L’Organisation mondiale du commerce et les services.

Dossier : ExpressionsMagazine N°582 Février 2003Par : Compte rendu de Jacques Méraud (46), économiste, membre honoraire du Conseil économique et social

Les activ­ités “ter­ti­aires” sont celles qui ne pro­duisent pas de biens matériels. La place qu’elles tien­nent dans le PIB des pays dévelop­pés croît depuis un demi-siè­cle : elle atteint en France près de 50 % pour les ser­vices “marchands” et 70 % si on y joint les “non-marchands”. La libéra­tion des échanges n’est pas une fin en soi, mais un moyen néces­saire : l’ac­croisse­ment du com­merce inter­na­tion­al est un fac­teur de crois­sance, et par là de pro­grès économique et social ; il doit en par­ti­c­uli­er per­me­t­tre aux pays en développe­ment de con­naître des rythmes de crois­sance plus rapi­des que ceux des pays développés.

Ce n’est qu’au cours des années qua­tre-vingt que l’on a décidé d’élargir aux ser­vices la libéra­tion des échanges. L’Ac­cord général sur le com­merce des ser­vices (AGCS) a été signé en 1994 dans le cadre de l’Ac­cord dit “de Mar­rakech”, qui a insti­tué l’OMC. Cet accord trans­férait aux ser­vices les grands principes du GATT (Gen­er­al Agree­ment on Tar­iffs and Trade) : chaque mem­bre de l’OMC — ils sont au nom­bre de 144, y com­pris la Chine con­ti­nen­tale et Tai­wan — accordera désor­mais aux autres le traite­ment dit “de la nation la plus favorisée”, trait­era les ser­vices importés aus­si favor­able­ment que ses ser­vices nationaux, et don­nera à son com­porte­ment com­mer­cial une “trans­parence” maximale.

Cette ouver­ture pro­gres­sive des marchés mon­di­aux exige des règles claires, avec des con­ces­sions récipro­ques, lesquelles sup­posent des négo­ci­a­tions ; l’OMC en trace le cadre, pour don­ner à ses mem­bres la pos­si­bil­ité de se fix­er des objec­tifs de poli­tique nationale en matière de four­ni­ture interne de ser­vices, et aider en par­ti­c­uli­er les pays en voie de développe­ment à aug­menter leur part dans le com­merce mon­di­al en com­mençant par accroître leurs activ­ités internes en ce domaine.

Ce sont les pays dévelop­pés qui atten­dent le plus de béné­fices de l’ou­ver­ture des marchés de ser­vices. Aus­si beau­coup de pays en développe­ment abor­dent-ils les négo­ci­a­tions sur ce point avec pru­dence. Pour que celles-ci avan­cent et prof­i­tent à tous, il faut que les pays dévelop­pés tien­nent mieux leur engage­ment, dit “de Copen­h­ague”, de con­sacr­er 0,7 % de leur PIB à l’aide publique au développement.

Seuls les pays scan­di­naves et les Pays-Bas l’ont fait jusqu’i­ci. La France, bien que situ­ant son aide à un peu moins de 0,4 % de son PIB, est en tête des pays du G7. François Ailleret, dans sa con­clu­sion, pro­pose que lors des négo­ci­a­tions à venir soient liées libéral­i­sa­tion du com­merce et aide au développement.

La nomen­cla­ture de classe­ment des ser­vices par l’OMC dis­tingue 160 “sous-secteurs”. L’U­nion européenne, qui par­le d’une seule voix dans les négo­ci­a­tions, a déjà large­ment ouvert son marché intérieur à la con­cur­rence inter­na­tionale : elle a pris de tels engage­ments pour plus de 120 sous-secteurs, alors qu’un tiers des mem­bres de l’OMC se sont engagés sur moins de 30 et un autre tiers sur un nom­bre com­pris entre 30 et 80.

Actuelle­ment la France détient en matière d’ex­por­ta­tion de ser­vices une posi­tion forte dans l’ensem­ble, et l’on peut estimer que glob­ale­ment le sol­de de ses échanges inter­na­tionaux en ce domaine a chez elle un effet posi­tif sur l’emploi ; ce n’est toute­fois pas le cas dans tous les secteurs.

