ara­go avec Gay-Lus­sac (X 1797). P. Costa­bel en a fait une analyse remar­quable, mon­trant d’ailleurs quelques erreurs dans la fig­ure illus­trant la démon­stra­tion. Fres­nel explique à Ara­go que s’il n’a rien vu, c’est en rai­son de l’ex­is­tence d’un entraîne­ment par­tiel de l’éther par le prisme. Il déduit une for­mule explicite de ce phénomène, à par­tir de l’ex­is­tence de l’ab­sence d’ef­fet con­staté par les astronomes.

VI. La vitesse de la lumière

Ara­go se lance ensuite dans des travaux sur l’élec­tro­mag­nétisme et le mag­nétisme ter­restre. Sa célébrité devient immense. La Roy­al Soci­ety lui décerne en 1825 la médaille Cop­ley pour la décou­verte du mag­nétisme de rotation.

En 1830 il est élu tri­om­phale­ment secré­taire per­pétuel de l’A­cadémie des sci­ences. Il innove en organ­isant des séances publiques et en créant les comptes ren­dus de l’A­cadémie des sci­ences. Il se bat pour aider les savants, obtenant par exem­ple une pen­sion pour Louis Daguerre et les héri­tiers de Nicéphore Niepce, pour l’in­ven­tion de la pho­togra­phie qu’il divulgue de manière spec­tac­u­laire à l’A­cadémie le 19 août 1839.

Après la révo­lu­tion de juil­let 1830, Ara­go entre à la cham­bre des députés. Ini­tiale­ment proche du nou­veau régime, il va vite rejoin­dre l’op­po­si­tion rad­i­cale. Il s’ac­tive pour la mod­erni­sa­tion de la Nation : machines à vapeur, chemins de fer, amé­nage­ment des fleuves, télé­graphe élec­trique, etc. Ses thès­es sont par­fois mal­adroites, mal com­pris­es d’hommes poli­tiques peu habitués à enten­dre un raison­nement sci­en­tifique. Par con­tre son com­bat sur des thèmes human­istes a plus d’im­pact, sans pour autant plus de suc­cès : propo­si­tions pour le suf­frage uni­versel ou pour un enseigne­ment des sci­ences et des langues vivantes.

Il est aus­si mem­bre du Con­seil munic­i­pal de Paris, et du Con­seil de la Seine. Pour ali­menter Paris en eau, il prône avec ardeur le perce­ment d’un puits artésien à Grenelle, pour lequel huit années seront néces­saires, mais dont l’eau con­tribuera à assainir la ville.

Bien sûr ses activ­ités sci­en­tifiques se réduisent. Il pour­suit de nom­breux pro­jets, par­fois avec suc­cès, comme pour la pho­tométrie, et par­fois c’est l’échec, comme pour la mesure de la par­al­laxe de 61 Cyg­ni pour laque­lle son beau-frère Math­ieu (X 1803) et lui se font coif­fer sur le fil par Bessel17.

En 1838 Ara­go prend con­nais­sance du tra­vail de l’Anglais Wheat­stone pour la mesure des vitesses de l’élec­tric­ité (1834). Il en déduit un mon­tage per­me­t­tant de mesur­er enfin la vitesse de la lumière en lab­o­ra­toire18. Bien sûr Roe­mer l’avait estimée indi­recte­ment en 1676 à l’Ob­ser­va­toire de Paris, à par­tir du mou­ve­ment des satel­lites galiléens de Jupiter. À par­tir de l’aber­ra­tion annuelle, une autre valeur plus pré­cise avait été déduite par Bradley, la par­al­laxe solaire étant déter­minée de manière indépen­dante. Mais ce ne sont que des mesures indi­rectes, dans le vide spatial.