Ceux dits “à enjeux offen­sifs”, où elle est déjà très présente inter­na­tionale­ment et peut avoir la per­spec­tive de pro­grès impor­tants, sont : les télé­com­mu­ni­ca­tions, les ser­vices financiers, les ser­vices infor­ma­tiques, les ser­vices envi­ron­nemen­taux (dis­tri­b­u­tion d’eau, ges­tion des déchets, etc.), la grande dis­tri­b­u­tion (hyper et super­marchés), les voy­ages (tourisme et trans­ports). François Ailleret insiste là sur la néces­sité d’une présence par­ti­c­ulière­ment active de la France dans les négo­ci­a­tions sec­to­rielles correspondantes.

Dans d’autres secteurs, dits “sen­si­bles”, l’U­nion européenne — la France en par­ti­c­uli­er — est beau­coup plus réservée en matière d’en­gage­ments d’ou­ver­ture de son marché : il s’ag­it de l’au­dio­vi­suel, de la san­té, de l’é­d­u­ca­tion, des trans­ports fer­rovi­aires et de l’én­ergie ; l’U­nion européenne y a jusqu’i­ci lim­ité ses engage­ments aux ser­vices privés et a déclaré que les accords con­clus ne l’en­ga­gent pas sur la voie de pri­vati­sa­tions ou de déré­gle­men­ta­tions des secteurs publics ; il faut à l’avenir que nous restions vig­i­lants, sans con­fon­dre vig­i­lance et intran­sigeance (recherche d’un con­sen­sus européen plutôt que veto français).

De façon plus générale, François Ailleret attire l’at­ten­tion dans ses propo­si­tions finales sur l’op­por­tu­nité d’une meilleure par­tic­i­pa­tion de la société civile aux négo­ci­a­tions de l’OMC et d’une plus grande impli­ca­tion des entre­pris­es français­es (organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles, cham­bres de com­merce…) sur leurs enjeux.

Mais l’OMC n’or­gan­ise pas seule­ment des négo­ci­a­tions. Elle doit ensuite con­trôler le respect des engage­ments pris. À ce pro­pos notre rap­por­teur fait quelques réflex­ions et sug­ges­tions. Il observe que l’ac­tion de l’OMC doit être équitable, sans pré­dom­i­nance d’au­cun acteur, que l’ou­ver­ture des marchés mon­di­aux ne doit pas avoir d’ef­fets négat­ifs pour les con­som­ma­teurs et pour l’en­vi­ron­nement, qu’il faut exiger le respect de normes sociales min­i­males pour éviter le “dump­ing social”, sans toute­fois pré­ten­dre impos­er à tous les pays notre niveau élevé de pro­tec­tion sociale ; dans cette per­spec­tive il note com­bi­en une liai­son entre l’OMC et l’Or­gan­i­sa­tion inter­na­tionale du tra­vail (OIT) est indispensable.

Il men­tionne égale­ment la néces­sité de lut­ter plus vigoureuse­ment con­tre la cor­rup­tion et le blanchi­ment d’ar­gent “sale”, et l’op­por­tu­nité de la créa­tion d’un “visa AGCS” pour faciliter les trans­ferts de per­son­nel que sus­ci­tent les échanges inter­na­tionaux. Au total, l’ac­tion de l’OMC doit devenir peu à peu une com­posante d’une meilleure “gou­ver­nance” mon­di­ale, à laque­lle pour­rait con­courir la créa­tion d’un “Con­seil de sécu­rité économique et social”.

En con­clu­sion, ce rap­port témoigne à la fois de la rigueur d’analyse et de la largeur de vues de son auteur. Exposé clair et pré­cis sur un sujet com­plexe, il s’in­scrit dans une dou­ble per­spec­tive de dynamisme économique et d’ou­ver­ture aux exi­gences sociales, envi­ron­nemen­tales et éthiques du développe­ment humain. C’est une remar­quable syn­thèse des idées per­son­nelles de son auteur et des points de vue des dif­férentes com­posantes de la société civile représen­tées au Con­seil économique et social

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