La théorie de l’émis­sion et celle des ondes dif­fèrent de manière rad­i­cale sur la valeur de la vitesse dans un milieu réfrin­gent. Dans la pre­mière théorie, la lumière va plus vite, alors que dans la sec­onde c’est le con­traire. Mesur­er la vitesse dans un tel milieu, comme l’eau ou le verre, présente donc un enjeu sci­en­tifique essen­tiel. Mal­gré tous les suc­cès rem­portés par la théorie ondu­la­toire, les par­ti­sans de la théorie de l’émis­sion ne se découra­gent pas. Pour Ara­go, la mesure de la lumière con­stitue une expéri­ence déci­sive, comme il les aime.

Le mon­tage est dif­fi­cile, basé sur des miroirs tour­nant à très grande vitesse. L’ar­ti­san Gam­bey avec lequel il avait dévelop­pé de nom­breux instru­ments n’est plus aus­si habile. Ara­go se dis­perse dans de nom­breuses activ­ités, et il n’a pas le temps de réalis­er cette expéri­ence qu’il estime cru­ciale. En 1843, il con­tacte Louis Bréguet, petit-fils du grand hor­loger Abra­ham Bréguet, pour réalis­er cette expérience.

Avec la révo­lu­tion de 1848 Ara­go, malade, presque aveu­gle, est nom­mé min­istre de la Marine. À ce titre, le 4 mars, il a l’hon­neur de sign­er le décret pro­vi­soire d’abo­li­tion de l’esclavage dans les colonies, après un entre­tien avec Vic­tor Schoelch­er, qu’il charge de pré­par­er le décret défini­tif19. Il sup­prime les châ­ti­ments cor­porels dans la marine et améliore l’or­di­naire des marins. Il va cumuler cette fonc­tion avec celle de min­istre de la Guerre. Aux pre­mières élec­tions au suf­frage uni­versel en France, il est élu tri­om­phale­ment député dans plusieurs cir­con­scrip­tions. L’assem­blée le nomme chef de la com­mis­sion exéc­u­tive, devenant ain­si le pre­mier chef d’É­tat français issu du suf­frage universel.

L’af­faire des ate­liers nationaux tourne vite à l’af­fron­te­ment, et dans la dernière semaine de juin 1848, c’est le drame, des com­bats sanglants opposent les émeu­tiers à l’ar­mée. L’Assem­blée nationale donne alors les pleins pou­voirs au général Cavaignac (X 1820). Ara­go se retire à l’Ob­ser­va­toire, Vic­tor Hugo dira alors ” Ara­go ne paraît plus à l’Assem­blée, quand on a ces deux spé­cial­ités de regarder le ciel et de regarder la terre, je com­prends qu’on préfère le ciel. ”

Directeur des obser­va­tions de l’Ob­ser­va­toire de Paris depuis 183420, il a la respon­s­abil­ité de plusieurs jeunes astronomes que lui a con­fiés le Bureau. Deux d’en­tre eux sont passés à la postérité, Hip­poly­te, Armand Fizeau et Jean, Bernard, Léon Fou­cault21. Ara­go, presque aveu­gle, laisse les jeunes savants repren­dre alors son expéri­ence de déter­mi­na­tion de la vitesse de la lumière en lab­o­ra­toire. Fizeau a l’idée de rem­plac­er le miroir tour­nant par une roue den­tée. Le mon­tage devient plus aisé, et en 1849, il aboutit à la mesure tant souhaitée, avec un instru­ment con­stru­it par Gus­tave Fro­ment (X 1835). Ara­go savoure d’au­tant plus ce suc­cès que Fou­cault en util­isant un miroir tour­nant mon­tre que le rap­port des vitesses dans l’eau et dans l’air est con­forme à la pré­dic­tion faite à par­tir de la théorie ondu­la­toire. C’est le coup de grâce pour les rares par­ti­sans de la théorie de l’émis­sion22.

Ara­go ressort alors la let­tre que lui avait envoyée Fres­nel en 1818 sur l’en­traîne­ment de l’éther. Il leur sug­gère d’es­say­er de met­tre en évi­dence l’en­traîne­ment de l’éther à tra­vers un courant d’eau. C’est une expéri­ence très déli­cate, que réus­sit Fizeau en 1851, en util­isant le réfrac­tomètre dif­féren­tiel qu’avait conçu Ara­go en 181723. L’ef­fet est totale­ment con­forme à la pré­dic­tion de Fres­nel. Cette théorie devient donc la référence. Elle com­plète la théorie ondu­la­toire de la lumière, sans lui être nécessaire.

Ce fut par­mi les dernières joies du grand maître. Aveu­gle, dia­bé­tique, souf­frant d’urémie, atteint d’une hydropisie de poitrine, il dicte à sa nièce Lucie Laugi­er des cor­rec­tions et des com­plé­ments pour ses œuvres. Ara­go meurt le 2 Octo­bre 1853. Vic­tor Hugo écrira à son frère Éti­enne : ” Une des grandes étoiles du siè­cle vient de s’étein­dre. Il me sem­ble que la mort d’Ara­go est une diminu­tion de la lumière… Ara­go était une force vive de la démoc­ra­tie. Il lui don­nait ces deux points d’ap­pui : sa con­vic­tion qu’on ne pou­vait abat­tre et sa gloire qu’on ne pou­vait nier…

Jean Augustin Bar­ral (X 1838) a été chargé de l’édi­tion de ses œuvres. Le pre­mier ouvrage parut en 1854, le 17e et dernier en 1860. Ara­go a con­sacré le 4e tome de ses notices sci­en­tifiques aux phénomènes lumineux. La fin du vol­ume est con­sacrée à la vitesse de la lumière. Bar­ral note : ” Déjà, en 1806, dans une pre­mière com­mu­ni­ca­tion faite à l’A­cadémie, M. Ara­go avait démon­tré que la lumière se meut avec la même vitesse, quels que soient les corps dont elle émane, ou du moins, s’il existe quelques dif­férences, elles ne peu­vent en aucune manière altér­er l’ex­ac­ti­tude des obser­va­tions astronomiques. ” Les œuvres d’Ara­go ont été large­ment dif­fusées, en France et dans le monde. Elles sont d’ailleurs très sou­vent citées. Alors pourquoi n’y a‑t-il aucune référence au tra­vail de pio­nnier de ce per­son­nage excep­tion­nel de la sci­ence française dans la genèse de la rel­a­tiv­ité ? On peut avancer plusieurs explications :

  • L’in­ter­pré­ta­tion de Fres­nel a occulté celle de Laplace. Fres­nel a trans­for­mé le phénomène en entraîne­ment de l’éther. Ara­go ne croy­ait déjà pas à l’éther cristallin, cet entraîne­ment le lais­sa donc scep­tique. Dans une théorie ondu­la­toire de la lumière, il existe un sup­port, la con­stance de la vitesse est donc liée aux pro­priétés de l’éther. Par con­tre, dans une théorie cor­pus­cu­laire (bal­is­tique), l’ex­is­tence d’un sup­port est super­flue, la par­tic­ule ne peut qu’avoir une vitesse con­stante, par rap­port à l’é­toile qui l’a lancée. Dans le cadre de la mécanique galiléenne, l’ob­ser­va­tion des étoiles dou­bles devrait con­duire, en rai­son de leurs mou­ve­ments par rap­port à l’axe de visée, à des vari­a­tions de posi­tion non observées. Il fal­lait donc aus­si pos­tuler que pour la lumière les vitesses ne pou­vaient se com­pos­er. Ce n’est donc pas un hasard, s’il y a eu con­comi­tance des arti­cles d’E­in­stein sur l’in­ter­pré­ta­tion de l’ef­fet pho­toélec­trique, avec un retour à une théorie cor­pus­cu­laire, et sur la rel­a­tiv­ité, pour lequel la vitesse de la lumière a une vitesse con­stante dans tout repère galiléen.
     
  • L’ex­péri­ence d’Ara­go est décrite dans le lan­gage de la théorie de l’émis­sion. L’in­ter­pré­ta­tion de Fres­nel n’ou­vre pas la porte à la dis­cus­sion sur la con­stance de la vitesse de la lumière. Avec l’ex­péri­ence de Fizeau, plus acces­si­ble au niveau de la com­préhen­sion des phénomènes en présence, la théorie de Fres­nel con­duit à un résul­tat juste, alors peut-on remet­tre en cause cette théorie ?
     
  • L’ac­tiv­ité intense, mais très dis­per­sée d’Ara­go, qui n’a sou­vent pub­lié ses pro­pres travaux que sous une forme trop con­cise. C’est seule­ment à la fin de sa vie qu’il a rédigé dans ses œuvres quelques doc­u­ments essen­tiels, con­cer­nant non seule­ment ses travaux sur la vitesse de la lumière, mais aus­si sur la nature gazeuse du Soleil ou sur la scin­til­la­tion des étoiles, travaux en principe bien antérieurs. Le lecteur se perd entre des biogra­phies, des textes de vul­gar­i­sa­tion et des mémoires sci­en­tifiques orig­in­aux. Ara­go, et son ami Alexan­dre de Hum­boldt le lui a reproché, a mélangé dans ses œuvres les aspects pure­ment sci­en­tifiques avec des écrits d’un très grand intérêt, même aujour­d’hui, mais qui ont beau­coup atténué la portée de ses découvertes.
     
  • Les efforts d’Ur­bain Le Ver­ri­er (X 1820) pour faire dis­paraître à l’Ob­ser­va­toire de Paris toute influ­ence posthume d’Arago.
     

L’Ob­ser­va­toire fut pen­dant la pre­mière moitié du XIXe siè­cle l’un des plus grands insti­tuts sci­en­tifiques mon­di­aux. Les décou­vertes s’y sont accu­mulées, non seule­ment en astronomie, mais dans de nom­breuses branch­es des math­é­ma­tiques, de la physique et de la géo­physique. Ses savants ont con­tribué de manière majeure à la nais­sance de l’as­tro­physique. Lorsque Le Ver­ri­er se fit inve­stir de la toute-puis­sance du titre nou­veau de directeur de l’Ob­ser­va­toire de Paris, en le sor­tant de la tutelle du Bureau, il engagea une poli­tique axée essen­tielle­ment sur la mécanique céleste, exclu­ant la plu­part des dis­ci­ples d’Ara­go, comme Fizeau, ce fut une épreuve pour la physique française. Le Ver­ri­er nom­ma, toute­fois, Fou­cault physi­cien de l’Ob­ser­va­toire ; il put ain­si y pour­suiv­re ses travaux sur la lumière24.

La mesure de la vitesse de la lumière fut reprise sur des grandes bases par Fou­cault (1862), puis par Cor­nu (X 1860) (1872, 1874). Les dernières mesures avec le mon­tage de Cor­nu furent faites à l’Ob­ser­va­toire de Nice par Per­rotin25. Les travaux sur la con­stance de la vitesse de la lumière furent repris par Airy avec une expéri­ence d’aber­ra­tion annuelle avec un téle­scope rem­pli d’eau (1871)26, et par Mas­cart, avec des expéri­ences très var­iées à l’É­cole nor­male supérieure (1872–1874)27. Sans doute, Albert S. Michel­son n’ig­no­rait pas ces travaux. Il a ren­con­tré d’ailleurs Mas­cart, mais aus­si Cor­nu et Lipp­man en 1881 à Paris. À cette occa­sion il a même vis­ité l’É­cole poly­tech­nique28. Il n’est pas sûr qu’il ait ren­con­tré Fizeau, Fou­cault étant mort en 1868. Albert Michel­son en 1879 s’é­tait ren­du célèbre pour avoir amélioré la mesure de la vitesse de la lumière de Fou­cault d’un ordre de grandeur, avec un miroir tour­nant, c’est-à-dire le mon­tage pro­posé par Ara­go en 1838.

En 1881 Michel­son monte à Berlin l’ex­péri­ence de la déter­mi­na­tion du vent d’éther29, expéri­ence qu’il reprend aux États-Unis en 1887 avec Mor­ley30. L’ap­port essen­tiel de Michel­son par rap­port à l’ex­péri­ence d’Ara­go con­siste dans la sup­pres­sion de tout réfrac­teur. Il s’ag­it bien d’ex­am­in­er l’ef­fet de la vitesse de l’ob­ser­va­teur par rap­port à la lumière, mais son inter­féromètre, basé sur des miroirs, con­duit à une inter­pré­ta­tion plus immé­di­ate du résul­tat, qui fal­si­fie la théorie de Fresnel.

Il y a donc eu une très grande fil­i­a­tion dans les travaux sci­en­tifiques, par­tant de la décou­verte et de l’in­ter­pré­ta­tion de l’aber­ra­tion annuelle des étoiles par Bradley en 1728, et aboutis­sant à l’ex­péri­ence de Michel­son-Mor­ley en 1887. Au cours de cette péri­ode les physi­ciens français, et par­ti­c­ulière­ment des poly­tech­ni­ciens, ont été des acteurs essen­tiels. Si la théorie de Fres­nel a été fal­si­fiée, elle a pu con­duire à des expéri­ences orig­i­nales, et à des résul­tats exacts.

En 1998, l’ob­ser­va­tion de quelques super­novæ loin­taines a con­duit à la néces­sité d’in­tro­duire une con­stante cos­mologique L = 0,7 exprimée en den­sité cri­tique de l’U­nivers. Pour quelques chercheurs, cela peut être inter­prété comme l’ex­is­tence d’une com­posante fon­da­men­tale de la Matière-Espace-Temps31, pos­sé­dant une cer­taine rigid­ité, et qu’ils ont appelée Quin­tes­sence en rap­pel de cette cinquième com­posante de la matière imag­inée par Aris­tote, et qu’on appelle aus­si éther en français. Des arti­cles sont pro­posés chaque semaine sur ce nou­veau thème. Ceci n’est pas sans rap­pel­er non plus l’éther de Fres­nel. Mais alors, la rel­a­tiv­ité restreinte, et par là même toute la physique de XXe siè­cle ne risque-t-elle pas d’être remise en ques­tion ? Sans aucun doute non, car la rel­a­tiv­ité restreinte a son domaine de valid­ité, et elle est elle-même incluse dans une théorie plus vaste, la rel­a­tiv­ité générale. Ein­stein lui même a intro­duit la con­stante cos­mologique pour sta­bilis­er l’U­nivers dans le cadre de la rel­a­tiv­ité générale. Il a longtemps pen­sé que c’é­tait l’une de ses plus grandes erreurs sci­en­tifiques. Une nou­velle physique est en train d’é­clore et les astronomes sont à nou­veau aux pre­mières loges. François Ara­go aurait beau­coup apprécié.

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1. Mar­chal C., ” Hen­ri Poin­caré : une con­tri­bu­tion déci­sive à la rel­a­tiv­ité “. La Jaune et la Rouge, 547, p. 42–46, 1999.
2. M. A. Ton­nelat cite cette expéri­ence dans son His­toire du principe de rel­a­tiv­ité, p. 82, Flam­mar­i­on 1971, d’une manière très erronée.
3. Cité par J. F. Bar­ral dans la Notice chronologique sur les œuvres d’Ara­go. Œuvres d’Ara­go tome XVII, p. CXIII, Gide, Paris. J. F. Bar­ral se réfère à la 4e édi­tion de l’Expo­si­tion du sys­tème des mon­des de P. S. Laplace paru en 1813.
4. Bien évidem­ment le nom d’Ara­go n’est pas oublié, mais son rôle sur la mise en évi­dence de la con­stance de la lumière l’est à peu près complètement.
5. F. Ara­go a racon­té sa jeunesse épique dans un livre à met­tre entre toutes les mains, His­toire de ma jeunesse, pub­lié dans le tome I de ses œuvres, Gide, Paris, 1854. Une réédi­tion de ce livre est récem­ment parue. M. Dau­mas a pub­lié une remar­quable biogra­phie d’Ara­go en 1943, elle a été rééditée en 1986 par Bor­das à l’oc­ca­sion du bicen­te­naire de sa nais­sance. Les œuvres com­plètes d’Ara­go ont été numérisées et sont acces­si­bles en ligne à la Bib­lio­thèque nationale de France (http://www.bnf.fr).
6. Ara­go est entré 6e de sa pro­mo­tion, mais de nom­breux auteurs indiquent qu’il fut le major de sa pro­mo­tion à l’É­cole. D’ailleurs une plaque com­mé­more sur la Mon­tagne-Sainte-Geneviève la remise du dra­peau de l’É­cole au ser­gent-major Ara­go par Napoléon Ier.
7. Guedj D., La Mesure du Monde/La Méri­di­enne, Robert Laf­font, Paris, 1997.
8. Ara­go F., L’as­tronomie pop­u­laire, t. IV, Gide, Paris, 1860.
9. Cette affaire empoi­son­nera les rela­tions entre la France et la Régence, et elle con­duira à la prise d’Al­ger en juil­let 1830.
10. Costa­bel P., ” L’en­traîne­ment par­tiel de l’éther selon Fres­nel “, La vie des Sci­ences, comptes ren­dus de l’A­cadémie des sci­ences, 6, p. 327–334, 1989.
11. Ces expéri­ences n’ont été pub­liées par Ara­go qu’à la veille de sa mort, en 1853, comptes ren­dus Académie des sci­ences, 36, p.38–49. Dans une note, il indique qu’il avait lu ce mémoire le 10 décem­bre 1810. Laplace et Biot l’ayant cité dans leurs ouvrages, il s’é­tait dis­pen­sé d’une pub­li­ca­tion. Ce n’est qu’en rangeant ses mémoires pour rédi­ger ses œuvres qu’il l’a retrou­vé et repro­duit, sans y chang­er un seul mot.
12. Le pre­mier para­graphe se trou­vait dans la troisième édi­tion de l’Expo­si­tion du sys­tème du Monde, pub­lié en 1808. Le sec­ond a été intro­duit dans la qua­trième édi­tion de 1813 (p. 326). Ce texte est cité par J. A. Bar­ral dans la Notice chronologique des œuvres d’Ara­go, p. CXIII.
13. J. F. Bar­ral dans sa Notice Chronologique sur les œuvres d’Ara­go, p. XL-XLVII, donne des pré­ci­sions sur le début des rela­tions entre les deux grands savants.
14. Ara­go racon­te ce fait dans sa notice sur Fres­nel, pub­lié dans le tome I de ses œuvres. D’une manière duale, si on éclaire un trou cir­cu­laire on observe au cen­tre une tache noire par­fois appelée tache noire d’Ara­go. Je n’ai pas retrou­vé dans ses œuvres la jus­ti­fi­ca­tion de cette appel­la­tion. Mais ceci n’a rien d’ex­tra­or­di­naire, c’est bien Laplace qui a conçu la notion de poten­tiel newtonien.
15. J. A. Cawood a dis­cuté ce point d’une manière détail­lée dans sa thèse The Sci­en­tif­ic work of D. F. J. Ara­go, p. 136–149, Univ. Leeds 1974. Pour ce chercheur, qui s’est penché d’une manière iné­galée en France sur les travaux d’Ara­go, l’ac­cep­ta­tion d’une onde trans­verse pou­vait être pos­si­ble pour un physi­cien math­é­mati­cien comme Fres­nel, car il ne s’ag­it que d’un mod­èle, per­me­t­tant de pro­gress­er dans l’in­ter­pré­ta­tion et dans la pré­dic­tion des phénomènes, alors que pour Ara­go, physi­cien de la nature, cette hypothèse impli­quait une descrip­tion inac­cept­able de l’univers.
16. Fres­nel, A., ” Let­tre à M. Ara­go “, et ” Note addi­tion­nelle à la let­tre à M. Ara­go “, Annales de Chimie et de Physique, vol. 9, 1818.
17. Il est curieux que sur le tim­bre-poste émis à l’oc­ca­sion du bicen­te­naire de la nais­sance d’Ara­go un dessin rap­pelle cet échec du grand savant. Com­mé­more-t-on le 18 juin la défaite de Waterloo ?
18. L’his­toire de la déter­mi­na­tion de la vitesse de la lumière est bril­lam­ment racon­tée par William Tobin dans Toothed wheels and rotat­ing mir­rors : Parisian astron­o­my and mid-nine­teenth cen­tu­ry exper­i­men­tal mea­sure­ments of the speed of light, Vis­tas in Astron­o­my, p. 253–294, 1993.
19. Il n’y a aucune ambiguïté his­torique sur cette sig­na­ture. Pour­tant le rôle d’Ara­go a été en très grande par­tie occulté ou con­testé à l’oc­ca­sion des céré­monies com­mé­mora­tives con­cer­nant l’abo­li­tion de l’esclavage par la France.
20. Con­traire­ment à une idée reçue Ara­go n’a jamais eu le titre de directeur de l’Ob­ser­va­toire, cette fonc­tion ayant été sup­primée en 1795, et rétablie pour Le Ver­ri­er en 1854. Ara­go a suc­cédé à Laplace à la direc­tion effec­tive de l’as­tronomie française à la mort de ce savant.
21. Une grande con­fu­sion existe sur les prénoms de ces savants, con­fu­sion qui existe aus­si pour Ara­go lui-même.
22. C’est donc Fou­cault qui gagna la course con­cer­nant cette expéri­ence déci­sive. Il pub­lia l’in­for­ma­tion dans le Jour­nal des Débats le 27 avril 1850. W. Tobin racon­te dans son arti­cle que Fou­cault présen­ta ce tra­vail pour son doc­tor­at, et fail­lit échouer.
23. P. Costa­bel, ” Le dou­ble tube d’Ara­go “, Stud­ies of the his­to­ry of Sci­en­tif­ic Instru­ments, p.129–133, 1989.
24. W. Tobin note que les rela­tions entre Ara­go et Fou­cault s’é­taient détéri­orées. Leurs car­ac­tères étaient très opposés, et Ara­go n’a pas, sem­ble-t-il, appré­cié que Fou­cault ait repris avec suc­cès la méthode des miroirs tour­nants. Quant aux rela­tions entre Ara­go et Le Ver­ri­er elles furent totale­ment détesta­bles à par­tir de 1847, le gou­verne­ment Guizot ayant voulu réduire l’in­flu­ence d’Ara­go, en avançant le pion Le Ver­ri­er. La révo­lu­tion de févri­er 1848 mit fin à ces intrigues, mais Ara­go con­ser­va une très grande méfi­ance vis-à-vis de celui qui devint néan­moins son successeur.
25. Per­rotin effec­tua ses mesures entre le Mont-Gros, site de l’ob­ser­va­toire de Nice, et le Mont Vinai­gre, situé dans l’Estérel. Il pub­lia ses travaux en 1902 dans les Annales de l’Ob­ser­va­toire de Nice. En 1981 Jean-Paul Zahn, alors directeur de l’Ob­ser­va­toire de Nice, a envis­agé de remon­ter l’ex­péri­ence de la mesure de la vitesse de la lumière, à l’oc­ca­sion du cen­te­naire de l’étab­lisse­ment. Le pro­jet n’aboutit pas, mais quelques astronomes niçois l’en­vis­agent tou­jours à titre pédagogique.
26. G. B. Airy, Proc. Roy­al Soc. Lon­don, A 20, p. 35 1871, A 21 p.121, 1873. Airy ne cite pas Ara­go. Leur ami­tié a été rompue après la décou­verte de Nep­tune, Ara­go refu­sant d’ad­met­tre toute pater­nité d’Adams dans cette décou­verte. Au xvi­i­ie siè­cle Boscow­itch avait réal­isé cette expéri­ence avec une lunette rem­plie d’eau, mais la qual­ité des mesures n’é­tait pas suff­isante pour con­clure. D’autres expéri­ences de cette nature ont été mon­tées dans les années 1860 par le Hol­landais Hoek et l’I­tal­ien Respighi.
27. M. Mas­cart, ” Sur les mod­i­fi­ca­tions qu’éprou­ve la lumière par suite du mou­ve­ment de la source lumineuse et du mou­ve­ment de l’ob­ser­va­teur “, Annales de l’É­cole nor­male supérieure, p. 167–214, 1872 et p. 353–420, 1874.
Dans l’in­tro­duc­tion du pre­mier arti­cle Mas­cart revient longue­ment sur l’ex­péri­ence d’Ara­go et la théorie de Fres­nel qui en a résulté. Il con­clut dans son pre­mier mémoire :
” Les phénomènes de réflex­ion de la lumière, de dif­frac­tion, de dou­ble réfrac­tion rec­tiligne et de dou­ble réfrac­tion cir­cu­laire sont égale­ment impuis­sants à met­tre en évi­dence le mou­ve­ment de trans­la­tion de la Terre quand on opère avec la lumière solaire ou avec une source de lumière terrestre. ”
À la fin de son sec­ond mémoire il note : ” La con­clu­sion de ce mémoire serait donc que le mou­ve­ment de trans­la­tion de la Terre n’a aucune influ­ence appré­cia­ble sur les phénomènes d’op­tique pro­duits avec une source ter­restre ou avec la lumière solaire, que ces phénomènes ne nous don­nent pas le moyen d’ap­préci­er le mou­ve­ment absolu d’un corps et que les mou­ve­ments relat­ifs sont les seuls que nous pou­vons atteindre. ”
En toute rigueur il existe un petit effet dû à l’ef­fet Doppler-Fizeau, le mou­ve­ment décalant le spec­tre de l’ob­jet. Si le prisme est par­faite­ment achro­ma­tique, les posi­tions ne sont pas affec­tées par ce décalage, sinon la posi­tion du pho­to­cen­tre est mod­i­fiée, mais l’am­pli­tude du phénomène est en nég­lige­able, sauf si le prisme dis­perse d’une manière impor­tante. C’est sur ce principe qu’est basée la mesure des vitesses radi­ales avec un prisme objectif.
28. La fille de Michel­son racon­te cette vis­ite dans son livre Le Maître de la lumière con­sacré à la vie de son père.
29. Michel­son A. A., ” The rel­a­tive motion of the earth and the luminif­er­ous ether “, Amer­i­can Jour­nal of Sci­ence : third series, 22, p. 120–129, 1881.
30. Michel­son A. A., Mor­ley E. W., ” On the rel­a­tive motion of the earth and the luminif­er­ous ether “, Amer­i­can Jour­nal of Sci­ence : third series, 24, p. 333–345, 1997.
31. Je reprends le titre du remar­quable livre de G. Cohen-Tanoud­ji (58) et M. Spiro (66) d’ini­ti­a­tion à la struc­ture intime de la matière, La Matière-Espace-Temps : la logique des par­tic­ules élé­men­taires, paru chez Fayard en 1986.

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